Palestine
Je résiste en français
Sonya Mermoud
Lundi 9 janvier 2017
Directeur du département de
français à l'Université Al-Aqsa
à Gaza Ziad Medoukh est venu
témoigner de la situation en
Palestine
L'homme en
impose. De par sa stature. De
par sa force tranquille, sa
détermination et son courage. De
par sa parfaite maîtrise du
français. De passage à Lausanne,
il a donné une conférence sur la
situation en Palestine. Pour que
l'oubli ne jette pas sur cette
terre en proie à un quotidien de
souffrances et de privations le
voile opaque de l'indifférence.
Pour que la solidarité et les
échanges continuent à nourrir
l'espoir. Un espoir dont Ziad
Medoukh ne semble jamais devoir
se départir malgré le blocus qui
étrangle Gaza et ses deux
millions d'habitants depuis dix
ans. Malgré les aides
alimentaires et matériaux de
construction qui n'arrivent pas,
les difficultés de se déplacer.
Malgré l'absence de perspectives
et de repères qui frappent
durement toute une population et
en particulier la jeunesse,
«désespérée», comme la qualifie
le directeur du département de
français de l'Université d'Al-Aqsa
et coordinateur du Centre de la
paix de Gaza. Deux fonctions qui
ne sont pas de trop pour
affronter un contexte empêtré
dans une douloureuse stagnation.
Question de
justice
«Rien a changé à Gaza. Il n'y a
pas de projets de
reconstruction. Plus de 10000
personnes ont perdu leur maison
et vivent dans des caravanes. Le
taux de chômage s'élève à 70%.
Les personnes dépendent des
aides des Nations Unies. La
crainte d'une nouvelle offensive
est permanente. L'absence de
sanctions institutionnelles
encourage Israël à poursuivre sa
politique coloniale. En toute
impunité» relate, sans reprendre
son souffle ou presque, Ziad
Medoukh. Pas de quoi toutefois
décourager cet homme de 50 ans,
marié et père de cinq garçons de
5 à 18 ans, dans sa volonté
d'agir pour la cause
palestinienne, «une cause de
justice». A travers
l'enseignement du français,
langue d'échange et d'ouverture
sur les pays francophones. Via
des formations sur les droits de
l'homme, le rôle des femmes, la
liberté d'expression. En
organisant, depuis le terrible
été 2014 qui connut 50 jours de
bombardements, des soutiens
psychologiques pour les enfants
traumatisés. «En deux ans, 120
séances ont été mises sur pied.
Une équipe a été formée à cet
effet. Nous intervenons partout,
même dans des situations
explosives», affirme le
coordinateur du Centre de la
paix de Gaza relevant
l'extraordinaire capacité
d'adaptation de son peuple. «Les
Palestiniens restent. Résistent.
Ils veulent continuer à vivre
même s'ils doivent constamment
faire face aux coupures
d'électricité, aux pénuries
d'eau, de médicaments...»
Poésie
tisseuse de liens
De son côté, Ziad Medoukh trouve
la force de survivre et de
s'engager dans son attachement à
Gaza, sa ville natale. «Si j'ai
besoin de voyager, de donner des
conférences pour faire passer
des messages, mes racines sont
là-bas. En dépit de toutes les
difficultés, je veux demeurer au
côté de mon peuple», précise le
jeune quinquagénaire qui n'a,
durant quatre ans, pas pu sortir
du pays. Mais estime très
importants ces séjours en Europe
pour la force des contacts
directs, pas seulement virtuels.
Profondément optimiste, Ziad
Medoukh trouve aussi dans son
amour de la poésie un moteur
pour aller de l'avant. Un
exutoire. Un espace à son
enchantement de la langue de
Voltaire, apprise à 34 ans.
«J'ai beaucoup souffert pour la
maîtriser mais j'ai découvert un
monde magnifique», sourit le
Palestinien qui a obtenu, en
2009, un doctorat en Sciences du
langage, à l'Université de Paris
VIII. Auteur de quatre recueils
de poignants poèmes en français,
l'homme vient de recevoir un
nouveau prix délivré par
l'association Europoésie.
«J'appréhende la poésie comme un
moyen de sensibiliser les
francophones à la cause
palestinienne. Elle me permet de
parler de mon pays autrement, de
garder le contact avec
l'extérieur, de diffuser des
messages. C'est une ouverture
sur le monde. Mes mots sont une
arme contre la colonisation,
l'occupation, l'enfermement. Mon
inspiration est directement liée
au contexte dans lequel je vis»,
lance le nominé qui dédie son
prix à la jeunesse de Gaza. Et
croit à la culture comme mode de
résistance.
Allez l'OM
Mais pourquoi avoir choisi le
français? «C'est pour moi une
langue de résistance. Qui
m'évoque des histoires de
luttes. Je réfléchis,
j'enseigne, j'écris, je résiste
et rêve en français. Et encore
une fois, pour un Gazaoui
enfermé comme moi, c'est un
moyen d'échanges. Une
possibilité de témoigner»,
poursuit l'homme qui coopère
régulièrement avec des médias et
associations francophones.
Qualifiant le bonheur de
relatif, Ziad Medoukh n'en
affirme pas moins être «très
heureux». Parce qu'il connaît le
malheur. Parce que la
souffrance, la douleur et les
problèmes lui permettent de
mieux comprendre le monde. Sa
nature positive et empathique le
conduit même, dans les pires
moments, comme ce fut le cas
lors de la guerre de Gaza de
2014, de penser à adresser des
vœux via les réseaux sociaux aux
amis qui fêtent leur
anniversaire ou de s'informer
des scores de l'Olympique de
Marseille alors qu'on l'appelait
pour savoir s'il était vivant.
«Je suis fan de cette équipe, se
justifie-t-il. J'ai eu
l'occasion d'assister dans les
années 90 à un match à Marseille
où tout le stade, multiculturel
(Juifs, Arabes...), vibrait pour
elle.» Interrogé sur le mot de
la fin, le surprenant supporter
saisit la balle au bond pour
parler une nouvelle fois de ce
formidable espoir qui l'habite.
Un espoir de paix passant par la
justice, l'éducation et la
création d'un Etat palestinien.
Une issue excluant toute
solution militaire à laquelle
œuvre sans relâche l'enseignant
et poète.
Sonya
Mermoud
Edition n°
49 du 7 décembre 2016
http://www.evenement.ch/?cid=1648
Les analyses et poèmes de Ziad Medoukh
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