MADANIYA
Langue Arabe : Un combat contre l’air du
temps
Nadine Sayegh

Lundi 30 novembre 2020 Par Nadine
Sayegh, chroniqueuse du site
https://www.5njoum.com/, dirigé par
le journaliste libanais Sami Kleib,
ancien responsable du service arabe de
RFI et dissident de la chaîne
trans-frontière du Qatar Al Jazeera.
Universitaire franco syrienne,
parfaitement bilingue franco-arabe, sans
pour autant avoir été gangrénée par
l’islamisme.
Note de la
rédaction
https://www.madaniya.info/
De la France et
De la langue arabe
Et si
l’apprentissage de la langue arabe
permettait une meilleure maîtrise de la
langue française ?
Luc Ferry a estimé
que l’apprentissage de la langue arabe
en France serait «le meilleur moyen de
booster la prolifération des écoles
coraniques ou des écoles
confessionnelles», suggérant par là une
sournoise islamisation rampante de la
France via la langue du prodigieux Abou
Tayeb Al Moutannabi (1).
Par la
superficialité de sa réplique à la
proposition d’Emmanuel Macron, Luc Ferry
apporte la preuve non d’un gai savoir,
mais d’un triste savoir. Un pitoyable
savoir d’un redoutable ignorant.
Le président
français avait émis le 2 octobre
dernier, lors de son discours sur le
« séparatisme » aux Mureaux le souhait
de faire en sorte que la langue arabe »
soit davantage enseignée à l’école ou
dans un cadre périscolaire « que nous
maîtrisons ». « Notre jeunesse est aussi
riche de cette culture plurielle »,
avait alors scandé le chef de l’État.
A-t-il jamais songé
ce philosophe, ancien ministre de
l’Éducation Nationale et de la Recherche
du gouvernement de Jean Pierre Raffarin
(2002-2004), que l’enseignement de la
langue arabe pourrait assurer une
meilleure maitrise du Français pour
l’ensemble des locuteurs de la langue de
Molière tant il est vrai que la langue
française contient davantage de mots
d’origine arabe que du gaulois. Et que
l’Europe aura été le fossoyeur de sa
propre cause du fait de son bellicisme
exacerbé et sa prédation colonial de la
planète? A plaindre les passagers des
onéreuses croisières pédagogiques du
professeur Ferry en Méditerranée.
Pour aller plus
loin :
De la France et
de son legs colonial
Jean Pruvost,
auteur de “la fabuleuse histoire des
mots français d’origine arabe» l’assure
sans ambages: «La langue arabe est
extrêmement présente dans la langue
française. L’arabe est la troisième
langue d’emprunt, puisque la première
c’est l’anglais, ensuite l’italien.
L’arabe n’a cessé d’enrichir notre
langue entre le IXe siècle et
aujourd’hui.
… »Au départ, c’est
principalement Al Andalus, l’Espagne
musulmane qui a donné de nombreux mots
courants et mots savants au XIIIe siècle
en français. Plus tard, la colonisation
et la décolonisation ont apporté une
nouvelle vague de mots, avec notamment
un volet important dans le domaine de la
gastronomie », soutient-il.
Pour aller plus
loin :
Barbara Lefebvre,
enseignante, adopte une position
sensiblement voisine de celle formulée
par Luc Ferry, estimant que: «L’arabe
n’a pas à être enseigné à l’école
publique dès le primaire»
Outre les arguments
anti-discrimination et anti-islamisme,
certains promoteurs de la généralisation
de l’enseignement de l’arabe avancent un
argument pro-business. «L’arabe est un
atout dans la mondialisation vu le poids
pris par les pays du Golfe et le Maghreb
dans nos échanges économiques», plaide
ainsi l’essayiste franco-tunisien Hakim
El Karoui.
La France baigne
dans son legs colonial, sans toutefois
vouloir l’admettre, sans peut être s’en
rendre compte. Ses villes et villages en
portent l’empreinte et sa langue en est
imprégnée, «à l’insu des Français»,
d’une manière impensée.
Très peu savent que
Ramatuelle, rieuse bourgade du sud de la
France, tire son origine d’une action de
grâce des migrants « infidèles »
arrivant à bon port, invoquant la
miséricorde de Dieu (Rahmatou Llah),
Carcassonne, d’une reine arabe
(Karkachouna). Que la France communique
avec l’extérieur par le truchement
(tourjoumane, interprète) de ses
diplomates. Que les Field Medal décernés
à ses mathématiciens résultent de leur
maîtrise de l’Algèbre et du Logarithme
(al jabr, al khawarizmi), que les grades
de l’armée française empruntent à
l’ordonnancement arabe de l’Amiral (Amir
al Bahr, le seigneur des mers), au
capitaine (Al Qabda-la poigne) et par
extension Qobtane, l’homme qui assure la
maîtrise.
Que le meilleur
coup de colère, enfin, n’est jamais
mieux exprimé que dans le langage du
bled (al bilad, le pays), surtout
lorsqu’on vous «casse les glaouis»,
suscitant, en retour, une envie de les
«niquer», sans doute le terme le plus
usité de la langue française, devant les
exorbitants droits de douanes (diwan,
canapé installé à l’entrée des villes
pour prélever les taxes), dont on
aimerait être exonéré, de même que les
honoraires du psychanalyste après
passage sur son divan, sauf à recourir à
l’alcool (al kouhoul) pour soigner les
blessures du corps, de même que les
blessures du cœur, à moins d’y célébrer
l’alchimie (al kimia’) de la belle
symbiose linguistique franco-arabe.
La France a un
sérieux problème de mémoire, dont elle
veut se jouer, en occultant ses aspects
hideux, qui se jouent finalement d’elle.
Des embardées répétitives comme autant
de remugles mal digérés de l’histoire
tourmentée de ce pays, qui expliquent
les dérives du débat public en France.
Le seul pays qui soit traversé
périodiquement par le débat sur
l’identité nationale, signe patent d’une
pathologie mémorielle.
La politique des
égards
Il fut un temps où
apprendre le turc, l’arabe ou le persan,
c’est à dire les langues vernaculaires
des peuples autochtones, constituait le
dernier des raffinements. Bien avant la
Révolution, Molière, à l’instar de
Monsieur Jourdain, s’ouvrant par
curiosité intellectuelle à la culture
des autres, s’y était essayé avec son
Mamamouchi au XVII me siècle, et,
Voltaire, un siècle plus tard, avec
Zadig, ce jeune babylonien (Irak) qui se
hissera au symbole de la sagesse
contrariée par l’injustice.
Il n’y avait pas
besoin d’être grand clerc à l’époque
pour savoir que la politique d’un pays
est dictée par son histoire et sa
géographie et qu’une diplomatie de bon
voisinage est gage de prospérité.
François Ier
(1494-1574) et Soliman Le Magnifique,
surmonteront ainsi leurs récriminations
réciproques sur le contentieux des
Croisades, particulièrement le sac de
Jérusalem (1099) et de Constantinople
(1204), -«les pages honteuses de
l’Occident chrétien», selon l’expression
de l’historien Jacques Le Goff-, pour
sceller une audacieuse alliance. Pris en
tenaille entre l’Allemagne et l’Espagne,
tous deux sous la couronne de Charles
Quint (1550-1558), François Ier
pactisera avec le chef de l’Empire
ottoman, un infidèle, au grand scandale
de la chrétienté d’alors, en vue de
contrebalancer la puissance du saint
Empire. Dans la même veine de son
inspiration, il créera le «Collège des
lecteurs royaux», précurseur du Collège
de France et imposera l’enseignement de
l’arabe, en1537, qui connaîtra sa
consécration cinquante ans plus tard par
la création de la chaire d’arabe.
Louis XIV
parachèvera son œuvre sur le plan
culturel. Sous l’impulsion de Colbert
désireux de mettre à la disposition des
négociants français des interlocuteurs
appropriés en Orient, le Roi Soleil
fonde la section des langues orientales
au Collège Louis le Grand.
Colbert, l’auteur du si horrible «Code
Noir de l’esclavage» qui sera publié
après sa mort sous l’Édit de Mars 1695,
décrétera «le privilège de la terre de
France» et son pouvoir libératoire; une
clause de sauvegarde qui permettait de
satisfaire un triple objectif:
l’affranchissement automatique des
esclaves du seul fait de fouler le sol
français, la consécration a priori de
l’esclavage ans les possessions
d’outre-mer et la préservation des
intérêts fondamentaux de la France par
la mise en valeur de sa tradition
d’hospitalité et de son bon renom dans
le monde.
Sous la Révolution,
la section des langues orientales du
collège Louis le grand deviendra une
institution autonome «l’École des
langues orientales». L’arabe, le turc et
le persan y seront les premières langues
enseignées. Le général Bonaparte en
Égypte décrétera la politique des
égards…à l’égard des indigènes. Non pas
par tropisme arabo musulman, mais pour
l’évidente raison que le respect
d’autrui constitue la première forme de
respect de soi. En un mot par un
réalisme enrobé d’idéalisme qu’il
considérera comme le meilleur gage de la
pérennisation de son action.
François Ier le
précurseur, Bonaparte, le successeur,
percevront les dividendes de cette
politique d’ouverture vers l’outremer,
deux siècles plus tard avec Jean
François Champollion, l’un des plus
illustres élève des «Langues O»,
décrypteur des hiéroglyphes égyptiennes,
une découverte qui fera de l’Égypte,
l’un des centres du rayonnement culturel
français en Orient, un exemple de
rentabilité opérationnelle, le fameux
«retour sur investissement» du jargon
moderne.
En stratège, le
général corse, sans doute plus averti
des subtilités géostratégiques de la
Méditerranée, s’est borné à recentré la
politique de son royal prédécesseur
considérant que La Mecque et non
Constantinople constituait le centre
d’impulsion de la politique française de
la zone. Se gardant de tout messianisme,
il revendiquera pour la France la charge
du domaine régalien, laissant aux
autochtones la gestion de leurs propres
affaires locales, en application de «la
politique des égards», première
expression politique de l’autogestion
des territoires conquis. Son neveu,
Napoléon III, caressera même le projet
de fonder un «Grand Royaume Arabe» en
Algérie.
Cette évidence
mettra deux siècles à s’imposer. Mais,
entretemps, que d’humiliations, que de
gâchis. Pour avoir méconnu ce principe,
pour avoir renié ces propres principes,
la France en paiera le prix.
Pour aller plus
loin : https://www.renenaba.com/genocide-armenien-le-jeu-trouble-de-la-france/
Au delà de la
controverse, ci joint une ode à la
langue arabe par une universitaire
franco syrienne, parfaitement bilingue
franco-arabe, sans pour autant avoir été
gangrénée par l’islamisme. Une
démonstration par l’absurde de la thèse
de Luc Ferry et de Barbara Lefebvre –
Fin de la note
de la rédaction
Nadine Sayegh
https://www.5njoum.com/news/la-langue-arabe-le-combat-contre-l-air-du-temps
Animatrice d’une
chronique “A Double sens” du site
https://www.5njoum.com/, pour briser
l’unilatéralisme occidentaliste de la
vision du monde et suggérer un regard
croisé des deux rives de la
Méditerranée sur les grands thèmes du
débat contemporain.
La langue arabe,
le combat contre l’air du temps !
L’arabe, comme
toute langue, est d’abord un véhicule de
culture et de beauté, bien au-delà d’une
région ou d’une religion. Quant à cette
belle langue, trésor pour la France,
comme le crie haut et fort le président
de l’Institut du Monde Arabe, Jack Lang,
reste un sujet polémique!
La langue arabe, un
marqueur identitaire?
De l’inanité de l’équation entre langue
arabe et Islam: Le cas de l’Indonésie et
des Églises d’orient
Aujourd’hui plus
que jamais, Il est crucial de dissocier
l’arabe de l’islam. Cette langue qui a
existé bien avant la religion à laquelle
elle est toujours associée. Force est de
constater que l’Indonésie, le pays
musulman le plus peuplé au monde, ne
parle pas l’arabe !
Née des écritures
araméenne et nabatéenne, les Églises
d’Orient et les communautés juives
l’utilisent depuis des siècles comme
principal outil pour transmettre les
sciences et les savoirs grecs. C’est
aussi en langue arabe que Maimonide, ce
grand philosophe juif du Moyen Age, a
écrit «le Guide des égarés».
Bon nombre de
chrétiens arabes ont puissamment
contribué au combat pour la libération
de la Palestine, à l’instar de Georges
Habache, chef du Front Populaire pour la
Libération de la Palestine
(grec-orthodoxe), de Mgr Hilarion
Capucci, Archevêque grec catholique de
Jérusalem, de l’universitaire américano
palestinien Edward Said ou encore
Béchara Takla, fondateur du journal
égyptien Al Ahram.
Sur la contribution
des chrétiens arabes à la renaissance
culturelle du monde arabe, cf ce lien : https://www.renenaba.com/chretiens-dorient-le-singulier-destin-des-chretiens-arabes/
L’engouement
croissant pour la langue arabe
C’est la langue des
scientifiques. Des artistes. Des
entrepreneurs. La cinquième langue la
plus parlée au monde, une langue que
l’on pratique parfois sans le savoir
tant elle a imprégné le français: café,
algèbre, sucre, chimie…… plus de six
cents mots en sont encore restés!
L’arabe, c’est à la fois un trésor
mondial et un patrimoine national.
Quand François Ier
fonde le Collège royal en 1530, devenu
Collège de France, il exige que les
enseignements soient assurés en arabe,
en grec et en hébreu. À la même époque,
Rabelais recommande d’apprendre l’arabe.
Assurément, la
France a eu et aura toujours un rôle
unique à jouer dans la compréhension
mutuelle entre les pays arabes et le
reste du monde, d’autant plus que les
cours ne désemplissent pas à Sciences
Po, Normale Sup et Polytechnique. Le
plurilinguisme reste source de richesse.
L’arabe, un
tabou en France
Cependant, même si
l’arabe continue à être associée, pour
beaucoup, à la langue du Coran, Jack
Lang reste un grand partisan pour le
dissocier et bat en brèche toutes idées
reçues dans ce sens, lui qui s’est battu
pour en créer une certification
internationale de maîtrise de l’arabe
(la CIMA) au même titre que le TOEFL
pour l’anglais ou le DELE pour
l’espagnol.
«N’abandonnons pas
l’enseignement de l’arabe aux religieux…
Il faut le développer et lui donner du
prestige pour échapper aux structures
dédiées à des dérives communautaristes»,
dit-il.
Quant au remède,
Emmanuel Macron l’a trouvé pour la
rentrée en septembre 2020. Il confirme
qu’ «il est indispensable que toute
personne qui enseigne cette langue
puisse faire l’objet d’un contrôle sur
la maitrise du français et le respect
des lois de la République».
Ainsi les ELCO
(enseignements de langue et culture
d’origine) créés dans les années 70,
avec des pays partenaires tels
l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la
Turquie afin d’assurer un enseignement
culturel et linguistique aux enfants
d’immigrés, seront remplacés par les
EILE (enseignements internationaux de
langue étrangère) au même titre que
l’allemand, l’espagnol, le chinois ou
l’italien, pour que l’enseignement soit
contrôlé par l’Education nationale et
ouvert à tout élève scolarisé.
Et comme le répète
Jack Lang: «C’est en assurant pleinement
l’enseignement laïque de la langue arabe
dans l’École de la République que l’on
contribuera à affaiblir les
séparatismes».
Pour aller plus
loin sur ce thème
Et pour preuve de
l’absence du chauvinisme de ce site et
le plaisir de la lecture, ci joint une
piqûre de rappel concernant la langue
française, cf; ce lien
Références
Abou T̩ayeb Ah̩mad
ibn al-H̩usayn al-Mutanabbī est un poète
arabe appartenant à la tribu Kinda, né
en 915 à Coufa, et mort assassiné en 965
près de Dayr al-Akul (au sud de Bagdad)
Il est considéré comme le plus grand
poète arabe de tous les temps, et celui
qui a pu au mieux maîtriser la langue
arabe et ses rouages. Il lègue un grand
patrimoine de poésie avec 326 poèmes,
qui raconte sa vie tumultueuse auprès
des rois, et qui donne une vision sur la
vie arabe du Xe siècle.
Il est connu pour
sa grande intelligence, il disait ses
poèmes sur le vif, sans préparation. Il
a déclamé ses premiers poèmes très jeune
avant ses 10 ans. D’un caractère altier
et aventureux, l’un de ses poèmes
causera sa perte en précipitant son
assassinat.
Le nom « al-Mutanabbi »
voulant dire: « celui qui se dit
prophète », lui fut adjoint durant sa
jeunesse quand il écrivit des textes
qu’il disait d’inspiration divine.
Le sommaire de René Naba
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