Opinion
Comment la plupart des journalistes
occidentaux ont cessé d’appuyer la
démocratie en Amérique Latine
Thierry Deronne
27 février
2014, Caracas. Le gouvernement indemnise
112 familles
de victimes du "Caracazo" de 1989
Mardi 18 mars 2014
Le 7 mars 2014, la nouvelle
présidente du Chili Michelle Bachelet a
été on ne peut plus claire :
“nous n’appuierons jamais un
mouvement qui refuse le résultat des
élections et cherche à renverser par la
violence un gouvernement élu librement
et démocratiquement”.
La présidente argentine Cristina
Fernandez rappelait le 1er mars qu’”indépendamment
des idées, nous devons défendre la
démocratie et condamner la tentative de
coup d’État contre la République
Bolivarienne”. C’est un fait : alors
que la plupart des présidents et des
mouvements sociaux d’Amérique Latine
rejettent l’insurrection de l’extrême
droite au Venezuela, les journalistes
occidentaux sont passés en quarante ans
de la dénonciation du coup d’État contre
Salvador Allende à la justification –
active ou conformiste – du plan qui
visait à renverser un gouvernement qui a
"organisé 19 scrutins en 14 ans"
(Dilma Roussef, 24/2/2014). Serait-ce
parce que l’irruption du suffrage
universel dans les sociétés
latino-américaines porte au pouvoir des
politiques qui s’émancipent du dogme du
libre marché ? Est-ce l’inculture
historique ou le formatage qui règnent
dans les écoles de journalisme ?
Quarante ans de concentration privée des
médias et d’involution idéologique font
que la majorité des journalistes
occidentaux sont devenus capables
d’oublier les décisions des électeurs
(validées par les observateurs
internationaux), de transformer des
paramilitaires ou des militants
d’extrême droite en “combattants de
la liberté”, et de faire d’un État
qui ose défendre les institutions
démocratiques un “État répressif”.
Au Venezuela,
les membres d’ONGs indépendantes des
droits humains
dénoncent les mensonges quotidiens des
médias internationaux qui
reproduisent la version de la droite, de
ses médias privés et de ce fait
encouragent la poursuite des violences
(1). Nicolas Maduro (dont l’image
a été travaillée dès son élection pour
en faire, comme on l’a fait de Hugo
Chavez, un personnage autoritaire,
populiste, futur dictateur, etc..) est
comme vient de le le rappeller le
président Correa “un humaniste, qui
ne réprimerait jamais son peuple”.
La quinzaine de policiers qui ont
désobéi aux ordres de ne pas user
d’armes à feu ont été aussitôt arrêtés.
Cette mesure est significative d’une
volonté politique de mettre fin à
l’impunité au Venezuela.
Le hasard des
dates a fait qu’au moment où des
groupuscules paramilitaires
déclenchaient les premières violences à
la frontière avec la Colombie (2),
le gouvernement Maduro faisait ce
qu’aucun de ses prédécésseurs n’avait
voulu faire : rendre justice et
indemniser 112 familles des victimes du
“Caracazo”, massacre de deux à trois
mille personnes par l’armée, ordonné par
le président social-démocrate Carlos
Andrés Pérez pour écraser la rébellion
populaire anti-FMI du 27 février 1989.
Les militaires vénézuéliens, à l’époque,
étaient formés aux États-Unis par la
School of Americas, pourvoyeuse de
bourreaux à tout le Cône Sud.
Cette triste
époque prit fin avec la décision de
Chavez de rompre les accords avec le
Pentagone et d’humaniser l’armée,
notamment en l’impliquant dans les
missions sociales. Il reste cependant
des nostalgiques de cette nuit de
terreur et d’apartheid social, notamment
parmi les étudiants des quartiers riches
qui jouent aujourd’hui pour les caméras
leur “révolution” sans peuple (3).
En assassinant sélectivement des
militaires et des policiers, l’extrême
droite paramilitarisée de Leopoldo Lopez
et de Maria Corina Machado recycle une
technique conseillée par la CIA pour
déstabiliser Salvador Allende en 1973.
Le gouvernement bolivarien a évité de
tomber dans la provocation et le
président Maduro a multiplié les
initiatives de dialogue, allant jusqu’à
proposer, le 15 mars, aux dirigeants de
la droite universitaire une rencontre
retransmise en direct à la télévision
pour “dire tout ce qu’ils veulent
dire”.
La tentative
de coup d’État a échoué mais il est
clair que toute mesure prise par le
gouvernement pour défendre les
institutions démocratiques sera aussitôt
transformée par le Département d’État ou
par les médias internationaux en “durcissement-de-la-
répression-au-Venezuela”.
Au Salvador,
à peine connue la victoire du candidat
de gauche Sanchez Cerén aux
présidentielles du 9 mars, l’extrême
droite a réagi comme au Venezuela,
manifestant violemment et appelant les
militaires à rejeter la décision des
électeurs.
L’Amérique Latine est aujourd’hui assez
forte et solidaire pour faire échec
à ces putschismes médiatiques et pour
défendre son droit à élire qui elle veut
quand elle veut (4). En revanche
la régression journalistique et la
sédimentation en vérité de quinze ans de
désinformation ont de quoi rendre
inquiet sur l’avenir de la démocratie
occidentale.
Thierry
Deronne, Caracas, 16 mars 2014.
Un peu
d’Histoire…
Avant la
révolution bolivarienne, sous la “4ème
république”
social-démocrate-social-chrétienne, le
Venezuela passait pour une charmante
démocratie bleu caraïbe
exportatrice de voluptueuses Miss
Univers et de pétrole bon marché. Ce
n‘est que depuis peu que la justice
vénézuélienne s’efforce, comme au Chili
ou en Argentine, de retrouver les corps
de centaines d’étudiants et de militants
torturés, assassinés, disparus. C’est
cette mémoire que font revivre deux
témoins directs, Elias Jaua,
ex-dirigeant de mouvement étudiant et
actuel chancelier, et l’écrivain et
journaliste José Roberto Duque :
Les seins de ma mère, par José
Roberto Duque
“Chaque
fois que je veux faire comprendre aux
jeunes gens ce qu’était la terrifiante
« liberté » au temps de ce que l’on
appelle la 4ème
République, je leur raconte comment se
passait le recrutement. Le recrutement,
cette sorte de kidnapping qu’un certain
« tyran militaire » du nom de Chavez a
supprimé et interdit pour toujours, dans
ce qui fut sa première action au
gouvernement, en 1999.
Une fois par an, pendant une
période, je ne me souviens plus de quels
mois il s’agissait, les jeunes gens de
18 à 28 ans, nous devions marcher dans
la rue en regardant partout, inquiets,
redoutant l’apparition d’un agent de
police, garde national ou soldat dont la
mission était de nous kidnapper et de
nous emmener accomplir le service
militaire obligatoire. C’est ainsi que
l’on appelait le fait d’aller perdre un
an et demi de ta vie dans une caserne,
presque toujours à la campagne ou dans
une ville éloignée de l’endroit où tu
habitais.
Pour les plus
âgés et pour ceux qui avaient déjà fait
leur service, cette chose était plutôt
une fête. Voir un jeune se mettre à
courir, vert de peur, ou tenter de se
cacher, cela les faisait se tordre de
rire et il y avait des salauds qui,
lorsque les kidnappeurs en uniforme
apparaissaient, s’amusaient à dénoncer
les jeunes gens qui se cachaient dans
les commerces. Ils en ont pris plus d’un
de cette façon, derrière le comptoir
d’une cordonnerie, après qu’un
sympathique crétin ait informé le flic
qu’il y en avait un qui se cachait là.
On payait ces fonctionnaires 15 bolivars
par jeune capturé.
Après avoir
souvent échappé à l’autorité, un jour,
je me suis fait avoir dans un minibus.
Aussi simple que cela : des hommes en
uniforme sont montés à l’angle de
Carmelitas et, à tous les hommes, ils
nous ont demandé nos papiers. J’ai
montré les miens et c’est tout ; ils
m’ont demandé de monter dans le panier à
salades de la Police Militaire pleins de
gamins de mon âge, et en plus j’ai dû
payer mon parcours à ce fils de pute du
minibus.
En arrivant
au fort Tiuna, une file de soldats nous
a reçus avec des sifflets et des
insultes. Comme le métro venait juste
d’être inauguré, à chaque instant les
gens inventaient des plaisanteries avec
les noms des stations ; quelques-uns
criaient en imitant la voix des
locuteurs qui parlaient dans les
haut-parleurs. Station Lapin blanc.
Tout le monde descend !(Lapin blanc,
c’est ainsi que l’on appelait dans le
temps le secteur où est construit le
fort Tiuna). Les grandes angoisses de
ceux qui, comme moi, ne voulaient pas
faire ce maudit service, étaient
indescriptibles, mais il faut en
mentionner une : à cette époque, les
téléphones portables n’existaient pas ;
on n’arrêtait pas de penser à notre
famille, à comment communiquer avec elle
ou à comment lui demander de l’aide. Un
kidnapping est un kidnapping, camarade.
Après un
après-midi et une soirée d’insultes, de
provocation et avec le ventre vide (on
ne nous donna rien à manger), nous
sommes allés dormir dans un hangar
pleins de couchettes. A 4H du matin un
groupe de soldats est entré pour faire
du tintamarre avec des casseroles et des
gamelles et nous crier : « Debout, les
conscrits ! Le nouveau est nouveau et
son nom c’est de la merde ! ». Et ils
entonnaient la sonnerie du clairon
(celle-là même qui, par la suite, est
devenue de mise les jours d’élection)
l’accompagnant en rythme avec ces
foutues paroles :
« Debout,
recrue/ il fait déjà jour/ Pourquoi
n’es-tu pas venu/ quand moi je suis
venu ?/ Fais-moi bien ce lit/ lave-moi
les gamelles/ Nettoie toute cette merde/
lave les sous-vêtements… »
La
description de cette journée est longue,
tout comme fut longue la queue de cinq
heures que nous dû faire pour entrer
dans une pièce et parler avec un sergent
ou un machin du même genre ; on nous
donnait notre dernière chance pour
montrer que nous n’étions pas bons pour
le service. Celui qui convainquait ce
type recevait un permis qui le laissait
sauf de ce kidnapping d’un an et demi et
il sortait libre ; celui qui ne la
faisait pas, passait dans une pièce
annexe pour qu’on lui tonde la boule à
zéro et, on lui donnait son uniforme de
simple soldat, prêt à être brimé par les
anciens. Moi, j’avais deux prétextes
légaux : j’étais étudiant et en plus
j’étais le seul soutien de la famille.
Le fait
d’être étudiant, je l’ai justifié en
montrant ma carte d’étudiant. Quand j’ai
dit au type que j’étais soutien de
famille, il m’a regardé avec un petit
rire narquois et m’a dit ; « Bon, eh
bien, ils vont tomber les seins de ta
maman , car toi, tu ne sors pas d’ici ».
Simple
terreur psychologique. Ce jour-là, je
suis sorti avec mon permis flambant
neuf : « Exempté, pour le moment ».
Le Venezuela
sans “peinilla”, par Elías Jaua
La «Peinilla»,
sorte de sabre pour réprimer les
manifestants, est tout un symbole de la
façon dont la bourgeoisie née du
rentisme pétrolier, ses régimes
dictatoriaux et ses partis de démocratie
représentative ont gouverné le Venezuela
pendant un siècle. Le système de
domination et d’exclusion se maintint
grâce à une répression systématique du
peuple lorsqu’il exigeait le respect de
ses droits les plus élémentaires.
« Donnez-leur leur peinilla »
disaient les présidents, ministres,
gouverneurs, chefs d’entreprise et
grands propriétaires terriens lorsque
les étudiants, les ouvriers, les
paysans, les maîtres d’école et le
peuple en général occupaient les rues
pour protester contre la faim, la
misère, l’exclusion. Mais la peinilla n’était
que l’instrument visible d’un système de
répression basé sur la torture, les
disparitions forcées, les
emprisonnements illégaux et exécutions
qui suivaient le principe « tirez
d’abord et vérifiez ensuite ».
Ces
réflexions sur la « peinilla »,
je les fais à propos car le 21 novembre
2013 on a commémoré le Jour de
l’Étudiant, nous avons vu cette belle et
triomphante jeunesse estudiantine entrer
au palais présidentiel de Miraflores,
sans un coup de feu, sans recevoir un
tir, pour une rencontre avec le
président Nicolas Maduro. A plusieurs
reprises, dans les 14 dernières années,
nous avons vu cette scène se répéter
avec notre commandant Chavez. Sans
doute, le Venezuela a-t-il changé pour
toujours.
Tous les 21
novembre, nous nous souvenons de nos
martyrs et nous renouvelons l’engagement
de « Lutter jusqu’à la victoire ». Cette
année, j’ai pensé à un épisode que m’a
raconté le cinéaste Angel Palacios, il y
a deux ans , lorsque l’on a commémoré
les vingt ans du massacre de Macarao.
Événement où deux jeunes étudiants et un
soldat, qui était intervenu pour les
défendre, furent assassinés par la
sinistre police Métropolitaine,
désormais disparue grâce à la Révolution
et à Chavez.
Angel Palacios était en train de
faire un documentaire sur ces événements
survenus en 1991, durant le gouvernement
du « démocrate » Carlos Angel Perez, et
il m’a demandé de lui trouver des “peinillas” .
Dans un dépôt de Cotiza, nous avons
trouvé des centaines de ces peinillas,
des uniformes et autres instruments de
répression de la PM. Angel a proposé aux
étudiants du Lycée de Caricuao, où avait
étudié Darwin Capote, l’un des camarades
assassinés, de recréer ce triste
événement, pour lequel, quelques jeunes
devaient jouer le rôle des étudiants
réprimés et d’autres celui des policiers
répresseurs. Nous avons eu une agréable
surprise, lorsque les étudiants ont
demandé à Palacios comment on utilisait
une peinilla car il n’en n’avait
jamais vue. Evidemment ! il s’agissait
de jeunes de 14 et 15 ans qui avaient
grandi avec la Révolution.
La
peinilla, a été interdite dès le
premier jour du gouvernement du
président Chavez en 1999, et par la
suite dans le texte de notre
Constitution Bolivarienne. Une
génération de jeunes gens ne connaît pas
cet instrument avec lequel on a
tellement humilié le peuple vénézuélien,
avec lequel tant de jeunes ont été
mutilés et quelques-uns assassinés,
lorsque certains répresseurs décidaient
de l’utiliser comme une machette.
Quelqu’un me
disait que l’on devrait faire un musée
de ces instruments de répression et les
montrer dans tous les lycées et les
universités, accompagnés des documents
qui montrent comment on les a utilisés
durant un siècle contre un peuple
désarmé. C’est une bonne idée. J’éprouve
un profond sentiment d’orgueil
d’appartenir à l’héritage des luttes
étudiantes de notre Patrie. Etudier
et Lutter reste la consigne.
Elias Jaua
Source :
http://www.mre.gov.ve/index.php?option=com_content&view=article&id=32244:venezuela-sin-peinilla&catid=2:actualidad&Itemid=325
Traduction
de l’espagnol : Sylvie Carrasco
Notes :
https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/02/les-militants-venezueliens-dong-independantes-des-droits-humains-repondent-aux-medias-internationaux/
https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/20/strategie-de-la-tension-au-venezuela-par-maurice-lemoine/
http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/15/fauxccupy-sous-les-masques-de-guy-fawkes-de-lopposition-venezuelienne/
http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/09/18/lunite-latino-americaine-pour-defendre-le-vote-des-venezueliens-relegue-au-passe-la-desinformation-et-la-vigilance-de-leurope-et-des-etats-unis/
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