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Cirepal
Plus
que deux ambassadeurs...et moins qu'un Bremer
Joseph
Samaha
al-Akhbar,
vendredi 9 février
750 colis arrivent à l'aéroport international Rafik al-Hariri.
Les colis sont réclamés par l'ambassade américaine. Selon la
déclaration aux douanes, il est supposé que les colis
contiennent des "appareils électriques". Mais le
hasard fait qu'on découvre qu'il en est autrement. Al-Akhbar
publie la nouvelle, confirmée par des documents. L'ambassade américaine
se met très en colère, puis est contrainte d'avouer.
L'histoire aurait pu finir ainsi, avec les réponses des concernés
aux questions soulevées : pourquoi l'erreur ? Qui est
responsable ? A qui appartiennent les colis ? Comment
l'autorisation de sortie a-t-elle pu être obtenue ? Pourquoi se
répéte la contradiction entre les déclarations de l'ambassade
et les renseignements officiels sur les importations? Quel est
le rôle du ministère des affaires étrangères ? etc..
L'histoire aurait pu se terminer si le mode de réponse de
l'ambassade ne traduit pas de toute évidence l'attitude américaine
envers le Liban. Le communiqué commence par l'expression
suivante : "Puisque les Etats-Unis ont promis un milliard
de dollars pour aider le Liban démocratique..." et se
termine par : "les Etats-Unis sont fiers d'aider le
gouvernement libanais à assurer la sécurité et la
tranquillité du peuple libanais grâce à cette aide".
L'introduction est inspirée du "discours colonial"
traditionnel et la conclusion précise que "la sécurité
et la tranquillité du peuple libanais" n'a rien à voir
avec la demande du "président démocratique" Fouad
Sanioura aux Etats-unis de cesser de fournir à Israël des
bombes à fragmentation qui ont faut de la terre du
sud un champ de mort.
Nous pouvons ajouter que "le soutien au Liban démocratique"
signifie, entre autres, le soutien à la liberté de
publication, même si cela conduit à mettre l'ambassade
"qui soutient" en question. Mais nous savons, et
l'ambassade le sait, que le soutien n'a rien à voir avec la démocratie,
mais il s'agit plutôt d'acheter une allégeance politique.
C'est un "achat" qui a réussi ,jusqu'à présent,
à rendre la critique de l'administration américaine
et de sa politique au Liban, moins virulente qu'elle ne l'est
aux Etats-Unis eux-mêmes.
Nous pouvons parier, avec la certitude de gagner, que
l'ambassade américaine dans plusieurs pays, n'aurait pas osé
publier un pareil communiqué s'il n'avait considéré que le
pays en question est "une république bananière", ou
en voie de le devenir. Il suffit d'observer les déplacements
des deux ambassadeurs, américain et français, Ferltman et Aymé,
pour comprendre que quelque chose se passe au Liban. La tutelle
a changé de direction, et les moyens sont devenus "plus
modernes et contemporains", la main de la tutelle est la même
sous le gant : il était de fer, il est devenu de velours, c'est
une "évolution", bien sûr, mais n'est pas du goût
de nombreux Libanais et n'est pas du genre à permettre de
chanter la liberté, la souveraineté et l'indépendance.
Les deux ambassadeurs jouissent d'une particularité refusée
aux ambassadeurs des autres pays. Ce sont des ambassadeurs qui
se retrouvent sur beaucoup de points concernant le Liban, mais
s'ils abordent des dossiers régionaux, ils réaliseront qu'ils
sont en contradiction. Aymé, par exemple, est contraint de répéter
la position de son pays sur la nécessité de retrait de l'Irak.
Quant à Feltman, il défend le nouveau plan Bush. Aymé
bredouille lorsqu'il s'agit d'expliquer les phrases de Chirac à
propos du dossier nucléaire iranien, alors que Feltman se moque
de la légèreté française avant d'entourer la position de
Washington d'une certaine "brume constructive". Même
sur le dossier palestinien, ils peuvent vivre malgré certaines
divergences, mais ils peuvent conclure toute rencontre par la
bonne humeur rien qu'en abordant la question qui les concerne
directement : le Liban.
Il ne leur reste plus qu'à se répartir les rôles, à échanger
ceux de "mauvais gendarme et du bon gendarme", à
mettre les plans de la prochaine phase, et se plaindre l'un à
l'autre des difficultés engendrées par les alliés, leurs
visions étroites, leur égoïsme et leur incapacité à s'élever
au niveau de la stratégie réclamée.
Le déroulement des événements au Liban exige que les deux
ambassadeurs restent sous les projecteurs. Le "besoin"
d'eux est urgent pour diriger les opérations quotidiennes. L'un
s'appuie sur l'expérience des ambassadeurs dans plusieurs pays
africains et l'autre sur les souvenirs diplomatiques de son pays
dans plusieurs pays d'Amérique Latine, et les deux s'étonnent,
probablement, de cette approbation de certains Libanais à
faire appel à la tutelle, à s'y satisfaire et à se complaire
de sa sagesse.
Très loin du Liban, dans le pays de l'ambassadeur Feltman, Paul
Bremer, l'ancien césar de l'Irak, est soumis à une dure remise
en cause, une remise en cause liée à la corruption, à la
dilapidation, à la mauvaise administration, au financement de
la révolte (par erreur) au cours de son mandat sur Baghdad. Là
bas, Bremer n'a pas reçu des "appareils électriques"
à l'aéroport, mais pas moins de 363 tonnes de monnaies en
papier, et là-bas, l'homme a dilapidé des milliards de dollars
de l'argent irakien et américain, sans aucun contrôle. Le voilà
actuellement, après des jours de gloire couronnés par la
remise par Bush d'une métaille distinguée, le voilà soumis à
une humiliation, reconnaissant son échec d'empêcher le démantèlement
du pays, son échec d'extirper le baath, et surtout son échec
concernant l'armée irakienne...
Personne ne nous dira combien ces erreurs ont coûté en désastres
humains. Rien ne compense la destruction causée par ce
"dirigeant, exécutant, surveillant, celui qui a rassemblé
tous les pouvoirs". Il poursuivra sa vie profitant du livre
qu'il écrira sur l'Irak. Il fera des conférences ayant pour
titre : "comment peut-on être responsable de la mort d'un
demi-million d'humains". La leçon à tirer de son expérience,
cependant, est de donner la priorité à ce que son acte ne se répète
pas ailleurs, dans un lieu proche, au Liban par exemple.
La politique américano-française envers le Liban n'est pas éloignée
de ce qui a conduit l'Irak à ce qu'il est devenu. Nous le
disons tout en sachant qu'il y a des différences entre Paris et
Washington. Nous le disons, aussi, tout en sachant qu'il y a des
différences entre Aymé et Feltman, d'une part et Bremer de
l'autre. Mais nous savons que Aymé et Feltman sont plus que
deux ambassadeurs et moins qu'un Bremer. Nous craignons que le
coeur de chacun d'eux renferme un "petit Bremer" qui
attend son occasion, ou qui attend de trouver un environnement
propice pour ce développement. Ce que nous craignons est précisément
ce que souhaitent d'autres Libanais.
Centre
d'Information sur la Résistance en
Palestine
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