Oumma.com
Liban :
le parti de Dieu, seul maître du Sud du pays
Ian Hamel
Même à la frontière avec Israël, la population
reconstruit les habitations détruites
Mardi
1er janvier 2008 Ian Hamel, de
retour du Sud du Liban
Pour les Israéliens comme
pour les Américains, le Hezbollah ne serait qu’une organisation
terroriste, aussi dangereuse qu’Al-Qaida. Mais dans le Sud du
LIban, le parti de Dieu, chiite, passe davantage pour un mouvement
de résistance, même chez ses adversaires, chrétiens et
musulmans sunnites.
La grande maison blanche, construite sur un
promontoire, est encore criblée d’éclats d’obus. Sur le toit
en terrasse, hérissé de tiges en ferraille tordues, flotte le
drapeau iranien. La famille se serre autour du poêle. En hiver,
il ne fait pas chaud dans le Sud du Liban. Les vitres, brisées
lors des bombardements israéliens de juillet 2006, n’ont pas
encore été remplacées. Le vent froid fait claquer les
plastiques scotchées sur les fenêtres et les portes.
Dans le Sud du pays, le drapeau iranien flotte souvent sur
les habitations
Le père de famille raconte :
« Le village a été détruit à au moins 40 % l’année
dernière. Nous avons eu deux martyrs. Depuis la fin de la guerre,
six personnes ont été blessées par les mines ». Parmi
les victimes, l’un de ses fils, Marmoud, âgé de 8 ans. Une
petite mine a explosé dans leur jardin. L’enfant a pris un éclat
dans l’œil. Cinq interventions chirurgicales pratiquées au
Liban ne lui ont pas rendu la vue. Mais les médecins sont
optimistes : une opération est possible à l’étranger
afin de sauver son œil. Encore faut-il trouver l’argent.
La Fédération suisse de déminage (FSD) a décidé
d’aider financièrement cette famille. A côté de sa spécialité,
le déminage, qu’elle pratique depuis dix ans, cette ONG se
lance dans l’assistance aux victimes des mines. Dans le sud du
Liban, il convient davantage de parler de bombes que de mines.
Pendant les 34 jours de guerre en 2006, l’aviation israélienne
a déversé des tonnes de bombes à sous-munitions (“cluster
bomb“) sur le pays du Cèdre, surtout dans les zones tenues par
le Hezbollah, le parti de Dieu, la principale milice armée chiite
du Liban. Baptisées M 42, M 77, M 85 ou 26-B et 61-B, ces bombes
“mères“ libèrent des milliers de petites bombes, capables
d’exploser, de perforer, d’incendier, de mutiler.
Un responsable du Mine action coordination centre
(MACC), installé à Tyr explique : « Il
est tombé plus de 3 000 bombes par jour, de quoi contaminer 30 %
des terres cultivables du sud du Liban. C’est une catastrophe
pour une région aussi pauvre. Les 500 000 petites bombes, qui
n’ont pas explosé à l’impact, ont tué 250 personnes et
mutilé dix fois plus. Les 9 ONG chargées du déminage en ont éliminé
les 2/3. Il en resterait 150 000… »
Il resterait autour de 150 000 bombes qui n’ont pas
explosé au sud du Liban
Une organisation qualifiée
de « terroriste »
A Siddiqine, à Rechiknanay, à Beitwlay, à Bent
Jbail, partout c’est le même accueil. Les familles au complet
reçoivent les visiteurs avec chaleur. Thé, café, fruits à
profusion, gâteaux. Les femmes, pour la plupart voilées à
partir d’une dizaine d’années, acceptent de sourire devant
les objectifs. Les hommes parlent de leurs oliviers et de la
culture du tabac. Jeunes gens et jeunes filles tentent quelques
mots d’anglais.
Pour retrouver la vue d’un oeil, cet enfant doit être
opéré ailleurs qu’au Liban
Si la pièce principale n’était pas décorée,
presque systématiquement, d’un grand poster en couleur de
Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah. Si des
drapeaux iraniens ne claquaient pas sur les toits. Si les
portraits des “martyrs“ (les combattants tombés en se battant
contre Israël) ou l’effigie de Khomeiny ne hantaient pas les
routes défoncées de la région, on en oublierait presque que le
sud du Liban ne connaît qu’un seul maître, le parti de Dieu.
Un parti considéré comme terroriste par Israël
et les Etats-Unis. Sur la première liste des terroristes les plus
dangereux de la planète, publiée par les Américains après le
11 septembre 2001, des membres du Hezbollah venaient en tête, au
même titre que les agents d’Al-Qaida.
On ne touche pas aux héros
C’est pour expulser les combattants du Hezbollah
de sa frontière nord que l’armée israélienne est intervenue
sur le territoire libanais en 2006. Pour Jérusalem, l’échec
est total. Non seulement le parti de Dieu n’a pas été vaincu,
mais il apparaît aujourd’hui aux yeux des Arabes comme quasi
invincible. Et surtout, ce groupe fondamentaliste jouit à présent
d’une immense popularité dans tout le Liban.
Hamida a perdu un bras, une jambe, et plus de 20 membres
de sa famille
dans les bombardements israéliens de 1996
Même parmi les populations qui ne lui étaient
pas favorables, comme les chrétiens et les musulmans sunnites.
Patrick Haenni, analyste à Beyrouth pour l’International Crisis
Group, explique : « Face à l’ampleur des
destructions causées par les bombardements israéliens, l’image
du Hezbollah s’est améliorée. Ce n’est plus un acteur
politique engageant unilatéralement le pays dans une guerre, mais
un mouvement de résistance ».
En clair, on ne touche pas aux héros. D’autant
que le Hezbollah est le seul à venir en aide aux villages déshérités
du Sud, pilonnés par l’aviation de l’Etat hébreu. L’Etat
libanais reste très en retrait. Mais s’est-il une seule fois
impliqué dans le développement du Sud ? Partout, des grues
s’agitent, des parpaings s’amoncellent, des trous se bouchent.
L’Iran (Mais aussi les Emirats arabes unis)
financent activement la reconstruction des routes. Même à Bent
Jbail, à un jet de grenade d’Israël, on rebâtit des maisons.
Hassan Nasrallah a promis 12 000 dollars par famille dont le
logement a été détruit. Plus de deux ans d’un salaire moyen.
Fermeture des débits de
boisson
Le Sud du pays est-il sous la coupe d’une
dictature islamiste ? La réponse est complexe. Dans les
fiefs du Hezbollah, pratiquement aucune femme ne se promène tête
nue, tous les débits de boisson ont fermé leurs portes. Les noms
des jeunes gens soupçonnés d’être partis faire la fête dans
les villages chrétiens voisins sont jetés en pâture à la porte
des mosquées. On ne plaisante pas avec la morale. Les militants
du Hezbollah sont animés d’un intense zèle religieux.
En revanche, pas question de s’en prendre aux
minorités constate Patrick Haenni :« Le
Hezbollah sait très bien moduler ses ambitions religieuses. Quand
il n’estpas en situation de monopole, il ne fait pas pression
sur les autres formations politiques, y compris sur les
communistes. De la même façon, les chrétiens ne sont pas inquiétés.
Ils peuvent continuer à boire de l’alcool. »
Effacer le mot « Love »
des voitures
Bref, le positionnement du parti de Dieu est
devenu plus pragmatique, nationaliste plus qu’islamiste. Walid
Charara et Frédéric Domont, dans « Le Hezbollah, un
mouvement islamo-nationaliste », (1) affirment que cette
organisation chiite montre « un respect
notable pour la liberté d’expression ». Contrairement
à d’autres groupes islamistes, il n’accuse pas écrivains et
artistes de blasphème, et ne prend pas pour cible les laïcs. Même
attitude vis-à-vis des nombreuses ONG qui aident à la
reconstruction du Sud.
Certes, le Hezbollah sait leur rappeler discrètement
qu’il milite pour la fondation d’un Etat islamique. Mais que
celui-ci « ne peut en aucun cas être imposé
par la force ». Un exemple ? Taiwan a offert des
4X4 à la Fondation suisse de déminage. L’inscription « Love
from Taiwan », sur les carrosseries, est là pour
l’attester.
Le parti de Dieu a demandé au nom de la morale
que le mot « Love » disparaisse des véhicules. Sans résultat.
Les ONG subissent également des pressions lorsqu’ils recrutent
du personnel local. L’embauche d’un chrétien venant de
Beyrouth a provoqué des grincements de dents. Et plus encore
l’embauche d’une femme dans une équipe composée
exclusivement d’hommes.
La fierté des Arabes
Toutefois, le responsable d’une ONG relativise
les pressions : « Finalement, le
Hezbollah sait se montrer plus politique que religieux. Face à
une position ferme de notre part, il n’insiste pas ».
Cheveux courts, élégante, lunettes noires sur le nez, Amina,
notre guide, originaire de Beyrouth, ne cache guère qu’elle ne
partage pas les valeurs du Hezbollah. Mais lorsque les avions israéliens
survolent bruyamment le territoire libanais, elle reconnaît que
cette organisation est la seule à apporter un peu de fierté aux
Arabes.
Ian Hamel, de retour du Sud du Liban
1. « Le Hezbollah, un
mouvement islamo-nationaliste », Walid Charara et Frédéric
Domont, Fayard.
Ian Hamel, journaliste, auteur du livre
« La vérité sur Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux,
sa stratégie » aux éditions Favre, préface de Vincent
Geisser
Droits de reproduction et de diffusion réservés
© Oumma.com
Publié le 2 janvier 2008 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
|