MADANIYA
Le curieux cheminement du Parti Baas
irakien :
Du parangon de la laïcité à l’ossature
militaire de Da’ech
René Naba
Lundi 26 décembre 2016
Curieux
cheminement que celui des baasistes
irakiens qui passeront sans coup férir,
de parangon de la laïcité à l’une des
composantes majeures de l’Etat
Islamique, en fait son ossature
militaire. Plutôt que d’opposer un front
idéologique commun avec leurs frères
baasistes syriens, ils ont rallié leur
ancien bourreau saoudien, la caution
arabe et musulmane de l’invasion
américaine de l’Irak, abandonnant à son
sort le pouvoir syrien, qui fut leur
plus ferme soutien dans la guérilla
antiaméricaine en Irak, s’attirant à ce
titre les foudres de Washington par la «Syrian
Accountability Act», en 2002.
Fruit de
la copulation ancillaire entre Al Qaida
et d’anciens dirigeants baasistes happés
par la tentation d’un alignement
sectaire, le commandement de l’ISIS,
dont l’acronyme en arabe est Da’ech, est
exclusivement irakien.
Autour
du noyau central se sont greffés des
membres des tribus sunnites d‘Irak lésés
par la disparition de Saddam Hussein, de
concert avec des Frères Musulmans
irakiens, des Nachkabandistes, une secte
minoritaire du sunnisme dont se réclame
Izzat Ibrahim Ad Doury, ancien
vice-président du Conseil de la
révolution irakienne et successeur de
Saddam Hussein à la tête de la guérilla
anti américaine en Irakien.
Une structure hétéroclite, scellée par
une alliance contre nature entre ce même
Izzat Ad Doury, surnommé «le rouquin»
pour sa pigmentation, et son ancien
bourreau, le Prince saoudien Bandar Ben
Sultan, un des artisans de la
destruction de l’Irak et des assises du
pouvoir baasiste sunnite dans ce pays.
Une allaince scellée, paradoxalement, en
vue de restaurer le primat sunnite à
Bagdad, dans l’ancienne capitale
abbasside.
Une
démarche qui révèle la fragilité des
convictions idéologiques des dirigeants
arabes. Une insulte à la mémoire des
nombreux morts d’Irak et du Monde arabe.
Moussa Koussa, l’ancien chef des
services secrets libyens, a opéré la
même mutation au service du Prince
saoudien pour la zone Maghreb-Sahel.
La proclamation du
califat et ses conséquences
stratégiques.
La
proclamation du califat sur l’ancien
territoire des deux premiers empires
arabes (Omeyyade-Syrie et
Abbasside-Irak), dimanche 29 juin 2014,
premier jour du mois sacré du Ramadan,
au-delà de sa portée symbolique dans
l’ordre religieux et
politico-historique, a bouleversé
radicalement les données de l’échiquier
régional sans qu’il ait été possible de
savoir, trois ans après son lancement,
si la proclamation de ce 5eme califat
représentait l’aube d’une nouvelle
renaissance pan islamique, une nostalgie
d’une grandeur révolue ou plus
simplement une pathologie passéiste ?
Quoiqu’il en soit, l’instauration de ce
5eme califat de l’histoire musulmane,
dans la foulée de l’irruption des
djihadistes sunnites sur la scène
irakienne et syrienne a, en tout état de
cause, accéléré la désagrégation de la
zone dessinée par l’accord Sykes-Picot.
Ce
bouleversement symbolique dans la
hiérarchie sunnite sur fond
d’exacerbation du caractère sectaire de
la rivalité sunnite-chiite a modifié
sensiblement les termes du conflit en ce
que la surenchère intégriste des
islamistes sunnites a opéré un
retournement de situation en plaçant en
porte à faux leurs bailleurs de fonds,
principalement l’Arabie saoudite,
victime collatérale de ce débordement
rigoriste. «Un Emirat Islamique du
Nadjd», la province d’origine de la
dynastie wahhabite, a été instauré le 29
mai 2015 dans la foulée du 2eme attentat
contre une mosquée chiite en Arabie,
dans la continuité de l’«Emirat Sunnite
du Koweït» proclamé a la première année
du Califat.
Par ses
répercussions sur le Liban et la
Jordanie, la Tunisie et le Koweït,
quatre pays alliés du camp atlantiste,
ainsi qu’en Libye, sur le flanc
méridional de l’Europe, l’alliance si
bénéfique à ce jour s’est révélée
encombrante pour les pays occidentaux et
difficile la poursuite de la coopération
islamo-atlantiste en ce que la rengaine
chère au duo socialiste Hollande Fabius
-«La faute à Bachar»- ne saurait
indéfiniment constituer une excuse
absolutoire aux turpitudes des pays
occidentaux et des pétromonarchies dont
la plus grande réside précisément dans
cette alliance contre nature entre deux
blocs antinomiques.
De par
sa configuration géo stratégique,
l’Irak, désormais à l’épicentre du
conflit, est propulsé ainsi,
involontairement et paradoxalement, en
sentinelle des pétromonarchies.
Limitrophe de la Turquie et de l’Iran,
les deux puissances musulmanes non
arabes, le premier sunnite, le second
chiite, il borde en outre la Syrie et la
Jordanie, ainsi que le Koweït et surtout
l’Arabie saoudite, qui pâtit déjà au
niveau de l’opinion internationale de
son parrainage de Da’ech, d’une manière
générale de l’’instrumentalisation de la
religion musulmane à des fins politiques
et de ses retombées djihadistes en
Europe, comme ce fut le cas avec les
dérapages terroristes de Mohamad Merah,
de Hédi Nammouche, du carnage de Charlie
Hebdo, des attentats de Paris Bataclan
13 novembre 2015 et des attentats de
Buxelles, Mars 2016.
Les barbares aux
portes des vieilles civilisations
L’Etat
Islamique relève d’un commandement
irakien qui a fait ses preuves en Irak
contre les Américains, alors que Jabhat
al-Nosra est une structure panislamique
sous la houlette d’Al Qaida, sunnite,
particulièrement active en Syrie.
Trois
des grandes capitales de la conquête
arabe des premiers temps de l’Islam
échappent au contrôle des sunnites:
Jérusalem, sous occupation israélienne,
Damas, sous contrôle alaouite et Bagdad,
sous contrôle kurdo-chiite.
A la
sixième année de la guerre de la
coalition islamo-atlantiste contre la
Syrie, il paraît désormais urgent pour
les wahhabites, de crainte d’être
démasqués, de laver cette souillure
infligée par leur politique d’alignement
inconditionnel sur les Etats-Unis, le
principal protecteur d’Israël, l’ennemi
officiel du Monde arabe.
Les
barbares sont aux portes des pays de
vieilles civilisations, aux portes de
Bagdad et d’Alep, un moment en plein
centre de la cité antique de Palmyre (Tadmor),
qu’ils ont saccagés. Les supplétifs
pétromonachiques arabes, par leur
veulerie, et les pays occidentaux, par
leur morgue, en assument d’ores et dejà
les conséquences de leurs incohérences.
Favoriser inconditionnellement
l’instrumentalisation de la religion
musulmane à des fins stratégiques, afin
de provoquer l’implosion de l’Union
soviétique, (Guerre d’Afghanistan
décennie 1980) et de détourner le combat
arabe de la Palestine vers l’Asie;
cautionner par ailleurs la forme la plus
rétrograde et la plus répressive de
l’islam, le wahhabisme, soutenir, de
surcroît, inconditionnellement le délire
djihadiste, au-delà de toute mesure,
sans la moindre retenue, pour assurer la
pérennité des roitelets du Golfe sur les
débris du Monde arabe.
Faire,
enfin, de l’Arabie saoudite, ce royaume
des ténèbres, l’allié privilégié de la
grande démocratie américaine, et de la
France, la Patrie des Droits de l’Homme;
Instrumentaliser dans le même élan des
binationaux pour une fonction supplétive
à une politique de prédation économique
du monde arabe, aboutit à de telles
monstruosités. Elles signent dans le
même temps la pathologie atlantiste en
même temps que pétro-monarchique.
La Syrie
de la décennie 2010 remplit une fonction
analogue à celle de l’Afghanistan de la
décennie 1980. Une guerre dont l’objet a
été de dériver le combat pour la
libération de la Palestine et de le
déporter à 5 000 km du champ de
bataille.
Un
défouloir absolu du djihadisme erratique
que les pétromonarchies préfèrent
sacrifier sur le théâtre des opérations
extérieures plutôt que de le réprimer
sur le sol national, avec son cortège de
représailles. Un dérivatif au combat
pour la libération de la Palestine, la
«grande oubliée du printemps arabe».
A
contre-courant du flux de la
mondialisation, la guerre de Syrie aura
été la première opération de
délocalisation sud nord d’une
«révolution» en ce que ses meneurs
auront été des arabes, porteurs de
nationalité occidentale, salariés de
l’ancienne administration coloniale. Des
supplétifs, cupides, ivres de notoriété
et de vanité.
Le surge
de l’ISIS est apparu dans un tel
contexte comme un coup de semonce aux
Arabes, afin qu’ils cessent d’être des
pantins désarticulés, complices de leur
sujétion et de leur cupidité. Et pour
les Occidentaux, un défi de civilisation
lourd de périls.
Au-delà des Océans, pendant ce temps-là,
dans la profonde Amérique, un artiste
aux moeurs aussi rugueuses qu’un Texan
de Dallas s’initie aux joies de
l’aquarelle et de la peinture.
Au vu de
cette hécatombe, beaucoup, en leur for
intérieur, marmonnent que ce «born again»
aurait mieux fait de ne pas renaître à
la vie. Pour la survie de l’humanité.
Pour aller plus loin
Le Parti Baas :
http://www.madaniya.info/2014/09/26/le-parti-baas-monstres-sacres-sacres-monstres/
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