Alahed
Une enquête du NYT: Le wahhabisme
saoudien a propagé l’extrémisme et
provoqué le terrorisme
Samer R. Zoughaib

Lundi 29 août 2016
Dans une longue enquête publiée dans le
New York Times (NYT), vendredi 25 août,
le journaliste Scott Shaneaug met à nu
le rôle de l’Arabie saoudite dans la
propagation d’une version rigide de
l’islam, qui est à l’origine de la vague
terroriste actuelle qui secoue le monde,
et de l’idéologie extrémiste qui s’est
développée dans de nombreux pays.
Selon le journaliste du
NYT, les deux candidats à la Maison
Blanche, Hillary Clinton et le
républicain Donald Trump, ne sont pas
d'accord sur beaucoup de choses, mais
l'Arabie saoudite fait exception. La
candidate démocrate a déploré le soutien
de royaume wahhabite à «des écoles et
des mosquées radicales à travers le
monde, qui ont mis trop de jeunes sur la
voie de l'extrémisme». M. Trump, lui, a
qualifié les Saoudiens de «grands
bailleurs de fonds du terrorisme dans le
monde».
Farah Pandith, la première
émissaire américaine auprès des
communautés musulmanes dans le monde, a
visité 80 pays, poursuit Scott Shaneaug.
Elle a conclu que l'influence
saoudienne est en train de détruire les
traditions islamiques de tolérance. «Si
les Saoudiens ne cessent pas ce qu'ils
font, il devrait y avoir des
conséquences diplomatiques, culturelles
et économiques», a écrit la diplomate
l’année dernière.
Selon le journaliste, pas
une semaine ne passe sans qu’une
émission de télévision ou une chronique
dans un journal n’accusent l'Arabie
saoudite de la violence «jihadiste». Sur
HBO, Bill Maher a qualifié de
«moyenâgeux» les enseignements
saoudiens, alors que Fareed Zakaria a
écrit dans le Washington Post, que les
Saoudiens ont «créé un monstre dans le
monde de l'Islam.»
«C'est désormais une idée
commune, poursuit l’article du New York
Times. L’exportation par l'Arabie
saoudite d’une interprétation rigide,
rigoriste, patriarcale, et
fondamentaliste de l'Islam, appelée le
wahhabisme, a alimenté l'extrémisme sur
le plan mondial et contribué au
développement du terrorisme… Le monde
d'aujourd'hui est-il devenu un endroit
plus divisé, dangereux et violent en
raison de l'effet cumulatif de cinq
décennies de prosélytisme, financé par
le pétrole du centre historique du monde
musulman?»
Citant William McCants, un
chercheur du Brookings Institution,
Scott Shaneaug souligne que «dans le
domaine de l'Islam extrémiste, les
Saoudiens sont à la fois les pyromanes
et les pompiers. Ils favorisent une
forme très toxique de l'Islam, qui
dessine des lignes nettes entre un petit
nombre de vrais croyants et tout le
monde, musulmans et non-musulmans. Cela
fournit un terreau idéologique aux
jihadistes violents. Pourtant, dans le
même temps, ils sont nos partenaires
dans la lutte antiterroriste», poursuit
M. McCants.
L’argent saoudien coule à flot
Interrogé par Shaneaug,
Thomas Hegghammer, un expert du
terrorisme norvégien, qui a conseillé le
gouvernement des États-Unis, a déclaré
que le prosélytisme saoudien a ralenti
l'évolution de l'Islam, bloquant son
accommodation avec un monde diversifié
et mondialisé. «S'il devait y avoir une
réforme islamique au 20ème siècle, les
Saoudiens l’ont probablement empêché»,
dit-il.
L’argent saoudien a touché
presque tous les pays ayant une
population musulmane, de la mosquée de
Göteborg en Suède à celle du roi Fayçal
au Tchad, en passant par la mosquée du
roi Fahad, à Los Angeles, à celle de
Séoul, en Corée du Sud. Le soutien est
venu du gouvernement saoudien, de la
famille royale, d’organismes de
bienfaisance saoudiens et
d’organisations, y compris la Ligue
musulmane mondiale, l'Assemblée mondiale
de la jeunesse musulmane et
l'Organisation internationale islamique
de secours. Ils ont fourni le matériel
pour les impressionnants édifices et les
programmes de prédication et
d'enseignement.
Scott Shaneaug fait état
«d’un large consensus» sur le fait que
la propagande idéologique saoudienne a
perturbé les traditions islamiques
locales dans des dizaines de pays. Le
royaume a dépensé, en un demi-siècle,
des dizaines de milliards de dollars
pour diffuser ses idées extrémistes.
«Dans certaines régions
d'Afrique et d'Asie du Sud-Est, par
exemple, écrit le New York Times, les
enseignements saoudiens ont changé la
culture religieuse, l’orientant vers une
tradition nettement plus conservatrice.
Parmi les communautés de migrants
musulmans en Europe, l'influence
saoudienne semble être un des facteurs
conduisant à la radicalisation. Dans les
pays divisés comme le Pakistan et le
Nigeria, le flot de l'argent saoudien et
l'idéologie qu'il promeut ont exacerbé
mortellement les dissensions
religieuses».
Et le journaliste Scott
Shaneaug de poursuivre: «Dans de
nombreux pays, la version saoudienne de
l'Islam sunnite encourageant
l’exclusion, qui dénigre les juifs, les
chrétiens, ainsi que les chiites, les
soufis et des musulmans d'autres
traditions, peut avoir rendu certaines
personnes vulnérables face à l’attrait
exercé par Al-Qaïda, l'État islamique et
d'autres groupes jihadistes violents.»
«L'Arabie saoudite a
produit non seulement Oussama ben Laden,
mais aussi 15 des 19 pirates de l'air du
11 septembre 2001; a envoyé plus de
kamikazes que tout autre pays en Irak
après l'invasion de 2003; et a fourni
plus de combattants étrangers à l'Etat
islamique -2500- que tout autre pays, à
l’exception de la Tunisie», écrit le
journaliste américain.
Mehmet Gormez, un important
ouléma turc, a déclaré au New York
Times, alors qu'il était en réunion avec
les religieux saoudiens à Riyad en
janvier 2016, 47 personnes ont été
exécutées en une seule journée pour des
accusations de terrorisme, dont 45
citoyens saoudiens. Il a dit à ses
interlocuteurs: «Ces gens ont étudié
l'Islam pendant 10 ou 15 ans dans votre
pays. Y’a-t-il un problème dans le
système éducatif?». M. Gormez a fait
valoir que l'enseignement wahhabite sape
le pluralisme, la tolérance et
l'ouverture à la science et
l'apprentissage, qui ont longtemps
caractérisé l'Islam. «Malheureusement,
les changements ont eu lieu dans la
quasi-totalité du monde musulman»,
a-t-il déploré.
«Daech»
adopte les manuels saoudiens
Dans ce qui a constitué un
grand embarras pour les autorités
saoudiennes, l’organisation terroriste
«État islamique» a adopté les manuels
officiels saoudiens pour ses écoles. Sur
les 12 ouvrages d’oulémas musulmans
réédités par «l'État islamique», sept
sont de Mohammad Ibn Abdel Wahhab, le
fondateur, au 18ème siècle, de l'école
saoudienne de l'Islam, a déclaré Jacob
Olidort, chercheur à l'Institut de
Washington pour la politique au
Proche-Orient. Un ancien imam de la
Grande mosquée de La Mecque, cheikh Adil
al-Kalbani, a regretté dans une
interview télévisée, en janvier 2016,
que les chefs de Daech «tirent leurs
idées de ce qui est écrit dans nos
propres livres, nos propres principes».
Et Scott Shaneaug
d’ajouter: «De petits détails des
pratiques saoudiennes peuvent causer de
gros problèmes. Pendant au moins deux
décennies, le royaume a distribué une
traduction anglaise du Coran, où des
références aux juifs et aux chrétiens,
mises, entre parenthèses, ont été
ajoutées dans la première Sourate: «Ceux
qui ont encouru Ta colère (comme les
Juifs), ceux qui se sont égarés (comme
les chrétiens)». Sayyed Hossein Nasr,
professeur d'études islamiques à
l'Université George Washington et
rédacteur en chef de la Nouvelle étude
du Coran, une version anglaise annotée,
a déclaré que les rajouts saoudiens sont
«une complète hérésie, sans fondement
dans la tradition islamique».
De nombreux responsables
américains, qui ont travaillé dans la
lutte contre l'extrémisme et le
terrorisme, se sont forgés une sombre
opinion de l'influence de l’Arabie
saoudite, -même si, compte tenu de la
sensibilité de la relation, ils sont
souvent réticents à en discuter
publiquement.
La dépendance des
États-Unis à l'égard de l’Arabie
saoudite dans la coopération
antiterroriste -par exemple, les
informations saoudiennes qui ont déjoué
un complot d’«al-Qaïda» pour faire
exploser deux avions américains en 2010-
a souvent pris le pas sur les
préoccupations concernant la propagation
d’une idéologie radicale par le royaume.
Et le généreux financement saoudien de
Centres de recherche dans les
universités américaines, y compris les
institutions les plus élitistes, a
dissuadé la critique et découragé la
recherche sur les effets du prosélytisme
wahhabite, selon M. McCants.
La semence du
sectarisme
Dans un survol de
l’histoire récente de l’Arabie saoudite,
Scott Shaneaug écrit qu’en 1964, lorsque
le roi Fayçal monta sur le trône, il
s’engagea à propager l'Islam dans le
monde. En quatre décennies, l'Arabie
saoudite a construit, dans les pays
n’ayant pas nécessairement une
population majoritairement musulmane,
1359 mosquées, 210 centres islamiques,
202 collèges et 2000 écoles. L'argent
saoudien a aidé à financer 16 mosquées
aux Etats-Unis, quatre au Canada et
d'autres à Londres, Madrid, Bruxelles et
Genève, selon un rapport publié dans un
hebdomadaire officiel saoudien, Aïn al-Yaqeen.
Ce rouleau compresseur
idéologique a atterri dans divers
endroits où les musulmans de différentes
sectes avaient passé des siècles à
apprendre à s’accepter les uns les
autres. Sayyed Shah, un journaliste
pakistanais préparant un doctorat aux
Etats-Unis, a décrit l'effet dévastateur
sur sa ville, non loin de la frontière
afghane, de l'arrivée il y a quelques
années d'un jeune prédicateur
pakistanais formé dans un séminaire
financé par l’Arabie. Les habitants du
village ont longtemps pratiqué un
mélange de croyances musulmanes, a-t-il
dit. «Nous étions sunnites, mais notre
culture, nos traditions étaient un
mélange de chiites et Barelvi et
Deobandi», a déclaré M. Shah. Le nouveau
prédicateur, dit-il, a dénoncé le
Barelvi et les croyances chiites comme
fausse et hérétique, divisant la
communauté. En 2010, «tout avait
changé.» Les femmes, qui utilisaient des
châles pour couvrir leurs cheveux et
leur visage, ont commencé à porter le
burqa intégral. Les militants ont
commencé à attaquer les kiosques où les
marchands vendent des CD de musique
profane. Par deux fois, les terroristes
ont utilisé des explosifs pour essayer
de détruire le célèbre sanctuaire du
village. M. Shah déplore que les
familles soient désormais divisées.
Selon lui, une génération entière a été
«endoctrinée» avec des croyances rigides
et impitoyables.
Source :
French.alahednews
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