Syrie
Syrie : Du ciel à la terre,
les hommes de Kweires ont gagné leur
pari
Ugarit Dandache
Samedi 19 décembre 2015
Ce 15 décembre, je reçois un
lien ouvrant sur un documentaire de la
chaîne Al-Mayadeen accompagné du message
d’une amie franco-italienne qui
m’écrit :
«…sourires, douceur des regards de
ces jeunes, de cette maman et de cet
ancien qui me font pleurer comme une
madeleine même si je ne comprends rien.
La beauté de l'humain civilisé opposé à
ces êtres hurleurs qui incarnent la
trahison de l'humain… Il s'agit là d'un
hommage unique à tous ceux qui se
sacrifient sur et pour la terre syrienne
qui renferme les germes de l'humanité…
Le monde ne sait rien de la Syrie, tout
a été déformé sinon calomnié avec une
telle application ! ».
Le documentaire est l’œuvre de
la journaliste libanaise, Mme Ugarit
Dandache, qui a suivi les traces des
Houmatal’diyari [Les défenseurs de la
patrie : nom commun des soldats syriens]
depuis le début de la guerre. Difficile
de le restituer par écrit. Peut-être
serait-il possible d’en saisir
l’essentiel en regroupant les séquences
disparates des intervenants pour la
commodité du récit, abstraction faite
des attaquants hurleurs et de la
propagande mensongère repartie de plus
belle dans nos médias hexagonaux.
Peut-être…
Je me contenterai de rappeler
que le 10 Novembre 2015, le porte-parole
des Forces armées syriennes annonçait la
libération de l’Aéroport de Kweires,
situé dans le gouvernorat d’Alep, et que
le président syrien a parlé d’une
nouvelle épopée qui venait s’ajouter à
tant d’autres actes de bravoure de
l’Armée arabe syrienne.
Au lecteur de juger si ces
hommes sont fidèles à leur devise : «
Watan, Charaf, Ikhlas », signifiant
Patrie, Honneur, Dévouement [NdT].
LE SIÈGE
DE KWEIRES
L’Armée arabe
syrienne a réussi à libérer l’École de
l’air, qu’il est convenu de désigner par
« Aéroport de Kweires », une base
militaire aérienne située à 35 Kms à
l’est d’Alep, brisant ainsi un siège qui
durait depuis près de trois ans et
réalisant une importante avancée dans la
profondeur d’une région contrôlée par
Daech [EIIL ou État Islamique en Irak et
au Levant].
En effet,
l’aéroport de Kweires s’étend sur une
surface de 25 Kms carrés environ et se
trouve à 15 Kms de « Al-Bab » au nord,
le bastion le plus important de Daech
dans la campagne orientale d’Alep.
Le siège de
l’aéroport a commencé fin 2012 quand
les groupes armés de l’ASL [La
prétendue armée syrienne libre, une
coquille désormais vide qu’on tente de
farcir par de prétendus opposants dits
modérés ou démocrates…NdT] avaient
réussi à couper toutes les voies
terrestres, obligeant l’Armée nationale
à ravitailler les occupants de la base
principalement par voie aérienne
héliportée. Les atterrissages ont
continué pendant environ un an et demi,
mais sont devenus pratiquement
impossibles à partir du moment où les
éléments armés de Jabhat al-Nosra -ayant
envahi les villages environnants dès
2013- sont entrés en possession d’armes
de plus en plus sophistiquées et que
Daech s’étendait dans la campagne est, à
partir de Raqqa ; les hélicoptères
devenant à portée des tirs.
Début 2014,
Daech a fini par évincer Jabhat al-Nosra,
menant un siège de plus en plus
hermétique et des attaques de plus en
plus nombreuses, mettant tout son poids
pour entrer dans l’aéroport, usant de
toutes sortes d’armes et de dizaines
d’engins piégés sans réussir à briser
ses fortifications, sauf une seule fois
en atteignant les habitations des
officiers côté sud-ouest […].
Les pilotes
de Kweires ont été entraînés pour
défendre le ciel de la patrie, mais les
circonstances ont fait qu’ils se sont
posés sur la terre pour faire face aux
forces les plus terriblement
extrémistes. Une guerre des volontés,
entre des envahisseurs de plus en plus
supérieurement équipés et des assiégés
affamés, conscients du poids de
l’obligation de défendre la dernière
position de l’État en cette région de la
terre patrie. Et, du ciel à la terre,
les pilotes de Kweires ont gagné leur
pari.
LA FAMILLE FARHA
Témoignage de M.
Farha, père de Issam, Allam et Issa :
Nos trois
fils étaient enthousiastes et déterminés
à rejoindre l’Armée. Nous ne nous sommes
pas mis au travers de leur chemin. Le
hasard a fait qu’ils se sont retrouvés
au même endroit. Nous avons connu des
moments très difficiles, vivant leurs
problèmes quotidiens en écoutant les
rapports militaires du secteur. Dire que
nous n’avons pas eu peur ? Nous avons eu
très peur. Mais, Dieu merci, ils se sont
comportés en héros et ont réussi des
exploits.
J’ai entendu
de plusieurs sources qu’il n’était pas
question pour eux de manquer une
bataille, que ce soit leur tour ou pas.
Ils sont toujours restés ensemble. L’un
d’eux a été malade. Il est rentré se
faire soigner dans les pires des
conditions. Ils nous ont appelés de
l’Académie pour nous dire de ne pas le
laisser repartir… Il est reparti parce
qu’il tenait à aider ses frères.
Ici, à la
montagne, nous avons mené une vie dure,
elle n’a jamais été douce. Je suis
ingénieur électricien, mais j’ai vécu la
vie d’un paysan. Je veux dire que ma
main est celle d’un paysan, car nous
refusons de vivre autrement que par
notre travail, notre pain trempé dans la
sueur de notre front.
Témoignage du
Lieutenant Issam, l’aîné des frères
Farha :
J’étais très
tranquille à Damas, mais quelque chose
en vous, vous pousse à rejoindre vos
amis qui tombent en martyrs. Vous ne
pouvez pas rester là où vous êtes. De
même pour mon frère Issa qui avait été
reçu à ses examens de l’Académie
militaire, mais a préféré nous
accompagner à Alep, pour que nous
restions ensemble et qu’il participe à
notre combat.
En pleine
bataille, vous ne pensez à rien d’autre,
vous ne pensez qu’à garder votre
position et, grâce à Dieu, tous les
jeunes gens ont été à la hauteur de la
situation. Les choses deviennent
autrement plus difficiles à l’instant
même ou le combat s’arrête. Vous voyez
les blessés et les martyrs et vous ne
pensez plus qu’à vos frères, sans
pouvoir quitter votre position ou
chercher à les contacter, vu que les
communications doivent parer au plus
pressé.
Ils ont
abattu deux de nos hélicoptères de
ravitaillement en pleine nuit car ils
étaient en possession de canons munis de
lunettes de vision nocturne, thermique
ou autre. Bien sûr qu’ils étaient
soutenus de l’étranger, équipés d’armes
que nous ne connaissions pas trop, armes
probablement dérobées en Irak ou
fournies par la Turquie et les
États-Unis. C’est ainsi que nous avons
été frappés par 5 à 6 missiles TOW et
bien d’autres de différentes marques. La
solution de rechange fut le parachutage,
mais…
Un matin,
nous avons été attaqués, entre 4H et
4H30, par trois véhicules piégés avec
des agents incendiaires du côté des
habitations des officiers, et par des
tirs de 12 à 15 chars et autres
artilleries, de tous les côtés. Grâce à
Dieu, nous avons pu en démolir un grand
nombre. Ne sont restés intacts que 2 ou
3 engins qui ont pris la fuite, alors
que le plus lourd de notre armement
était le canon 75 et la volonté de nos
jeunes gens, laquelle volonté décidait
de l’issue des combats.
Quand la
campagne de notre libération a commencé,
la pression a baissé, se répartissant
entre nous et notre Armée qui avançait.
Une fois arrivée à 4 Kms de l’aéroport,
ils ont sorti leur dernière carte : les
trois souterrains creusés sous les
habitations des officiers. Nous savions
qu’ils étaient là. Nous les entendions
creuser dans notre direction et nous
nous mettions à creuser dans la leur.
La situation
la plus difficile que j’ai vécu, c’est
quand l’explosion a eu lieu alors que
Issa se trouvait dans le secteur des
habitations. Le ressenti de celui qui
voit une explosion de loin est plus
pénible que celui qui se trouve en plein
dedans, les nuages de poussières
dégagées laissant à penser que les
bâtiments ont été pulvérisés. J’ai tenté
de le contacter, mais toutes les lignes
étaient occupées. Je suis resté 24
heures sans nouvelles, sans dormir, sans
boire ni manger, mais merci mon Dieu, il
était sain et sauf.
Témoignage du
lieutenant Allam, le cadet des frères
Farha :
Je me suis
engagé dès juin 2012 et mon premier
combat eut lieu en octobre de cette même
année. J’avais le désir de rejoindre
l’Armée, de participer aux combats comme
tant d’autres jeunes du pays et de
rejoindre mon frère aîné qui avait
quitté Damas, où il se plaisait, pour
s’engager à Kweires avant moi. Nous
avions décidé que notre benjamin, Issa,
devait rester auprès des parents,
d’autant plus qu’il était brillant et
que ses notes lui permettaient de
poursuivre des études supérieures. Mais
il a refusé et s’est engagé à son tour
le 29 novembre 2012.
Mon père a
consenti en se disant que l’aéroport
était immense, que les résidents étaient
en majorité des campagnards et donc
plutôt débrouillards dans beaucoup de
domaines. Certes, les hommes de la
campagne sont différents des hommes de
la ville question débrouillardise, mais
cela ne veut pas dire qu’ils ont été
moins chers à nos cœurs. Que Dieu ait
pitié de tous ceux qui sont partis et
protège tous ceux qui sont revenus.
Question
nourriture, on nous disait : « Mange, tu
sauras après ce que c’est ! ». Nous
cuisinions n’importe quelle herbe qui
poussait par là et finalement, la
nourriture n’a jamais été un problème
pour quiconque parmi nous. Quant à
l’eau, elle nous arrivait par des
canalisations situées à l’extérieur de
la base. Nous avons appris que les
groupes armés projetaient d’empoisonner
le réservoir principal, mais notre
camarade Ali Mourad avait pensé à
l’isoler avant même qu’ils y pensent.
Pendant le
siège et alors que j’étais en compagnie
de mon ami Oumran Assi à tourner autour
d’un canon, notre attention fut attirée
par des galettes de pain tombées, 15 à
20 jours plus tôt, d’une voiture qui
nous avait livré des munitions quand
c’était encore possible. Nous les avons
pilés, puis mélangés au sachet de sucre
de l’un et au sachet de lait en poudre
ou de cacao d’un autre, je ne sais plus.
Toute une marmite de douceurs d’où
l’odeur des moisissures avait disparu
après édulcoration. Nous nous sommes
régalés avec Issa et ses amis. Il me dit
encore : « Ce plat fut la meilleure
douceur à laquelle j’ai jamais
goûtée ! ».
Le 19 janvier
2013, les groupes armés ont abattu un
hélicoptère qui venait nous ravitailler
la nuit, puisque le ravitaillement
héliporté et même le transport des
blessés n’étaient plus envisageables en
plein jour. L’hélicoptère était à
environ 600 mètres du sol et c’était une
nuit de pleine lune. Ils l’ont eu, nous
l’avons perdu avec tout son équipage, et
c’est là que le véritable siège a
commencé.
Le 9 août, un
char équipé d’une mitrailleuse Douchka
s’est mis à tirer vers notre position.
Nous avons éliminé le tireur. Restaient
le conducteur et deux autres individus à
l’arrière. Le char a poursuivi sa
progression jusqu’en haut de l’abri
avant de s’immobiliser, si bien qu’il se
trouvait pratiquement au-dessus de nous.
C’est alors que mon camarade Ahmad
Nasser, faisant fi du danger, s’est
précipité pour envoyer une grenade à
l’intérieur du char et que nous nous
sommes tous levés pour le suivre.
C’est à cette
occasion que nous avons pu saisir,
auprès du commandant des attaquants, des
appareils de communication turcs et un
document comportant la liste des
éléments du groupe ainsi que leurs
fonctions respectives : tous affiliés à
Daech, mais aucun n’était syrien.
Une autre
fois, le premier-lieutenant Ali Ibrahim,
qui n’avait rien d’un tireur de bombes,
a repéré un char progressant derrière
une maison située à l’ouest des
habitations des officiers, lequel char
n’avait cessé d’aller et venir pour les
bombarder. Il s’est mis debout sur une
barricade d’environ 1,5 mètres de haut.
Il a attendu le moment opportun, malgré
la présence de trois snipers, et a
pulvérisé le char. Nous l’avons vu
s’enflammer et crépiter pendant au moins
une vingtaine de minutes.
Ils ont usé
de toutes les tentations imaginables
pour nous dissuader de résister, jusqu’à
nous amener des femmes qui nous
disaient : « Pourquoi restez-vous là ?
Quel est votre objectif ? Votre État est
fini. La guerre c’est la guerre et vous
êtes cuits ». Ou alors, ils nous
rappelaient : « Nous avons conquis telle
ville, telle unité de l’Armée, telle
position défensive. Votre tour viendra.
Rendez-vous. Nous vous ramènerons chez
vous ». Ils avaient oublié que nous
savons comment nous comporter avec les
femmes et que toute situation a une
solution.
Témoignage du
lieutenant Issa, benjamin des frères
Farha :
Mon frère
Allam était souvent à mes côtés, c’est
pourquoi mon plus gros souci était de
savoir où en était Issam, notamment les
jours de combats. Il en a toujours été
ainsi, même aujourd’hui. Un frère de
sang fait que c’est le sang qui parle.
En plein milieu d’une bataille, si je
pouvais lui envoyer un message pour
juste lui demander de me rassurer, je le
faisais.
Quant à Allam,
la fois où je lui ai avoué ma faim, il
se tenait près d’une muraille où
poussaient des herbes folles. Il m’a
dit : « Regarde celle-ci, elle est
comestible et délicieuse. Mange ! ».
Un jour, les
groupes armés ont réussi à pénétrer deux
de nos positions, alors que nos jeunes
dormaient à l’intérieur. Que Dieu leur
accorde Sa miséricorde, certains ont été
découpés, d’autres ont explosé sous
leurs grenades, d’autres qui ont eu le
temps de se réveiller sont tombés sous
les coups de leurs snipers. Les plus
anciens ont alors regroupé les unités
d’urgence et se sont dirigés vers ces
deux positions. C’est là qu’un jeune
homme de Deir [el-Zor], je ne me
rappelle plus de son nom, a ramassé le
téléphone de l’un des attaquants ayant
pénétré le bâtiment. Il entend le cheikh
des attaquants demander : « Quelle est
votre situation ? ». Il lui a répondu :
« Cheik ! Cheikh ! Ils sont très
nombreux là-dedans. Des renforts
arrivent, reculez Cheikh ! ».
Grâce à Dieu,
ce jeune homme savait imiter leur
accent. En fait, ils étaient beaucoup
plus nombreux que nous et se comptaient
par centaines. Entretemps les Forces
aériennes sont arrivées et les deux
positions ont été récupérées, au prix de
32 martyrs. Signe de la bonté du
Seigneur de l’univers qui règle toutes
les situations. Ce fut la première leçon
que j’ai retenue.
Un autre
jour, une femme sniper suédoise a été
capturée. À la question : « Que viens-tu
faire ici ? », elle a répondu : « Je
viens perfectionner mes talents ». Elle
venait du fin fond de la terre pour
exercer ses talents sur nous, alors que
nous ne savions rien de son monde !
[Rires].
En tous cas,
si tu recules tu t’affaiblis et si tu
avances tu te renforces. De ce fait,
nous avons beaucoup appris. Une terre où
est tombé mon ami est précieuse et
mérite qu’au cas où son remplaçant
tombe, il soit remplacé à son tour et
ainsi de suite. Par conséquent,
abandonner une position est chose
interdite.
LA FAMILLE CHADOUD
Témoignage de M.
Chadoud, père de Somar mort au combat
Somar était
enthousiaste et, comme les autres
jeunes, décidé à défendre la patrie.
Devenir pilote d’avion militaire fut
évidemment son propre choix. J’étais
surpris de voir qu’un pilote maniait le
RPG face à des tanks. C’est la situation
qui a fait qu’il a dû combattre au sol,
pour défendre son École et son Académie.
La position qu’il occupait était
délicate et les terroristes, qui
voulaient l’atteindre par n’importe quel
moyen, lançaient des attaques
quasi-quotidiennes.
En 2013, il a
été blessé aux deux jambes, ce qui a
nécessité la mise en place de plaques
orthopédiques. Mais, au bout de trois
mois de convalescence, il est reparti
poursuivre son travail.
Le dernier
siège qui a duré environ 1 an et neuf
mois a fait que l’aéroport ne recevait
plus rien, ni par voie aérienne, ni par
voie terrestre. De quoi voudriez-vous
que je me souvienne ? Je suis un père et
comme tout père je me suis inquiété pour
mon fils. J’ai gardé notre
correspondance dans mon téléphone
cellulaire. Regardez-le qui m’appelle
pour me faire des grimaces. Il lui
arrivait de me laisser des messages pour
me dire : Salut Abou Somar ! Mais
certaines fois, il me signifiait que la
mort était proche.
Après la
levée du siège, certains de ses
camarades nous ont appris qu’il avait
été sérieusement blessé à la tête mais
que trois jours après il regagnait son
poste. Le 6 septembre 2015 la perfide
traitresse a frappé : il est tombé au
même endroit où il avait été blessé la
première fois. Il y a trois jours, nous
l’avons mis en terre dans le cimetière
du village.
Témoignage de Mme
Chadoud, mère de Somar mort au combat :
Dès que
j’entendais qu’il y avait eu des combats
autour de l’aéroport, je l’appelais. Il
niait invariablement les faits et
prenait ses camarades à témoin pour me
rassurer. Il me répétait :
« Oubliez-nous. Arrêtez de vous faire du
souci. Nous sommes à la hauteur de la
situation. Nous allons bien. Je ne veux
pas vous savoir tristes ». Et quand je
lui demandais s’il mangeait bien, il me
jurait qu’il ne s’était jamais couché
avec la faim au ventre.
Il envoyait
son salaire à son père. Nous avions beau
lui dire que nous n’en avions pas
besoin, il continuait à l’envoyer en me
disant : « Maman, je veux que papa
reçoive les soins nécessaires. Ne va
surtout pas économiser ce salaire pour
me gâter à mon retour. Je veux que vous
le dépensiez. Je jure que si tu ne le
fais pas, je ne te parlerai plus ».
Un jour j’ai
passé mon téléphone à son frère Haïdar
pour qu’il lui parle et j’en ai profité
pour lire le sien avant qu’il n’efface
ses messages. Je lis Haïdar qui
demande : « Quelle est la situation chez
toi ? », et Somar qui répond : « Les
projectiles pleuvent drus ! ». J’ai reçu
un choc en apprenant que depuis le début
de sa mission les attaques étaient
quotidiennes. Et moi, je ne le savais
pas !
Il m’a laissé
les plus merveilleux amis qui soient. Il
m’a laissé des frères. Quand il est
tombé en martyr, j’ai dit à Haïdar :
« Tu as perdu un soutien. Tu n’as plus
de frère ». Il m’a répondu : « Il ne m’a
pas laissé un frère. Il m’a laissé des
frères ! ».
Quand j’ai
reçu la dernière photo qu’il m’a
envoyée, ouvrant ses bras vers le ciel,
je ne saurais décrire ce que j’ai
ressenti. J’avais la gorge nouée. Je ne
pouvais pas pleurer. Elle m’a effrayée.
Je rêvais de
ce que je ferais au retour de Somar et
de ce que j’offrirais autour de moi. Je
rêvais qu’il se tenait là, devant moi.
Je rêvais comment je l’accueillerais à
sa descente de voiture. Je m’étais mis
dans l’esprit que j’embrasserai la terre
à ses pieds, que j’embrasserai ses
jambes, que j’implorerai la miséricorde
divine pour tous les martyrs, et puis
que je me blottirai contre lui pour
respirer son parfum.
Depuis quatre
ans que je rêvais de la levée du siège,
j’ai été très heureuse pour ses amis
quand ce jour est arrivé, mais ce fut le
jour le plus difficile de ma vie.
J’avais la ferme conviction que
l’aéroport résistera et qu’il était
impossible que les groupes armés
puissent l’atteindre. Mais je n’avais
pas imaginé que mon fils serait déjà
tombé en martyr.
TÉMOIGNAGE DU
PREMIER-LIEUTENANT ALI IBRAHIM
Personne ne
meurt de faim. J’en suis convaincu.
C’était dur les deux premières semaines,
le temps que le corps s’adapte à ce
qu’il ne reçoit plus. Ensuite ce ne fut
plus un souci. Je n’y pensais plus.
Personne n’a pensé à la retraite non
plus. Nous retirer ? Cela n’a jamais été
dans nos plans. La position dans
laquelle tu t’es retranché est celle où
tu mourras.
Au combat,
seul ton fusil peut te protéger,
protéger ton École et la position que tu
dois conserver. Pour nous, cet aéroport
a ceci de particulier : il est l’endroit
où nous avons été formés et entraînés.
C’est de là que nous sommes partis et
c’est là où nous sommes revenus.
Toutes les
organisations terroristes présentes en
Syrie ont, à un moment ou un autre,
assiégé cet aéroport. Au tout début, ce
fut l’ASL mais elle a échoué. Ensuite ce
fut Jabhat al-Nosra, quoique ces deux
organisations ont fait alliance plus
d’une fois. Puis celle de Daech est
arrivée, encore plus soutenue que toutes
les autres.
Elles ont
toutes été confrontées à la réalité :
nous ne mourrions pas de faim, nous
n’étions pas tels qu’elles nous avaient
imaginés. Elles ont passé leur temps à
nous raconter qu’elles allaient nous
exécuter à l’arme blanche. Il n’y avait
là que des jeunes gens de grades
modestes qui prenaient les choses avec
humour. Personne n’a bronché.
Nous étions
tous postés face à l’extérieur. Nous
avons subi des attaques ennemies
extrêmement denses. Il y avait
évidemment des arbres. Un jour où je me
trouvais du côté sud-est, j’ai regardé
derrière moi, l’École brûlait. Je me
suis dit que c’était la fin, qu’ils
n’allaient pas tarder à entrer et que
nul d’entre nous ne s’en sortirait.
C’était sans compter sur l’intelligence
de notre commandant. Il est
immédiatement intervenu sur nos
téléphones sans fil pour nous dire de ne
pas bouger, que tout allait bien et
qu’aucun des attaquants n’avait avancé
vers l’École. Personne n’a bougé.
Le plus dur
c’est quand tu enterres ton ami, ou que
tu restes près de lui deux ou trois
jours sans rien avoir à lui offrir. Tu
veilles un ami qui n’arrive plus à
respirer et tu n’as rien à lui offrir !
C’est une situation des plus difficiles
et plus difficile encore est de le
mettre en terre. Oui, le plus difficile
est de le mettre en terre.
TÉMOIGNAGE DE L’INFIRMIER
DE KWEIRES, AKRAM al-HASSAN
Nous
manquions de moyens médicaux, pas de
médecin, pas de chirurgien. Nous devions
compter sur nous-mêmes et sur nos
propres possibilités pour prodiguer les
soins nécessaires aux blessés. Nous
étions quatre infirmiers, un
premier-lieutenant diplômé et un
pharmacien. Difficile de savoir qu’un
blessé pouvait s’en sortir en milieu
hospitalier et que nous n’avions rien
pour le sauver. Nous adressions les
photos et descriptions des blessures par
Mobile ou WhatsApp à des médecins de
l’extérieur, lesquels nous donnaient
leurs instructions en retour. Ils nous
ont beaucoup aidés. Qu’ils en soient
remerciés.
Ahmad a été
abattu par un sniper. J’ai décidé de le
tirer de là. J’ai avancé dans un nuage
de poussière. Je l’ai ramené… que Dieu
ait son âme.
Zein Ismaïl,
un élève-officier, avait été blessé au
bas ventre. Il saignait. Nous l’avons
transfusé d’une façon rudimentaire avec,
évidemment, le sang des nôtres. Les
jeunes gens se présentaient, nous
déterminions leur groupe sanguin, nous
prélevions leur sang pour l’injecter
directement aux blessés. Mais ni les
trois poches de sang prélevé, ni le
sérum, n’avaient apparemment servi à
améliorer la situation de Zein. La tombe
ouverte, nous avions préparé son
cercueil dans ce qui avait servi de
caisse à munitions. Mais, grâce à Dieu
en qui il faut naturellement garder
confiance, il a quitté l’aéroport debout
et se trouve aujourd’hui parmi les
siens.
Gaïth Ibrahim
avait été blessé au crâne par le
projectile d’un sniper, de calibre 5,5
mm. Il est arrivé alors que nous avions
déjà trois autres jeunes en état
d’absolue inconscience, plus d’autres
blessés. Lui-même est resté inconscient
pendant 4 jours pour se réveiller au 5ème
jour avec une légère séquelle à l’œil.
Nous en étions heureux, pensant que sa
blessure avait été superficielle. Ce
n’est que lorsqu’il a été hospitalisé
que l’imagerie a révélé la balle et les
éclats d’os logés dans son cerveau.
Idriss, mon
frère, la personne la plus chère à mon
cœur, que Dieu lui accorde sa
miséricorde, est arrivé en plein milieu
d’un combat. Il a tenu ma main et m’a
dit : « Abou Ahmad, ne me laisse
pas ! ». Je ne voulais pas le quitter,
mais d’autres blessés m’attendaient. Je
lui ai dit que je ne le laisserai pas.
Pourtant, je l’ai laissé pour aller vers
les autres. J’étais complètement anéanti
quand il est parti, alors que je ne
pouvais me permettre cette faiblesse.
Oui je l’ai pleuré, mais pas plus de
deux minutes. Maintenant que l’aéroport
est libéré, pleurer Idriss la vie
entière ne serait pas suffisant.
Le 9 août
2015 nous étions à deux doigts de la
chute de l’aéroport, un groupe de Daech
ayant occupé l’immeuble en face du
dispensaire. J’ai appelé mon père pour
lui faire mes adieux. Il m’a dit qu’il
voulait que je me comporte en homme. Je
lui ai répondu que j’étais un homme,
mais que je voulais qu’il soit fort
quand il recevra la nouvelle. La gorge
serrée, il m’a conseillé de m’en
remettre à Dieu. Ni lui, ni moi, ne
pouvions pleurer.
Finalement,
c’est une histoire de vie ou de mort, où
la volonté de vivre l’a emporté…
Reportage de
Mme Ugarit Dandache
10/12/2015
Source : Vidéo You Tube / Al-Mayadeen TV
https://www.youtube.com/watch?v=wne3e9wLNjw
Transcription et traduction par Mouna
Alno-Nakhal
PS : Texte
dédié à mon amie franco-italienne que je
remercie du fond du cœur. J’ajoute qu’en
effet, tant de solidarité, de fierté, de
respect, de générosité, d'abnégation et,
par moment d'humour, chez des jeunes
gens modestes et si peu expérimentés,
laissent à penser que même si la Syrie
ne sera jamais plus ce qu'elle a été,
elle sera ce qu'ils seront... Et, ils
sont magnifiques !
Le
dossier Syrie
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
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