Conversation avec Mariela Castro Espin
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« Il existe un
consensus au sein de la société cubaine
pour considérer l'homophobie et la
transphobie comme étant des formes de
discrimination qui ne sont pas
cohérentes avec le projet émancipateur
de la Révolution »
Salim
Lamrani
Dimanche 3 février
2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Le phénomène transgenre
SL : Le CENESEX travaille également
beaucoup sur la problématique transgenre
MCE : La situation des personnes
transgenre est difficile non seulement à
Cuba mais également dans le reste du
monde. Il faut accepter comme une
réalité l’identité de genre qui n’est ni
féminine ni masculine comme cela est le
cas de la transsexualité. Il faut
accepter l’idée qu’il existe des
personnes qui puissent changer
d’identité de genre, qui soient en
conflit avec leur identité de genre, et
qu’elles puissent disposer des mêmes
droits que tout le monde. Ce n’est pas
un motif pour les priver de leurs droits
et de les discriminer.
Nous avons
également proposé de travailler sur un
langage de genre dans le document établi
par le Parti communiste, car il revient
au parti d’être à l’avant-garde de la
société et de présenter les idées les
plus avancées et les plus
émancipatrices. C’est ce que nous
attendons du Parti et c’est ce que nous
exigeons en tant que militants de ce
même Parti. A mesure que le Parti
développe cette politique, l’Etat devra
suivre et prendre les mesures
nécessaires en légiférant.
SL : Le Parlement cubain a adopté une
loi permettant aux personnes
transsexuelles de changer de sexe, avec
une prise en charge total de l’opération
par la sécurité sociale. Pourriez-nous
nous dire combien de personnes ont
bénéficié de cette loi et comment se
déroule le processus ?
MCE : Si ma mémoire et bonne, près de 15
chirurgies de réassignation sexuelle ont
été réalisées à Cuba. La première a eu
lieu en 1988, c’est-à-dire il y a plus
d’un quart de siècle. Ensuite, à partir
de 2007, le Ministère de la santé a de
nouveau mis en place cette procédure.
Pour ce qui
est du processus, il existe une
Commission nationale d’attention
intégrale aux personnes transsexuelles
depuis 1979. Nous avons reçu près de 200
demandes depuis cette date. Ce chiffre
augmentera à mesure que les médias
nationaux divulgueront l’existence de ce
service à Cuba.
Les personnes
transgenres doivent passer par un
processus de suivi de deux ans et sont
accompagnées par des spécialistes qui
leur fournissent un traitement hormonal
personnalisé qui permet la transition
vers le genre auquel elles
s’identifient. A la fin de ce processus,
la Commission analyse les différents cas
et valide les personnes aptes à subir
une chirurgie de réassignation sexuelle,
c’est-à-dire une chirurgie de changement
de sexe, et les autorise à changer
légalement d’identité.
Il est
important de souligner que cette
chirurgie répond à un procédé
scientifiquement approuvé au niveau
international et non à un simple caprice
d’ordre esthétique. Elle est
fondamentale pour le bien-être des
personnes transsexuelles et permet de
soulager l’angoisse permanente dont
souffrent ces personnes depuis leur plus
tendre enfance, en raison des préjugés,
de l’incompréhension et de la
discrimination dont elles sont victimes.
SL : Existe-t-il une réelle volonté
politique de lutter contre tout type de
discrimination à Cuba ?
MCE : Aujourd’hui oui. Il existe un
consensus au sein de la société cubaine
pour considérer l’homophobie et la
transphobie comme étant des formes de
discrimination qui ne sont pas
cohérentes avec le projet émancipateur
de la Révolution. Nous avons opté pour
une stratégie éducative et
communicationnelle car il s’agit d’un
processus de transformation culturel
profond. Il est impératif d’apporter des
éléments d’analyse pour éliminer les
préjugés qui ont été historiquement
établis pour dominer les personnes, leur
sexualité et leurs corps. Le changement
de la conscience sociale est un
processus très long et très complexe,
mais il est indispensable.
La prostitution
SL : Un mot sur la prostitution à Cuba.
L’essor du tourisme depuis les années
1990 a fait resurgir un phénomène qui
avait quasiment disparu de la société
cubaine. Qu’en est-il aujourd’hui ?
MCE : La prostitution est une forme
d’exploitation de la femme et de l’homme
également, car il s’agit d’une relation
basée sur le pouvoir, de l’argent en
l’occurrence. Comme disait le poète
espagnol Francisco de Quevedo, la
puissance de l’argent est grande. La
personne qui dispose de ressources a la
possibilité d’acquérir un certain nombre
de choses, y compris le sexe, et cela
est humiliant pour la personne qui en
est victime. L’achat d’un service sexuel
est dégradant pour la condition humaine,
car il y a une subordination de l’autre,
une infériorisation de son prochain.
C’est une forme d’esclavage dépourvue de
tout rapport démocratique dans la
relation sexuelle. On transforme
l’humain en marchandise, et par
conséquent on le prive de ses droits. La
prostitution est basée sur le système
d’exploitation patriarcal et de classe.
Je pars du
principe que toute personne est libre de
disposer de son corps. Néanmoins, j’ai
parlé avec de nombreuses prostituées
partout dans le monde et je puis vous
garantir qu’aucune d’entre elles ne
réalise cette activité par plaisir, mais
par nécessité. Il n’y a pas de choix
dans la prostitution mais une imposition
forcée, qu’elle vienne d’une personne ou
de la société.
Pour toutes
ces raisons, je suis contre la
prostitution et je ne souhaite pas que
l’on reconnaisse cette activité comme
étant un travail comme un autre. Je suis
opposé à l’humiliation, la subordination
de l’autre. Les Etats doivent garantir
aux citoyens des options de travail qui
leur permettent d’atteindre la dignité
pleine et durable, comme dirait notre
héros national José Martí.
SL : Etes-vous favorable aux politiques
visant à sanctionner les clients ?
MCE : J’y suis très favorable et je
crois que les mesures prises par la
Suède devraient être généralisées
partout dans le monde. C’est le client
qui est à l’origine de la demande et
fait que des êtres humains sont
exploités et deviennent des
marchandises. C’est lui qui établit
l’abus de pouvoir avec sa capacité de
pouvoir.
SL : Et pour ce qui est de Cuba ?
MCE : Une perspective historique est
nécessaire. En 1959, la Fédération des
femmes cubaines a porté son attention
sur le problème de la prostitution qui
affectait principalement les femmes
pauvres issues des minorités ethniques.
Il y avait plus de 100 000 prostituées à
l’époque et elles vivaient dans des
conditions humiliantes et précaires. La
Révolution a changé leur vie car elle
leur a permis de retrouver la dignité et
à les libérer de l’exploitation.
L’effort du processus révolutionnaire
pour éradiquer le phénomène de la
prostitution est véritablement une
source de fierté nationale, car cela a
été un grand succès. Les femmes
constituent désormais la principale
force technique du pays.
Maintenant,
il est vrai que la crise des années
1990, la « Période spéciale », a
entrainé une résurgence de ce phénomène
social, avec de nouvelles
caractéristiques, puisque la
prostitution est liée au développement
du tourisme international, avec la
présence de clients qui payent pour
obtenir des services sexuels.
Je crois que
les politiques existantes visant à
lutter contre ce phénomène ne sont pas
suffisantes. Il faudrait effectuer un
travail qualitatif beaucoup plus profond
afin de disposer des outils et des
pistes nécessaires pour faire face à la
problématique de la prostitution. Il est
nécessaire de pénaliser le client car
cette politique a démontré son
efficacité en Suède.
Le mariage pour tous
SL : Où en est le projet de loi destiné
à permettre l’union pour couples
homosexuels ?
MCE : Le projet de loi destiné à
modifier le Code de la famille a été
analysé par les spécialistes du
Ministère de la Justice et l’Union
nationale des juristes de Cuba. Il sera
bientôt débattu au Parlement. J’ai bon
espoir que nos députés adopteront une
politique de non discrimination en ce
qui concerne l’orientation sexuelle et
l’identité de genre et contribuent de ce
fait à mettre fin aux préjugés au sein
de la société. Le Parlement a le devoir
de reconnaitre et de protéger les droits
de tous nos citoyens.
La société
cubaine est prête à accepter le mariage
homosexuel. A nos politiques d’être à la
hauteur du peuple. A Caibarién, dans le
centre de l’île, José Agustín Hernández,
surnommé Adela, est un infirmier
transsexuel de 48 ans et a été élu
Conseiller à l’Assemblée municipale.
SL : C’est une première dans l’histoire
politique du pays.
MCE : Oui, et cela démontre que notre
peuple est prêt. Mais pouvez-vous citer
de nombreux pays qui disposent d’élus
transsexuels ? En existe-t-il en France,
aux Etats-Unis ou au Brésil ? Nous n’en
sommes pas sûrs.
SL : Comment êtes-vous arrivée à
défendre le droit à la diversité
sexuelle ?
MCE : Le rôle de ma mère a été
fondamental. Elle a toujours rejeté
toutes les formes d’injustice. Elle
s’est naturellement opposée aux UMAP et
au Quinquennat Gris. Ma mère était en
avance sur son temps. En effet, lorsque
le Code de la famille a été élaboré au
milieu des années 1970, elle avait
proposé de définir le mariage comme
était « l’union de deux personnes ».
Elle ne souhaitait pas spécifier le
sexe, car elle avait déjà en tête la
problématique du mariage homosexuel et
était convaincu que les droits acquis au
triomphe de la Révolution cubaine en
1959 devaient être les mêmes pour tous,
sans distinction aucune, ni de race, ni
de genre, ni de classe, ni d’orientation
sexuelle.
SL : Et votre père, Rául Castro ?
MCE : Mon père ne partageait pas
l’homophobie qui régnait à l’époque car
il avait été sensibilisé sur cette
réalité par ma mère. Il a grandi dans
une société patriarcale et homophobe
mais il a su se libérer de ses préjugés
grâce à ma mère Vilma Espín.
Il n’en est
pas de même pour son entourage, où il y
a encore malheureusement beaucoup de
personnes homophobes, mais nous ne
perdons pas espoir.
SL : Certains s’étonnent qu’une femme
hétérosexuelle comme vous, mariée, avec
des enfants, défende le droit à la
diversité sexuelle.
MCE : Faut-il être issu d’une minorité
ethnique pour combattre le racisme ?
Faut-il être une femme pour défendre le
droit des femmes ? Faut-il être
handicapé pour défendre le droit des
handicapés ? Faut-il être travailleur
pour défendre les droits de la classe
ouvrière ? Faut-il être paysan pour
défendre le droit des sans-terres ? José
Martí était un immense intellectuel et
il a toujours défendu la cause du
peuple. Marx, également. La lutte pour
l’égalité et contre toutes les
injustices est un devoir universel qui
doit concerner l’ensemble des citoyens.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
PPage Facebook :
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