MADANIYA
Liban : un soulèvement au parfum de «
révolution »
Roger Naba'a

Lundi 28 octobre 2019
Par Roger et René
Naba, co-auteurs de l’ouvrage «Liban:
Chroniques d’un pays en sursis» Editions
du Cygne – 2008
Un rapide coup
d’œil sur les mouvements populaires du
Liban contemporain donnera à saisir la
nouveauté du soulèvement de 2019.
Le Liban a connu 2
espèces de hirâq cha‘bi: les «en
interne» qui portent sur les conditions
de vie (cherté de la vie, salaires,
ordures, etc.) et les «en externe» qui
portent, eux, sur sa politique étrangère
(pro-français/anti, pro-nassérisme/anti,
pro-résistance palestinienne/anti,
etc.).
Seuls les deuxièmes
parce qu’ils remettaient en jeu
l’identité du Liban se sont engendrés en
crise de régime pendant que les premiers
se résorbaient facilement. Or c’est la
1ere fois qu’un soulèvement «en interne»
donne lieu à une crise de régime qui, en
outre, s’inscrit dans la durée.
Les insurgés
Nous donnons à ce
mot son sens à minima: action de se
révolter, de contester non seulement les
autorités, mais tout le système
confessionnel, sans recourir à la
violence. Les insurgés donc s’essaient à
la politique – et c’est une première –
hors cadre des confessions. Ils ne font
pas encore peuple au sens moderne et
révolutionnaire, mais ne se constituent
plus en sujets passifs et
confessionnalisés. Ils sont dans un
entre-deux, l’avenir seul dira ce qu’il
adviendra de leur destin.
La classe
politique
La classe politique
est une machine seulement orientée vers
sa propre reproduction dans les affaires
et non vers la résolution de problèmes.
Elle n’a toujours pas pris la mesure du
divorce qui la sépare de «ses
administrés» qu’elle continue d’ailleurs
à traiter comme tels.
Des obstacles
cognitifs expliquent l’élaboration de
ses réponses qui s’avèrent être
systématiquement en décalage avec la
réalité inédite portée par les
«insurgés»: ses réponses sont inadaptées
en ce qu’elles proviennent de ce qui est
en train de mourir pour interpréter la
nouvelle donne.
En ce qui
concerne l’hypothèse d’une intervention
étrangère.
Il parait impropre
de faire usage du terme intervention
étrangère, au sens stricto sensu, à
l’exemple de l’OTAN en Libye, du
déferlement des groupements terroristes
islamistes en Syrie, de l’agression
pétromonarchique, voir emême de
l’invasion américaine de l’Irak. Non pas
tant par manque de désir d’intervenir
des puissances régionales et étrangères
dans cet «état-tampon», mais par manque
de relais. Les intervenants potentiels
paraissent à la recherche d’éventuels
interlocuteurs crédibles, alors que le
soulèvement n’a toujours pas de leaders
reconnus.
L’explosion
populaire qui a secoué le Liban en
Octobre 2019 a révélé tout à la fois le
degré de corruption et d’incompétence de
ses élites dirigeantes, en même temps
que la précarité de sa population du
fait d’une gestion de son économie par
une oligarchie d’état; la vulnérabilité
politique d’un pays soumis à une tutelle
de fait des pays Occidentaux; enfin,
dernier et non le moindre des facteurs,
l’effet pernicieux de son système
constitutionnel, régit par un pacte non
écrit institutionnalisant le
confessionalisme, c’est-à-dire la
répartition des charges publiques au
plus haut niveau de l’état sur une base
religieuse.
La réponse des
libanais à la feuille de route de sortie
de crise proposée par Saad Hariri, le
chef du gouvernement, un factotum des
desiderata occidentales et pétro
monarchiques, a été sans équivoque. Une
foule d’une ampleur jamais vue a déferlé
vers le siège de la Banque du Liban, le
symbole de l’oligarchie bancaire
libanaise. Une première qui pourrait
constituer un tournant décisif dans le
mouvement citoyen et l’avenir politique
du pays.
C’est aussi une
réponse aux tentatives visant à
détourner la colère populaire d’un
mouvement spontané qui a pris de court
la caste politique.
Les tentatives
visant à attiser les dissensions
interconfessionnelles, –notamment le
rôle pernicieux de Samir Geagea,
l’ancien chef milicien des Forces
Libanaises, ancien allié émérite
d’Israël désormais servant docile de
l’Arabie saoudite–, de s’attribuer les
mérites du soulèvement ou de dresser la
société civile contre son armée, ont été
jusque-là vaines
Vaines et piètres tentatives, face à une
jeunesse qui n’accepte aucune
entourloupe politique, réitérant avec
force son exigence première: Le départ
de ces compradors politico-financiers.
Devant le temple de
la corruption, le siège de la Banque du
Liban, les manifestants sont allés droit
au but en brandissant les banderoles
houspillant Riad Salamé, le gouverneur
de la banque en ces termes: «Riad, le
voleur». A bas le règne de la Banque
centrale libanaise et le Liban renaîtra
».
Ancien gestionnaire
du portefeuille du milliardaire Rafic
Hariri au sein du groupe «Merryl Lynch»,
Riad Salamé est le protecteur de
l’oligarchie bancaire libanaise.
Inamovible gouverneur de la Banque du
Liban depuis près de trente ans du fait
d’un véto américain quant à son
éviction, Riad Salamé nourrit le vœu
secret d’accéder à la présidence de la
République libanaise. Pour ce faire, il
a cherché à donner des gages à
l’administration xénophobe et populiste
de Donald Trump en se missionnant comme
un exécutant zélé des sanctions
américaines, illégales au regard du
droit international, contre le Hezbollah
et ses sympathisants.
Cette marche vers la banque du Liban a
fait trembler l’oligarchie qui a
toujours joué sur la corde des conflits
confessionnels et la protection des
anciennes puissances coloniales pour
pérenniser son pouvoir. Une situation
qui rapproche de jour en jour les
libanais du gouffre de la faillite.
A l’instar des
Algériens, les Libanais demandent le
départ de tous le symboles népotiques de
la corruption.
Opération de diversion, Najib Mikati,
important dirigeant sunnite de Tripoli
(Nord Liban), un ancien premier
ministre, et, dernier et le moindre des
élements, un milliardaire prospère,
rival du milliardaire en faillite Saad
Hariri, a été jeté en pâture à
l’opinion.
Une action
judiciaire a été enclenchée contre lui,
impliqué ainsi que son frère Taha et ses
enfants dans plusieurs affaires de
corruption et de trafic d’’influence.
Plusieurs lignes de crédits leur ont été
octroyées par le patron de Banque du
Liban, la semaine précédant sa
nomination à la tête de l’exécutif, en
2011. La famille Mikati qui détient un
réseau d’entreprises dont une compagnie
de téléphonie mobile, aurait amassé a
elle seule, des milliards de dollars.
Rien que la superficie des biens
immobiliers connus de la famille Mikati
est estimée à 2 millions de mètres
carrés.
Le ciblage de Najib
Mikati vise en fait à écarter de la
compétition un rival potentiel à M. Saad
Hariri et à masquer la calamiteuse
gestion des Finances Publiques opérée
pendant près de quinze ans par le tandem
Rafic Hariri Fouad Siniora et la non
moins désastreuse gestion des
Télécommunications par le tandem pro
harieien formé par MM. Abdel Rahman
Youssef (Ogero)-Jamal Jarrah. En toute
impunité.
Le hic est que les
médias locaux comme les médias des pays
traditionnellement «amis du Liban et des
droits de l’homme» abordent timidement
les affaire liées au maillage du système
corrompu qui maintient le pays sous
tutelle étrangère.
La loi de l’omerta s’explique par le
fait que la quasi-totalité des chaines
et des journaux libanais ont bénéficié
de près de 38 millions de dollars à taux
d’intérêt zéro. Des sommes replacées
dans d’autres banques avec des
dividendes avoisinant les 10%. Riad
Salamé tient le robinet où la pieuvre
vient s’abreuver.
De soulèvement
authentiquement populaire, la
contestation pourrait dévier vers une
tentative de mise sous tutelle
financière du Liban par les instances
internationales, à l’effet de brider le
Hezbollah, le fer de lance du combat
anti israélien.
A l’arrière-plan d’une série de défaites
spéctaculaires, tant au Yémen, qu’en
Irak, qu’en Syrie, l’alliance
israélo-américano-wahhabite pourrait
chercher à compenser au Liban sa
déconfiture stratégique au plan
régional, sous couvert de revendications
populaires légitimes.
Pour aller plus
loin sur ce sujet, cf ce lien :
https://www.madaniya.info/2016/02/26/liban-2005-2015-d-une-revolution-coloree-a-l-autre/
Ce bouleversement
intervient alors que le président
libanais Michel Aoun s’apprêtait à une
normalisation des relations entre la
Syrie et le Liban, gelées depuis le
déferlement djihadiste en Syrie, en
2011. La normalisation syro-libanaise
devrait favoriser le retour de près de
1,5 millions de réfugiés syriens dans
leur pays d’origine. De même la
réouverture des frontières entre la
Syrie et l’Irak, via le poste de
Boukamal, devrait favoriser le transit
des produits agricoles libanais vers
l’hinterland arabe et soulager
l’économie libanaise, affectée par les
sanctions unilatérales américaines
contre le Hezbollah libanais et ses
symathisants pour les contraindre à
souscrire à la transaction du siècle.
La transaction du
siècle prévoit une subvention économique
de six milliards de dollars au Liban en
contrepartie de l’octroi de la
nationalité libanaise aux 500.000
réfugiés palestiniens présents au Liban.
La subvention ne serait pas versée en
une seule fois, mais s’étalerait sur
plusieurs années et les Palestiniens
seront naturalisés, mais «sans égalité
de droits» avec les Libanais, -des
«citoyens de seconde zone» en somme-,
selon les dispositions du plan mis au
point par le spécialiste de l’immobilier
Jared Kushner, mais néanmoins gendre du
président Donald Trump.
Le plan Jarred
Kushner pourrait faire écho au fameux
plan Henry Kissinger, du nom de l’ancien
secrétaire d’état américain qui avait
estimé que «le Liban était une erreur»,
proposant en conséquence, dans la
décennie 1970, le remplacement des
populations chrétiennes libanaises par
les réfugiés palestiniens en
contrepartie d’une émigration des
chrétiens libanais vers les Etats Unis.
Le plan Kissinger a été l’un des
facteurs ayant contribué à la guerre
civile.
Le Hezbollah
libanais a été le premier à réclamer du
gouvernement d’engager une lutte contre
la corruption, bien avant le soulèvement
populaire. Son chef, Hassan Nasrallah
s’est opposé à la démission du
gouvernement et a enjoint à ses
partisans de cesser toute manifestation,
redoutant une dérive fatale et la
récupération politique du mouvement par
la mafiocratie libanaise, la caste
féodalité clanique qui grangrène le pays
depuis son indépendance.
Si le Liban devait
basculer à nouveau dans une guerre
civile –la troisième depuis son
indépendance en 1943 – la première en
1958, la deuxième en 1975-1990- il
donnerait alors raison a posteriori au
journaliste Georges Naccache, selon
lequel «deux négations ne font pas une
nation», signant par la même l’échec du
projet libanais d’une coéxistence
pluri-communautaire libanaise.
Illustration
Crédit photo le
journal libanais Al Akhbar : « A
Bas Riad le voleur. A bas le règne du
Dollar ». Banderole des manifestants
libanais Jeudi 24 octobre 2019
houspillant Riad Salameh, gouverneur de
la Banque du Liban. «Riad, le voleur». A
bas le règne de la Banque centrale
libanaise et le Liban renaitra.
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