MADANIYA
Liban: Le 17 Mai 1983, «A Day Of Infamy»,
Un jour d’infamie, «Yom Al A’Ar, Ya Lil
A’AR»
René Naba

Lundi 23 avril 2018
Ce papier est dédié à Habib Tanious
Chartouni, l’homme qui a mis en échec le
projet de la «Pax américano israélienne»
au Liban, le parfait contre exemple des
supplétifs libanais et arabes.
Membre du Parti Social National Syrien
(PSNS), Habib Chartouni avait dynamité
le quartier général du parti phalangiste
libanais à Achrafieh (Beyrouth-Est),
tuant sur le champ Bachir Gemayel et 25
de ses compagnons, le 14 septembre 1982,
à la veille de l’entrée en fonction
président élu du Liban.
L’élimination de Bachir Gemayel, élu à
l’ombre des blindés israéliens dans
Beyrouth assiègée par l’armée
israélienne, a déboucbé deux jours plus
tard sur le massacre des camps
palestiniens de Sabra-Chatila, banlieue
sud est de la capitale libanaise. Habib
Chartouni a été condamné à mort par
contumace et vit depuis lors dans la
clandestinité. Sa famille, dn revanche,
a été decimée en représailles par une
série d’assassinats extrajudiciaires.
Ce papier est publié à l’occasion du 35
me anniversaire de la conclusion du
traité de paix israélo-libanais. Un
récit de la face cachée de ce jour
d’infamie. L’intégralité de ce récit est
parue en version arabe dans le Journal
Al Akhbar sous le plume de
l’universitaire libano-américain Assad
Abou Khalil «Quand le Liban affichait
ouvertement son amitié avec Israël». Cf
document annexe.
1 – Israël,
comme substitut à la France en tant que
protectrice des chrétiens du Liban ?
La relation est
ancienne, antérieure même à la création
d’Israël, vivement souhaitée par les
tenants de la spécificité libanaise, qui
se révélera à l’usage une spéciosité, au
point que le plus en vue des tenants de
cette idéologie, Michel Chiha, proposera
à ses interlocuteurs de l’agence juive
qu’«Israël se substitue à la France en
tant que protectrice des Chrétiens du
Liban».
A l’usage, le
confessionnalisme, la répartition des
pouvoirs entre Chrétiens et Musulmans
selon des critères communautaires, s’est
révélé un poison qui aura gangrené la
vie politique libanaise depuis
l’indépendance du pays; un cadeau
empoisonné légué par la France à ses
enfants chéris. Et, le Pacte national,
son complément programmatique, tant
célébré comme un chef d’œuvre de
convivialité, un marché de dupes.
Trois ans après
l’indépendance du Liban et la conclusion
du pacte national inter-libanais,
l’Église maronite signait un pacte avec
l’agence juive, en 1947 (1), soit un an
avant la proclamation unilatérale de
l’indépendance de l’État Hébreu; une
manière de prendre gage pour l’avenir en
ce que l’alliance clandestine avec
l’agence juive se voulait un antidote à
l’alliance avec les musulmans libanais.
Sur ce lien pour
aller plus loin sur ce sujet, notamment
le texte du Pacte secret entre l’Agence
juive et l’Église maronite et la visite
du Patriarche Béchara Béchara Ar Rai en
Israël, une forme déguisée de la
normalisation par la théologie.
Deux ans plus tard,
en 1949, Michel Chiha, conseiller
occulte et beau frère du premier
Président de la République Libanaise
post indépendance, Béchara El Khoury,
prenait langue avec les représentants
mouvement sioniste à Paris pour les
assurer des intentions bienveillantes du
pouvoir libanais à l’égard de ceux que
le Monde arabe désignaient
d’«usurpateurs de la Palestine». «Ni
antisémite, ni antisioniste», jura ce
banquier
Le fondateur du
quotidien francophone«le jour» chargé de
populariser ses vues, qui joua un un
rôle déterminant dans la proclamation de
l’État du Grand Liban, sous le mandat
français (1920-1943) fera à ses
interlocuteurs juifs cette ahurissante
proposition: que le nouvel État prenne
«la relève de la France dans son rôle de
protecteurs des chrétiens d’orient».
Ah cette pulsion
morbide de se placer continuellement
sous la coupe de l’étranger (2).
En 1956, le
deuxième coup de Jarnac proviendra de
Camille Chamoun, 2me Président de la
République libanaise.
L’homme qui
commença sa carrière par une
éblouissante profession de foi
pro-palestinienne que ne renierait pas
le plus farouche nationaliste arabe,
dans sa première intervention devant
l’Assemblée générale des Nations-Unies,
en sa qualité de délégué du Liban, en
1948, finira sa carrière en tant que
chef du camp pro-américain au
Moyen-Orient.
Succédant dans
cette fonction à l’irakien Noury Said,
lynché par la foule à Bagdad à la chute
de la monarchie hachémite, en juillet
1958, Camille Chamoun présidera un pays
qui aura connu sous son magistère la
première guerre civile
interconfessionnelle libanaise (1958),
et sous son autorité au ministère de
l’intérieur en 1975-1976, le lancement
de la 2e guerre civile libanaise.
Circonstance aggravante, le plus en vue
des dignitaires maçonniques libanais
sera le seul dirigeant arabe à refuser
de rompre ses relations diplomatiques
avec la Grande Bretagne et la France, en
1956, en signe de solidarité avec
l’Égypte nassérienne dans la foulée de
l’agression tripartite
israélo-anglo-française de Suez.
Cet alignement inconditionnel sur la
stratégie atlantiste de même que la
cécité politique des milices chrétiennes
libanaises dans leur alliance contre
nature avec Israël, quinze ans plus
tard, lors de la guerre inter
factionnelle libanaise (1975-1990) ont
semé la suspicion sur le patriotisme des
maronites vis à vis du Monde arabe,
entraînant un déclassement de leurs
prérogatives constitutionnelles dans la
règlement du conflit libanais.
2- La stratégie
de la tension préludant à l’invasion
israélienne du Liban.
Une stratégie
orchestrée par les Israéliens en
coordination avec Johnny Abdo
L’invasion
israélienne du Liban avait été préparée
un an plus tôt , en 1981, par le tandem
Menahim Begin-Ariel Sharon, avec
l’annexion du plateau du Golan syrien et
de la proclamation de Jérusalem
«capitale indivisible et éternelle
d’Israël» à la faveur des troubles
ouvriers de Gdansk (Pologne), animés par
Lech Valewsa, chef du mouvement
Solidarnosc.
Beyrouth Ouest
faisait alors l’objet d’une guerre
psychologique de la part du camp pro
saoudien contre la coalition palestino
progressiste. Le leadership chiite
traditionnel, -le mouvement Amal dans sa
première mouture sous la direction de
Cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine et
Abdel Amir Qabalan- menait une campagne
incitative contre l’OLP qu’il qualifiait
d «’organisation de Libération visant à
consolider l’implantation palestinienne
au Liban», alors que les «fiers à bras»
de Saida, ville sunnite du sud-Liban,
notamment les membres du groupe Abou
Arida agissant sur les instructions
conjointes des services israéliens et de
leur interface libanais le capitaine
Johnny Abdo, responsable du
renseignement au sein de l’armée
libanaise, orchestraient une stratégie
de la tension par la multiplication
d’accrochages et d’incendies de biens
immobiliers en prévision de l’invasion.
Bachir Gemayel,
commandant en chef des «Forces
Libanaises (milices chrétiennes) qui
avait été avisé des préparatifs
d’invasion, misait sur cette opération
pour accéder à la magistrature suprême.
Dans cette
perspective, «La voix du Liban»,
l’organe du parti phalangiste, a été
placée sous la supervision d’experts
israéliens. Elias Sarkis, le président
de l’époque, cédait progressivement au
chef militaire phalangiste les attributs
du pouvoir subsistant entre ses mains et
cela dès septembre 1980, soit un an pile
avant la date de la nouvelle élection
présidentielle.
Walid Joumblatt,
chef nominal de la coalition palestino
progressiste et chef druze du parti
socialiste progressiste, se préparait à
la phase en gestation en menant des
négociations secrètes avec ses
adversaires, les milices chrétiennes.
CHARLES RIZK,
ancien haut fonctionnaire chéhabiste,
avait, lui affermé la télévision
nationale dont il était le PDG, à la
propagande de Bachir Gémayel. Nommé
ministre de la justice par le Président
Emile Lahoud, Charles Rizk, fils d’un
ancien fonctionnaire de l’ambassade de
France au Liban Antoine Rozeik,
récidivera un quart de siècle plus tard
en, 2006, en entérinant, hors des normes
constitutionnelles, la création du
tribunal Spécial sur le Liban chargé de
juger les assassins de l’ancien premier
ministre Rafic Hariri. Une démarche
accomplie, semble-t-il, en contrepartie
d’une vague promesse du parrainage de sa
candidature à la magistrature suprême
par le groupe Hariri. Un comportement
révélateur de l’opportunisme du
personnage et de sa propension à la
soumission aux diktat de l’étranger.
3 – La
déconfiture des figures de l’opposition
nationale: Walid Joumblatt (PSP),
Georges Hawi (PCL) et Mohsen Ibrahim
(OACL)
L’invasion
israélienne du Liban, en juin 1982, et
la perte du sanctuaire palestinien de
Beyrouth, ont provoqué un vide politique
dans les zones précédemment sous
contrôle de l’OLP.
A – Le mouvement
chiite Amal était divisé entre partisans
de la poursuite de la guérilla anti
israélienne, principalement les
dirigeants de Beyrouth, et une passivité
face aux israéliens, figurant
majoritairement dans le groupe des
dirigeants du sud Liban, zone à forte
majorité chiite.
B- WALID JOUMBLATT
(Parti Socialiste Progressiste):
L’arrivée des Phalangistes au Pouvoir a
conduit le chef druze à décréter la
dissolution du «Mouvement National
Libanais» et la rupture de son alliance
avec la Résistance palestinienne. Cette
grave décision a laissé sans défense les
militants de l’ancienne coalition des
forces progressistes libanais, devenus
la cible des représailles tant des
Israéliens que des Phalangistes,
notamment au sein de l’armée libanaise.
C- GEORGES HAWI
(Parti Communiste Libanais) a, lui,
lancé «un appel au désarmement des
Palestiniens afin d’ôter tout prétexte
aux Israéliens». Un comportement frileux
qui constitue une insulte aux
combattants communistes tués au combat
contre l’occupation israélienne au
sud-Liban. Prenant ses distances avec
ses anciens alliés, Georges Hawi sera
assassiné, en 2005, lors de la tentative
de déstabilisation du Liban qui a suivi
l’assassinat de l’ancien premier
ministre libanais Rafic Hairi.
D- MOHSEN IBRAHIM
(SG de l’Organisation de l’Action
Communiste au Liban) plaidera, lui, un
délai de grâce en faveur du président
Amine Gémayel afin de le juger sur ses
actes. L’ancienne cheville ouvrière de
la coalition palestino progressiste
reniera par la suite son combat en
faveur de la question palestinienne, qui
fit sa gloire et sa renommée. Abandonné
par les siens, il vit désormais replié
dans la région montagneuse du Chouf sous
la protection renforcée de Walid
Joumblatt, le chef féodal de cette zone
druze.
4 –
Manifestations de joie au dégagement des
Palestiniens du Liban
A l’invasion
israélienne du Liban, des manifestations
de joie ont été organisées dans la Békaa
et dans le Mont Liban (le secteur Chouf-Aley)
en vue d’exprimer la gratitude des
Libanais au dégagement des Palestiniens
du Liban.
Hamid Dakroub
(député du groupe chiite du chef féodal
Kamel Al-Assad, président dela chambre
des députés), Farid Hamadé (druze),
Joseph Toutounji, beau frère de Bachir
Gemayel, Cheikh Ghassane Al Lakiss,
Mufti du district de Jbeil, Tony
Moufarrège, Khalil Osta, Gaith Khoury,
iront jusqu’à prononcer des discours de
bienvenue aux envahisseurs.
Mohammad Mehdi
Chamseddine critiquera la tournée
d’inspection des troupes effectuée par
les dirigeants palestiniens dans la
Beka’a et le Nord Liban (cf. An-Nahar 11
septembre 1982), et, plutôt que de
prôner la résistance à l’occupant, le
dignitaire chiite se bornera à plaider
la «résistance civile» qui sera
matérialisée par des concerts de
protestation au moyens d’ustensiles de
cuisines (casseroles, plateau,
cafetière). Une démarche identique à
celle que préconisera quinze ans plus
tard le premier ministre sunnite Fouad
Siniora pour la libération du reliquat
du territoire sous occupation
israélienne: Les hameaux de Cheba’a et
les villages de Kfarchouba et du Ghajar.
Le délire avait
atteint un degré tel au sein de la
classe politique libanaise que Camille
Chamoun proposera un plan de règlement
du Moyen-Orient préconisant un état
groupant 2/3 d’Israéliens et un tiers de
Palestiniens afin de préserver la
prépondérance juive en Palestine ( Cf à
ce propos le journal Al- Ahrar 1 er Août
1982).
5 – L’Arabie
saoudite et les sunnites libanais: Saeb
Salam, Alia El Solh et Farouk Al-Moqqadem.
L’Arabie saoudite,
via le dirigeant sunnite de Beyrouth,
faisait campagne en faveur de Bachir
Gemayel, au sein de la communauté
musulmane de Beyrouth.
Abou Iyad,
responsable de la sécurité de l’OLP,
accusera l’ancien premier ministre Saeb
Salam, et dirigeant sunnite de Beyrouth,
de chercher à tirer profit de
l’occupation israélienne de Beyrouth
pour améliorer ses positions
électorales.
Alia El Solh, fille
de l’ancien premier ministre sunnite de
l’époque de l’Indépendance Riad el Solh,
affichera publiquement son soutien au
clan Gemayel, pourtant complice de
l’invasion israélienne du Liban.
«L’espoir que j’ai placé dans le
président martyr Bachir Gemayel, je le
reporte sur son successeur et frère
Amine Gemayel», déclarera-t-elle le jour
de la signature du traité de paix
israélo-libanais (Cf. journal Al Amal 17
Mai 1983).
Lui emboîtant le
pas, Farouk al Moqqadem, chef de la
milice «24 octobre» a rompu l’unanimité
qui régnait à Tripoli, dans le Nord du
Liban, contre la personne de Bachir
Gemayel et sa politique. Sans la moindre
justification, il ira se recueillir sur
la tombe du président assassiné et
proclamera son soutien à son successeur
Amine Gemayel.
La mutation
politique de Farouk al Moqqadem a
constitué l’une des plus grandes
surprises de cette guerre à Tripoli, une
ville au nationalisme chatouilleux, qui
représentait l’aile radicale du combat
pro-palestinien. Cible d’un attentat, le
transfuge a déserté sa ville pour
trouver refuge à Achrafieh, le secteur
chrétien de Beyrouth et fief des milices
chrétiennes.
En dépit du jeu de
Saeb Salam et de Mme Alia El Solh, les
zones à majorité sunnite de la capitale
libanaise sont demeurées réticentes à la
candidature de Bachir Gemayel, échaudées
par le racisme anti palestinien et anti
musulman manifesté par le phalangiste
durant la 1 ère phase de la guerre.
Ainsi, le
palestinien Farouk Chehabbedine qui
s’était rendu à la tête d’une délégation
palestinienne à Bickfaya, fief du clan
Gemayel dans le Metn, pour présenter ses
condoléances à la suite de l’assassinat
de Bachir Gemayel, sera enlevé à son
retour à son domicile à Beyrouth et
liquidé.
5 – Des
manifestations aux cris «Les
Palestiniens ennemis de Dieu»
Le vif antagonisme
entre chiites et palestiniens débouchera
sur la guerre des camps, en 1984-1985. A
Tyr, à forte majorité chiite, les
manifestations anti palestiniennes
étaient ponctuées de mots d’ordre «La
Illah Illa lah wal falasitini Adou
Allah» -Il n’y a de Dieu que Dieu et le
Palestinien est l’ennemi de Dieu». (cf
le journal An-Nahar 29 mai 1985).
Bachir Gemayel
avait exposé la politique qu’il
entendait suivre, sous la tutelle de ses
parrains israéliens, dans un article en
deux volets parus les 9 et 10 Août 1982
dans l’hebdomadaire «An Nahar Al Arabi
Wal Douali», appartenant au clan Tuéni.
Le poète Talal
Haydar (chiite de Baalbeck) critiquera à
la marge le plan Gemayel reprochant au
président élu l’usage du terme «Nous les
Chrétiens», lui proposant de le
remplacer par l’expression «Nous les
Libanais», suggérant que les «Forces
Libanaises», la coalition des milices
chrétiennes, comptaient dans leurs rangs
des combattants chiites.
Le poète chiite a
tenu ses propos conciliants alors que
Bachir Gemayel renforçait le blocus de
Beyrouth Ouest, privant le réduit
palestinien du moindre ravitaillement et
que les Israéliens intensifiaient leur
raids aériens contre ce secteur qui fut
durant la guerre le fief de la coalition
palestino-progressiste, infligeant de
considérables destructions aux
infrastructures et au parc immobilier
beyrouthin.
Kamel Al Assad,
Président de la Chambre des Députés, qui
soutiendra à la fin de sa vie s’être
opposé au traité israélo-libanais, avait
bel et bien signé le document et envoyé
à la Présidence de la République pour
ratification (Cf. An-Nahar 23 juin
1983).
Cheikh Abdel Amir
Qabalan, dignitaire religieux chiite,
s’est distingué par son ferme soutien à
Amine Gemayel, alors que son collègue
sunnite, le Mufti de la République,
Cheikh Hassan Khaled, protestera contre
les atteintes à l’encontre des civils
commises par l’armée libanaise à
Beyrouth-Ouest.
«J’ai aimé les
Palestiniens quand ils étaient des
révolutionnaires luttant pour leurs
droits. Je suis devenu leur adversaire
lorsqu’ils érigeront leur propre état à
l’intérieur de l’État libanais»,
déclarera Qabalan en guise de
justification à son soutien au président
phalangiste ( CF. Revue As-Sayyad 12
Août 1983).
Quant au Mufti
druze, il n’a pas, lui non plus, hésité
à soutenir les exigences de l’occupant
israélien. Dans un discours prononcé à
l’occasion de la Fête du Fitr, le 11
Juillet 1983, il a rendu hommage aux
efforts déployés par Amine Gemayel à
l’occasion des pourparlers
israélo-libanais: «Nous avons le droit
de vivre en paix et en toute liberté. Il
est du droit de nos voisins de faire en
sorte que notre territoire ne serve pas
de plate-forme à des opérations hostiles
à eux. Nous veillerons à préserver leurs
droits» (CF Journal As-Safir 4 Juillet
1983).
En écho deux mois
plus tard, le chiite Qabalan emboîtera
le pas au druze en se déclarant hostile
à la résistance anti-israélienne:
«L’option militaire en cette étape n’est
utile à personne. Nul n’en tire profit.
Nous devons préserver le territoire
national et éviter toute action
militaire. Nous devons cessez toute
action pour nous préserver les uns et
les autres» (17 septembre 1983).
En compagnie de
Cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine,
Cheikh Qabalan rendra visite à la
hiérarchie phalangiste, Pierre Gemayel,
fondateur du parti et père du président
Amine Gemayel, et à Fadi Frem, chef
militaire des Forces Libanaises
dénonçant les «mains communistes»: «Les
communistes tentent d’entraver le
processus de pacification», a-t-il
accusé dans le quotidien phalangiste
Amal en date du 15 janvier 1983.
Cheikh Qabalan
rejettera d’ailleurs toutes les
critiques émanant des pays arabes
concernant les négociations
israélo-libanaises, réclamant que «les
arabes se taisent». (Cf. An Nahar 28
décembre 1983).
6 -L’émergence
de Rafic Hariri.
Le nom de Rafic
Hariri est apparu d’une manière
incidente dans les négociations
israélo-libanaises, en sa qualité
d’«assistant de l’Envoyé spécial
saoudien le Prince Bandar Ben Sultan», à
l’époque ambassadeur du Royaume à
Washington.
Auparavant le
milliardaire libano-saoudien s’était
distingué, en pleine siège de Beyrouth
par l’armée israélienne, par des travaux
d’excavation dans le périmètre bordant
l’entrée de la capitale libanaise dans
une opération sous couverture
humanitaire, mais qui a pu apparaître
comme destinée à baliser le terrain à
l’avancée des soldats israéliens.
Le rôle saoudien
était complémentaire du rôle américain
et visait à faciliter la conclusion du
traité et son acceptation sur le plan
arabe.
Invoquant l’accord
du gouvernement libanais,
l’administration américaine œuvrait pour
une intégration des troupes de
l’officier félon Saad Haddad au sein de
la nouvelle armée nationale. Saad
Haddad, qui avait rang de commandant,
avait fait dissidence au début de la
guerre civile, en 1975, avait constitué
une troupe -(L’armée du sud Liban)- qui
faisait office de garde frontières
d’Israël dans la zone frontalière
israélo-libanaise. Sa fille diplômée du
Techno de Haifa a depuis lors opté pour
la nationalité israélienne, rompant
définitivement avec son pays d’origine.
La décision
d’intégrer les soldats dissidents de
l’officier félon a été prise en dépit
des crimes de guerre commis par l’Armée
du Sud Liban dans des divers endroits du
Liban. Leur présence au sein de la
nouvelle armée nationale répondait au
souci des Américains et des Israéliens
de disposer d’un «cheval de Troie» au
sein des forces gouvernementales.
7- L’équipe des
négociateurs:
Antoine Fattal un
universitaire présomptueux; Amine
Maalouf: Lauréat à Paris, controversé à
Beyrouth.
L’équipe des
négociateurs libanais était constituée
des personnalités suivantes:
-Antoine Fattal, négociateur en titre.
-Amine Maalouf et Daoud Sayegh,
portes-paroles
-Ghassane Tueni, propriétaire du groupe
de presse An-Nahar, coordinateur général
du coté libanais des négociations.
A – Amine
Maalouf:
Amione Maalouf est
le fils de Rouchdi Maalouf, directeur du
Journal «Al Jarida», la version arabe du
journal «l’Orient», propriété de Georges
Naccache, par ailleurs membre dirigeant
du parti «L’Appel national». Connu pour
sa proximité avec Noury Said, l’ancien
premier ministre pro britannique de la
Monarchie irakienne, pendu en 1958,
Rouchdi Maalouf était réputé pour sa
politique pro occidentale et anti
communiste, selon les indications
contenues dans les mémoires de l’ancien
directeur générale de la Sûreté générale
Farid Chéhab (Page 19) entreposée à
Saint Anthony College (Université
d’Oxford) au Royaume Uni.
Amine, prendra le contre pied de son
père dans sa jeunesse: Sympathisant de
la gauche libanaise du temps où il était
journaliste au quotidien arabophone An
Nahar, l’écrivain franco-libanais
basculera dans le camp des milices
chrétiennes à l’élection de Bachir
Gemayel à la Présidence de la
République, en 1982, où il s’était vu
proposé un rôle de conseiller du chef
milicien au sein d’une task force
constituée autour de Michel Abou Jaoudé,
à l’époque éditorialiste du journal An
Nahar.
Ce membre de
l’Académie Française depuis 2011
suscitera les réserves des forces
progressistes libanaises lors de son
ralliement au clan phalangiste,
matérialisée par sa présence aux
négociations israélo-libanaises.
Pour atténuer les
critiques, ses sympathisants avaient
expliqué qu’Amine Maalouf avait été
«convoqué» par le président phalangiste,
alors que l’écrivain s’est porté
volontaire pour servir l’éphémère
président du Liban. Il suscitera une
nouvelle polémique, 23 ans plus tard, à
la suite de son interview à la chaîne
israélienne I24, le 2 juin 2016.
Le quotidien
libanais Al-Akhbar a lancé la
controverse avec un éditorial qu’il n’a
pas hésité à titrer «Léon L’Israélien»,
parodiant le titre du roman de Maalouf,
« Léon l’Africain ». « N’a-t-il pas été
gêné par cette reconnaissance symbolique
d’Israël ? », interroge l’éditorial
virulent. L’auteur, « né au Liban, qui a
grandi en Égypte et qui a été formé en
France, est-il désormais si éloigné de
son pays, de son peuple et de ses
ancêtres, qu’il ne partage pas leurs
sentiments et ni la même idée de ce qui
est bon pour leur pays ? », questionne
encore l’article qui a mis le feu aux
poudres.
Le quotidien As-Safir
a exécuté, lui, sa cible d’un titre
laconique mais cruel: «La trahison d’un
intellectuel».
B – Antoine
Fattal:
Professeur de Droit
International à l’Université Saint
Joseph de Beyrouth (USJ), université
pontificale placée sous l’autorité des
Pères Jésuites, Antoine Fattal a été le
professeur rébarbatif d’Amine Gemayel en
DEA de Droit International Public
(section Droit maritime), dont le
signataire de ce texte en fut le
condisciple.
Une désignation faite en accord avec les
Américains et les Israéliens, dont les
orientalistes étaient friands des écrits
islamophobes de l’universitaire chrétien
syriaque libanais.
Nul ne s’était
auparavant penché sur les écrits
d’Antoine Fattal, alors qu’il est
l’auteur d’un ouvrage nauséeux sur les
musulmans, au titre éloquent: «le statut
des non musulmans dans les pays
musulmans», paru en langue française en
1958, à l’époque de la 1 re guerre
civile libanaise. Ce livre sert de
référence aux courants xénophobes et
islamophobes de l’extrême droite
occidentale.
Présomptueux,
Antoine Fattal donnera à ses
interlocuteurs israéliens l’assurance
que les critiques de la presse libanaise
serons sans conséquence sur le cours de
ces négociations. L’Histoire lui donnera
tort.
C – La presse
libanaise, au diapason.
La majorité des
éditorialistes de la presse libanaise
vantera les mérites du traité.
Ainsi Marwane
Iskandar, chroniqueur économique du
quotidien «An- Nahar» se félicitera que
les Libanais aient «arraché un accord
qui préserve les intérêts libanais» (An
Nahar 12 Août 1983), alors qu’Elias Ad
Dairy, du même quotidien, se réjouira du
fait que les «députés libanais, dans
leur grande majorité, aient assumé leurs
responsabilités historiques, en
ratifiant un accord qui préconise le
retrait de toutes les forces étrangères
du Liban». Cf. An Nahar Al Arabie Wal
Douali 30 juin 1983). Entendez par là,
l’armée israélienne certes, mais aussi
les Palestiniens et les Syriens…. A la
notable exception des mercenaires de
l’extrême droite européenne venus
soutenir ses amis miliciens chrétiens.
Joseph Samaha a
figuré dans l’équipe chargée de la
communication gouvernementale libanaise
affectée à la couverture des pourparlers
israélo-libanais. Mais les articles de
ce sympathisant de la cause
palestinienne et futur fondateur du
quotidien progressiste «Al Akhbar»
étaient dans leur totalité, critiques
quant au choix d’Amine Gemayel d’engager
ces négociations et sceptiques quant au
prétendu soutien américain aux
négociateurs libanais.
Joseph Samaha
expliquera sa position dans un article
en date du 25 décembre 1983 par son
souci de «ne pas affaiblir davantage la
position du gouvernement libanais», ce
qui, a contrario, suggérait qu’il
n’était pas opposé au principe des
pourparlers.
Talal Salmane,
Directeur du quotidien «As-Safir» fera
preuve d’un grand courage dans la
critique des choix du gouvernement
libanais, faisant part de son opposition
de principe à la tenue des pourparlers
avec les Israéliens.
8 -Le vote de la
chambre des députés en faveur du traité:
Gloire à Najah Wakim et Zaher Al Khatib
Le traité de paix
israélo-libanais a été adopté par la
chambre des députes à une confortable
majorité. Deux députés de tendance
nassérienne, Najah Wakim
(grec-orthodoxe) député de Beyrouth et
Zaher Al Khatib, sunnite du Chouf, et
ancien colistier de Walid Joumblatt, ont
voté contre le traité.
Trois députés se
sont abstenus: Rachid Al Solh
(sunnite-Beyrouth), Albert Mansour
(grec-catholique- Baalbeck) et Hussein
al Husseini (chiite Baalbeck).
Un député Abdel Majid Al Rifai, tendance
Baas irakien, a émis des réserves.
Walid Joumblatt
Opportuniste à tout
crin, Il ne manifestera son hostilité au
traité de paix israélo-libanaise que
lorsque l’opposition à Israël s’est
cristallisée, à l’instigation de la
Syrie.
Au terme d’un
entretien avec le Roi Hussein de
Jordanie, le chef druze du parti
socialiste s’était déclaré «en faveur
des négociations
israélo-américano-libanaise sous réserve
qu’elles aboutissent au retrait total
d’Israël du Liban» (An Nahar 14 avril
1983).
Dans ce contexte,
son discours d’intronisation de son
héritier Teymour Joumblatt, le 20 mars
2017, relève de l’esbrouffe: Walid
Joumblatt a placé symboliquement sur les
épaules de son héritier un keffieh à
damier noir et blanc, comme celui que
portait fréquemment Kamal. «Ô Teymour,
préserve l’héritage de ton grand-père,
le grand Kamal Joumblatt, et porte haut
le keffieh de la Palestine arabe
occupée, le keffieh du Liban
progressiste, des hommes libres et des
révolutionnaires, de ceux qui résistent
à Israël»
Walid Joumblatt, un
être versatile, opportuniste. Son
discours? Du pipeau.
Pour aller plus loin sur ce thème
http://www.renenaba.com/liban-walid-joumblatt-requiem-pour-un-saltimbanque/
Ghassane Tuéni,
coordinateur général des négociations du
côté libanais, a spécifié que l’objectif
des négociations était d’établir «une
zone de sécurité internationale à la
frontière israélo-libanaise, reconnue
internationalement» (An-Nahar 14 janvier
1983). Moins d’un mois après cette
déclaration, le Traité de Paix
israélo-libanais du 17 mai 1983 était
aboli sous la pression populaire.
L’arrivée de Rafic
Hariri au pouvoir le 19 octobre 1992
devait marquer la reprise du
rapprochement entre le Liban et Israël
avec l’arrangement tacite conclu entre
le milliardaire libano-saoudien et le
premier ministre travailliste Shimon
Perès à propos de «l’autoroute de la
paix» devant relier Tel-Aviv Beyrouth,
au delà l’hinterland arabe, via Damas.
Indice de sa
volonté d’opérer un rapprochement en
douceur avec Israël, Rafic Hariri
lancera, dans l’ordre subliminal, un
signal en direction de Tel Aviv,
désignant comme son «conseiller spécial»
M. Daoud Sayyeh, l’un des précédents
porte-parole de la délégation libanaise
aux négociations de paix
israélo-libanaises.
Mais cette
tentative lui sera fatale comme à son
prédécesseur Bachir Gemayel. Rafic
Hariri a été assassiné le 15 Février
2005, et son rival chiite, le Hezbollah,
prenant la relève du clergé défaillant
collaborationniste, infligeait une
contre performance militaire à Israël,
l’année suivante, en juillet 2006.
Épilogue:
Le Liban une
fonction traumatique à l’égard d’Israël,
un curseur diplomatique pour le Monde
arabe.
Depuis la
conclusion d’un pacte de partenariat
stratégique entre Ronald Reagan et les
néo conservateurs israéliens le tandem
Menahem Begin et Ariel Sharon, dans la
décennie 1980, le bloc atlantiste s’est
appliqué à engager une stratégie visant
à la sécurisation d’Israël et au
confinement de l’Iran. En connivence
avec les «pays modérés arabes»,
c’est-à-dire les pétro monarchies parmi
les plus régressives et répressives du
Monde arabe et leur compères dictateurs
Hosni Moubarak (Égypte) et Zine el
Abidine Ben Ali (Tunisie).
En synergie avec
les services américains et la totalité
des services du bloc atlantiste (Turquie
comprise), cette stratégie a néanmoins
essuyé des échecs répétitifs
retentissants à protéger leurs
homme-liges de l’occident en Orient:
Anouar el Sadate, le plus emblématique
d’entre eux, Rafic Hariri, Benazir
Bhutto, surtout Wissam al Hassan, la
dague sécuritaire du clan saoudo
américain au Liban et fer de lance du
combat anti Assad en Syrie, alors qu’en
contrechamps, l’Iran a accédé au rang de
puissance du seuil nucléaire, que le
Hezbollah libanais taille des croupières
aux poulains des Occidentaux en Syrie et
que leurs anciens pupilles, les
djihadistes wahhabites, menacent
directement la sécurité de leur ancien
commanditaire saoudien.
La propulsion au
pouvoir du chef militaire phalangiste
Bachir Gemayel et la conclusion du
traité libano-israélien relevaient de
cette stratégie en formalisant
juridiquement l’axe Le Caire-Tel Aviv-Beyrouth
dans une «oasis de paix» muselant
définitivement les Palestiniens. Ce plan
a été mis en échec par la résistance
opiniâtre des contestataires à l’ordre
hégémonique israélo-américain,
particulièrement au Liban.
Deux conceptions du
combat politique se sont affrontées
durant cette séquence: L’option de
soumission aux anciens colonisateurs du
Moyen orient et la logique de combat
contre l’envahisseur-occupant. La
version moderne de la dialectique du
Maître et de l’Esclave.
La souillure morale
représentée par la conclusion d’un
traité de paix avec Israël a été purgée
par la volonté du peuple combattant.
Au regard de
l’Histoire, le Liban est le seul pays
arabe à avoir signé un Traité de Paix
avec Israël, le 17 Mai 1983, qu’il
abolira sous la pression populaire, dix
mois plus tard, le 5 Mars 1984 à la
suite de la prise du pouvoir à
Beyrouth-Ouest par les milices
populaires; l’unique pays arabe à avoir
obtenir le dégagement militaire
israélien de son territoire, sans
négociations, ni reconnaissance, ni, a
fortiori, de traité de paix.
Unique pays arabe à
avoir infligé deux revers majeurs à
l’armée israélienne, le Liban exerce une
fonction traumatique à l’égard d’Israël,
un curseur diplomatique à l’égard du
Monde arabe.
Références
1 – A propos du
pacte secret entre l’Église maronite et
l’Agence juive et les relations entre
Israël et les Maronites, Cf. notamment
ce texte en langue française «Victimes,
Histoire revisitée du conflit
arabo-sioniste par Benny Morris (Édition
Complexe), chapitre I page 539 et
suivants/ et Avi Shlaïm Israeli
interference in internal arab world: The
case of Lebanon. In The politics of arab
integration”, Giaccomo Luciani and
Ghassane Salamé eds. (London 1988, page
236), dans le PDF joint page 19
-
http://english.dohainstitute.org/file/get/30e8d7ab-a803-4a2b-848e-9f4a14f1ba56.pdf
ainsi que le texte
complet de ce pacte en anglais et en
arabe sous ce lien:
2 – A propos de
Michel Chiha, cf: «Les Maronites, le
Liban et l’État d’Israël», in Middle
East Studies, Volume 31, N° 3 Octobre
1995. Fondateur du quotidien francophone
«Le Jour», Michel Chiha, banquier, joua
un rôle déterminant dans la proclamation
de l’État du Grand Liban, sous le mandat
français (1920-1943), puis sous la
présidence de son beau frère Béchara El
Khoury.
Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
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dossier Liban
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