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Asia Times Online

La vision confuse de Kissinger sur l'Iran
Kaveh L Afrasiabi


Henri Kissinger

Le 17 décembre 2007

article original : "Kissinger's foggy lens on Iran"

Henry Kissinger a mis tout son poids dans la stratégie de "marche-arrière" qui est appliquée au nouveau NIE (National Intelligence Estimate) des Etats-Unis sur le programme nucléaire iranien. En particulier, il a apporté son aide aux faucons de l'administration de George W Bush, qui tire à sa fin, pour contrer le retour de bâton déclenché par la découverte la plus gênante du NIE - que l'Iran ne poursuit pas actuellement de programme d'armement nucléaire.

Malgré les décennies qui ont passé depuis qu'il a servi dans les administrations de Richard Nixon et de Gerald Ford, l'ancien secrétaire d'Etat Kissinger est toujours considéré comme l'un des observateurs étasuniens le plus prescient sur les affaires mondiales. Son récent article d'opinion publié dans le Washington Post attise en grande partie les flammes d'une menace nucléaire iranienne perçue comme telle - au moins au niveau de l'opinion publique américaine - maintenant qu'une grande partie de cette crainte est été supprimée par les découvertes du NIE.

Dans son article d'opinion, intitulé "L'interprétation erronée du rapport sur l'Iran, pourquoi l'espionnage et la politique ne se mélangent pas"[1], Kissinger se réfère à divers aspects toujours confidentiel du NIE, qui, selon les reportages des journalistes, fait quelques 140 pages et dont seulement quelques-une de ses conclusions ont été révélées au public.

Il est clair que Kissinger est beaucoup plus qu'un ancien officiel ou un conseiller actuel de la Maison-Blanche. Il exerce une énorme influence sur la politique étrangère de Washington, à la lumière de son long passé au sein de la machine américaine des affaires étrangères. Son accès privilégié à l'ensemble du rapport du NIE permet à Kissinger d'éviter ce qu'il appelle des "interprétations erronées" et il insiste sur le fait que ce rapport est largement en accord avec les principales conclusions des précédents rapports des services de renseignements étasuniens sur l'Iran.

Selon Kissinger, le rapport 2007 du NIE ne contredit pas vraiment, mais confirme plutôt, le rapport 2005 qui déclarait avec confiance que l'Iran poursuivaient activement un programme d'armement nucléaire. L'ancien rapport "soutient que l'Iran pourrait être capable de produire, d'ici fin 2009, suffisamment d'uranium hautement enrichi pour une arme nucléaire et, avec une confiance encore plus grande, plus de têtes nucléaires entre 2010 et 2015."

Se reposant sur les deux rapports du NIE, Kissinger apporte ensuite sa perspicacité soi-disant originale : "Si mon analyse est correcte, nous devrions être témoin, non pas d'une halte du programme iranien d'armes nucléaires - comme le NIE l'affirme - mais une version subtile et en fin de compte plus dangereuse de ce programme qui introduira progressivement des têtes nucléaires lorsque la production de matière fissile aura mûri". Mais cela ne contredit-il pas sa déclaration précédente selon laquelle deux des trois composants principaux du programme d'armement nucléaire n'ont pas été arrêté en Iran ?

En fait, c'est tellement habituel de la part de Kissinger ! Cela fait longtemps qu'il s'est fait une vertu de remettre au goût du jour veilles idées et suppositions, simplement au moyen d'acrobaties linguistiques entrecoupées d'offuscation bien calibrée. Une telle rhétorique est emmitouflée dans des couches additionnelles et artificielles d'ambiguïté sémantique et de "double langage". Pire, la marque de fabrique de Kissinger consiste depuis longtemps à embrasser simultanément les idées contraires, tout en échappant à un examen sérieux, dans des jeux de mots sémantiques bien enfumés.

Donc, ces derniers temps, Kissinger peut être tout pour tout le monde. Il est d'un seul coup un défenseur passionné du désarmement sérieux et aussi une voix puissante pour une "armée américaine forte" et pour la dépendance de l'OTAN sur son arsenal nucléaire. Il est un supporter enthousiaste de divers traités de limitation des armements et aussi une voix compréhensive pour leur reconsidération. Il est un partisan d'une Amérique hégémonique d'après-Guerre Froide, il est également le premier architecte de la suprématie américaine dans le nouveau milieu mondial (sans ignorer ses propres contributions singulières à la thèse d'une "nouvelle Guerre Froide" au Moyen-Orient dans des publications récentes de la presse arabe). Il n'y a rien de neuf : durant les années 70, Kissinger s'est rendu à Bagdad et a promis que les Etats-Unis feraient tout ce qui est possible "pour réduire la taille d'Israël", alors qu'en fait il n'a jamais lever le petit doigt dans cette direction.

A présent, Kissinger écrit des articles d'opinion sur les dangers des armes nucléaires sans jamais répudier ses anciens points de vue. Par exemple, en 1957, il écrivait : "avec une tactique appropriée, la guerre nucléaire n'a pas besoin d'être aussi destructrice qu'elle le semble".

Bien sûr, rien de tout cela n'est particulièrement surprenant. Dans des documents gouvernementaux étasuniens déclassés de 1969, Kissinger se fait la voix des critiques véhémentes sur les estimations du renseignement américain concernant les menaces stratégiques posées par l'Union Soviétique. A l'époque, il attribuait à Moscou beaucoup plus d'intentions belliqueuses et de "perspectives stratégiques" qu'il ne s'est avéré être le cas. Tout ceci fait partie d'un modèle constant de ce vieux soldat de la Guerre Froide qui continue de voir les nouvelles réalités du Moyen-Orient au travers du même manichéisme : des lentilles polarisées sur la Guerre Froide. Il n'est pas surprenant qu'aujourd'hui, comme par le passé, Kissinger démontre une capacité troublante à présenter des idées contraires avec facilité.

Dans son article d'opinion du Washington Post, Kissinger accepte comme vérifié le fait que le NIE 2007 prétende que l'Iran a arrêté un programme d'armement nucléaire secret en 2003, en réponse à l'offensive militaires des Etats-Unis dans la région à la suite du 11 septembre 2001. Ce scénario pose la question suivante : Après la chute de Saddam Hussein, est-il déraisonnable de supposer que les ayatollahs aient conclu que la retenue était devenue impérative ?

Juste quelques lignes plus loin, voici les "conjectures" de Kissinger : l'Iran continue sans relâche dans la voie de la construction d'armes nucléaires, suivant les prescriptions de la dissuasion au regard des "aspirations régionales américaines". La pauvre logique consistant à supposer que l'Iran a cessé de penser à la dissuasion des Etats-Unis, l'année même où ils ont envahi le voisin de l'Iran, échappe à Kissinger. Mais, cela veut-il dire "dissuasion nucléaire" ?

La réponse est un "non" retentissant pour une variété de raisons. Parmi elles se trouve le fait que l'Iran n'est pas aveugle à la puissance de feu écrasante des Etats-Unis. De même, à moins d'avoir une "capacité de seconde frappe", il est plutôt futile de penser à un bouclier nucléaire contre la menace américaine. D'autre part, une telle capacité est au-dessus des moyens et des ressources de l'Iran, qui n'a pas trop à s'inquiéter, en tout cas, des autres pays de la région. Par exemple, Israël est hors de la zone et ne représente pas une puissance hostile verrouillée comme c'est le cas avec le conflit israélo-arabe ; et l'arsenal nucléaire du Pakistan est entièrement dirigé contre son ennemi traditionnel, l'Inde, et le sera pour le futur prévisible.

Qui plus est, un certain nombre des "proches voisins" de l'Iran, tels que l'Ukraine et le Kazakhstan se sont eux-mêmes "dénucléarisés", ce qui est également bénéfique lorsque l'on regarde à travers le prisme des calculs iraniens en matière de sécurité nationale. De plus, l'Iran se considère comme une puissance révisionniste régionale et mondiale d'un type différent. La vision des dirigeants iraniens est que leur nation mette au point une "politique étrangère éthique" et cherche un ordre mondial révisé plus juste, loin des hiérarchies sclérosée présentes, incluant la hiérarchie nucléaire qui, dans les mots du président iranien, reflète une époque révolue.

La plus grosse faille dans le "retour en arrière" de Kissinger est sa compréhension défectueuse de la nature et du but de la puissance iranienne. En compagnie d'une horde d'autres experts américains, il interprète de façon erronée la puissance iranienne en la considérant comme une image miroir de la puissance américaine à une échelle réduite. En conséquence, tous les vices attribués à la puissance américaine, tels que l'hégémonie et la domination, sont recyclés en ce qui concerne l'Iran, quoiqu'il mette en garde sur le fait que c'est aussi une puissance chiite sectaire. Clairement, les pourvoyeurs du "retour en arrière" ne veulent pas insister sur les découvertes du NIE qui sapent leurs accusations d'inconduite flagrante de la part de l'Iran.

Il y a autre de gênant : le conseil de Kissinger aux responsables et aux décideurs étasuniens de cesser d'utiliser les rapports des services de renseignements comme justification publique. Ceci dessert l'Amérique, où les règles de la démocratie autorisent la justification publique de la politique intérieure et étrangère du gouvernement. Cela est particulièrement vrai aujourd'hui, à une époque où les fausses raisons pour envahir l'Irak en 2003 ont mis en lumière les graves pièges des renseignements incorrects. C'est souvent un facteur de décision dans la manière dont l'histoire apporte la guerre ou la paix.

L'histoire du conflit israélo-arabe au Moyen-Orient est un exemple solide de la façon dont des renseignements erroné ont alimenté une guerre après l'autre. Par moment, cela a été fait délibérément. Par exemple et rétrospectivement, lorsque les Etats-Unis n'ont pas pris au sérieux, en 1990, la menace de l'invasion du Koweït par l'Irak, cette attitude a peut-être fait partie d'un scénario minutieux en vue d'une action militaire. On trouve un autre exemple dans un conflit inséparable de Kissinger : Le Vietnam et les incursions militaires secrètes des Etats-Unis à l'intérieur du Laos et du Cambodge, qui se sont produites lorsqu'il était responsable. L'historien Howard Zinn a montré que, malgré les réfutations officielles du gouvernement américain, sa sensibilité vis-à-vis de "l'opinion publique" a réellement joué un rôle important pour mettre fin à la présence militaire étasunienne au Vietnam.[2]

Le commentaire de Kissinger montre qu'il n'est pas seulement déphasé par rapport à l'Amérique, mais aussi avec les réalités émergentes complexes du Moyen-Orient. Il est temps pour Henry Kissinger de cesser à voir le monde à travers les lunettes de la Guerre Froide.

(Copyright 2007 AsiaTimesOnline — Traduction : JFG/QuestionsCritiques. All rights reserved.)

Notes

[1] Henry Kissinger, "Misreding the Iran report" Washington Post, 13 décembre 2007.

[2] Howard Zinn, A People's History of the United States. Harper Perennial (1er avril 2003).

 

Publié le 20 décembre 2007 avec l'aimable autorisation de Questions Critiques



Source : Questions Critiques  
http://questionscritiques.free.fr/...


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