Réseau Voltaire
Les sourires de Madame May
Thierry Meyssan
Mardi 31 janvier 2017
Alors que l’intronisation de Donald
Trump ouvre une nouvelle période dans
les relations internationales, chaque
Etat tente de se repositionner. Ainsi le
gouvernement britannique, qui s’est vu
imposer le Brexit par référendum,
cherche à concilier les intérêts de sa
classe dirigeante avec ceux de son
peuple. Pour ce faire, la Première
ministre Theresa May explore des options
contradictoires.
Rien n’est jamais
simple. Le changement d’administration à
Washington devrait conduire à
l’éradication des Frères musulmans et de
l’ensemble des groupes jihadistes qu’ils
ont formés. Le nouveau président n’a
attendu qu’une semaine pour publier un
Memorandum sur la manière de combattre
réellement Daesh. Cependant, les alliés
des États-Unis n’entendent pas s’aligner
si facilement sur ce renversement à 180°
d’une politique dont ils ont appris à
tirer les dividendes.
Le Royaume-Uni envisage différentes
options qui s’offrent à lui avec le
Brexit : soit se rapprocher de la
puissance économique montante, la Chine,
soit rejouer l’alliance anglo-saxonne et
former un directoire mondial avec les
États-Unis. Problèmes : les Chinois ont
un très mauvais souvenir de la
colonisation britannique et montrent à
Hong Kong qu’ils n’ont pas l’intention
de poursuivre plus avant l’accord « Un
pays, deux systèmes », tandis que les
États-uniens espèrent substituer un
rayonnement commercial à leur
impérialisme militaire.
Donald Trump déclinant pour le moment
l’invitation de Londres, la Première
ministre Theresa May s’est précipitée
outre-Atlantique. Lors d’un étonnant
discours prononcé devant les élus
républicains à Philadelphie, elle a
rappelé l’Histoire commune des deux
États et l’influence internationale du
Commonwealth ; pour conclure qu’elle
était prête à reformer avec le président
Trump le couple Reagan-Thatcher qui
domina le monde occidental durant les
années 80.
Rencontrant le président Trump, la
Première ministre s’est faite tout
sourire. Elle s’est félicitée de
l’annonce par son hôte d’un accord
commercial bilatéral, le premier de son
mandat. Cependant, celui-ci ne pourra
entrer en vigueur qu’une fois le
Royaume-Uni sorti de l’Union européenne,
c’est-à-dire pas avant un à deux ans.
Pas certaine d’avoir convaincu,
Madame May a poursuivi son voyage en
Turquie. Lors de sa rencontre avec le
président Recep Tayyip Erdoğan, elle a
évidemment annoncé un développement du
commerce bilatéral. Mais ce n’était pas
l’objet de sa visite. L’essentiel des
discussions ont porté sur la manière
dont Londres et Ankara pourraient
ensemble profiter de l’Union européenne,
depuis l’extérieur.
Mais avant toute chose, elle a
commencé par féliciter le dictateur
d’avoir brillamment défendu la
démocratie lors de l’abominable coup
d’État du 15 juillet dernier ; en
réalité une tentative d’assassinat du
président Erdoğan commanditée par la
CIA. À l’époque, déjà, l’ambassadeur
britannique avait été le premier à
retourner sa veste et à célébrer la
victoire de l’« État de droit ».
La dernière idée du Foreign Office
est de régler le conflit chypriote en
obtenant des droits économiques
particuliers pour la Turquie. De la
sorte, Ankara pourrait jouir du marché
commun européen sans adhérer à l’Union.
Et il permettrait à Londres d’utiliser
ce privilège pour continuer à commercer
avec l’Union au-delà du Brexit. Une
idée, certes astucieuse, mais qui ne
respire pas la bonne foi et n’inspire
pas la confiance que la même Mme May
exige de Bruxelles pour négocier le
Brexit.
Theresa May s’est inquiétée du
rapprochement russo-turc, malgré
l’antagonisme séculaire entre les deux
parties. Ayant compris que les
négociations d’Astana ne visaient pas à
réconcilier les points de vue des
Syriens, mais à permettre à la Turquie
de faire un premier pas vers Damas, elle
a cherché à troubler cette alliance
naissante. À ses yeux, le problème
n’était pas que M. Erdoğan se prépare à
embrasser le président el-Assad après
l’avoir longuement combattu, mais qu’il
le fasse sous l’impulsion du grand rival
russe.
À propos de la Syrie, Londres
pourrait aider à lutter contre les
Kurdes si Ankara lui laissait le
contrôle des jihadistes ; une
proposition totalement contradictoire
avec celle faite aux « Américains ». Peu
importe, c’est une habitude historique
de la « perfide Albion » de tenir des
discours différents selon ses
interlocuteurs et de voir avec le temps
ce qui fonctionne ou pas.
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
Twitter officiel.
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