Interview de Radio
Vatican à Salim Lamrani
« Si les Etats-Unis sont prêts à
établir des relations avec Cuba basées
sur le droit international, il n’y aura
aucun obstacle au rapprochement entre
les deux pays ».
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Mercredi 11 mai 2016
Blandine
Hugonnet
Radio Vatican
http://fr.radiovaticana.va/news/...
Entretien - Le
président américain Barak Obama est
arrivé, dimanche 20 mars 2016, à Cuba
pour entériner le rapprochement entre
Washington et La Havane. Une visite
historique, la première d’un président
américain en exercice depuis 1928. Les
relations diplomatiques entre les deux
pays ont repris à l'été 2015.
Depuis quelques temps, les Etats-Unis
assouplissent leurs mesures concernant
les restrictions commerciales et les
voyages. Mais il reste la question de
l’embargo économique : le Congrès refuse
pour l’instant de le lever. Ce sera donc
une question abordée lors de la
rencontre entre Barack Obama et
le président cubain Raoul Castro.
De son côté, le président américain
veut rompre avec une politique
d’isolement vis-à-vis de la Havane,
qu’il juge obsolète et stérile.
Salim Lamrani est Maître
de conférences à l’Université de La
Réunion, et spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Il revient sur les enjeux de cette
visite. Des propos recueillis par
Blandine Hugonnet.
Blandine Hugonnet : Que représente la
visite du Président Barack Obama à
Cuba ?
Salim
Lamrani : Il s’agit de la reconnaissance
du gouvernement de La Havane et de
l’existence de la Révolution cubaine. Il
s’agit également d’une reconnaissance de
l’échec d’une politique hostile qui a
été menée par les Etats-Unis depuis plus
d’un demi-siècle, dont l’approche a été
modifiée depuis la fameuse déclaration
du 17 décembre 2014.
BH : En
quoi la politique des Etats-Unis
vis-à-vis de Cuba était-elle finalement
un échec ?
SL : Les
Etats-Unis imposent des sanctions
économiques à Cuba depuis plus d’un
demi-siècle, lesquelles constituent le
principal obstacle au développement du
pays et affectent les catégories les
plus vulnérables de la population, à
savoir les personnes âgées, les enfants
malades et les femmes. L’objectif
initial était de mettre un terme au
processus révolutionnaire cubain, de
renverser Fidel Castro et d’isoler Cuba.
Le résultat est inverse
puisqu’aujourd’hui les Etats-Unis se
retrouvent isolés au sein de la
communauté internationale sur la
question des sanctions économiques. En
octobre 2015, pour la 24ème
année consécutive, 191 pays sur 193 ont
voté en faveur de la levée des
sanctions. Y compris les plus fidèles
alliés de Washington exigent la levée
d’une politique qui remonte à la guerre
froide et qui n’a plus lieu d’être.
BH : Quel
processus a mené à cet apaisement entre
les Etats-Unis et Cuba ?
SL : Les
Cubains ont toujours fait montre de leur
disposition à entretenir des relations
normales avec Washington, à condition
que les principes du droit international
soient respectés, à savoir l’égalité
souveraine, la réciprocité et surtout –
c’est une chose à laquelle les Cubains
tiennent beaucoup – la non-ingérence
dans les affaires internes.
Il est
important de rappeler que le différend
qui oppose Washington à La Havane est
asymétrique. Il ne s’agit pas d’une
hostilité bilatérale. Ce sont les
Etats-Unis qui imposent des sanctions à
Cuba et qui exigent un changement de
régime.
BH :
Quelle a été l’importance du Pape
François dans cette reprise des
relations ?
SL : Le
Vatican et le Pape François ont joué un
rôle fondamental et décisif dans le
rapprochement entre les deux pays. Lors
des déclarations historiques réalisées
par le Président Raúl Castro et le
Président Obama, tous deux ont tenu à
souligner le rôle positif et constructif
du Vatican. Le Pape François a joué un
rôle de médiateur qui a été fondamental.
Par son autorité, son prestige et sa
volonté de trouver une solution
pacifique à ce conflit, il a construit
un pont de dialogue politique et
diplomatique entre les deux nations. Les
Cubains lui en sont très reconnaissants.
Il en est de même pour les citoyens des
Etats-Unis car il faut savoir que la
majorité de l’opinion publique
étasunienne est favorable à une relation
normale entre les deux pays.
BH : Le
Président Barack Obama termine son
mandat cette année ? Quel est son
objectif dans la relance du dialogue ?
Quelle est sa stratégie ?
SL : Je crois
que le Président Obama veut marquer
l’histoire comme étant celui qui aura
adopté la politique la plus constructive
vis-à-vis de Cuba et qui aura réparé une
anomalie. Il est en effet curieux de
voir que des peuples si proches, les
Cubains et les Américains, séparés,
malgré la distance d’à peine 150 km. Il
s’agit de deux peuples qui partagent une
même histoire, une même géographie et
qui ont beaucoup d’éléments culturels en
commun. Les Cubains sont beaucoup
influencés par la culture des
Etats-Unis. Le Président Obama a entendu
l’appel de la communauté internationale
et de ses propres citoyens et il a
adopté une position qui est applaudie
par le monde entier.
BH :
Quelles vont être les conséquences de ce
réchauffement des relations entre les
Etats-Unis et Cuba sur les populations ?
SL : Il est
indéniable que le différend politique
qui a opposé Washington à La Havane
pendant plus d’un demi-siècle a brisé le
lien spirituel entre les deux peuples et
a fortement conditionné la société
cubaine qui vit sous état de siège
depuis 50 ans. Je crois que ce dialogue
permettra aux citoyens des Etats-Unis de
découvrir Cuba et les Cubains pourront
renouer des liens avec leurs voisins.
D’un point de
vue économique, si le Président Obama
met un terme aux sanctions, le principal
obstacle au développement de l’île sera
levé et les Cubains pourront bénéficier
d’un meilleur niveau de vie matériel.
BH : Cette
reprise du dialogue est-elle viable et
durable ?
SL : Tout
dépend de la volonté des Etats-Unis.
J’insiste une nouvelle fois sur le
caractère asymétrique du conflit puisque
c’est Washington qui impose des
sanctions aux Cubains. Cuba est disposée
à entretenir des relations normales avec
le Voisin du Nord à condition que l’on
respecte son indépendance, son modèle
social et son système politique. Si les
Etats-Unis sont prêts à établir des
relations avec Cuba basées sur le droit
international, il n’y aura aucun
obstacle au rapprochement entre les deux
pays.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba, parole à la
défense !, Paris, Editions Estrella,
2015 (Préface d’André Chassaigne).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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