Alahed
Après le putsch manqué: Erdogan plus
autoritaire,
la Turquie plus faible
Samer R. Zoughaib

Lundi 18 juillet 2016
La tentative de coup d’Etat avorté en
Turquie aura des répercussions négatives
sur la stabilité politique du pays, sa
cohésion sociale, sa situation
économique et son rôle régional. Le
président Recep Tayyeb Erdogan va
concentrer davantage les pouvoirs entre
ses mains dans une Turquie plus faible
que jamais.
Après la tentative de coup
d’Etat en Turquie, condamnée par tous
les partis politiques représentés au
Parlement, Recep Tayyeb Erdogan avait le
choix entre deux attitudes: le consensus
et l’unité, ou la répression et la
vengeance. Les premiers indices montrent
que le président turc a choisi la
seconde voie. Il semble qu’il veuille
profiter du coup d’Etat avorté pour
régler ses comptes avec ses détracteurs,
éliminer ses opposants et raffermir son
autorité dans le but de réaliser son
objectif premier, qui consiste à
concentrer entre ses mains tous les
pouvoirs. Il n’a d’ailleurs pas caché
ses intentions de procéder à une purge
profonde, en promettant, dimanche,
d'éliminer «le virus» factieux au sein
de l'Etat turc. «Nous allons éliminer le
virus de toutes les institutions
étatiques», a lancé M. Erdogan, qui
s'exprimait lors d'une cérémonie à la
mosquée Al-Fatih d’Istanbul en mémoire
des victimes des soldats rebelles.
Les forces de police, qui sont restées
globalement fidèles à Erdogan pendant le
déroulement du coup d’Etat, avaient
procédé, 36 heures après les événements,
à plus de 6000 arrestations. Des
dizaines de généraux, de juges et de
procureurs ont été arrêtés dimanche lors
de coups de filet dans toute la Turquie
pour leur implication présumée dans le
putsch manqué, qui a fait au moins 265
morts à Ankara et Istanbul.
C’est une véritable purge qui est en
cours au sein de l’armée et de la
Justice, qui se déroule d’une manière
douteuse quant au respect des lois. Des
partisans du prédicateur Fathallah Gulen,
installé aux Etats-Unis et qu’Erdogan
accuse d’être à l’origine du coup
d’Etat, ont également été appréhendés.
Cette rafle, qui se déroule sur tout le
territoire turc, a suscité de vives
inquiétudes dans le monde.
Mandats d’arrêt contre 2745 magistrats
Trente-quatre généraux de
différents grades ont été arrêtés
jusqu'à présent. Il s'agit notamment de
figures emblématiques de l'armée comme
Erdal Ozturk, commandant de la troisième
armée et Adem Huduti, commandant de la
deuxième armée. Tôt dimanche, dans la
ville de Denizli (ouest), le commandant
de la garnison Ozhan Ozbakir été arrêté
avec 51 soldats. Un haut gradé de
l'armée de l'air et d'autres militaires
de haut rang ont été arrêtés pour leur
implication présumée dans le putsch sur
la base d'Incirlik (sud).
Erdogan fait le ménage même dans ses
cercles les plus proches. Son aide de
camp, le colonel Ali Yazici, a été placé
en garde à vue dimanche dans le cadre de
l'enquête.
L'agence officielle Anadolu, proche des
services de renseignements dirigés par
un fidèle d’Erdogan, rapporte que des
mandats d'arrêt ont été délivrés à
l'encontre de 2745 juges et procureurs
dans toute la Turquie.
Autre signe d’une dérive autoritaire, le
président Erdogan a évoqué dimanche un
possible rétablissement de la peine
capitale en Turquie, abolie en 2004 dans
le cadre de la candidature d'adhésion
d'Ankara à l'Union européenne. «Nous
entendons cette demande qui est la
vôtre», a répondu le chef de l'Etat à
des sympathisants qui réclamaient
l'exécution des putschistes. «Je pense
que notre gouvernement va en discuter
avec l'opposition et qu'une décision
sera sans aucun doute prise», a-t-il
ajouté dans un discours à Istanbul.
D’ailleurs, ses partisans n’ont pas
attendu le rétablissement de la peine de
mort, des vidéos sur l’égorgement et la
décapitation de soldats putschistes sur
le pont du Bosphore ont fait le tour du
monde.
Cette purge au sein de l’armée va porter
un coup sérieux à cette institution, qui
est à l’origine de la fondation de la
Turquie moderne. En l’affaiblissant,
Erdogan risque de miner l’un des
fondements de la République, ce qui
risque d’ouvrir une grande plaie dans le
corps de la nation.
De
lourdes conséquences sur l’économie
La tentative de coup d’Etat
militaire risque aussi d’être lourde de
conséquences pour l’économie turque.
L’agence Bloomberg a estimé, dimanche,
que l'instabilité politique pourrait
déboucher sur une véritable catastrophe
pour le pays, qui finance la plupart de
ses transactions au moyen
d'investissements étrangers. Selon les
analystes, le déficit budgétaire turc
pourrait atteindre 4,5%.
«Quelle que soit la stratégie que le
gouvernement turc adoptera en vue de
résoudre les problèmes politiques
accumulés dans le pays, le marché
boursier risque de perdre jusqu'à 20%,
estime Emad Mostaque, analyste des
marchés en voie de développement chez la
société de conseil Ecstrat.
En outre, l'instabilité pourrait
déboucher sur un ralentissement
économique généralisé pour tous les pays
à croissance économique rapide», ajoute
l'expert.
Depuis les événements d’Ankara et
d’Istanbul, la livre turque a déjà
plongé de 4,6%, passant sous le seuil
symbolique de 3,0157 pour un dollar et
battant un nouveau record vieux de huit
ans.
Le président turc pourrait réussir, à
moyen terme, à raffermir son contrôle
sur le pays et même à réaliser son vieux
rêve de modifier la Constitution pour
transformer la Turquie de démocratie
parlementaire en système présidentiel.
Cela ne signifie pour autant que la
Turquie sortira renforcée de ces
événements. C’est plutôt le contraire
qui va se produire, le pays va voir son
influence régionale baisser, car il va
s’enfoncer dans une période
d’instabilité politique et de troubles
sociaux. Erdogan va devoir recentrer
tous ses efforts vers l’intérieur, ce
qui le contraindra de se désengager des
dossiers régionaux, notamment en Syrie,
où son rôle a consisté ces cinq
dernières années à soutenir des groupes
extrémistes dans l’espoir de renverser
le président Bachar al-Assad. Son
attitude n’était pas moins belliciste
vis-à-vis de l’Irak, où il a dépêché un
contingent près de Mossoul, malgré les
protestations répétées de Bagdad.
Erdogan, qui se voyait déjà dans les
habits d’un sultan exerçant son pouvoir
d’Istanbul à Bagdad, en passant par
Damas, n’est plus aujourd’hui que le
président contesté d’un pays affaibli.
Source:
french.alahednews
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