Opinion
L'armée syrienne
libre n'existe plus
Samer R. Zoughaib
Samedi 14 décembre 2013
Est-ce que l'Armée syrienne
libre (ALS) existe encore? La question
se pose avec acuité après la déconfiture
à la vitesse grand V de l'opposition
armée dite «modérée» en Syrie et la
montée en puissance des groupes
extrémistes.
24 heures après la
suspension par les États-Unis et le
Royaume-Uni de toute aide «non létale»
(véhicules de transport de troupes,
matériels de communication, treillis
militaires, rations alimentaires, aides
médicales etc...), le chef du Conseil
militaire de l'ALS, le général dissident
Salim Idriss, a fui la Syrie vers Doha à
travers la Turquie, dimanche dernier.
C'est le Wall Street Journal qui a
révélé la nouvelle. Des sources de
l'opposition syrienne citées par la
chaine panarabe al-Mayadeen ont ajouté
que l'adjoint d'Idriss, le général
Moustapha al-Cheikh, s'est réfugié en
Suède, où il a demandé l'asile
politique, alors que le colonel Riad al-Assaad,
le fondateur de l'ASL, s'est enfuit en
Hollande.
Et ce n'est pas fini. Des sources bien
informées ont indiqué, ce samedi, que
l'un des derniers chefs de l'Armée
syrienne libre, le colonel Ammar al-Wawi,
a été arrêté avec ses gardes du corps
par l'Etat islamique en Irak et au
Levant (EIIL, proche d'Al-Qaïda), alors
qu'il rentrait en Syrie en provenance de
Turquie.
Ces développements spectaculaires et
dramatiques ne constituent pas une
surprise aux observateurs avertis du
dossier syrien. Ces derniers mois, l'ALS
perdait du terrain au profit des groupes
les plus extrémistes, qui ont étendu
leur hégémonie à la majorité des régions
en dehors du contrôle de l'Etat, à coups
d'assassinats et d'exécutions de
responsables de l'ALS ou après de
violents affrontements avec des unités
de cette armée. De nombreux bataillons
de l'ALS ont rejoint les rangs de l'EIIL
ou du Front al-Nosra (également proche
d'Al-Qaïda). Cette hémorragie a fait
dire à de nombreux experts de la Syrie
que l'ALS a perdu, depuis l'été dernier,
plus de la moitié de ses effectifs et du
terrain qu'elle contrôlait.
Idriss livre les
arsenaux de l'ASL?
Le dernier épisode de
la déliquescence de l'ALS s'est joué à
la fin de la semaine dernière près du
point de passage de Bab al-Hawa, entre
le nord syrien et la Turquie. Le Front
islamique (une coalition de sept groupes
extrémistes formée il y a près d'un mois
à l'initiative des services de
renseignements saoudiens) a pris les
dépôts d'armes de l'ALS dans la région
et a même occupé les bureaux de Salim
Idriss. Les dépôts comprenaient quatre
chars, des dizaines de véhicules
équipées de mitrailleuses lourdes, des
milliers de fusils-mitrailleurs AK 47 et
des tonnes de munitions de tous
calibres.
Cependant, des zones
d'ombres entourent cette affaire. L'ALS
affirme avoir été victime d'un piège
tendu par le Front islamique, qui a
dépêché ses unités dans la région sous
prétexte de défendre les arsenaux de
l'ALS contre l'EIIL qui s'apprêtait à
s'en emparer. Une fois sur place, les
combattants du Front ont pris le
contrôle de toute la région.
Mais d'autres informations émanant de
sources fiables ont indiqué que le
général Idriss a livré ses dépôts de
plein gré conformément à un accord
secret conclu avec les extrémistes, en
contrepartie d'une forte somme d'argent.
Avec la fuite de l'état-major de l'ALS,
cette armée n'a pratiquement plus de
poids sur le terrain, désormais contrôlé
par Al-Qaïda ou par des groupes non
moins extrémistes d'obédience
saoudienne. Le plus célèbre représentant
de cette mouvance est le dénommé Zahrane
Allouche, chef de «Liwaa al-Islam»,
considéré comme l'homme du prince Bandar
Ben Sultan, responsable des services de
renseignements saoudiens.
Tous ces développement sont le résultat
naturel de l'évolution de la situation
politique et militaire en Syrie.
En
fin de compte, Salim Idriss a compris
qu'il n'avait plus aucun rôle à jouer
dans la période à venir. L'homme est
tiraillé entre les pressions américaines
pour annoncer son soutien à la solution
politique et à la conférence de Genève
2, et le refus intransigeant des groupes
combattants qui veulent «poursuivre le
combat jusqu'à la chute du régime». Ces
dernières semaines, Idriss a prouvé sa
totale inefficacité en ne parvenant pas
à convaincre les groupes armés de
soutenir le processus politique souhaité
par les Etats-Unis. Sa fuite constitue
le scénario idéal pour lui. Il se retire
pour aller profiter de la fortune
colossale qu'il a certainement dû
amasser ces deux dernières années.
Ces revers subis par l'ASL posent un
«gros problème» et reflètent «la
dangerosité de la situation ainsi que
son imprévisibilité», a convenu le
secrétaire américain à la Défense, Chuck
Hagel. «Il est clair que l'état-major de
l'ASL est de plus en plus faible et
qu'il a perdu du pouvoir», affirme pour
sa part à l'AFP Aron Lund, un expert sur
la rébellion syrienne basé en Suède,
précisant que «l'ASL a perdu
d'importants groupes et des combattants
avec la création du Front islamique».
Selon lui, la perte du passage-clé de
Bab al-Hawa signifie que Salim Idriss,
«pourrait ne plus rentrer en Syrie».
Les grands perdants de ces
développements sont les Etats-Unis, qui
se retrouvent sans véritable bras
exécutif sur le terrain syrien, où leur
influence s'est érodée au profit
d'Al-Qaïda et des groupes pro-saoudiens,
lesquels refusent toute solution
politique. Washington se rend donc à la
conférence de Genève privé de toute
carte opérationnelle. C'est ce qui
explique son attachement au général
Idriss, à qui il a renouvelé sa
confiance, l'encourageant à rentrer en
Syrie.
Le principal gagnant de ces
développements est le régime syrien, qui
aura en face de lui, à Genève, une
opposition divisée, qui, de surcroit, ne
possède aucune influence réelle sur les
groupes armés. C'est-à-dire une
opposition incapable de garantir la mise
en œuvre de tout accord politique conclu
lors de la conférence paix.
Au final, Genève 2
pourrait se transformer en conférence
internationale pour la lutte contre le
terrorisme qui se propage en Syrie, à
cause des graves erreurs commises par
les Occidentaux dans ce pays.
Le ministre russe des Affaires
étrangères, Serguei Lavrov, est
d'ailleurs en train de préparer le
terrain à un tel scénario, lorsqu'il a
appelé, samedi, "le pouvoir syrien et
l'opposition nationale à unir leur
efforts pour combattre le terrorisme".
Le danger du terrorisme en Syrie est
désormais pointé du doigt
quotidiennement par les gouvernements
occidentaux, qui ont fait la sourde
oreille pendant plus de deux ans face
aux mises en garde contre ce phénomène.
Le dernier en date n'est autre que
l'ancien directeur de la CIA, Michael
Hayden, qui a estimé qu'une victoire de
Bachar al-Assad en Syrie pourrait être
«le meilleur de trois très, très
horribles scénarios», dont aucun ne
prévoit la victoire de la rébellion.
Nous sommes bien loin du renversement du
régime syrien, le slogan ressassé
inlassablement par l'Occident depuis le
début de la crise syrienne.
Source :
Al-Ahednews
Le
dossier Syrie
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