Amérique latine
Cuba, la France, les Etats-Unis,
et la question des droits de l’homme
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Mardi 20 décembre 2016
Salim Lamrani
Université de La Réunion
Introduction
La question des droits de l’homme à Cuba
a toujours suscité de très nombreuses
controverses en Occident. Les médias se
sont toujours montrés unanimes pour
stigmatiser les autorités de La Havane,
les accusant notamment de perpétrer des
violations massives des droits
fondamentaux de leurs concitoyens. Les
classes politiques – à quelques
exceptions près – ne sont pas en reste
et pointent régulièrement du doigt l’île
de la Caraïbe à ce sujet. Une constante
est notable : l’opposition cubaine
occupe l’espace médiatique en Europe,
aux Etats-Unis et plus généralement à
travers le monde et, dans le même temps,
le point de vue des autorités cubaines
sur ces questions cruciales est
systématiquement passé sous silence.
Pourtant, il
est relativement simple de se forger une
opinion sur la situation des droits de
l’homme à Cuba et à travers la planète.
Amnesty International, organisation
fondée en 1961, publie chaque année un
rapport sur la situation des droits
humains au niveau mondial. Ainsi, pour
obtenir une image globale, il suffit de
consulter les études annuelles qui sont
disponibles en plusieurs langues. Les
médias n’hésitent pas se baser sur ces
travaux pour évoquer la problématique
des droits de l’homme à Cuba. Néanmoins,
il est curieux d’observer qu’aucune
analyse comparative n’est proposée à
l’opinion publique. Pourquoi ne pas
comparer, par exemple, les derniers
rapports d’Amnesty International sur
Cuba, la France et les Etats-Unis ? Cela
ne permettrait-il pas à l’opinion
publique de se faire une idée plus
précise sur la réalité des droits de
l’homme à Cuba en prenant comme
références deux grandes démocraties
occidentales qui s’érigent souvent en
juges moralisateurs ?
L’étude comparative est une démarche
scientifique salutaire qui permet de
briser clichés et préjugés. Cet article
se propose donc de présenter les
conclusions d’Amnesty international sur
la situation des droits de l’homme à
Cuba, en France et aux Etats-Unis. Le
but est de fournir au public les
éléments factuels concrets qui lui
permettront de se forger une opinion
plus juste sur la Cuba d’aujourd’hui.
Les droits
de l’homme à Cuba
Selon le dernier rapport d’Amnesty
International, « les libertés
d’expression, d’association et de
circulation continu[…]ent à être
soumises à des restrictions
draconiennes ». L’organisation note que
« plusieurs milliers de cas de
harcèlement à l’égard de détracteurs du
régime, d’arrestation et de détentions
arbitraires ont été signalés[1] ».
AI se fait plus précise en signalant que
« des défenseurs de droits humains et
des journalistes » subissent des
« détentions de courte durée » pouvant
aller jusqu’à « neuf heures ». Pour
l’année, AI avance le chiffre de 8 600
personnes, en se basant sur les données
de la Commission cubaine des droits
humains et de la réconciliation
nationale. AI souligne par exemple que
« trois militants qui auraient tenté
d’approcher le pape pour évoquer les
droits humains » ont été arrêtés.
L’organisation dénonce le fait que des
opposants subissent des « actes de
répudiation », c’est-à-dire des
« manifestations organisées par des
partisans du régime avec le concours
d’agents des services de sécurité ». AI
pointe du doigt « des poursuites pénales
motivées par des considérations
politiques ». Elle signale que
l’appareil judiciaire est sous l’emprise
du pouvoir politique, sans fournir
davantage d’information.
AI rappelle
également que les autorités contrôlent
Internet en « bloquant et filtrant
certains sites, ce qui restrei[nt]
l’accès à l’information et les critiques
antigouvernementales ». AI souligne que
le réseau de téléphonie mobile a été
perturbé lors de la visite du pape en
septembre 2015.
En revanche,
AI ne signale aucun cas de violences
physiques de la part des autorités
contre les opposants ou les citoyens, ni
de cas de mauvais traitements, de
torture, de disparition, ou d’assassinat
commis par les forces de l’ordre, et ne
dénombre, à ce jour, aucun prisonnier
politique.
Les droits
de l’homme en France
Pour ce qui est de la France, pour
l’année 2015, Amnesty International note
que les autorités « ont souvent
poursuivi des personnes pour des
déclarations qui ne constituaient pas
des incitations à la violence et
relevaient de l’exercice légitime de la
liberté d’expression[2] ».
AI souligne
également que « les autorités ont
assigné à résidence 26 militants
écologistes dans le cadre de la COP 21
en raison de leur participation présumée
à des manifestations violentes dans le
passé ».
L’organisation dénonce l’adoption
d’« une nouvelle loi autorisant la
surveillance de masse de toutes les
communications électroniques à
destination – ou en provenance – de
l’étranger ». Le pouvoir exécutif peut
autoriser ce type de surveillance « sans
aucune consultation préalable ni
contrôle judiciaire indépendant, dans le
but d’atteindre des objectifs définis en
termes vagues ».
AI condamne
également les violations réitérées des
« droits des réfugiés et des migrants ».
Elle souligne que les conditions de vie
dans le campement de Calais
s’apparentent « à un traitement
inhumain », en se basant sur un rapport
du Conseil d’Etat. L’entité exprime
également sa préoccupation « face aux
actes de violence, de harcèlement et de
mauvais traitements commis contre des
migrants, des demandeurs d’asile et des
réfugiés par des agents des forces de
l’ordre à Calais ». AI regrette « le
recours abusif à la détention
administrative contre les migrants de
Calais ». L’organisation souligne que
« des mineurs non accompagnés ont
continué d’être régulièrement placés en
détention dans la ‘zone d’attente’ de
l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle ».
L’organisation liste plusieurs cas de
« discrimination » à l’égard des
populations Roms, en notant que « des
migrants et des demandeurs d’asile ont
également fait l’objet d’expulsions de
force de campements de fortune tout au
long de l’année ».
AI rappelle également que la Cour
européenne des droits de l’homme s’est
saisie de « trois affaires concernant
des personnes transgenres qui n’avaient
pas pu obtenir la reconnaissance de leur
genre féminin à l’état civil ».
AI rapporte
enfin des atteintes à la « liberté
d’expression » en pointant du doigt la
condamnation de 14 personnes qui
« avaient participé à des initiatives
non violentes dans un supermarché pour
appeler au boycott des produits
israéliens ».
Les droits
de l’homme aux Etats-Unis
Pour ce qui est des Etats-Unis, AI
dénonce l’impunité persistante pour les
autorités responsables de crimes[3].
Ainsi, « aucune mesure […] n’a[…] été
prise pour mettre un terme à l’impunité
dont bénéficiaient les responsables des
violations systématiques des droits
humains commises dans le cadre du
programme de détention secrète mis en
œuvre par la CIA ». L’organisation note
que « la plupart, voire la totalité, de
ces détenus avaient été soumis à une
disparition forcée et à des conditions
de détention ou des méthodes
d’interrogatoire qui violaient
l’interdiction de la torture et des
autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants ».
AI dénonce la
persistance de détentions arbitraires et
note que les « prisonniers de Guantánamo
étaient toujours privés de leurs droits
fondamentaux ». « À la fin de l’année,
107 hommes étaient détenus à
Guantánamo ; la majorité d’entre eux
n’avaient pas été inculpés ni jugés ».
AI signale
également les violences policières et
souligne qu’« au moins 43 personnes,
dans 25 États, sont mortes après avoir
été touchées par des décharges de
pistolets Taser administrées par des
policiers, ce qui portait à 670 au moins
le nombre total de décès survenus dans
de telles circonstances depuis 2001 ».
L’organisation rappelle que « la plupart
des victimes n’étaient pas armées et ne
représentaient manifestement pas une
menace de mort ou de blessure grave au
moment où elles ont reçu les
décharges ».
AI dénonce
plusieurs centaines d’homicides commis
par les forces de l’ordre. Elle souligne
qu’entre « 458 et plus de 1 000
personnes » ont été tuées « par des
responsables de l’application des lois »
en 2015. L’organisation pointe un fait
récurrent : « Les données limitées
disponibles indiquent que les hommes
noirs sont surreprésentés parmi les
victimes d’homicides imputables à la
police ».
AI condamne
les violences contre les migrants et
notamment contre les « plus de 35 000
enfants migrants ». Elle souligne que
beaucoup de familles « ont été détenues
dans des locaux où elles étaient privées
de nourriture saine et d’eau potable et
n’avaient pas accès à un avocat ni aux
soins médicaux éventuellement nécessités
par leur état ». L’organisation note
également des discriminations à l’égard
des minorités sexuelles en rappelant que
« les personnes transgenres étaient
généralement détenues en fonction de
leur genre à la naissance, ce qui les
rendait vulnérables à des sévices, ou
maintenues à l'isolement sans accès à
une thérapie hormonale ».
Au sujet des
droits des femmes, AI rappelle que « les
Amérindiennes et les femmes autochtones
de l’Alaska victimes de viol étaient
toujours privées d’accès aux soins de
base, y compris des examens médicaux et
d’autres services de santé essentiels
comme la contraception d’urgence ». Elle
ajoute que « les Amérindiennes et les
femmes autochtones de l’Alaska
continuaient de subir un niveau
disproportionné de violence ; elles
risquaient 2,5 fois plus que les autres
femmes de subir un viol ou une autre
forme d’agression sexuelle ». AI pointe
également « des écarts marqués dans
l'accès des femmes aux soins de santé
sexuelle et génésique, y compris la
santé maternelle ». De la même manière,
« le risque de mourir des suites de
complications liées à la grossesse était
toujours quatre fois plus élevé pour les
Afro-Américaines que pour les femmes
blanches ». AI dénonce également les
attaques commises contre le droit des
femmes à disposer de leur corps en
rappelant que « plus de 230 projets ou
propositions de loi visant à restreindre
l’accès à un avortement légal et sans
risque ont été déposés dans un grand
nombre d'États ».
Au niveau des
conditions carcérales, AI rappelle que
plus de 80 000 prisonniers (sur une
population carcérale de 2, 2 millions de
personnes) sont « détenus dans des
conditions de privation physique et
d’exclusion sociale ». Pour ce qui est
de la peine capitale, l’organisation
note que 27 hommes – dont un âgé de 74
ans – et une femme ont été exécutés en
2015, et que 3 000 personnes « étaient
sous le coup d’une condamnation à
mort ». AI souligne également qu’un
handicapé mental, Warren Hill, a été
exécuté le 27 janvier 2015. Elle note
que « tous les experts qui l’ont
examiné, y compris ceux qui avaient été
désignés par l’accusation, ont convenu
qu'il présentait un handicap mental, ce
qui rendait son exécution
anticonstitutionnelle ».
Une
comparaison nécessaire
La lecture de ces trois rapports est
révélatrice. Ainsi, alors que Cuba est
constamment stigmatisée sur la question
des droits de l’homme, une comparaison
des conclusions d’AI pulvérise les
clichés sur l’île. Par exemple, pour
Cuba, Amnesty international n’a pas
rapporté de cas de violation des droits
des réfugiés et des migrants (France,
Etats-Unis), de traitement inhumain
(France, Etats-Unis), d’acte de violence
et de mauvais traitement commis par les
forces de l’ordre (France, Etats-Unis),
de mineurs placés en détention (France,
Etats-Unis), de discrimination à l’égard
des minorités (France, Etats-Unis), de
discrimination à l’égard des personnes
transgenres (France, Etats-Unis),
d’impunité pour les autorités
responsables de crimes (Etats-Unis), de
disparition forcée (Etats-Unis), de
torture et autres traitements cruels,
inhumains et dégradants (Etats-Unis), de
violences policières (Etats-Unis),
d’homicide commis par les forces de
l’ordre (Etats-Unis), d’homicide commis
par les forces de l’ordre en majorité
contre les hommes noirs (Etats-Unis), de
personnes privées de nourriture saine,
d’eau potable et de soins médicaux par
les autorités (Etats-Unis), de violation
réitérée des droits des femmes issues
des minorités (Etats-Unis), de privation
de soins de base et de services
essentiels pour des femmes victimes de
viol (Etats-Unis), de discrimination
contre les femmes enceintes en raison de
leur origine ethnique (Etats-Unis),
d’attaques contre le droit des femmes à
disposer librement de leur corps
(Etats-Unis), de prisonniers détenus
dans des conditions de privation
physique et d’exclusion sociale, de
peine de mort appliquée (Etats-Unis), de
peine de mort appliquée contre une femme
(Etats-Unis), de peine de mort appliquée
contre un homme âgé de 74 ans
(Etats-Unis), de peine de mort appliquée
contre un handicapé mental (Etats-Unis)
ou de peine de mort appliquée en
violation de la Constitution du pays
(Etats-Unis).
Ainsi, au vu
de ce comparatif, il est difficile pour
la France ou pour les Etats-Unis de
s’ériger en procureur sur la
problématique des droits de l’homme.
Ségolène Royal, Ministre de l’Ecologie,
a fait preuve de clairvoyance en
rappelant la chose suivante : « La
France n’a pas de leçons à donner[4] »
à Cuba. De son côté, le futur Président
Donald Trump s’est montré moins inspiré
en exigeant de Cuba une amélioration de
la situation des droits de l’homme et
l’instauration d’une économie de marché[5].
Nul doute qu’il devrait revoir son
jugement après la lecture du rapport
d’AI sur les Etats-Unis.
Conclusion
La comparaison des différents rapports
d’Amnesty International apporte un
éclairage significatif. Contre toute
attente, Cuba présente un meilleur bilan
que son principal détracteur, à savoir
les Etats-Unis. Du côté de la France,
les critiques émises par AI incitent à
l’humilité. Ainsi, ni la France, ni les
Etats-Unis, ne disposent de l’autorité
morale nécessaire pour s’ériger en juge.
Il est
important de rappeler que les rapports
d’Amnesty International n’évoquent
aucunement le respect des droits
économiques et sociaux – qui sont des
droits humains fondamentaux – tels que
l’accès à l’alimentation, à un logement,
à la sécurité, à l’éducation, à la
santé, à la culture, au sport, aux
loisirs, domaines dans lesquels Cuba
excelle selon toutes les organismes des
Nations unies, qui citent son système de
protection sociale comme l’exemple à
suivre. Un chiffre est éloquent : selon
l’UNICEF, le seul pays d’Amérique latine
et du Tiers-monde à avoir réussi à
éliminer la malnutrition infantile est
Cuba.
Les rapports
d’Amnesty International contredisent les
discours occidentaux sur Cuba. En
fournissant une information partielle,
partiale et sans aucune mise en
perspective de la situation cubaine avec
le reste du monde, les médias, au lieu
d’informer l’opinion publique,
l’induisent en erreur en construisant
une image sur l’île des Caraïbes qui ne
correspond pas à la réalité.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel
Castro, héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
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