Alahed
Le virage turc en Syrie: progressif mais
irrévocable
Samer R. Zoughaib

Jeudi 25 août 2016
Après avoir réclamé pendant cinq ans le
départ du président Bachar al-Assad, les
dirigeants turcs changent de ton. Le
Premier ministre Binali Yildirim a
déclaré que le chef de l’Etat syrien
peut jouer un rôle efficace dans la
transition. Ankara est en train d’opérer
un virage de 180 degrés dans sa
politique syrienne. Voilà pourquoi !
Le rôle de la Turquie dans
l’exacerbation de la terrible guerre qui
ravage la Syrie depuis près de cinq ans
n’est plus à prouver. C’est par ce pays
qu’ont transité des dizaines de milliers
de terroristes venant d’une centaine de
pays pour aller semer la mort et la
désolation chez son voisin. C’est aussi
en Turquie que sont entrainés et armés
les extrémistes, avant d’être envoyés en
Syrie. C’est sur le territoire turc que
sont basés les états-majors
multinationaux qui concoctent les plans
et donnent des instructions aux groupes
terroristes pour lancer de vastes
opérations militaires contre les villes
et les villages du nord de la Syrie.
Depuis cinq ans, la Turquie n’avait de
cesse de réclamer le départ du président
Bachar al-Assad, et jouait un rôle
diplomatique et politique de premier
plan pour tenter d’isoler ce pays et de
l’étouffer économiquement.
Fin juin, un changement de
ton est apparu dans le discours des
dirigeants turcs, laissant croire à un
début de changement d’attitude. Mais le
14 juillet, à la veille du coup d’Etat
manqué contre le président Recep Tayyeb
Erdogan, son Premier ministre, Binali
Yildirim, mettait un terme à la
confusion en déclarant qu’«il ne peut y
avoir de solution politique au conflit
chez le voisin syrien et à la menace
jihadiste émanant de cette crise tant
que le président Bachar al-Assad restera
au pouvoir».
Yildirim dit la chose et son contraire
Ce même Yildirim a
cependant déclaré, samedi 20 août, que
le président syrien est «l'un des
acteurs aujourd'hui qu'il faut prendre
en considération». «Il est possible de
parler avec Assad pour évoquer la
transition en Syrie», a-t-il dit,
ajoutant qu’«en ce qui concerne la
Turquie cela est hors de question».
Depuis le putsch raté, la
Turquie a opéré un virage incontestable
sur le dossier syrien, que les formules
alambiquées ne peuvent pas cacher.
Aujourd’hui, Ankara a quitté le carré
des «anti-Assad» viscéraux et primaires,
pour se rejoindre une position de
«neutralité négative» à l’égard de
l’Etat syrien. Mais l’évolution est
appelée à se poursuivre et dans quelques
semaines, il ne sera pas étonnant
d’apprendre qu’un dirigeant turc s’est
officiellement rendu en Syrie. Les
contacts informels ont d’ailleurs déjà
commencé. Le quotidien libanais As-Safir
a révélé qu’un adjoint du chef des
services de renseignements nationaux
turcs (MIT), Hakan Fidan, est arrivé
dimanche 22 août à Damas, où il a
rencontré un responsable de haut rang de
la sécurité syrienne. Les deux hommes
auraient débattu, selon le journal, des
«évolutions dans le Nord de la Syrie», à
la veille d’une opération militaire
initiée par la Turquie contre les
terroristes de «Daech», à Jarablus.
Binali Yildirim avait par
ailleurs soutenu les raids aériens menés
par l’aviation syrienne contre les
forces kurdes dans la ville de Hassaké.
Les raisons du revirement
Tous ces indices sont la
preuve d’un retournement de la position
turque, qui va se poursuivre et
s’amplifier. Ils constituent un aveu
d’Ankara de l’échec de ses paris en
Syrie visant à renverser le régime et à
obtenir le départ du président Assad. Ce
début de changement s’explique par les
raisons suivantes
-Le soutien sans limite
fourni par la Turquie aux groupes
terroristes s’est retourné contre elle.
Le pays est victime d’une vague
d’attentats sans précédent, qui ont fait
des centaines de morts et de blessés, le
dernier en date étant l’explosion
provoquée par un kamikaze lors d’une
cérémonie de mariage à Gaziantep,
dimanche 21 août, faisant 50 morts et 73
blessés.
-Le jeu turc en Syrie a
encouragé la résurgence du problème
kurde des deux côtés de la frontière. En
Turquie, le PKK a repris sa guérilla
contre l’armée. En Syrie, les milices
kurdes ont proclamé une région autonome
et ont ouvertement demandé
l’instauration d’un système fédéral.
L’émergence d’une entité kurde autonome
en Syrie constitue un danger d’ordre
existentiel pour la Turquie.
-Les agissements d’Ankara
en Syrie l’ont brouillé avec l’Irak et
l’Iran. De plus, les relations de la
Turquie avec l’Arménie et la Grèce sont
mauvaises. Les calculs erronés des
dirigeants turcs ont par ailleurs
provoqué une grave crise avec la Russie,
qui a eu de graves répercussions sur la
situation économique.
-Le discours sectaire et
communautaire adopté par les dirigeants
turcs a exacerbé les tensions entre les
différentes composantes du peuple turc,
qui compte plus de 15 millions d’Alévis.
-Depuis le coup d’Etat
manqué, les relations entre Ankara et
Washington se sont détériorées après le
refus des Etats-Unis d’extrader Abdullah
Gulen, accusé par Erdogan d’avoir
fomenté le putsch.
-La répression post-coup
d’Etat menée par le régime turc a été
sévèrement condamnée par les pays
européens.
Isolé sur la scène
internationale, Erdogan a saisi la
perche tendue par le président russe
Vladimir Poutine et a décidé de réviser
ses relations avec les pays étrangers,
notamment ses voisins.
Selon des sources bien
informées, le dossier syrien a
longuement été évoqué par les deux
dirigeants lors de leur sommet à Moscou,
les 9 et 10 août derniers. Le président
turc a exprimé à son hôte son intention
de procéder à un virage dans sa
politique syrienne. Il a cependant
précisé que ce retournement ne peut pas
se faire du jour au lendemain mais d’une
manière progressive. Il aurait demandé
six mois pour opérer ce virage. La
Russie a demandé à Erdogan de prouver
ses bonnes intentions en renforçant son
contrôle de la frontière syro-turque.
Avec ce revirement de la
Turquie, seule l’Arabie saoudite, les
pétromonarchies du Golfe et la France
continuent de réclamer le «départ
immédiat» de Bachar al-Assad.
La caravane passe et le
chien aboie.
Source :
French.alahednews
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