Opinion
Bandar sacrifié sur l’autel
de l’échec saoudien en Syrie
Samer R. Zoughaib
Photo:
D.R.
Jeudi 17 avril 2014
Le chef des services de
renseignements saoudiens, le prince
Bandar Ben Sultan, à qui tous les médias
accolait le qualificatif de «puissant»,
vient d'être relevé de ses fonctions par
le roi. Cette sanction est le résultat
de son échec dans sa mission en Syrie,
qui consistait à renverser le président
Bachar al-Assad.
La décision du roi
d'Arabie saoudite, Abdallah Ben Abdel
Aziz, d'écarter le prince Bandar Ben
Sultan de la tête des services de
renseignements saoudiens, a été
présentée, par les milieux officiels et
officieux du royaume, comme une mesure
ordinaire, qui n'est pas liée à des
considérations politiques ou au
réaménagement des équilibres au sein de
la famille royale.
Le décret annonçant le remplacement de
Bandar indique que le prince a quitté
ses fonctions «à sa demande». Le
chercheur saoudien Anouar Achki,
directeur du «Centre de recherches du
Moyen-Orient pour les études
stratégiques et juridiques», a déclaré,
dans un entretien à la chaine de
télévision panarabe al-Mayadeeen, que le
prince Bandar «souffrait de maux de dos
permanents, ce qui l'empêchait de
travailler dans des conditions
normales».
Cependant, les informations publiées par
des médias arabes et occidentaux sur les
véritables raisons du départ de Bandar
sont corroborées par les indiscrétions
qui filtrent des cercles politiques à
Beyrouth et dans d'autres capitales de
la région: l'ancien chef des SR
saoudiens paye le prix de ses échecs en
Syrie et des nouvelles alliances tissées
au sein de la dynastie des Saoud, en
prévision des arrangements pour assurer
la succession au trône.
Un limogeage maquillé en
«départ»
Bandar Ben Sultan se
trouvait depuis fin décembre hors du
royaume, officiellement pour des raisons
de santé. Il avait été hospitalisé aux
États-Unis, avant de se rendre au Maroc
pour une longue convalescence. Mais des
sources diplomatiques arabes et
européennes ont indiqué que le prince
avait été prié, sur ordre du roi, de
s'éloigner de la scène après la
mini-crise qu'il a provoquée avec les
Etats-Unis, l'été dernier, en raison de
ses critiques publiques contre la
politique d'ouverture de Washington sur
Téhéran ainsi que la décision de Barak
Obama d'annuler l'offensive militaire
contre la Syrie.
Des milieux informés soulignent que
l'annonce du remplacement de Bandar a
été précédée, il y a une dizaine de
jours, d'informations distillées par des
médias proches du prince, sur son retour
à Riyad pour reprendre ses fonctions. Ce
qui signifie qu'il n'avait aucunement
l'intention de prendre une retraite
anticipée, mais au contraire de revenir
aux affaires. Son départ serait donc, en
réalité, un limogeage, pour avoir
désobéi au roi et tenté de le placer
devant le fait accompli, en annonçant
son retour aux affaires.
Son départ marque la fin de l'influence
de la branche des fils de Sultan Ben
Abdel Aziz, ancien prince héritier
aujourd'hui décédé, avec l'apparition
d'une alliance entre les fils du roi
actuel Abdallah et ceux de l'ancien
prince héritier Nayef Ben Abdel Aziz,
dont le plus puissant représentant,
Mohammad, ministre de l'Intérieur, est
considéré comme le chouchou de
l'administration américaine.
Bandar Ben Sultan avait été nommé en
2012 à la tête des services de
renseignements avec pour mission de
mettre tout en œuvre pour renverser le
régime du président Bachar al-Assad. Le
choix de cet homme, qui a été
ambassadeur aux Etats-Unis pendant 22
ans, notamment durant les années 80,
n'est pas anodin. Le prince a joué un
rôle clé dans la création, le
financement et l'armement des
combattants antisoviétiques en
Afghanistan. Grâce à ses réseaux dans
les pays arabes et musulmans, il a monté
des filières qui ont envoyé au Pakistan
puis en Afghanistan des dizaines de
milliers de «moujahidines» , entrainés,
armés et endoctrinés. Après le retrait
des troupes soviétiques, une partie de
ces combattants a formé le noyau
d'Al-Qaïda, sous la direction d'Oussama
Ben Laden. Bandar Ben Sultan connait
bien ces réseaux, leurs soutiens en
Arabie saoudite et dans les autres pays
du Golfe, et les cercles religieux qui
les financent.
C'est pour réactiver ces filières et les
utiliser en Syrie qu'il a été choisi.
Le parrain
d'Al-Qaïda en Syrie
Il a bien rempli sa
mission, puisqu'en l'espace de deux ans,
il a envoyé dans ce pays des dizaines de
milliers d'extrémistes venus de près de
80 pays, y compris européens et
occidentaux. Il a tellement bien réussi
que la Syrie est devenue le principal
pôle d'attraction pour les extrémistes
du monde entier, venus grossir les rangs
d'organisations affiliées à Al-Qaïda,
tels l'Etat islamique en Irak et au
Levant (EIIL, ou Daech) et le Front al-Nosra.
Formant un tandem avec le ministre
saoudien des Affaires étrangères, Saoud
al-Fayçal, le prince Bandar a pu
arracher au Grand Mufti d'Arabie
saoudite, cheikh Al Cheikh, d'appuyer
les appels au jihad contre le Hezbollah
et le régime syrien du prédicateur des
Frères musulmans, cheikh Youssef al-Qardaoui,
installé au Qatar.
De nombreuses notes de services de
renseignements occidentaux assurent que
Bandar Ben Sultan a encouragé et aidé à
l'implantation de ces organisations en
Syrie, partant du principe que tous les
moyens sont bons pour abattre Bachar al-Assad.
Mais le président syrien, son armée,
l'Etat et le peuple, ont résisté à cette
offensive sans précédent. Passé les
premiers mois, le régime syrien a repris
l'initiative militaire, et le rapport de
force s'est inversé, avant de se
stabiliser en faveur de l'armée
loyaliste. Entretemps, Al-Qaïda
continuait de prendre du poids, au
détriment des opposants dits «modérés»,
avant que les groupes extrémistes ne
deviennent carrément la principale force
rebelle dans le pays. Bandar avait non
seulement échoué dans sa mission -celle
de renverser Assad-, mais il avait,
comme en Afghanistan, créé un monstre
qui lui avait, une fois de plus,
échappé.
Après avoir tenté pendant des mois de
minimiser l'influence des groupes
qaïdistes en Syrie, les Etats-Unis ne
pouvaient plus ignorer leur rôle, devant
une opinion publique occidentale témoin
scandalisé des horribles exactions
commises par ces extrémistes.
Si le régime syrien était tombé, Bandar
Ben Sultan aurait été qualifié de héro
et de grand stratège. Mais au lieu de
cela, Riyad a fait marche-arrière,
promulguant une «loi antiterroriste»
incriminant les Saoudiens partis
combattre en Syrie avec la bénédiction
des autorités. Ils sont aujourd'hui
traités de hors-la-loi et sont passibles
de lourdes peines de prison, après avoir
été eux-mêmes libérés des geôles
saoudiennes pour aller pratiquer le
soi-disant «jihad» en Syrie, comme le
révèle une enquête du très sérieux USA
Today, parue le 4 septembre dernier.
Bandar Ben Sultan est parti, mais Bachar
al-Assad est toujours là. Son armée
progresse sur tous les fronts. Elle a
dernièrement repris la région
stratégique du Qalamoun, ce qui lui a
permis de verrouiller la frontière avec
le Liban. Les offensives désespérées
lancées par les rebelles à Lattaquié et
à Alep, avec l'appui direct de la
Turquie, ne pourront pas infléchir le
cours des événements. L'objectif du
«changement des rapports de force sur le
terrain», publiquement affiché par Saoud
al-Fayçal et son homologue français
Laurent Fabius, n'est qu'un rêve qui ne
se réalisera jamais.
Ces deux hommes, ainsi que tous les
ennemis de la Syrie, vont au contraire
vivre leur pire cauchemar dans quelques
semaines: la réélection de Bachar al-Assad
à la présidence de la République.
Source :
Al-Ahednews
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