LE CRI DES PEUPLES
Covid-1948 : les Palestiniens
commémorent
le 72e anniversaire de la Nakba
Fareed Taamallah
Samedi 16 mai 2020
Récoltes
abandonnées de 1948 : les agriculteurs
palestiniens se souviennent de la
Nakba
Par Fareed
Taamallah, dans le camp de réfugiés
d’al-Amaari, en Cisjordanie occupée
En 1948, alors
que les Palestiniens faisaient face à ce
qui serait connu comme la Nakba ou «
catastrophe », les agriculteurs ont subi
la destruction, la perte, l’exil et la
mort.
Source :
Middle East Eye, le 14 mai 2020
Traduction :
lecridespeuples.fr
Khadija al-Azza,
photographiée ici en 2019, a été forcée
de fuir le village de Tell al-Safi en
1948.
La Palestinienne de 88 ans vit
depuis des décennies dans le camp de
réfugiés d’al-Amaari
en Cisjordanie
occupée.
La vie n’était pas
facile pour les agriculteurs
palestiniens sous Mandat britannique.
Mais en 1948, leur existence a été
bouleversée.
Pendant plus de
trois décennies, entre 1917 et 1948, la
Grande-Bretagne a régné sur la
Palestine. Alors que la correspondance
McMahon-Hussein pendant la Première
Guerre mondiale promettait
officiellement l’indépendance arabe dans
toute la région, y compris pour la
Palestine, le gouvernement britannique a
promis, dans la déclaration Balfour de
1917 adressée à Lord Rotschild,
d’établir un foyer national pour le
peuple juif en Palestine.
Tout au long du
Mandat, les Britanniques ont été
confrontés à la fois à la résistance des
Palestiniens et à celle des milices
sionistes, ces dernières ayant rejeté
les politiques du Mandat visant à
ralentir l’afflux d’immigrants juifs, et
devenant progressivement plus agressives
en cherchant à créer leur propre État.
Les groupes sionistes n’ont pas reculé
devant les assassinats (le
médiateur de l’ONU Folke Bernadotte,
etc.) et le terrorisme (attentat
de l’hôtel King David, etc.).
Le 15 mai 1948, la
Grande-Bretagne a retiré ses forces de
Palestine et les dirigeants sionistes
ont déclaré la création d’un État
d’Israël, accélérant le processus en
cours de nettoyage ethnique des
Palestiniens.
Les Palestiniens
ont été surpris par la décision
britannique. Après 30 ans de répression
britannique brutale, ils se sont
retrouvés sans leadership unifié, non
organisés et largement désarmés face aux
groupes paramilitaires sionistes
cherchant à établir le contrôle.
L’assassinat
subséquent de quelque 15 000
Palestiniens, la destruction d’au moins
530 villages et villes et le déplacement
forcé d’environ 750 000 Palestiniens de
leurs maisons ouvriraient la voie à
Israël pour revendiquer de vastes
étendues de terre.
Voir
Massacres, viols, pillages et
destruction de villages entiers :
comment Israël dissimule les preuves du
nettoyage ethnique des Palestiniens en
1948
Alors que les
Israéliens commémorent le jour de
l’indépendance le 15 mai, pour les
Palestiniens, les événements de 1948 et
au-delà sont connus sous le nom de
Nakba, ou « catastrophe ».
Les survivants qui
ont parlé à Middle East Eye se sont
souvenus de leur fuite face aux
massacres et aux destructions et de la
transition difficile vers des vies
déracinées en tant que réfugiés.
Récoltes
abandonnées
Pour les trois
quarts des Palestiniens vivant à
l’époque dans les zones rurales en
particulier, la Nakba a
bouleversé la vie telle qu’ils la
connaissaient.
La retraite
britannique et le nettoyage ethnique des
Palestiniens qui a suivi ont coïncidé
avec la saison des récoltes, dont la
perte pour les agriculteurs aurait été
une calamité en soi.
Khadija al-Azza, 88
ans, se souvient du moment où les
milices sionistes ont attaqué son
village, Tell al-Safi.
« C’était au milieu
de l’été, et les agriculteurs avaient
déjà entassé le blé sur l’aire de
battage lorsque des gangs armés juifs
ont attaqué le village, tuant de
nombreux agriculteurs », a-t-elle
déclaré. « Des villageois terrifiés ont
fui et ont laissé les tas de blé non
battu. Nous pensions que nous
reviendrions pour le battre. »
Saeed Dandan, 87
ans, partage des souvenirs similaires du
moment où son village, Tiret Dandan, a
été occupé.
Saeed Dandan, a
fui son village Tiret Dandan en 1948. Il
a évoqué ses souvenirs de la Nakba
en
2019 dans le camp de réfugiés de Balata.
« C’était le
troisième jour du Ramadan lorsque des
miliciens juifs ont attaqué notre
village », a-t-il déclaré. « Les
villageois étaient sur le point de
récolter leur maïs mais ont été forcés
de fuir. Nous avons laissé nos moutons
derrière nous et ne les avons jamais
récupérés. »
De nombreux
agriculteurs déplacés ont tenté de se
faufiler dans leurs villages pour
récupérer les récoltes, le bétail ou les
biens qu’ils pouvaient emporter de leurs
maisons abandonnées. Mais cela revenait
à courir le risque de se faire tuer par
les milices sionistes. Certains
agriculteurs ont réussi. D’autres ont
trouvé leurs villages détruits. D’autres
ont encore été abattus.
Zakia Hamad, 91
ans, faisait partie de ceux qui ont fui
le village de Saris, à l’ouest de
Jérusalem, pour Beit Susin à proximité.
« Les villageois se
sont infiltrés à Saris la nuit pour
récolter leurs récoltes », se
rappelle-t-elle. « Ils les récoltaient
la nuit et retournaient à Beit Susin
pour dormir pendant la journée. Ils ont
vanné et pilé les grains avec leurs
mains à l’intérieur de leurs maisons
parce que si les Juifs les voyaient, ils
les tueraient. »
Mustafa Abu Awad,
83 ans, était enfant lorsque son village
de Sabbarin près de Haïfa a été attaqué
par des milices le 12 mai 1948.
« Après 10 jours,
j’ai essayé de rentrer avec mon frère
aîné et je suis arrivé au village voisin
d’Umm al-Shouf », se souvient-il. « Nous
avons trouvé notre village entouré de
gangs (sionistes) et avons vu 13 de mes
compagnons villageois morts. Nous ne
pouvions pas entrer dans le village,
donc nous avons fait demi-tour. Nous
pensions que c’était une question de
jours avant que les armées arabes ne
reprennent notre village et que nous
puissions rentrer chez nous. »
Un combat inégal
Livrés à eux-mêmes,
les Palestiniens ont mis en place des
comités de défense locaux dans chaque
village, équipés uniquement de vieux
fusils portés par des agriculteurs sans
aucune formation militaire. Les
agriculteurs ont vendu leurs récoltes et
les femmes se sont séparées de leurs
bijoux afin d’acheter des armes pour se
protéger.
Mais pour la
plupart, leurs efforts étaient vains
face à des milices sionistes
paramilitaires bien équipées et
cherchant à les expulser. La nouvelle du
massacre de Deir Yassin, au cours duquel
plus de 100 villageois ont été tués le 9
avril, s’est rapidement répandue parmi
les Palestiniens, semant la peur et
jouant un rôle décisif pour convaincre
de nombreuses personnes de fuir avant de
subir le même sort.
« Les villageois
ont entendu parler du massacre dans le
village voisin de Deir Yassin et
craignaient le meurtre et le viol des
femmes », se souvient Shaker Odeh, 87
ans, du village d’al-Maliha. « Mon père
a demandé à mes sœurs et à ma mère de
quitter le village et puisque j’étais un
enfant, je les ai suivis à Beit Jala.
Cette même nuit, mon père nous a
rejoints après que al-Maliha ait été
occupée par les sionistes. »
Voir
A Jaffa, découverte de fosses
communes contenant les ossements de
centaines de Palestiniens massacrés en
1948
Odeh a ainsi
raconté la capture de Maliha : « Lorsque
les sionistes ont attaqué Maliha, il y
avait très peu de combattants
(palestiniens), armés uniquement de
vieux fusils égyptiens. Chaque
combattant n’avait que cinq balles, dont
certaines n’étaient pas adaptées à
l’usage, en plus d’être extrêmement
chères (une demi-livre de Palestine
chacune). Ils ont essayé de défendre le
village, mais ils n’ont pas pu tenir le
terrain. »
La décision de
quitter leur domicile a été extrêmement
difficile ; c’était une décision que les
familles ne prenaient que parce qu’elles
estimaient qu’il n’y avait pas d’autres
options.
Mais de nombreux
Palestiniens pensaient que la situation
serait temporaire, et durerait seulement
quelques jours. En conséquence, la
plupart ont fui vers des endroits
proches de leurs villages, emportant peu
de biens et de vivres.
Shukria Othman, 86
ans, a déclaré que son père avait été
abattu près du domicile familial lors de
l’attaque du village de Lifta.
« Mon frère aîné a
décidé que nous devions partir
immédiatement, comme la plupart des
autres villageois », a-t-elle déclaré. «
Mais l’un des agriculteurs, Abu Rayya,
n’est pas parti car il voulait rester
dans sa ferme où il avait planté du
gombo et des haricots. Puis les gangs
(sionistes) sont venus et l’ont
massacré. »
« Nous sommes
partis précipitamment, ne prenant que
deux matelas et deux couvertures »,
raconte-t-elle avec tristesse. « Nous
avons laissé nos pots d’huile d’olive et
nos poulets. Tous nos biens et
fournitures ont été abandonnés car nous
pensions que nous reviendrions dans
quelques jours ».
La route de
l’exil
Comme beaucoup
d’autres, le voyage d’Azza en exil après
l’attaque de Tell al-Safi le 9 juillet
1948 a été extrêmement difficile et a
entraîné des déplacements répétés.
Des Palestiniens
fuient le village de Qumiya pendant la
Nakba en 1948.
« Nous sommes
partis à pied, sans rien emporter. Après
avoir marché un jour et une nuit, nous
sommes arrivés au village d’Ajjur, où
les agriculteurs nous ont gentiment
reçus chez eux », a-t-elle expliqué. «
Nous y avons passé trois jours, puis les
gangs sionistes ont attaqué Ajjur et
nous avons fui vers l’est. Nous avons
marché pendant deux jours sans eau
jusqu’à ce que nous atteignions Beit
Jibrin. »
Ils sont restés à
Beit Jibrin pendant quelques mois,
jusqu’à ce que ce village soit également
attaqué par des milices sionistes en
octobre 1948.
Là-bas, les
Palestiniens et leurs alliés arabes ont
résisté pendant plusieurs jours.
« Les milices
sionistes ont bombardé la ville avec de
l’artillerie et des avions de guerre,
forçant les gens à fuir vers des grottes
dans les collines. Ils sont entrés dans
la ville par l’ouest et nous avons fui
par l’est. Nous avons marché cinq jours
et cinq nuits jusqu’à notre arrivée à
Hébron », ajoute Azza.
Maryam Abu Latifa,
91 ans, se souvient d’une fuite tout
aussi pénible du village de Saraa, à
l’ouest de Jérusalem, en juillet 1948.
Les villageois ont essayé de défendre
leurs maisons, mais n’ont pas pu ; alors
ils se sont échappés au milieu de la
nuit vers les collines voisines.
« J’ai verrouillé
la porte de ma maison et je suis partie
affolée, mais je me suis alors souvenue
que j’avais laissé mon bébé de six mois,
Yassin », a-t-elle expliqué. « Je suis
donc retourné à la maison pour le
chercher et j’ai couru vers les collines
dans l’obscurité. »
Les habitants de
Saraa se sont abrités sous des arbres
pendant des jours, dans l’espoir de
rentrer chez eux. Mais après deux
semaines, des groupes paramilitaires
israéliens sont arrivés avec des
bulldozers et ont rasé le village sous
leurs yeux, a déclaré Abu Latifa. Les
villageois ont perdu tout espoir de
retour et sont partis à pied pour Beit
Nattif, un village qui finirait
également par être transformé en
décombres quelques mois plus tard.
Désir ardent de
retour
Après avoir fui
d’un village à un autre, les
agriculteurs déplacés se sont retrouvés
dans des camps de réfugiés, où leurs
connaissances et leur expérience
agricoles n’étaient plus utiles.
Pour gagner leur
vie, la plupart ont dû se lancer dans de
nouveaux métiers.
« Après la Nakba,
certains agriculteurs réfugiés du camp
de Qalandiya ont travaillé comme
ouvriers du bâtiment dans les zones
voisines », a déclaré Hamad. « D’autres
ont travaillé comme gardes à l’aéroport
de Qalandiya, d’autres comme guides
touristiques. »
Alors que les
réfugiés palestiniens sont nés, ont vécu
et sont morts pendant plus de 70 ans
dans des camps de réfugiés en béton, ils
ont lentement perdu une grande partie
des connaissances agricoles qui avaient
été transmises de génération en
génération.
La Nakba a
entraîné non seulement le déplacement
physique des agriculteurs, mais aussi la
perte d’une partie de leur identité et
de leurs liens avec la terre.
Alors que 2020
marque 72 ans depuis le début de la
Nakba, les survivants aspirent
toujours à rentrer chez eux et à
cultiver leurs champs.
Azza, qui vit
maintenant dans le camp de réfugiés
d’al-Amaari près de Ramallah en
Cisjordanie occupée, déplore toujours le
tas de blé qui n’a pas été battu.
« Je souhaite que
le moment vienne où je pourrai rentrer
et mourir dans mon village natal »,
a-t-elle déclaré.
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