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Persistance des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran après
la conférence de Bagdad
Peter Symonds

La conférence
internationale tant attendue sur la sécurité en Irak s’est
tenue à Bagdad samedi sans avancée diplomatique ou dégel des
relations entre les Etats-Unis et l’Iran. Malgré les pressions
du gouvernement irakien, il n’y a eu aucun pourparler direct
entre les représentants américains et iraniens. La conférence
n’a donné d’autres résultats que la formation de plusieurs
groupes de travail régionaux de bas niveau et la confirmation
qu’une autre conférence réunissant les ministres des Affaires
étrangères se tiendra à une date et un lieu qui restent à déterminer.
Officiellement, la conférence
a été appelée pour discuter de la situation désastreuse en
Irak avec « l’intensification militaire » américaine
ayant pour but de sévir contre les insurgés anti-américains et
avec la spirale de la guerre sectaire dans le pays. Organisée par
le gouvernement fantoche américain, la conférence a réuni tous
les voisins de l’Irak — la Jordanie, l’Arabie saoudite, la
Turquie et le Koweït ainsi que l’Iran et la Syrie —, les
membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU — les
Etats-Unis, la France, la Russie, la Grande-Bretagne et la Chine
—, des représentants de l’ONU, de l’Organisation de la conférence
islamique et de la Ligue arabe ainsi que l’Egypte et le Bahreïn.
Dans son discours
d’ouverture, le premier ministre irakien Nouri al-Maliki a
demandé l’aide des pays voisins pour bloquer le flot d’armes
et d’insurgés entrant en Irak. « Confronter le
terrorisme, chers frères, exige la cessation de toute
forme d'aide financière, d'incitation religieuse ou médiatique,
de soutien logistique ou d'approvisionnement en armes et en
combattants, a-t-il dit. Il a ajouté que [l’Irak] a besoin de
soutien dans cette lutte qui menace non seulement l’Irak, mais
va s’étendre à tous les pays de la région. »
Au cours de la rencontre,
au moins deux tirs de mortier sont tombés dans les environs du
ministère des Affaires étrangères, malgré les importantes
mesures de sécurité. Le ministre irakien des Affaires étrangères
Hoshyar Zebari a tenté de minimiser la signification de
l’incident, mais n’a réussi qu’à souligner la catastrophe
à laquelle sont confrontés quotidiennement les Irakiens
ordinaires. « Nous les avons assurés [les délégués] que
cela était normal. J’ai pensé “Ils ont mal visé”. J’étais
surpris qu’il n’y en ait pas plus », a-t-il dit aux médias.
Alors que la conférence
portait sur l’Irak, toute l’attention était portée sur le
fait que des hauts représentants des Etats-Unis et de l’Iran étaient
assis à la même table. La conférence avait fait l’objet de
bien des spéculations dans les médias selon lesquelles la présence
américaine signifiait un « changement » dans la
politique de l’administration Bush de refuser de négocier avec
l’Iran. Les commentateurs américains ont pour la plupart considéré
qu’une aile plus pragmatique de l’administration Bush, dirigée
par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, gagnait en
importance aux dépens des militaristes purs et durs dirigés par
le vice-président Dick Cheney.
Toutefois, les signes émergeant
des deux sessions de la conférence à huis clos sont que les
Etats-Unis n’ont en aucune façon modifié leur position
belliciste envers l’Iran. Le haut responsable au département
d’Etat David Satterfield a profité de l’occasion pour accuser
une fois de plus l’Iran de soutenir et d’armer les insurgés
iraniens attaquants les troupes américaines. A un moment donné,
Satterfield aurait montré sa mallette du doigt, déclarant
qu’elle contenait des documents prouvant que Téhéran
fournissait des armes aux milices chiites en Irak.
Outrés par les commentaires de Satterfield,
les représentants iraniens ont nié la véracité de ses dires.
Selon l’un des participants, le principal émissaire de l’Iran,
Abbas Araghchi, a dit : « Vos accusations ne servent
qu’à masquer vos échecs en Irak. » Malgré leurs
accusations répétées, les Etats-Unis n’ont toujours pas
fourni de preuve que le régime iranien était directement impliqué
dans l’approvisionnement d’armes aux insurgés anti-américains
en Irak. Il semblerait de plus que Satterfield n’ait pas présenté
de « preuves » durant la réunion. Un haut représentant
du ministère des Affaires étrangères iranien, Rezi Amiri, a déclaré
à Associated Press : « Ils mentent, car ce n’est
tout simplement pas vrai. Les frontières que l’Irak partage
avec l’Iran sont les plus sécurisées de toutes les frontières
irakiennes. Le gouvernement irakien n’a pas, même une seule
fois, dit que l’Iran faisait de l’ingérence. »
Les envoyés iraniens ont exprimé leur
inquiétude quant à « l’enlèvement » de six de
leurs diplomates, dont cinq ont été capturés par des troupes américaines
en janvier, au consulat iranien dans la ville d’Irbil.
L’ambassadeur américain à Bagdad, Zalmay Khalilzad, a nié que
l’armée américaine « détenait un diplomate » ou
ciblait « des individus suivant leur pays d’origine ».
La première affirmation est un faux-fuyant basé sur
l’assertion américaine que le bureau d’Irbil n’était pas
encore officiellement reconnu comme un consulat. La deuxième est
un mensonge pur et simple : un jour avant que le consulat ne
soit pris d’assaut, le président Bush avait annoncé l’« intensification »
de la présence des troupes américaines et déclaré que l’armée
des Etats-Unis « débusquerait et détruirait » les réseaux
iraniens en Irak.
Les deux parties ont tenté de présenter la
rencontre sous le meilleur jour possible. Khalilzad a décrit les
pourparlers comme ayant été « constructifs et
professionnels ». Le porte-parole iranien du ministère des
Affaires étrangères, Mohammad Ali Hosseini, a déclaré que la
conférence était un « premier pas » constructif.
Toutefois, au-delà de ce langage diplomatique habituel, rien
n’a été réglé. Khalilzad a affirmé que les promesses
iraniennes d’aider l’Irak devaient se traduire par des faits.
« Attendons de voir les changements sur le terrain... en
terme d’armes traversant la frontière, de soutien à certains
groupes, de soutien à la milice », a-t-il déclaré aux médias.
L’envoyé iranien Araghchi a réitéré
les demandes de Téhéran pour le retrait des troupes américaines
de l’Irak. « Au nom de la paix et de la stabilité en
Irak... il faut un calendrier pour le retrait des forces étrangères.
La violence en Irak ne profite à aucun pays dans la région. La sécurité
de l’Irak est notre sécurité et la stabilité en Irak est nécessaire
pour la paix et la sécurité dans la région », a-t-il
soutenu.
La conférence s’est tenue dans un
contexte où les Etats-Unis intensifient les menaces contre
l’Iran. L’armée américaine a deux groupes de porte-avions
stationnés dans le golfe Persique pour la première fois depuis
l’invasion de l’Irak en 2003 et elle intensifié ses
patrouilles aériennes le long de la frontière entre l’Iran et
l’Irak. Pendant que la conférence se déroulait à Bagdad, des
officiels américains étaient en discussions à New York avec les
autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU
ainsi qu’avec l’Allemagne, exigeant l’imposition de sanction
économiques beaucoup plus sévères envers l’Iran pour son
refus de mettre un terme à son enrichissement d’uranium et à
ses autres programmes nucléaires.
Avant la rencontre de Bagdad,
l’administration américaine a dit très clairement que les
discussions privées avec l’Iran, le cas échéant, seraient
strictement limitées à la question de la sécurité en Irak.
Loin d’atténuer sa propagande sur les armes fournies par l’Iran
aux insurgés irakiens, Washington a utilisé la conférence comme
tribune pour répéter ses allégations non fondées. Malgré
les dénégations de Washington, les questions de « l'intervention »
de l'Iran en Irak, de ses programmes d'armes nucléaires présumés
et de son « soutien au terrorisme » au Moyen-Orient
ressemblent de plus en plus à une justification pour la guerre.
Même en acceptant le changement
d’attitude de l’administration Bush, sa soi-disant diplomatie
est une forme dangereuse de politique d’ultimatum qui pourrait
facilement précipiter un conflit militaire avec l’Iran.
Beaucoup plus probable, cependant, c’est que la Maison-Blanche,
confrontée à une opposition nationale de masse à la guerre et
une résistance provenant même de ses alliés internationaux les
plus proches, est engagée dans un complot diplomatique. Tout en
exigeant toujours plus de l’Iran, la diplomatie américaine vise
à paraître raisonnable, au contraire d’un Iran « intransigeant ».
Dans un discours prononcé devant la Légion
américaine mercredi dernier, le président Bush a carrément mis
le fardeau sur l’Iran et la Syrie de rencontrer les demandes américaines,
déclarant que la conférence de Bagdad allait être un « test
pour savoir si l’Iran et la Syrie étaient vraiment intéressés
à être des forces constructives en Irak ». Soulignant la
menace d’une attaque militaire, Bush insista pour dire que la
diplomatie échouerait si elle n’était pas appuyée par la
force militaire. Ces commentaires confirment ce que le vice-président
Cheney a dit lors de sa visite du mois dernier en Australie –
que « toutes les options » demeuraient sur la table
durant les négociations avec l’Iran.
Un éditorial paru dans le Financial Times
de Londres samedi, reflétait le pessimisme qui règne dans les
cercles dirigeants en Angleterre et en Europe sur la perspective
de voir une solution diplomatique à la confrontation américaine
avec l’Iran. Intitulé « Comment faire un point
tournant de la conférence de Bagdad », il soutenait que la
rencontre pourrait devenir le début d’une offensive
diplomatique régionale « menant à une entente entre
l’Iran et les Etats-Unis et l’Iran et ses voisins sunnites
arabes, et entre Israël et les Arabes… »
Résumant les perspectives, le journal déclare
sur un ton morne : « Les possibilités de voir cette
administration dirigée par le président George W. Bush, qui a
tant fait pour déstabiliser le Moyen-Orient et détruire la réputation
et la crédibilité du monde islamique, saisir cette occasion
n’est pas, il faut l’avouer, très grande. Néanmoins, ce
moment porte autant les possibilités que les périls. »
Au lendemain de la conférence, on ne peut
que conclure que même cette morne évaluation est plus basée sur
une appréciation hasardeuse que sur une saine évaluation de la
preuve.
(Article original paru le 12 mars 2007)
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