Opinion
Cuba, les Etats-Unis et la traite
d’êtres humains (1/2)
Salim Lamrani
Photo:
Opera Mundi
Lundi 14 juillet 2014
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Les Etats-Unis viennent une nouvelle
fois de placer Cuba dans la liste des
pays impliqués dans la traite d’êtres
humains. Néanmoins, les institutions
internationales contredisent le point de
vue de Washington.
Dans son
rapport 2014 sur les pays pratiquant la
traite d’êtres humains à travers le
monde, le Département d’Etat a de
nouveau intégré Cuba et l’a placée dans
la pire des catégories. Selon
Washington, « adultes et enfants sont
victimes de trafic sexuel et de travaux
forcés » dans l’île. « La prostitution
infantile et le tourisme sexuel sont une
réalité à Cuba […]. Il y a eu des
allégations de travaux forcés lors des
missions à l’étranger réalisées par le
gouvernement cubain[1] ».
Cependant,
Washington reconnait le manque de
fiabilité de ses sources:
« Certains Cubains
qui participent à ces missions de
travail ont déclaré que leur présence
était volontaire et que le poste était
bien rémunéré comparé aux emplois
offerts à Cuba. D’autres affirment que
les autorités cubaines les ont obligés à
participer à ces missions, y compris en
leur enlevant leurs passeports et en
restreignant leurs mouvements. Certains
professionnels de la santé qui
participaient à ces missions ont pu
profiter de visas étasuniens et de
certaines facilités migratoires pour se
rendre aux Etats-Unis avec leurs
passeports, ce qui indique au moins que
certains professionnels de la santé
conservent leurs passeports. Les
rapports sur la contrainte imposée par
les autorités cubaines ne semblent pas
refléter une politique gouvernementale
uniforme. Il est à noter que
l’information manque à ce sujet[2] ».
Le rapport fait,
entre autres, référence au Cuban
Medical Professional Parole Program
(CMPP). En effet, depuis 2006,
Washington a mis en place une politique
destinée à piller l’île de son capital
humain en facilitant l’émigration de son
personnel médical vers les Etats-Unis.
Ce programme cible notamment les 30 000
médecins cubains et autres personnels de
santé qui travaillent dans près de 60
pays du Tiers-monde, dans le cadre d’une
vaste campagne humanitaire lancée depuis
1963 par Cuba afin de soigner les
déshérités de la planète[3].
Ainsi, en dépit du
manque d’informations fiables, le
rapport 2014 conclut que « le
gouvernement de Cuba ne remplit pas les
standards minimum pour éliminer la
traite d’êtres humains et ne réalise pas
les efforts nécessaires pour cela[4] ».
Le point de vue de
l’UNICEF
L’accusation la
plus grave concerne la prostitution
infantile. Or, l’UNICEF – Fonds des
Nations unies pour l’enfance - ne
partage pas cet avis et salue, au
contraire, les avancées de Cuba dans la
protection de l’enfance. D’après
l’organisme onusien,
« Cuba est un exemple dans la protection
de l’enfance[5] ».
Selon Juan José Ortiz, représentant de
l’UNICEF à La Havane, « la malnutrition
sévère n’existe pas à Cuba [car] il y a
une volonté politique » de l’éliminer.
« Ici, il n’y a aucun enfant dans les
rues. A Cuba, les enfants sont toujours
une priorité et c’est pourquoi ils ne
souffrent pas des manques qui affectent
des millions d’enfants en Amérique
latine, qui travaillent, qui sont
exploités ou qui se trouvent dans des
réseaux de prostitution[6] ».
Ortiz fait part de son expérience à ce
sujet :
« Il y a des millions d’enfants qui sont
exploités quotidiennement, qui n’iront
jamais à l’école ; des millions de
garçons et de filles qui n’ont même pas
d’identité, qui n’existent pas car ils
ne n’ont pas été recensés[7].
Cuba, depuis plus de 50 ans, a été un
modèle de défense et de promotion des
droits de l’enfant. Les politiques
publiques en faveur de l’enfance ont été
une priorité depuis des années. Grâce à
cela, le pays a atteint quelque chose de
vraiment inédit dans le monde en
développement. Parmi les centaines de
millions de garçons et de filles qui
subissent des atteintes gravissimes à
leurs droits, qui meurent même chaque
jour pour des causes absolument
évitables, aucun de ces enfants n’est
cubain. C’est la démonstration claire
que cela est possible si les Etats
développent l’attention à l’enfance et
en font une priorité.
[…] Cuba démontre que, malgré les crises
internationales, malgré la gravité de
l’impact des sanctions économiques sur
le développement de l’enfance, malgré
tout cela – car c’est le seul pays qui
en souffre –, il est possible de
garantir pleinement les droits de
l’enfant et d’atteindre des niveaux de
développement humain de plus en plus
élevés comme c’est le cas à Cuba. Cuba
est un exemple dans le monde sur la
façon de travailler pour garantir les
droits de l’enfant et le plein
développement. Le peuple cubain jouit
d’un trésor dont il dispose et dont il
ne se rend parfois pas compte. Les
enfants et les adolescents sont des
privilégiés en comparaison avec le reste
du monde[8].
20 000 enfants vont mourir dans le monde
[aujourd’hui], et l’écrasante majorité
de ces décès pourrait être évitée. Il
est criminel de laisser mourir des
enfants, alors que nous avons les moyens
de les sauver. Si la question de
l’enfance était une priorité au niveau
mondial, les problèmes dont sont
victimes les enfants seraient donc
résolus depuis longtemps, comme cela est
le cas à Cuba.
Cuba a toujours été un exemple dans le
secteur du développement social, avec
des niveaux d’égalité similaires à ceux
des pays les plus développés.
Le travail accompli à Cuba avec les
mineurs délinquants (autre grand thème
et défi pour l’Amérique Latine et la
Caraïbe) est exemplaire. Ici, il n’y a
pas de barreaux pour les enfants. Le
système prône la réhabilitation pour ces
jeunes égarés […]. De même, tous les
enfants handicapés sont pris en charge,
et ce, à domicile même si l’enfant n’est
pas en mesure de se déplacer. C’est ici
est une avancée exceptionnelle.[…].
C’est le seul pays que je connaisse où
l’on peut célébrer en dansant la Journée
Internationale de l’Enfance […][9] ».
Le représentant de l’UNICEF souligne
également la chose suivante : « En
raison de mon travail je me suis
consacré dans tous les pays à enterrer
des enfants. Cependant, à Cuba, je me
consacre à jouer avec eux ». Il n’hésite
pas à qualifier
l’île de « paradis de l’enfance en
Amérique latine[10] ».
L’UNICEF rappelle que Cuba est le seul
pays d’Amérique latine et du Tiers-monde
à avoir éradiqué la malnutrition
infantile[11].
Réponse de La Havane
Du côté de
La Havane, les autorités ont fermement
condamné la nouvelle inclusion de Cuba,
présente sur la liste noire depuis 2003,
dans le groupe des pays impliqués dans
la traite d’êtres humains, et ont
qualifié le rapport de « manipulateur et
unilatéral[12] » :
« Le Département
d’Etat a décidé une nouvelle fois
d’inclure Cuba dans la pire des
catégories (niveau 3) de son rapport
annuel sur les pays qui ‘ne remplissent
pas complètement les standards minimum
pour l’élimination de la traite de
personnes et ne font pas d’efforts
significatifs en ce sens’, en faisait fi
de la reconnaissance et du prestige
atteints par notre pays pour son
engagement marqué en faveur de la
protection de l’enfance, de la jeunesse
et de la femme.
Cuba n’a pas sollicité l’évaluation des
Etats-Unis ni n’a besoin des
recommandations du gouvernement d’un des
pays ayant le plus grand nombre de
problèmes de traite d’enfants et de
femmes au monde. Les Etats-Unis ne
disposent d’aucune autorité morale pour
qualifier Cuba, ni pour nous suggérer
des ‘plans’ d’aucune sorte, alors qu’on
estime que le nombre de citoyens
nord-américains victimes de trafic est
proche des 200 000, où l’exploitation au
travail est la forme de traite de
personnes la plus répandue, où 85% des
procès ouverts à ce sujet correspondent
à des cas d’exploitation sexuelle, et où
plus de 300 000 enfants, parmi le
million qui abandonnent leur domicile,
sont sujets à une forme d’exploitation.
[…]
L’inclusion dans cette liste, pour des
motivations totalement politiques, comme
cela l’est également pour la désignation
de Cuba comme Etat soutenant le
terrorisme international, est destinée à
justifier la politique de blocus
économique […] qui affecte gravement nos
enfants, notre jeunesse, nos femmes et
tout notre peuple[13] ».
Washington
reconnait le caractère lacunaire de son
rapport et l’UNICEF met à mal les
accusations contre Cuba. En plus de
cela, l’implication des Etats-Unis dans
la traite d’êtres humains et dans
l’exploitation légale d’enfants dès
l’âge de 12 ans sape leur autorité
morale et porte un coup sévère à leur
crédibilité.
A suivre : « Cuba,
les Etats-Unis et la traite d’êtres
humains 2/2 »
Docteur ès Etudes
Ibériques et Latino-américaines de
l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba.
Les médias face au défi de
l’impartialité, Paris, Editions
Estrella, 2013 et comporte une préface
d’Eduardo Galeano.
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[4]
State
Department,
« Trafficking in Persons Report
2014 », juin 2014, op. cit.,
p. 149.
[5]
José A. De la Osa, « Cuba es
ejemplo en la protección a la
infancia », Granma, 12
avril 2008.
[6]
Fernando Ravsberg, « UNICEF :
Cuba sin desnutrición
infantil », BBC, 26
janvier 2010.
[7]
Radio
Havane Cuba,
« l’UNICEF signale que Cuba est
un exemple en matière des droits
de l’homme », 1 juin 2012.
[10]
Marcos Alfonso, « Cuba : ejemplo
de la protección de la infancia,
reconoce UNICEF », AIN,
18 juillet 2010.
[11]
UNICEF, Progreso para la
infancia. Un balance sobre la
nutrición, 2011.
[12]
Agence
France Presse,
« Cuba califica de ‘manipulador
y unilateral’ informe de EEUU »,
21 juin 2014.
[13]
Josefina Vidal Ferreiro,
« Declaración de la Directora
General de Estados Unidos del
Ministerio de Relaciones
Exteriores de Cuba »,
República de Cuba, 21 juin
2014.
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