Middle East
Monitor
Commémorer la Nakba à un sombre moment
Samah Jabr
Samah Jabr - ©A.Dols
Mardi 12 mai 2015
Soixante-sept ans après l’expulsion
massive de Palestiniens de leurs foyers
et de leurs terres, le tableau en
Palestine est plus sombre que jamais.
Nous observons par exemple que, après
près d’un an de réunions, les
négociations, soutenues par les
États-Unis, entre l’Autorité
palestinienne (AP) et Israël se sont
désagrégées en avril de l’an dernier. Il
s’en est suivi pendant l’été une
escalade dans la violence et une guerre
destructrice sur Gaza.
Bien qu’un accord
de réconciliation ait été signé par les
partis politiques palestiniens en
conflit en 2014, nous vivons toujours
avec les effets dévastateurs de la
guerre sur Gaza et de la polarisation
politique – laquelle, au lieu d’aller en
se résorbant est maintenant à son
maximum. La reconstruction de Gaza est
en suspens ; les employés du
gouvernement de Gaza embauchés entre
2007 et 2014 n’ont toujours pas reçu
leurs salaires par le gouvernement de
l’AP en dépit de la « réconciliation » ;
l’électricité et l’eau potable ne sont
pas disponibles en continu à Gaza ; et
son entrée de Rafah a été bloquée
pendant plus de cent jours consécutifs.
Les dirigeants de l’AP prétendent que le
Hamas a pris part à des négociations
secrètes avec Israël à propos de son
projet pour transformer la bande de Gaza
en une entité palestinienne séparée.
L’AP considère ce plan comme une « conspiration
scandaleuse » et promet de ne pas le
laisser se réaliser. Dans le même temps,
les dirigeants à Gaza rejettent de
telles allégations comme n’étant que de
« fausses polémiques » et ils
précisent qu’ils négocient simplement
pour mettre fin au siège, échanger les
prisonniers, et parvenir à une trêve à
long terme. Malgré toutes ces années de
négociations, l’AP n’a jamais abordé la
levée du siège de la bande de Gaza. Et,
s’agissant du sort de Jérusalem-Est où
l’AP espère établir la capitale de
l’État palestinien en vertu des Accords
d’Oslo, pour ses dirigeants ce ne sont
guère que des paroles en l’air. Et le
pire de tout, c’est que personne n’ose
intervenir sur le droit au retour.
Au cours des
récents affrontements entre l’ « État
islamique » et les combattants
palestiniens au camp de réfugiés d’Al
Yarmouk à Damas (où la population
assiégée et affamée s’est réduite de
150 000 à environ 16 000 au fil des
quatre dernières années de violences en
Syrie), il y a eu un décret présidentiel
pour que tous les employés du secteur
public « se portent volontaires pour
offrir » un jour de leur salaire
pour sauver Al Yarmouk. C’était la
réponse, au lieu d’utiliser cette crise
comme levier pour faire connaître la
difficile situation des réfugiés
palestiniens et mobiliser pour faire
appliquer le droit au retour pour tous
les réfugiés palestiniens !
Souveraineté contre
État
En décembre, les
dirigeants palestiniens ont soumis au
Conseil de sécurité des Nations-Unies
une résolution demandant qu’il soit mis
fin à l’occupation par Israël de la
Cisjordanie d’ici deux ans, une
proposition qui a été battue aux voix.
Nous nous souvenons qu’en 1974,
l’Assemblée générale des Nations-Unies
avait reconnu le droit du peuple
palestinien à l’autodétermination, à
l’indépendance nationale, et à la
souveraineté – mais nos dirigeants se
comportent comme des gestionnaires
sous-traitants impuissants, au service
de l’occupation.
À la fête du Pessah
il y a quelques semaines, la Cisjordanie
a été coupée en deux ; les Palestiniens
n’ont pu traverser la route
Ramallah-Naplouse pour aller travailler
afin que les colons israéliens puissent
courir le Marathon de la Bible. Cette
action n’a rencontré aucune opposition
de la part de l’AP. Récemment, l’armée
israélienne a arrêté Khalida Jarrar,
élue au Parlement palestinien, portant à
seize le nombre de députés palestiniens
actuellement en détention israélienne et
paralysant notre Conseil législatif.
Jarrar et bien d’autres ont été arrêtés
en « Zone A » - une zone sous l’entier
contrôle de l’AP, où les forces
israéliennes coordonnent leur entrée
avec celles de l’AP. Ici comme ailleurs,
l’Autorité palestinienne reste en
étroite coordination avec la sécurité
israélienne, même après l’assassinat
sauvage de 2200 Palestiniens à Gaza
l’été dernier, et après la mort du
ministre Ziad Abu Ein en décembre
dernier lors d’une violente
confrontation avec les forces
d’occupation ; un acte pour lequel nul
n’a été puni.
Dans son discours
en septembre dernier aux Nations-Unies
lors du 69e Débat général
annuel, le Président palestinien Abbas a
déclaré qu’ « Il est impossible, et
je répète – il est impossible –, de
revenir au cycle de négociations qui ne
se sont pas attaquées au cœur du
problème et à la question fondamentale ».
Et pourtant, aujourd’hui, malgré le
récent désaveu flagrant du Premier
ministre israélien d’une solution à deux
États, le Président annonce que « les
négociations avec Israël sont toujours
sur la table », lors de l’ouverture
d’une conférence en Cisjordanie pour
discuter de l’avenir de l’Autorité
palestinienne.
L’AP est devenue
membre officiel de la Cour pénale
internationale, mais les dirigeants de
l’AP signalent que s’ils sont allés à la
CPI, c’est pour dissuader Israël de
seulement commettre de futurs crimes
contre les Palestiniens. À la différence
de Shurat Ha Din, une organisation
juridique aux USA proche d’Israël, qui
déjà a lancé des actions contre les
Palestiniens avec l’intention affichée
de pousser les institutions
palestiniennes à l’effondrement. En
février, un jury new-yorkais a imposé
des dommages à hauteur de 218 millions
de dollars à l’AP, à titre de
compensation pour six attaques qui se
sont déroulées il y a plus d’une
décennie et dans lesquelles des
Israéliens ayant la citoyenneté US ont
été tués ou blessés. Un autre procès du
même genre, contre la Banque arabe, a
été engagé pour des transactions vers
des comptes appartenant à des membres du
Hamas. La dernière plainte déposée
contre des Palestiniens est liée à la
brève fermeture qu’imposa le Hamas à
l’aéroport Ben Gourion d’Israël pendant
l’attaque d’Israël contre Gaza l’été
dernier. Où est la justice pour tous les
Palestiniens tués ou blessés par des
armes parrainées par les USA ? Pour les
Palestiniens ayant la citoyenneté
états-unienne tués ou torturés par
Israël ? Pour Rachel Corrie, écrasée par
un bulldozer Caterpillar de l’armée
israélienne ?
En plus de ces
actions, les lois anti-terrorisme aux
États-Unis isolent la plus grande partie
des Palestiniens des sources de
financement potentielles, manipulent
leur agenda national, et donnent le
pouvoir à la minorité politique de
mettre en œuvre ses programmes en
Palestine. La participation du Hamas au
gouvernement mettrait en danger les 400
millions de dollars que Washington
fournit à l’Autorité palestinienne
chaque année -, conséquence qui a
influencé l’AP dans sa remise en cause
de l’accord de réconciliation qu’elle
avait signé un an plus tôt. Même parmi
les institutions palestiniennes non
gouvernementales et les gens ordinaires,
l’argent US et les lois US ne sont pas
utilisés pour faire avancer le bien-être
du peuple, mais pour promouvoir le
ressentiment, intimider, faire taire les
voies dissidentes, et inciter les
Palestiniens à se boycotter les uns les
autres.
L’audace face à
l’intimidation
Les étudiants
universitaires palestiniens votent
contre le parti soutenu par l’AP, bien
que ces opposants soient souvent arrêtés
et harcelés au moment des élections. Les
Palestiniens dans les territoires et
dans les camps de réfugiés pourraient
aussi faire entendre leurs voix face à
une direction accaparante qui a conduit
la cause palestinienne dans une impasse,
face à la stagnation politique imposée
par l’occupation violente et la
politique non contraignante de ses
alliés internationaux qui nous mettent
la pression pour que nous nous
conformions aux normes coloniales. C’est
en osant nous exprimer que nous
trouverons notre chemin pour revenir les
uns vers les autres, pour préserver
notre capacité de rapprochement et
d’empathie, et pour survivre à notre
angoisse, à notre peur et à notre
victimisation.
Lorsque je
contemple le monde intimidé autour de
moi, souvent je suis effrayée – mais je
reviens à mes espoirs intimes pour y
puiser la force. J’attends le moment où
les réfugiés reviendront à la maison, où
le mur de séparation s’écroulera, où
ceux qui sont considérés comme dangereux
et ont été réduits au silence pendant si
longtemps seront finalement reconnus et
entendus. J’espère, également, que ceux
qui ont étouffé nos voix avec tous les
outils à leur disposition seront encore
capables d’écouter et de parler aussi.
Samah Jabr est
psychiatre et
psychothérapeute, jérusalémite, qui se
préoccupe du bien-être de sa communauté,
au-delà des questions de maladie mentale.
https://www.middleeastmonitor.com/articles/middle-east/18280-commemorating-the-nakba-at-a-grim-time
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
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