En direct de Gaza
PALESTINE – Entre
divisions et occupation,
une « démocratie en stand-by »
Ziad Medoukh
Mercredi 15 février 2017
Source :
http://lecourrierdumaghrebetdelorient.info/...
C’était à Jérusalem, en 1964 : treize
partis et mouvements palestiniens, dont
le Fatah et deux partis de gauche, le
Front populaire de Libération de la
Palestine (FPLP) et le Front
démocratique de Libération de la
Palestine (FDLP), fondaient
l’Organisation de Libération de la
Palestine (OLP) destinée à représenter
officiellement et démocratiquement le
peuple palestinien ; et l’intention des
Palestiniens, dans un esprit de
modernité, était bien de favoriser des
pratiques démocratiques dans leur vie
politique et sociale.
Présidée par Ahmed Alchukiri
jusqu’en 1966, puis par le défunt Yasser
Arafat jusqu’à sa mort en 2004, l’OLP
est désignée par le sommet arabe qui se
tient à Rabat, en 1974, comme le seul
représentant du peuple de la Palestine ;
en janvier 2005, Mahmoud Abbas en prend
la présidence et, malgré le retrait de
deux mouvements islamiques, le Hamas et
le Jihad islamique, l’OLP maintient le
cap vers l’instauration d’un État
palestinien démocratique.
Les
pratiques démocratiques que l’OLP
entretenait en son sein même ont
constitué un capital politique très
important pour les Palestiniens qui
ambitionnaient de développer un
processus politique démocratique même
sous occupation israélienne, dans les
territoires mais aussi dans le cadre de
leurs représentations dans les pays
arabes dirigés par des régimes
autoritaires.
Et
avec le Liban, et la Tunisie récemment –
après la révolution de janvier 2011 –,
la Palestine a toujours été reconnue
pour son pluripartisme, une société
civile très forte et des syndicats très
représentatifs présents dans toutes les
instances politiques, sans oublier la
réalité de la liberté d’expression.
Démocratie et unité nationale
Il est
important de se souvenir que la
démocratie représentative ne constitua
jamais (ou presque) une préoccupation
essentielle dans le cadre des combats
qui ont eu lieu dans le Monde arabe ou
ailleurs pour la libération nationale ;
les exemples de l’Algérie, de l’Angola
ou du Vietnam sont éloquents. En
revanche, la lutte palestinienne s’est
toujours inscrite dans un pluralisme
politique remarquable, où coexistent
diverses factions qui ont souvent
étroitement coopéré. Ainsi, l’histoire
de la lutte palestinienne,
particulièrement entre 1968 et 1993,
démontre sans ambiguïté une capacité
institutionnelle à représenter la
population dans un cadre
incontestablement national.
Dans
ce contexte, les principes essentiels
sont le consensus et le partage du
pouvoir (qui s’opposent à la tenue
d’élections organisées par une seule
faction et pour une partie seulement de
la population palestinienne, tout en
revendiquant néanmoins une légitimité
« nationale »). En dépit des divergences
politiques et des différentes formes de
résistance pratiquées par les différents
partis et factions, l’unité nationale
palestinienne a été préservée et
également le respect des résultats
électoraux.
Comme
on a pu le constater pendant toute la
durée des deux Intifada contre les
forces de l’occupation israéliennes, la
première, populaire et non-violente
(1987-1994) et la deuxième, qui fut plus
offensive (2000-2004) l’unité a été
préservée : un seul mot d’ordre fut
respecté par tous les partis qui prirent
part ensemble à ces deux soulèvements.
À ce
sujet, la personne de Yasser Arafat est
exemplaire. Sa légitimité n’a jamais été
plus forte que lorsqu’il s’est imposé à
la tête du peuple palestinien sur la
base d’un consensus autour et de son
leadership, et d’un programme national.
Paradoxalement, sa légitimité et son
leadership n’ont été mis en doute que
lorsqu’il fut enfin élu, en 1996, à la
présidence de l’Autorité palestinienne
qui venait d’être instituée, élu par une
élection libre et honnête, mais dans un
contexte de division entre le Fatah et
le Hamas.
En
1993, en effet, et malgré le fait que
plusieurs partis politiques et
représentants de la société civile
étaient opposés aux Accords d’Oslo et au
processus de paix israélo-palestinien
qui reconnaissait l’État d’Israël et lui
abandonnaient des terres palestiniennes,
la majorité des Palestiniens ont
applaudi le retour de Yasser Arafat
jusqu’alors en exil et l’installation de
la direction de l’OLP à Gaza (en 1994).
Alternance du pouvoir
En
1996, l’Autorité nationale palestinienne
(fondée en 1994 en attendant la création
d’un État palestinien et dont les
compétences s’exercent sur les
Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie)
a organisé des élections présidentielles
et législatives, des élections
boycottées par le Hamas et le Jihad
islamique qui s’insurgent contre les
décisions d’Oslo, mais qui ont ensuite
reconnu les résultats des scrutins,
légitimés par une forte participation,
de plus de 70% dans la Bande de Gaza et
de plus de 80% en Cisjordanie.
Le
principe de partage du pouvoir, en
fonction des résultats électoraux, a
donc également été respecté.
Aux
élections de 1996, Yasser Arafat a
obtenu un peu plus de 80% des voix face
à l’autre candidate, la figure féminine
Samiha Khalil ; et Arafat est devenu le
premier président palestinien. En 2005,
l’actuel président, Mahmoud Abbas, a
obtenu un peu plus de 60% des voix, face
à Mostafa Bargouthi, candidat issu de la
société civile.
En
2006, le président Mahmoud Abbas a mis
en œuvre l’organisation d’élections pour
renouveler le Conseil législatif
palestinien (destiné à devenir un jour
le parlement d’un État palestinien) qui
n’avait plus pu être légitimé par les
urnes depuis les élections générales de
1996 à cause de l’occupation et de la
seconde Intifada ; une décision prise
malgré des oppositions au sein de son
parti (le Fatah), certains redoutant une
victoire écrasante du Hamas qui, en
2005, venait de s’imposer lors des
élections municipales (le Hamas qui,
ayant boycotté les élections de 1996,
n’était pas représenté dans le Conseil
législatif, dès lors dominé par le seul
Fatah) et alors que, en octobre 2005
Israël avait évacué ses 18 colonies de
la Bande de Gaza, territoire d’élection
du Hamas.
Ces
élections, comme prévu, ont conduit le
Hamas à une victoire totale, lequel a
remporté 74 des 132 sièges du Conseil
législatif, contre 45 seulement pour le
Fatah, usé par l’exercice du pouvoir (le
Hamas étant « classé » en tant que
« mouvement terroriste », l’Union
européenne et les États-Unis n’ont pas
reconnu les résultats de ces élections,
pourtant libres et démocratiques selon
tous les observateurs internationaux
présents). Le président Mahmoud Abbas a
conséquemment ordonné la création d’un
nouveau gouvernement palestinien,
présidé par un premier ministre issu des
rangs du Hamas, Ismaël Hania, qui prit
ses fonctions en octobre 2006.
Alternance du pouvoir, élections libres,
respect des résultats par les forces
politiques opposées…
Ce
gouvernement, constitué majoritairement
de ministres « islamistes », a tenté de
tenir le cap, malgré les pressions
israéliennes, régionales et
internationales, et malgré le boycott de
beaucoup de pays, et le manque de moyens
du fait du non-versement des aides
financières promises à l’Autorité
palestiniennes.
C’est
ainsi très probablement cette
non-reconnaissance de la démocratie
palestinienne qui a provoqué… la
division.
La
division et l’occupation
La
victoire du Hamas aux élections
législatives de 2006 va entraîner une
réaction hostile de la part d’officiers
et de fonctionnaires issus des rangs du
Fatah, lesquels vont refuser de prêter
allégeance au nouveau gouvernement… Les
dernières années du gouvernement de
Yasser Arafat avaient vu s’installer un
laisser-aller institutionnel et se
développer une corruption endémique qui
profitait à d’aucuns.
Affaibli par les difficultés économiques
et l’absence de légitimité
internationale, le gouvernement d’union
nationale dirigé par Ismaël Hania ne
parvient pas, alors, à contenir les
factions dissidentes qui commencent à
s’affronter dans les rues de Gaza
(certaines sont directement dirigées par
des élus du Fatah siégeant dans les
institutions de l’Autorité
palestinienne), pas plus que le
président Abbas, qui, en décembre 2006,
décide dès lors, unilatéralement, de
dissoudre le Conseil législatif tout
juste élu et annonce des élections
générales (législatives et
présidentielles). Le Hamas, à tort ou à
raison, considère cette mesure comme une
tentative du Fatah de s’opposer aux
résultats des élections ; la guerre
civile inter-palestinienne commence :
entre décembre 2006 et juin 2007, plus
d’un millier de Palestiniens trouvent la
mort dans cette « guerre des Frères »
sans pitié (défenestrations, exécutions
publiques de membres de factions
rivales, assassinats…), laquelle s’étend
à la Cisjordanie.
En
juin 2007, un décret présidentiel
consomme la rupture : Mahmoud Abbas
proclame l’état d’urgence et destitue le
premier ministre Hania, s’arrogeant de
facto tous les pouvoirs. Les forces du
Hamas déclenchent une offensive dans les
rues de Gaza et s’emparent du pouvoir
dans la Bande de Gaza ; le Fatah en est
chassé et se replie sur la Cisjordanie,
à Ramallah.
Exécutions et vengeances se succèdent,
dans un contexte d’épuration politique,
et les factions font peser la terreur
sur les citoyens…
Ainsi,
depuis juin2007 et du fait de la
division inter-palestinienne, on peut
dire que les valeurs démocratiques ont
commencé à sombrer en Palestine.
Deux
gouvernements de fait se partagent
l’autorité dans les territoires
palestiniens ; un à Gaza, dirigé par le
Hamas, et l’autre en Cisjordanie,
contrôlé par le Fatah et le seul
interlocuteur reconnu par la communauté
internationale et Israël (nb :
l’autorité palestinienne verse toujours
les salaires de 70.000 fonctionnaires de
Gaza pour beaucoup devenus inactifs,
tandis que le Hamas a créé 40.000 postes
civiles et militaires et paient lui-même
les salaires de ces fonctionnaires).
Au
point de vue institutionnel, les deux
pouvoirs sont illégitimes : le mandat du
président Abbas a légalement pris fin en
2009, et le Conseil législatif aurait dû
être réélu en 2010 ; mais la division et
l’absence d’accord entre le Hamas et le
Fatah ont empêché l’organisation
d’élections.
Conséquences dramatiques de cette
division : une démocratie bafouée,
entachée d’arrestations à Gaza et à
Ramallah, par la police et les services
militaires de deux camps (60% des
budgets de deux gouvernements sont
consacrés au secteur militaire). Et
l’interdiction d’organiser des
manifestations pacifiques ou de
protestation (une vague d’arrestation
par la police du Hamas a répondu à une
manifestation contre la crise de
l’électricité à Gaza, en janvier 2017).
Aucune
élection n’a été organisée depuis 2006,
ni municipale, ni législative, ni
présidentielle.
La
liberté d’expression est dorénavant
presqu’absente des médias, dans les deux
régions palestiniennes qui vivent comme
de plus en plus séparées l’une de
l’autre.
Depuis
2006, toutes les initiatives de
réconciliation entre le Fatah et le
Hamas ont échoué, aucune des deux
parties n’étant prête à sincèrement
faire des concessions ; jusqu’à la
dernière tentative en date, qui avait
réuni Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal,
le leader du Hamas, en 2014 : après un
flot de déclarations de bons sentiments
et des centaines de poignées de mains
hautement médiatisées, le gouvernement
d’union national promis aux Palestiniens
par les deux responsables politique
s’est évaporé dans fumées de querelles
et de rancœurs.
Et les
Palestiniens n’attendent pas plus de
résultats des négociations qui ont
repris entre les deux partis, à Moscou,
en janvier 2017, suite à l’élection de
Donald Trump à la présidence des
États-Unis, à l’accélération et à la
« légalisation » par le parlement
israélien des implantations illégales de
colonies juives dans les territoires
palestiniens occupés et aux velléités du
nouveau président américain de
reconnaître Jérusalem comme la capitale
officielle d’Israël.
La
démocratie palestinienne est donc
désormais en « stand-by », comme
suspendue dans le temps… Même si l’on
peut dire que, en Cisjordanie au moins,
il y a des élections syndicales, ainsi
que dans les universités où la société
civile reste active ; mais à Gaza,
aucune élection d’aucune forme n’est
autorisée.
Même
la célébration et la commémoration des
événements nationaux sont interdites
dans les deux régions.
Cette
situation a provoqué une séparation
géographique et institutionnelle entre
Gaza et la Cisjordanie, un amenuisement
progressif des contacts entre les deux
régions, qui s’éloignent l’une de
l’autre ; une situation qui fait le jeu
de l’occupant israélien, et dont il se
réjouit.
On l’a
vu lors des trois offensives
israéliennes contre la Bande de Gaza :
les souffrances des Palestiniens de Gaza
ont été presque ignorées par l’Autorité
palestinienne basée à Ramallah : et
encore avec le soulèvement populaire
déclenché en Cisjordanie en octobre
2015, qui n’a pas été suivi ni relayé
par le pouvoir dominant à Gaza.
La
division et le spectacle lamentable que
les factions hostiles offrent au regard
du monde ont aussi desservi la cause
palestinienne : elles ont détourné les
yeux de l’opinion public international
qui ne s’intéresse plus aux conséquences
des mesures israéliennes atroces pour
les familles palestiniennes qui, loin
des débats politiques contre-productifs,
doivent endurer l’occupation au
quotidien, que ce soit en Cisjordanie
(mur, colonisation, check-points) et
dans la Bande de Gaza (blocus, fermeture
des passages, bombardements de masse).
*
*
*
Le
potentiel de la démocratie palestinienne
a été grandement affaibli par Israël et
son occupation militaire, mais aussi par
les acteurs palestiniens eux-mêmes, par
le Fatah et le Hamas dont les querelles
de pouvoir entretiennent la nature
dysfonctionnelle du système politique
palestinien et délégitimise des non-élus
par le fait non-représentatifs du peuple
palestinien. Le récent échec lourdement
politisé de la tentative d’organiser des
élections municipales en Cisjordanie et
à Gaza, prévue en octobre 2016 et
annulées, confirme largement l’état
moribond de la démocratie palestinienne.
La
question qui se pose : quel pouvoir sous
occupation ? Une question posée par
toute une population civile qui voit
dans cette division un danger pour la
démocratie palestinienne mais surtout
une grande chance pour l’occupation
israélienne qui se rit de cette « guerre
des Frères » et poursuit allègrement sa
politique coloniale et agressive, à Gaza
comme en Cisjordanie.
Le
retour à la démocratie n’aura pas lieu
sans le retour de l’unité nationale et
la réconciliation entre toutes les
composantes politiques dans les
territoires palestiniens ; et
l’organisation libre d’élections
municipales, législatives et
présidentielles rendra alors sa voix au
peuple palestinien.
Le
seul espoir réside dans la capacité et
la volonté des Palestiniens à
reconstruire leur mouvement de
libération nationale au service des
intérêts nationaux et collectifs.
Afin
que ces intérêts soient protégés et à
l’abri des manipulations israéliennes et
d’interférences extérieures.
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