Amérique latine
Che Guevara, apôtre des
opprimés II
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Vendredi 1er décembre 2017
Salim Lamrani
Université de La Réunion
The Huffington Post
https://www.huffingtonpost.com/entry/che-guevara-apostle-of-the-oppressed_us_5a1dd637e4b0e9a1b9c7b482
Le cinquantième
anniversaire de l’assassinat du Che en
Bolivie le 9 octobre 1967 offre
l’occasion de revenir sur le parcours du
révolutionnaire cubano-argentin qui a
dédié sa vie à la défense des « Damnés
de la terre ».
II.
Les
premières mesures révolutionnaires
Che Guevara fut-il l’un des
premiers guérilleros à entrer à La
Havane ?
Après l’échec de l’offensive
batistienne de juin-juillet 1958
destinée à liquider une fois pour toute
la guérilla, Fidel Castro a décidé de
lancer fin août une contre-offensive et
d’étendre l’insurrection armée à toute
l’île. Le Che et Camilo Cienfuegos ont
ainsi été envoyés à la tête de deux
colonnes dans la zone centrale de Cuba,
à Villa Clara. Le périple de près de 500
kilomètres a duré un mois dans des
conditions extrêmement difficiles. Pour
l’anecdote, les guérilleros n’ont pu
s’alimenter que 11 fois en 30 jours et
même dû manger « une jument crue sans
sel ». « Seules les insultes et les
menaces en tout genre permettaient de
faire avancer cette masse épuisée »,
notait le Che dans son journal. Fin
décembre, les troupes du Che et de
Camilo prennent d’assaut la ville de
Santa Clara et s’emparent du fameux
train blindé rempli d’armes et de
munitions. A l’aube du 1er
janvier 1959, Batista abandonne le
pouvoir et prend la fuite pour la
République dominicaine du tyran
Trujillo. Fidel Castro ordonne alors au
Che et à Camilo de marcher sur La Havane
et de s’emparer pour le premier de la
caserne de La Cabaña et pour le second
du camp militaire de Columbia.
Quelles sont les grandes
figures de la révolution cubaine au
moment de son triomphe ?
La principale figure
révolutionnaire au triomphe de la
Révolution cubaine le 1er
janvier 1959 est incontestablement Fidel
Castro. Aucun autre cadre du Mouvement
26 Juillet n’est en mesure de lui
disputer le leadership. Il symbolise en
sa personne l’aspiration du peuple
cubain à la dignité et à l’émancipation.
L’autre grande figure est bien entendu
le Che qui représente l’archétype de
l’internationaliste solidaire disposé à
risquer sa vie pour la liberté d’une
terre qui n’est pas celle de ses
ancêtres et qui a fait sienne la maxime
de José Martí, le héros national cubain,
« la Patrie, c’est l’Humanité ». Le
troisième grand personnage de la
Révolution est Camilo Cienfuegos,
lui-même issu du petit peuple, doté d’un
courage extraordinaire, et qui était
très proche du Che. Il y avait une
grande complicité entre eux. Pour
l’anecdote, c’était le seul à oser
couper les cordes de son hamac lorsque
celui-ci y dormait. L’autre figure
incontestable est à l’évidence Raúl
Castro qui, malgré son jeune âge, a
montré sur le champ de bataille ses
qualités de combattant, de stratège et
de leader. Il convient de rappeler que
Raúl Castro a débuté la guerre comme
simple soldat. Il a, comme tous les
autres, dû faire ses preuves au combat.
Nous pourrions également mentionner Juan
Almeida, à qui l’on doit cette célèbre
phrase prononcée lors du tout premier
combat face à l’ennemi « Ici, personne
ne se rend ! », et également Ramiro
Valdés, entre autres.
Pourquoi l’appelle-t-on
« Che » ?
Le premier à l’avoir surnommé
« Che » est Antonio « ñico » López, un
membre du groupe de la Moncada, qu’il a
rencontré au Guatemala. « Che » est une
interjection typiquement argentine.
Comme Guevara, en bon Argentin, avait
l’habitude de commencer chaque phrase
par « Che », il a donc été surnommé
ainsi.
Quel fut le rôle du Che dans
l'élaboration du « programme
révolutionnaire » ?
Le Che joue un rôle-clé dans la
création de l’Institut national de
réforme agraire et dans l’élaboration de
la loi de Réforme agraire promulguée en
mai 1959. Selon lui, « le guérillero est
d’abord et avant tout un révolutionnaire
agraire. Il interprète les souhaits de
la grande masse paysanne de posséder la
terre, les moyens de production, les
animaux et tout ce pour quoi elle a
lutté pendant des années ». Il est
ensuite nommé Ministre de l’Industrie.
Le Che a également soutenu la
création de l’Institut cubain des Arts
de et l’Industrie cinématographiques
(ICAIC), créé le 2 mars 1959 par la loi
169. Dès le départ, le gouvernement
révolutionnaire a fait de la culture une
priorité nationale. L’art est nécessaire
à l’équilibre d’une société et il est un
vecteur d’idées et de principes. Le 7ème
art est un instrument d’opinion et de
formation de la conscience individuelle
et collective et contribue à la
diffusion des valeurs nécessaires à
l’édification d’une société nouvelle
basée sur la solidarité, l’intérêt
général et le partage. C’est une arme de
lutte contre l’ignorance et les préjugés
quand elle est utilisée pour atteindre
des objectifs nobles et généreux.
Pourquoi Che Guevara est-il
nommé Procureur de la Cabaña et chargé
des tribunaux révolutionnaires ?
Le prestige et l’autorité du Che
sont indiscutables à Cuba. Il est réputé
pour sa droiture et son intransigeance.
Durant la lutte révolutionnaire, il
s’est montré implacable avec les
puissants, les bourreaux, les
tortionnaires et les assassins, et
bienveillant avec les faibles, les
victimes et le petit peuple exploité et
humilié. Durant la guerre
révolutionnaire, Fidel Castro a fait le
serment au peuple que les criminels
seraient châtiés. La dictature de
Fulgencio Batista avait fait près de
20 000 victimes. Lors de son premier
discours le 1er janvier 1959,
le leader de la Révolution avait lancé
un appel au peuple, le conjurant de ne
pas céder aux sirènes de la vengeance,
assurant que les coupables seraient
punis par les tribunaux
révolutionnaires. Le peuple cubain a
d’ailleurs fait preuve d’un grand
civisme lors du triomphe de la
Révolution et n’a pas sombré dans la
violence vengeresse. Il savait que
l’heure de la justice arriverait et
Fidel Castro a tenu parole en nommant le
Che, figure prestigieuse du mouvement
révolutionnaire, Procureur de la Cabaña.
La justice révolutionnaire est
toujours une justice sommaire et
expéditive, dans tous les pays du monde.
Les individus reconnus coupables de
crimes de sang ont été condamnés à la
peine capitale. C’était une nécessité
politique, une exigence populaire et un
devoir de justice que de juger les
criminels de guerre et les
tortionnaires. Il y a eu environ 500
exécutions suite au triomphe de la
Révolution lors de procès publics, car
le peuple devait être informé du
déroulement du processus judiciaire en
toute transparence.
Aux Etats-Unis, le gouvernement et
la presse ont lancé une campagne de
discrédit contre le gouvernement
révolutionnaire, dénonçant les
exécutions. Curieusement, durant la
sanglante dictature de Bastita, ils
avaient tous – à quelques exceptions
près – observé un silence complice
pendant que les Cubaines et les Cubains
étaient poursuivis, violés, torturés et
assassinés.
En guise de comparaison, lors de
l’Epuration survenue en France à la fin
de la Seconde Guerre Mondiale, plus d’un
million de personnes furent arrêtées et
près de 100 000 furent condamnées. Il y
eut près de 10 000 exécutions, dont
9 000 extrajudiciaires.
Le Che était-il impliqué dans
les Unités militaires d’aide à la
production (UMAP) ?
Non, le Che
n’a pas été à l’origine des UMAP. A
Cuba, le service militaire est
obligatoire. Dans les années soixante,
les personnes qui ne souhaitaient pas
effectuer leur service pour des raisons
éthiques, philosophiques, religieuses ou
personnelles, devaient effectuer un
service civique en réalisant des travaux
agricoles dans des unités à la campagne.
Au sein de ces UMAP, les homosexuels ont
été victimes de discriminations, de
vexations, de brimades et de moqueries
et ont été logés dans des baraquements
séparés.
Ces
violations des droits humains sont
parvenues aux oreilles de Vilma Espín,
épouse de Raúl Castro, et surtout
Présidente-fondatrice de la puissante
Fédération des femmes cubaines. Elle en
a donc informé Fidel Castro. Ce dernier,
qui s’est toujours appuyé sur la
jeunesse et les étudiants, a décidé
d’envoyer clandestinement un groupe de
militants de l’Union des jeunesses
communistes au sein des UMAP pour
vérifier les faits. Après plusieurs
semaines d’observation, ils ont rendu un
rapport accablant confirmant les
atteintes aux droits de ces personnes et
les UMAP ont été fermées en 1968, un peu
moins de deux ans après leur création.
Il faut rappeler que le seul rôle de
Fidel Castro dans les UMAP a été de
procéder à leur fermeture définitive.
Quelles sont les rapports du
Che avec la presse ?
En tant que figure importante de
la Révolution cubaine, le Che était
régulièrement sollicité par la presse
nationale et la presse étrangère,
curieuse d’interroger un Argentin qui
avait voué son existence au processus de
transformation sociale de l’île. Le Che
avait conscience de l’importance des
médias dans la guerre politique et
idéologique qu’il fallait mener contre
les forces conservatrices.
Le Che a donc été à l’origine de
la création de Radio Rebelde dans
les montagnes de la Sierra Maestra le 24
février 1958, date commémorant le
soulèvement de Baire de 1895 qui marque
le début de la seconde guerre
d’indépendance menée par José Martí.
Avec du matériel rudimentaire et un
branchement artisanal, le Che a réussi à
briser le monopole médiatique de la
dictature militaire de Fulgencio
Batista. La revue Verde Olivo est
l’organe de presse des forces armées
révolutionnaires cubaines qui a été
créée en avril 1959 par le Che, Camilo
Cienfuegos et Raúl Castro. Dans cette
revue, le Che a publié ses expériences
de guerre et une section intitulée
« Conseils au combattant », ainsi qu’une
chronique régulière sous le pseudonyme
de « Franc-tireur ». L’objectif de la
revue était de cultiver la mémoire
historique des luttes à Cuba et de
transmettre les témoignages des
combattants.
De la même manière, en juin 1959,
Prensa Latina a vu le jour.
L’objectif était de doter le pays d’une
agence de presse performante afin de
contrecarrer les campagnes de propagande
hostiles en provenance des Etats-Unis.
De plus, elle permettait d’apporter un
regard latino-américain sur la réalité
du Tiers-monde, et de s’émanciper ainsi
de l’hégémonie médiatique de la presse
occidentale.
Pourquoi, lors du triomphe de
la Révolution, certains journaux ont-ils
été interdits et les chaînes de
télévisions nationalisées.
L’immense majorité des médias
était entre des mains privées au
triomphe de la Révolution cubaine, ce
qui représentait un danger pour le
processus émancipateur de transformation
sociale. La plupart des médias, aux
mains des capitaux de l’époque, étaient
opposés à toute remise en cause de
l’ordre établi et à toute abolition des
hiérarchies sociales et des privilèges.
De plus, ils ont été les alliés naturels
de Washington, qui s’est immédiatement
opposé au processus révolutionnaire en
accueillant les tortionnaires de Batista
qui venaient de piller les réserves de
la banque nationale cubaine. La
nationalisation des médias était une
nécessité politique et stratégique et
mettait un terme au monopole des
puissances d’argent dans ce secteur.
A quelle occasion la célèbre
photographie du Che a-t-elle été
réalisée ?
La photo a été prise par Alberto
Korda le 6 mars 1960 à La Havane lors de
l’hommage funèbre rendu aux victimes
civiles de l’attentat contre le navire
français La Coubre qui
transportait armes et munitions belges à
Cuba. Le 4 mars 1960, alors que l’on
déchargeait le navire, une double
explosion survient et cause la mort de
plus d’une centaine de personnes et fait
des centaines de blessés et mutilés.
L’attentat est l’œuvre de la CIA qui a
mené dès 1959 une campagne de terrorisme
contre l’île dans le but de renverser le
gouvernement révolutionnaire. Au total,
près de 10 000 attentats ont été
orchestrés par les Etats-Unis contre
Cuba et ont causé la mort de 3 478
personnes et 2 099 mutilés à vie.
Washington avait fait pression sur les
pays occidentaux afin qu’ils ne livrent
pas d’armes à Cuba. L’objectif était de
pousser l’île vers le giron soviétique
pour pouvoir ainsi justifier sa
politique hostile à l’égard de La
Havane. La Belgique avait refusé de se
plier aux injonctions étasuniennes.
Suite à l’attentat de La Coubre,
elle s’est résolue à interrompre ses
livraisons d’armes à Cuba.
La photographie deviendra célèbre
en 1967 suite à l’assassinat du Che
lorsque l’éditeur italien Feltrinelli
décide d’en faire des affiches. Depuis
cette date, le Che est devenu un symbole
international de la résistance à
l’oppression.
Quel rôle joue le Che face à
l’hostilité des Etats-Unis ?
Il faut rappeler que le conflit
entre Cuba et les Etats-Unis est
asymétrique. Il y a une superpuissance
hostile et agressive, Washington, et une
victime, La Havane. Ce sont les
Etats-Unis qui se sont opposés à
l’aspiration du peuple cubain à la
liberté, à l’émancipation, à la justice
sociale et à la souveraineté, en
décidant des destinées de l’île et en
soutenant les dictatures au service de
ses intérêts. Ce sont les Etats-Unis qui
ont apporté leur soutien à Batista
jusqu’aux ultimes instants. Ce sont les
Etats-Unis qui ont accueilli à bras
ouverts les bourreaux et criminels de
l’ancien régime après le 1er
janvier 1959. Ce sont les Etats-Unis qui
ont financé, organisé et mené une
campagne de terrorisme contre Cuba. Ce
sont les Etats-Unis qui ont refusé de
raffiner le sucre cubain et le pétrole
en provenance de l’Union soviétique.
Hormis la réforme agraire, toutes les
mesures prises par le gouvernement
révolutionnaire après 1959 ont été des
réponses à une agression de la part de
Washington.
Quel fut le rôle du Che face à
l’invasion de la Baie des Cochons en
avril 1961 et durant la Crise des
missiles d’octobre 1962 ?
Lors de l’invasion de la Baie des
Cochons et de la Crise des missiles, le
Che était chargé du commandement
militaire de la zone occidentale du
pays.
Suite à la crise des missiles et
au vu de son dénouement, les Cubains ont
eu la certitude que la défense de la
souveraineté nationale ne dépendait que
d’eux, et qu’en cas d’invasion militaire
de la part des Etats-Unis, l’Union
soviétique n’apporterait pas son
concours pour la défense du territoire
national. En effet, Moscou avait accepté
de négocier un retrait des missiles
nucléaires sans daigner consulter les
Cubains alors que ceux-ci jouaient leur
existence. Fidel Castro, tout comme le
Che, avait des exigences précises :
Washington devait cesser ses actes
hostiles contre Cuba, lever les
sanctions économiques contre l’île,
rendre la base navale de Guantanamo,
garantir qu’il n’y aurait pas d’invasion
militaire et cesser de financer les
groupes terroristes qui sévissaient dans
la Sierra de l’Escambray.
Le dénouement final de la crise
des missiles avait plongé les Cubains
dans une certaine amertume et le Che a
pris ses distances avec Moscou,
dénonçant même dans le célèbre discours
d’Alger les rapports inégaux entre le
bloc de l’Est et les pays du Sud, ainsi
que son manque de solidarité à l’égard
des mouvements anticoloniaux du
Tiers-monde. Il convient de se souvenir
de sa célèbre exhortation : « Les pays
socialistes ont le devoir moral de
liquider leur complicité tacite avec les
pays exploiteurs de l’Ouest ».
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, spécialiste
des relations entre Cuba et les
Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Fidel Castro,
héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
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