L'Humanité
« Washington
cherche à instrumentaliser le tribunal international »
Walid Charara
1er juin 2007
L’analyse de Walid Charara, politologue
libanais, chroniqueur à Al Akhbar.
D’aucuns évoquent un passage en force pour
qualifier la décision de l’ONU d’instituer un tribunal
international dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri.
Qu’en pensez-vous ?
Walid Charara. Ce passage en force, comme vous le
dites justement, était attendu. Il est clair que les Etats-Unis
et leurs alliés occidentaux cherchent à instrumentaliser
l’assassinat de Rafic Hariri, d’abord à travers la commission
d’enquête internationale et aujourd’hui à travers le
tribunal international dans le but de renforcer la position des
forces libanaises qui leur sont acquises et pour exercer des
pressions contre l’opposition libanaise - le Hezbollah, le
Courant patriotique libre de Michel Aoun et le Parti communiste
ainsi que les autres forces politiques libanaises opposées au
gouvernement actuel. Il vise également à exercer des pressions
contre la Syrie, dont une partie du territoire, le Golan est occupé
par Israël, et peut être contre d’autres acteurs régionaux.
Mais comment expliquez-vous que les assassins de
Rafic Hariri n’aient pas été retrouvés ?
Walid Charara. Vous savez, il y a eu beaucoup
d’assassinats dans l’histoire contemporaine, comme Kennedy par
exemple, qui n’ont pas été élucidés. Cela dit, il aurait
fallu que l’enquête puisse suivre son cours et ne pas être
instrumentalisée à d’autres fins que la recherche de la vérité.
En ce qui me concerne, ce qui doit étonner, c’est cet
empressement à constituer un tribunal international alors que
l’enquête est en cours et qu’elle n’a pas abouti à des
preuves tangibles permettant d’accuser telle ou telle partie.
Rappelez-vous que les commissions d’enquête internationales -
notamment celle de Serge Brammertz - ont abouti à des conclusions
semblables à l’enquête libanaise.
C’est-à-dire ?
Walid Charara. C’est-à-dire que l’attentat
contre Hariri était bel et bien une opération kamikaze et
qu’il n’y avait pas de bombe sous la chaussée comme certains
l’avaient affirmé. Or, la première commission dirigée par
Detlev Melis a ignoré ce fait.
Ce qui fait que tout a été fait pour orienter
l’enquête vers un service étatique afin d’écarter dès le départ
d’autres pistes éventuelles, la piste d’un réseau salafiste,
de groupes instrumentalisés par certains services étatiques dans
la région... Tout a été fait dès le départ pour incriminer la
Syrie.
Comment, d’après-vous, la situation va se développer
maintenant que l’ONU a imposé la mise en place de ce tribunal,
et à partir du moment où une partie importante des libanais y
est opposée ?
Walid Charara. Cela va aggraver la crise au Liban,
et ce, bien que je pense que les principaux acteurs politiques
libanais veulent à tout prix éviter le piège de la guerre
civile. Reste qu’un conflit interne peut être exacerbé par des
acteurs extérieurs comme c’est le cas en Irak où
l’occupation américaine et la stratégie communautariste théorisée
par les néo-conservateurs de Washington a exacerbé les tensions
inter-confessionnelles, dite « instabilité constructive »
pour faire valoir leurs intérêts géopolitiques, et mené ce
pays à la situation qu’il vit aujourd’hui. Ce que l’on
craint au Liban est que les Etats-Unis ne recourent à ce type de
stratégie afin d’affaiblir la résistance libanaise après l’échec
de l’offensive israélienne de l’été 2006.
Par conséquent, vous n’écartez pas le risque
de guerre civile ?
Walid Charara. Je le crains même si les Libanais
ne le veulent pas. Une stratégie de la provocation peut être
mise en oeuvre. Nous sommes devant une situation extrêmement
dangereuse.
Entretien réalisé par Hassane Zerrouky
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