Cuba
Les contradictions de Barack Obama
vis-à-vis de Cuba
Salim Lamrani
Photo:
D.R.
Lundi 26 octobre 2015
Source:
Al Mayadeen
Alors que le Président étasunien a lancé
plusieurs appels au Congrès afin qu’il
mette fin aux sanctions économiques, son
administration continue d’infliger des
amendes record aux entreprises
internationales qui commercent avec
Cuba.
Le 28 septembre 2015, lors de son
discours à l’Assemblée générale des
Nations unies, le Président Obama a fait
un constat lucide sur la politique
étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de
Cuba :
« Durant 50
ans, les Etats-Unis ont appliqué une
politique vis-à-vis de Cuba qui a échoué
à améliorer la vie du peuple cubain.
Nous avons opté pour un changement. Nous
avons toujours des différends avec le
Gouvernement cubain. Nous continuerons à
défendre les droits de l’homme. Mais
nous abordons désormais ces questions
par le biais de relations diplomatiques,
un commerce en hausse et des rapports
entre les peuples. Alors que ces
contacts se renforcent de jour en jour,
je suis convaincu que notre Congrès
lèvera inévitablement un embargo qui ne
devrait plus exister ». [1]
Les propos du
Président des Etats-Unis ont été salués
par des applaudissements nourris aux
Nations unies. En effet, les mesures
hostiles imposées à l’île depuis plus
d’un demi-siècle sont anachroniques,
cruelles et inefficaces. Elles affectent
les catégories les plus vulnérables de
la population et constituent le
principal obstacle au développement du
pays. De la même manière, la brutalité
des sanctions a isolé Washington sur la
scène internationale où même ses plus
fidèles alliés exigent depuis plusieurs
décennies la levée de cet état de siège.
Cependant,
les déclarations de bonne volonté du
Président Obama, officiellement
favorable à la suppression des sanctions
économiques, ne sont pas suivies
d’actes. Pis encore, la Maison-Blanche
continue d’appliquer avec une sévérité
absolue sa politique hostile, y compris
dans ses aspects extraterritoriaux, au
mépris des règles élémentaires du droit
international.
Ainsi, le
Crédit agricole (CA), banque française,
vient d’être condamné à une amende de
694 millions d’euros aux Etats-Unis pour
avoir réalisé, entre autres, des
transactions en dollars avec Cuba. Il
s’agit là de la quatrième amende la plus
importante imposée par Washington à une
institution financière. Le Crédit
agricole est accusé d’avoir violé l’International
Emergency Economic Powers Act,
loi fédérale étasunienne de 1977 qui
permet au président de restreindre les
échanges avec certaines nations. Face
aux menaces de mettre un terme à toutes
ses activités sur le territoire
étasunien, la banque française n’a eu
d’autre choix que d’accepter la
sanction. [2]
En 2014, BNP
Paris a dû payer la somme astronomique
de 6,5 milliards d’euros à Washington
pour avoir entretenu des relations
financières avec La Havane. Pourtant, le
Crédit agricole et BNP Paribas ont
scrupuleusement respecté la législation
française, le droit européen et le droit
international. Ces entités n’ont
absolument commis aucune illégalité.
Toutes deux ont été victimes, comme de
nombreuses autres entreprises mondiales,
de l’application extraterritoriale – et
par conséquent illégale – des sanctions
économiques des Etats-Unis contre Cuba.
En effet, une loi nationale ne peut pas
s’appliquer en dehors du territoire du
pays. Ainsi, Washington s’en prend
arbitrairement aux intérêts français.
[3]
Il convient
de souligner que c’est le Président
Obama et non le Congrès qui a pris cette
décision, en singulière contradiction
avec le discours prononcé devant les
Nations unies exprimant la volonté
d’opter pour une approche basée sur le
dialogue, l’entente cordiale et le
respect du droit international.
Ce n’est pas
là la seule contradiction du locataire
de la Maison-Blanche. En effet, en tant
que chef du pouvoir exécutif, Barack
Obama dispose de toutes les prérogatives
nécessaires pour démanteler la
quasi-totalité du réseau de sanctions
économiques, sans nécessiter l’accord du
Congrès. Ainsi, le Président des
Etats-Unis peut parfaitement autoriser
le commerce bilatéral entre les deux
nations. Il peut également autoriser
Cuba à utiliser le dollar dans ses
transactions internationales et
permettre à l’île d’acheter sur le
marché mondial des produits contenant
plus de 10% de composants étasuniens.
Obama peut également légaliser
l’importation de produits fabriqués dans
le monde à partir de matières premières
cubaines et consentir à vendre à crédit
des produits non alimentaires à l’île.
Il y a
seulement trois secteurs que Barack
Obama ne peut pas toucher sans
l’autorisation du Congrès. Il ne peut
pas autoriser le tourisme ordinaire à
Cuba. Il ne peut pas non plus permettre
que Cuba achète des matières premières
alimentaires sur le marché étasunien à
crédit. Enfin, le président ne peut pas
autoriser les filiales des entreprises
étasuniennes installées à l’étranger à
entretenir des relations commerciales
avec l’île.
Pour ce qui
est du premier aspect, la parade est
simple. Le Président Obama peut
contourner l’obstacle législatif en
élargissant la définition des catégories
de citoyens étasuniens autorisés à se
rendre à Cuba. Il y en a actuellement 12
et elles incluent, entre autres, les
voyages académiques, culturels,
scientifiques, journalistiques,
professionnels, éducatifs, etc. Ainsi,
Barack Obama pourrait parfaitement
élargir la définition du voyage culturel
à Cuba et décider, par exemple, que tout
citoyen qui s’engagerait à visiter un
musée durant son séjour dans l’île
serait inclus dans cette catégorie. Pour
le deuxième thème, si le pouvoir
exécutif ne peut pas autoriser la vente
à crédit d’aliments à Cuba, Obama peut
permettre à Cuba d’acheter à crédit sur
le marché étasunien tout produit non
alimentaire. Le troisième point n’a
aucun effet car si le Président Obama
autorise les entreprises étasuniennes
installées sur le territoire national à
établir des relations commerciales avec
Cuba, il ne sera pas nécessaire de
recourir aux filiales.
Barack Obama
est le président étasunien qui a pris
les décisions les plus avancées dans le
processus de rapprochement avec Cuba en
rétablissant les relations diplomatiques
et consulaires et en adoptant certaines
mesures limitées qui assouplissent les
sanctions. C’est également la personne
qui a également tenu le discours le plus
lucide sur la politique étrangère de
Washington vis-à-vis de La Havane,
reconnaissant l’échec d’une approche
basée sur l’hostilité. Cependant, ses
actions punitives à l’égard
d’entreprises internationales, ainsi que
sa frilosité à prendre les mesures
nécessaires pour démanteler l’état de
siège économique contredisent ses
déclarations de principes et suscitent
l’incompréhension de la communauté
internationale.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba, parole à la
défense !, Paris, Editions Estrella,
2015 (Préface d’André Chassaigne).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page
Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]Le
Monde, «694 millions d’euros
d’amende pour le Crédit agricole
aux Etats-Unis», 20 octobre
2015.
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