Madaniya
La confrérie des Frères Musulmans :
Un vestige de la guerre froide ? 2/3
René Naba
Photo:
D.R.
Vendredi 19 décembre 2014
L’Europe occidentale,
refuge de luxe des Frères Musulmans du
temps du boom pétrolier dans la décennie
1970-1980.
Trois ans après
l’assassinat de Sadate, son successeur
Hosni Moubarak, confère, en 1984, une
reconnaissance politique aux «Frères
musulmans» sans toutefois leur concéder
le statut de parti. Contournant
l’obstacle, les Frères s’engagent sur le
terrain politique sous l’étiquette
«indépendant», participant aux
manifestations visant à la réforme de la
constitution et à l’abrogation de l’état
d’urgence. Investissant le terrain
social et financier, ils viennent en
assistance aux classes défavorisés.
La dimension
islamique de la contestation populaire
atteindra son apogée lors du
rétablissement, sous la pression de la
rue, du crime d’apostasie par la justice
égyptienne et la promulgation d’un
nouveau code restrictif de la presse
égyptienne. Mais la tentative d’attentat
contre le Président Hosni Moubarak, en
juin 1995 -la vingtième du genre en
quinze ans-, donne l’occasion au
président égyptien de mettre au pas les
formations islamistes dont l’activisme,
jugeait-il, menaçait de gangrener les
principaux rouages de l’Etat.
Un mois après cette tentative à
l’occasion du sommet de l’Organisation
de l’Unité Africaine (OUA), Le Caire
passe à l’offensive et mène une guerre à
outrance contre les chefs de file des
formations islamistes ayant revendiqué
la responsabilité de cet acte. L’Egypte
demande l’extradition de cent vingt
islamistes égyptiens réfugiés en
Afghanistan ou en Europe occidentale.
A partir du premier
choc pétrolier et, surtout, de la guerre
antisoviétique en Afghanistan, dans la
décennie 1980, les Saoudiens renoncent à
la sous-traitance pour prendre
directement en main la gestion de
l’Islam européen, établissant leurs
propres centres et mosquées financés par
la Ligue mondiale, aux dépens,
paradoxalement, des structures des
Frères Musulmans. C’est ainsi que les
Frères Musulmans participent, en 1973
(l’année du premier choc pétrolier), à
la fondation du Conseil islamique
d’Europe, dont le point d’orgue sera la
fondation de l’Union des organisations
islamiques en Europe (UOIE) et de
l’Union des organisations islamiques de
France, en 1983, en pleine phase de
montée en puissance de la troisième
génération issue de l’immigration arabo
musulmane.
Durant cette période, l’Europe
occidentale faisait office de base
arrière «aux combattants de la liberté»
où soixante dirigeants islamistes y
avaient résidence, dont quinze
disposaient du statut de «réfugié
politique». A lire la liste des hôtes de
marque de l’Europe, la «guerre contre le
terrorisme» paraît risible, ce qui
témoigne de la duplicité de la
diplomatie occidentale tant vis-à-vis de
l’opinion occidentale que vis-à-vis du
Monde arabe.
Parmi les célèbres
réfugiés politiques figuraient:
- Aymane Al-Zawahiri,
le N°1 d’Al Qaida depuis
l’élimination d’Oussama Ben Laden le
2 mai 2011.
Il résidait à l’époque en Suisse
avec le titre de commandeur des
groupements islamistes en Europe.
Adhérant dans les années 1980 à la
formation «Al-Jihad», il avait été
condamné à trois ans de prison dans
l’affaire de l’assaut de la tribune
présidentielle lors de l’assassinat
du président égyptien Anouar
el-Sadate, en octobre 1981. A sa
sortie de prison, il a séjourné en
Afghanistan avant de se rendre en
Europe.
- Mohamad
Chawki Al-Islambouli, frère du
meurtrier de Sadate, Khaled Al-Islambouli.
Innocenté lors du procès de
l’assassinat du chef de l’Etat
égyptien, il a rallié les rangs des
combattants anti-israéliens au
sud-Liban avant de se rendre à
Peshawar. Résidant à Kaboul, Chawkat
Al-Islambouli a été condamné par
contumace dans le procès des
«égypto-afghans».
- Talaat
Fouad Kassem, porte-parole de
mouvements islamistes en Europe,
chargé de la coordination des
activités des divers responsables et
de la transmission des consignes,
des instructions et des subventions
entre l’Europe et les militants de
base en Egypte. Condamné à 7 ans de
prison au moment de l’assassinat de
Sadate, il a été le premier à
rejoindre les rangs des combattants
islamistes afghans où il s’est
distingué au sein des escadrons de
la mort dans des opérations de
guérilla antisoviétique. Avant le
Danemark, il était responsable des
groupements islamistes à Peshawar
(Pakistan), point de transit des
Moudjahidin vers l’Afghanistan.
Talaat Fouad Kassem sera conduit
alors en veilleuse les activités de
son bureau de Copenhague à la suite
de l’attentat anti Moubarak en 1995.
A cette époque,
avant d’être touchée à son tour par un
attentat faisant 50 morts le 7 juillet
2005 (jour de la tenue du Sommet du G8
sur son territoire, au lendemain de la
décision du Comité Olympique
Internationale de lui attribuer
l’organisation des Jeux Olympiques de
2012), Londres était la capitale
mondiale de l’Islam contestataire,
puisqu’elle comptait parmi ses hôtes les
principaux opposants islamistes tels que
le tunisien Rachid Ghannouchi, le
soudanais Moubarak Fadel Al-Mahdi, le
pakistanais Attaf Hussein (chef du parti
d’opposition Muhajir Qawmi Movement
(MQM)) ainsi que l’algérien Kamar Eddine
Katbane (vice-président du comité du FIS
(Front Islamique du Salut)).
Un prosélytisme
tous azimuts s’était en effet mis en
route à la faveur du choc pétrolier et
de la guerre d’Afghanistan. C’est
l’époque où la Ligue du Monde Islamique
prend son envol et où l’Arabie Saoudite,
pour briser la prééminence égyptienne
dans les affaires arabes, propulse «le
Conseil de coopération du Golfe» (sorte
de «syndicat de défense des intérêts des
émirs pétroliers du golfe pro
américain», selon l’expression en
vigueur à l’époque au sein de
l’opposition anti-monarchique), une
instance dont seront exclus tant l’Irak
que l’Iran pourtant d’importants pays
pétroliers de surcroît riverains de la
voie d’eau.
Si le «Conseil de
Coopération du Golfe» devient
l’instrument de la diplomatie régionale
de l’Arabie, la Ligue du Monde islamique
sera l’instrument d’encadrement par
excellence des communautés musulmanes de
la diaspora.
Siégeant à La
Mecque, dirigée statutairement par un
saoudien ayant la haute main sur la
formation des Imams et des prédicateurs,
l’attribution des bourses d’études, le
développement des instruments de
communication à vocation pédagogique
(diffusion du Coran et de documents
audio-visuels), elle supervisera aussi
la mission du «Conseil Supérieur des
Mosquées» qui lui est affilié et dont la
tâche exclusive est la promotion des
lieux de culte dans le monde.
En Europe, la Ligue
a disposé de représentations dans la
plupart des métropoles (Londres,
Bruxelles, Rome, Genève, Vienne,
Copenhague, Lisbonne et Madrid). La
pénétration des populations musulmanes
s’est faite de manière stratégique par
la multiplication des centres culturels
et religieux et d’institutions
spécialisées. L‘Arabie Saoudite a
réparti ses principales institutions
entre les grandes capitales européennes
dans le souci d’impliquer le plus grand
nombre des pays de l’Union à sa
politique de sensibilisation islamique
et de prévenir toute vacuité
institutionnelle qui profiterait à ses
rivaux. Si le Conseil Continental des
Mosquées d’Europe a choisi Bruxelles
pour siège, l’Académie Européenne de
Jurisprudence Islamique est basée à
Londres.
L’existence de la Ligue du Monde
Islamique traduit alors le souci
constant des dirigeants wahhabites de
s’assurer la supervision de la gestion
de la sphère spirituelle au sein du
Monde Musulman. Véritable structure de
diplomatie parallèle, la Ligue Islamique
est le précurseur et la matrice de
l’Organisation de la Conférence
Islamique, vaste rassemblement d’une
cinquantaine de pays représentant près
d’un milliard de personnes, devenu l’un
des plus importants forum du Monde non
occidental.
Le mot d’ordre
de l’époque n’était pas le «péril
islamiste» ou le «choc de
civilisations», mais l’alliance contre
l’athéisme antisoviétique sur fond de
recyclage de pétrodollars.
Pour répondre à la
demande, au plus fort du Djihad Afghan,
l’Arabie alloue une subvention annuelle
de près de 750.000 (sept cent cinquante
mille) dollars à l’Université islamique
d’Islamabad dirigée à l’époque par un
Recteur dont l’allégeance lui permet
ainsi de superviser la production de la
jurisprudence islamique d’une
institution, qui constitue avec le
Centre Islamique de Lahore (Pakistan),
l’une des plus fécondes sources de
jurisprudence du monde musulman, loin
devant l’Université égyptienne d’«Al
Azhar».
Le Royaume se dote
même en 1984 d’une imprimerie spéciale:
«Le complexe du Roi Fahd pour
l’impression du Livre sacré», éditant
annuellement huit millions d’exemplaires
dans les principales langues de la
sphère musulmane (français, anglais,
arabe, espagnol, haoussa, urdu, turc),
se hissant au rang de principal
pourvoyeur du Livre Saint dans le monde.
Au total, durant la décennie 1980,
l’Arabie éditera cinquante trois
millions d’exemplaires du Coran offrant
gracieusement trente six millions
d’exemplaires aux fidèles de soixante
dix huit pays à l’occasion du Ramadan.
Vingt six millions d’exemplaires ont été
offerts aux fidèles des pays d’Asie,
cinq millions pour l’Afrique, un million
pour l’Europe, autant pour l’Australie
et pour l’Amérique et le reliquat aux
pèlerins à l’occasion du pèlerinage de
La Mecque.
L’Arabie Saoudite,
qui a consacré durant la décennie 1980
près d’un milliard de dollars (10
milliards de FF au taux de l’époque) à
l’entretien des lieux de culte, compte
trente mille mosquées, quatre vingt dix
Universités et Facultés théologiques,
record mondial absolu par rapport à la
densité de la population. Durant cette
même décennie, le Roi Fahd va également
procéder à l’expansion des sites situés
dans l’enceinte du périmètre sacré des
lieux Saints de l’Islam, décuplant leur
superficie et leur capacité d’accueil,
respectivement de sept cent trente mille
fidèles pour La Mecque et six cent
cinquante mille pour Médine, alors que
simultanément l’effort se portait sur
l’enseignement religieux à l’aide des
deux grandes universités islamiques du
Royaume: l’Université de l’Iman Mohamad
Ben Saoud de Riyad qui a procédé à la
formation de vingt trois mille étudiants
d’une quarantaine de nationalités et
l’Université Oum Al Qorah à La Mecque,
(seize mille étudiants de quarante sept
nationalités), se muant en autant de
zélés propagateurs d’une conception
saoudienne de l’Islam au sein de la
communauté des pays musulmans.
Sous Moubarak, les
Frères Musulmans, la principale force
d’opposition
A cette époque, le
Président Moubarak avait dû faire face à
une vingtaine d’attentats dont les plus
célèbres auront été, en 1993, l’attaque
de Sidi Barani contre le convoi
présidentiel alors que le président
égyptien se rendait par la route en
Libye pour rencontrer le colonel
Kadhafi, et en 1994, la tentative aux
Etats-Unis qui avait entraîné la mise en
cause du Cheikh Omar Abdel Rahman, chef
des intégristes égyptien en exil sur le
territoire américain.
Pendant deux
décennies, Hosni Moubarak alternera la
carotte et le bâton, utilisant les
Frères Musulmans comme soupape de sûreté
aux trop fortes pressions israéliennes
ou américaines, concédant à la confrérie
une large autonomie dans la gestion de
la sphère culturelle et sociale, la
bridant au gré des virages, réservant à
sa coterie les lucratifs contrats de
marchés publics. Par un lent travail de
grignotage de la sphère de la vie
civile, la confrérie réussira à devenir
le premier groupe d’opposition à
l’assemblée du peuple avec un contingent
de quatre vingt huit députés sur quatre
cent cinquante quatre, sans toutefois
réussir à infléchir, ni la logique de
vassalité égyptienne à l’égard de l’axe
israélo-américain, ni la paupérisation
croissante de la société du fait de la
politique népotique et corruptrice de
Hosni Moubarak.
Disposant d’un
statut hybride au sein de l’état
égyptien, une association tolérée mais
non légale, la confrérie se trouvait en
pleine stagnation, conduisant des
membres influents à prôner un véritable
«aggiornamento» pour sortir de l’impasse
dans lequel le pouvoir égyptien tentait
de les enfermer. Bon nombre des membres
de l’organisation opteront ainsi pour le
costume à l’occidentale, renonçant à la
tenue traditionnelle, élargissant leur
recrutement aux diplômés des grandes
écoles.
Une impasse idéologique suicidaire se
manifeste alors avec acuité lors de la
destruction de l’enclave palestinienne
de Gaza (décembre 2008-janvier 2009),
avec la complicité passive des grands
pays arabes sunnites (Egypte, Arabie
saoudite, Jordanie). L’alliance avec le
chef de file de l’Islam sunnite arabe
(l’Arabie saoudite), conduit à la
destruction de l’unique organisation
sunnite arabe prônant la lutte armée
contre Israël (le Hamas, filiale
palestinienne des Frères Musulmans),
laissant le champ libre au Hezbollah
chiite, et, indirectement au mouvement
«Al Qaeda», le rival idéologique de la
confrérie sur le plan sunnite.
Pareille déconvenue
était survenue à d’autres organisations
islamiques, notamment le GIS algérien de
M. Abassi Madani, lors du débarquement
de cinq mille soldats occidentaux (été
1990), en Arabie Saoudite, pour se
lancer à l’assaut de l’Irak depuis la
terre sainte de l’Islam.
Les Frères Musulmans
à l’épreuve du pouvoir
A la fin de février
2011, alors que le pouvoir de Hosni
Moubarak chancelait, les Frères
Musulmans décident de créer le «Parti de
la liberté et de la justice»: un bras
politique à l’effet d’influer sur
l’avenir du pays.
S’il est vrai que la révolte égyptienne
a été impulsée et conduite par une
coalition de forces politiques, secondée
par des réseaux d’internautes, à
dominante laïque et démocratique, il
n’en est pas moins vrai que les
organisations de la mouvance islamique
ou leurs membres à titre individuel ont
pris part à ce mouvement. Sur un pied
d’égalité avec des formations
d’importance marginale avant le début du
soulèvement, des groupes plus proches
des dissidents est-européens de 1989 que
des partis de masse ou des avant-gardes
révolutionnaires, acteurs traditionnels
des révolutions sociales.
Si dans le cas tunisien, la discrétion
du mouvement islamiste a pu s’expliquer
par la férocité de la répression qui a
entravé la capacité d’action du parti En
Nahda, c’est paradoxalement dans leur
statut même de parti toléré par le
régime militaire que se trouve la clé de
l’attitude pusillanime adoptée par les
Frères musulmans égyptiens.
A l’instar de son
prédécesseur Sadate qui avait retourné
contre lui l’opinion lors de son
«automne de la colère» (1981) en
muselant l’opposition, Moubarak,
présumant de ses forces, commet la même
erreur 30 ans plus tard. A la veille des
élections législatives de décembre 2010,
prélude à la reconduction d’un sixième
mandat à la tête de l’Etat, il écarte
l’opposition de la consultation
électorale avec la complicité passive de
ses parrains occidentaux qui réservaient
alors – et exclusivement – leurs
critiques et leurs menaces au seul
Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire, dont la
réélection a eu lieu le même jour que le
scrutin égyptien.
L’un comme l’autre
se lancent dans une opération de
diversion à connotation religieuse.
Sadate bannit dans un couvent du Sinaï
le chef de l’Eglise copte, le Pape
Shenouda, alors que sept millions de
coptes vivent en Egypte, représentant
dix pour cent de la population et autant
dans la diaspora occidentale,
particulièrement aux Etats-Unis et en
Europe.
Habitants originels, le pays tirant son
nom du leur, ils sont la minorité
chrétienne la plus importante du Moyen
Orient. Shenouda, un patriote à toute
épreuve, s’est distingué comme simple
soldat sur le front de Suez, en 1956,
et, par crainte d’une
instrumentalisation des coptes dans le
conflit israélo-arabe, avait interdit à
ses ouailles d’effectuer le pèlerinage
des Lieux Saints chrétiens de Jérusalem
tant que les Palestiniens n’auront pas
eu droit à leur Etat.
Dans une opération
de diversion, Moubarak, par l’entremise
de son ministre de l’intérieur, Habib Al
Adli, cautionnera l’attentat contre une
église d’Alexandrie lors de la fête de
la nativité des Coptes (fin décembre
2010), suscitant une vague d’indignation
à travers le Monde et un élan de
solidarité sans pareil au sein de la
population égyptienne, prélude aux
manifestations Place Tahrir. Présomption
fatale qui abrogera son mandat et
démasquera son imposture aux yeux de
l’opinion internationale.
Au total, depuis l’avènement de la
République en Egypte, les relations en
dent de scies entre l’armée et les
Frères Musulmans se sont soldées
négativement par l’assassinat d’un
président (Sadate) par un islamiste, et
par la participation des Frères
Musulmans à la chute d’un deuxième
président (Moubarak), en représailles à
la répression dont ils auront été
l’objet de sa part, tout au long.
La devise des Frères
Musulmans (Hizb al-Ikhwan al-Muslimun)
La devise de la
confrérie constitue tout un programme et
retentit comme un véritable appel à la
mobilisation: «Allah est notre objectif.
Le Prophète est notre chef. Le Coran est
notre loi. Le Jihad est notre voie.
Mourir dans la voie d’Allah est notre
plus grande espérance».
Son logo était constitué de deux sabres
croisés. Il a été abandonné au profit
d’un logo moins agressif, deux mains
jointes autour d’une motte de terre où
prend racine une pousse verte.
L’un des principaux
dirigeants du mouvement, Khairat Al
Shater, a été libéré de prison dans la
semaine qui a suivi le dégagement de
Moubarak. Ce fut également le cas du
doyen des prisonniers politiques
égyptiens Abboud Al Zoummor, chef du
Jihad islamique égyptien, et de son
frère Tareq. Tous les deux avaient été
incarcérés pour leur implication dans
l’assassinat d’Anouar Al Sadate. Né en
1947, dans la province de Guizeh, Abboud
Al Zoummor, est un ancien officier de
l’armée décoré au front, en 1973, pour
sa bravoure dans des «opérations
derrière les lignes ennemies». Il avait
officiellement purgé sa peine en 2001,
mais il a été maintenu en prison dix ans
de plus jusqu’à la chute de Moubarak.
Deux ans plus tard,
les Frères Musulmans retrouvaient le
chemin de la prison, avec, en tête du
cortège, Mohamad Morsi et son état
major, ses fidèles sévèrement
pourchassés et réprimés.
Rached Ghannouchi, lauréat 2011 de
Foreign Policy
Sans surprise pour
ceux qui ont suivi ce récit, Rached
Ghannouchi, Waddah Khanfar, Waël Al-Ghoneim,
Bernard Henry Lévy et Nicolas Sarkozy
ont été distingués en 2011 par la revue
«Foreign Policy» parmi les
«personnalités les plus influentes de
2011».
Des lauréats qui ne
manquent pas d’allure: Rached Ghannouchi,
le chef du parti islamiste tunisien An
Nahda, longtemps la bête noire des
Occidentaux, Waddah Khanfar, l’ancien
directeur islamiste de la chaine Al
Jazira, et interlocuteur des services de
renseignements américains ainsi que Waël
Al-Ghoneim, responsable pour l’Egypte du
moteur de recherche américain Google,
amplificateur du soulèvement populaire
égyptien place Tahrir.
Parmi les «100 plus
grands intellectuels» honorés cette
année-là, figuraient une brochette de
belliciste à tout crin: Dick Cheney,
ancien vice-président de George Bush jr,
un des artisans de l’invasion de l’Irak,
de même que Condoleezza Rice, secrétaire
d’Etat de George Bush, le sénateur John
Mac Cain, le président français Nicolas
Sarkozy, le couple Bill et Hilary
Clinton, le ministre de la défense de
Bush jr et de Barack Obama, Robert
Gates, le premier ministre turc Recep
Teyyeb Erdogan et l’incontournable
Bernard Henri Lévy.
Et sur le plan arabe, outre les trois
personnalités précitées, ont figuré
l’ancien Directeur de l’agence atomique
de Vienne Mohamed Baradéï et le
politologue palestinien Moustapha
Barghouti, que nous aurions souhaité
être distingué par un autre aréopage que
Freedom House ou Global Voice Project.
Avec mention
spéciale pour Ghannouchi «l’un des plus
grands intellectuels de l’année 2011».
Rached Ghannouchi, il est vrai, avait
mis à profit son séjour aux Etats Unis
pour rendre visite au «Washington
Institute for Near East Policy», très
influent think tank fondé en 1985 par M.
Martin Indyk, auparavant chargé de
recherche à l’American Israel Public
Affairs Committee ou AIPAC, le lobby
israélien le plus puissant et le plus
influent aux Etats-Unis. Le chef
islamiste, longtemps couvé
médiatiquement par la Chaine Al Jazira,
a pris soin de rassurer le lobby
pro-israélien quant à l’article que
lui-même avait proposé d’inclure dans la
constitution tunisienne concernant le
refus du gouvernement de collaborer avec
Israël.
En trente ans
d’exil, cet ancien nassérien modulera sa
pensée politique en fonction de la
conjoncture, épousant l’ensemble du
spectre idéologique arabe au gré de la
fortune politique des dirigeants, optant
tour à tour, pour le nassérisme
égyptien, devenant par la suite adepte
de l’ayatollah Ruhollah Khomeiny (Iran),
puis de Hassan Al Tourabi (Soudan), pour
jeter ensuite son dévolu sur le turc
Reccep Tayeb Erdogan, avant de se
stabiliser sur le Qatar, soit sept
mutations, une moyenne d’une mutation
tous les quatre ans.
Du grand art qui
justifie a posteriori le constat du
journaliste égyptien Mohamad Tohi3ma
«Les Frères Musulmans, des maitres dans
l’art du camouflage et du
contorsionnement mercuriel», article
paru dans le journal libanais «Al
Akhbar» en date du 1er octobre 2011
reprenant une tribune de Mohamad Tohima,
directeur du quotidien égyptien «Al
Hourriya». Du grand art. En attendant la
prochaine culbute. La prochaine chute ?
Pour aller plus
loin sur la stratégie de Rached
Ghannouchi visant à masquer la faillite
du pouvoir islamiste en Tunisie:
http://mondafrique.com/lire/politique/2014/03/02/tunisie-guerre-de-religion-au-sein-du-mouvement-islamiste-ennadha
Quant au 2eme
lauréat, Waddah Khanfar, son parcours
résume à lui seul la confusion mentale
arabe et la duplicité du Qatar. Ancien
journaliste de la chaine gouvernementale
américaine «Voice of America», ce
palestinien natif de Djénine, en
Cisjordanie occupée, était parent par
alliance de l’ancien premier ministre
jordanien Wasfi Tall, surnommé le
«boucher d’Amman» pour sa répression des
Palestiniens lors du septembre noir
jordanien (1970), dont il a épouse la
nièce. Cet Islamiste notoire était aussi
un interlocuteur des services de
renseignements de l’US Army. Une opacité
typique du comportement du Qatar.
Deux reproches ont
pesé sur sa gestion de huit ans à la
tête d’Al Jazira (2003-2011): sa volonté
d’imposer un code vestimentaire ultra
strict aux présentatrices de la chaine,
en conformité avec l’orthodoxie
musulmane la plus rigoureuse, ce qui a
entrainé la démission de cinq
journalistes femmes, ainsi que sa
publication des documents confidentiels
sur les pourparlers israélo palestiniens
«The Palestine Paper», discréditant les
négociateurs palestiniens; ce qui a
conduit le chef des négociateurs
palestiniens, Saeb Oureikate, à réclamer
sa démission, de même que l’Arabie
saoudite effrayée par la crainte que la
large couverture des soulèvements arabes
par la chaîne du Qatar n’ait des
répercussions sur la stabilité des pétro
monarchies.
Propulsé
à la direction de la chaîne
Al Jazira par son ami libyen, Mohammad
Jibril. Il sera remercié de la chaîne,
en 2011, au terme de l’épisode libyen,
mais gratifié de la distinction
américaine. Maigre consolation. L’homme
a quitté la scène publique, avec de
substantielles indemnités, sans bruits,
emportant avec lui ses secrets et sa
part d’ombre, les raisons de sa gloire
et de sa disgrâce.
Quant au 3 me larron
BHL
Echevelé, livide au
milieu des tempêtes, le touriste de
guerre a poursuivi sa quête
incompressible du Graal, sautillant de
Benghazi à la Syrie au secours de la
liberté défendant le Monde Arabe,
brandissant ses méfaits qu’il confondait
avec des trophées, réussissant le tour
de force d’instaurer la Chariah en
Libye, provoquant la talibanisation de
la zone sahélienne par l’implosion de la
Libye.
Point n’est
pourtant besoin de boussole. Un arabe ou
un musulman, voire tout citoyen du monde
un tant soit peu patriote, doit se
ranger impérativement dans le camp
adverse à celui de Bernard Henry Lévy,
le fer de lance médiatique de la
stratégie israélo-atlantiste dans la
sphère arabo-musulmane. Songeons à la
guerre antisoviétique d’Afghanistan
(1980-1989) et à la mystification des
«combattants de la liberté» magnifiés
par BHL, qui aura opéré le plus grand
détournement du combat arabe de la
Palestine vers Kaboul avec les
désastreuses conséquences qui en
découlent encore de nos jours, au niveau
de son excroissance djihadique et de ses
dérives erratiques.
Cf. BHL ou
comment se rendre ridicule
http://www.marianne.net/elie-pense/BHL-ou-comment-se-rendre-ridicule-pour-la-posterite_a364.html
Ci-joint son
dernier exploit: Harangué les foules de
Kiev, sous cadrage des vétérans de
l’armée israélienne.
http://www.jta.org/2014/02/28/news-opinion/world/in-kiev-an-israeli-militia-commander-fights-in-the-streets-and-saves-lives
Selon le site
israélien alyaexpress-news.com, ce
groupe de 35 combattants armés et
cagoulés de la place aidan, était
dirigé par 4 anciens officiers de
l’Armée israéliennes. Ces anciens
officiers ont dès le début des
événements rejoint le mouvement aux
côtés du parti de la Liberté (Svoboda),
bien que celui-ci ait la réputation
d’être violemment antisémite. La
présence d’unités israéliennes avait été
signalée dans des événements similaires
en Géorgie, aussi bien lors de la
«révolution des roses» (2003) que lors
de la guerre contre l’Ossétie du Sud
(2008), où, en parfait synchronisme, BHL
avait harangué les foules depuis son
hôtel de Tbilissi, à plusieurs kms du
champ de bataille. Manque à l’appel un
lauréat: Hamad du Qatar: The Air and
Field Marshal de Libye.
SSur ce lien le
chainon manquant:
http://www.renenaba.com/lhomme-de-lannee-2011/
En trois ans, deux
des principaux libérateurs de la Libye,
Les Etats Unis et la France, ont été la
cible d’attentats de représailles, et,
sur fond de sanglants règlement de
compte entre factions rivales, de
pillages du gigantesque arsenal libyen,
le Sahel a muté en zone de non droit
absolu, fragilisant considérablement le
pré carré africain de la France, alors
que, parallèlement, les maîtres d’œuvre
de la contre révolution arabe sombraient
dans la guerre intestine, menaçant de
paralysie le Conseil de coopération du
Golfe, la seule instance de coopération
régionale arabe encore en activité.br>
Répudier la servilité à l’égard des
Etats-Unis, bannir le dogmatisme
régressif sous couvert de rigueur
exégétique, concilier Islam et
diversité, en un mot conjuguer Islam et
modernité …Tel était le formidable défi
que les Frères Musulmans se devaient de
relever à leur accession au pouvoir et
non de mener une politique revancharde
contreproductive, qui a conduit
directement en prison leur chef de file
égyptien et débouché sur la
désintégration morale du Hamas, unique
mouvement de libération national de
l’Islam sunnite, dans un retour
retentissant à la case départ.
La satisfaction
légitime de la chute d’un dictateur ne
saurait occulter le gâchis stratégique
provoqué par l’effondrement d’un pays à
la jonction du Machreq et du Maghreb et
son placement sous la coupe de l’OTAN,
le plus implacable adversaire des
aspirations nationales du Monde arabe.
Acte stratégique
majeur comparable par son ampleur à
l’invasion américaine de l’Irak, en
2003, le changement de régime politique
en Libye, sous les coups de butoirs des
occidentaux, était destiné au premier
chef à neutraliser les effets positifs
du «printemps arabe» en ce qu’il devait
accréditer l’idée que l’alliance
atlantique constituait le gendarme
absolu des revendications démocratiques
des peuples arabes.
Aucune intervention
occidentale à l’encontre du Monde arabe,
même la plus louable, n’est jamais
totalement innocente, tant perdurent les
effets corrosifs des actions passées et
vivace le souvenir de leurs méfaits. Et
l’intervention en Libye n’échappe pas à
la règle en ce qu’elle ne cible qu’un
régime républicain, à l’exclusion de
toute monarchie, les exonérant de leurs
turpitudes et de l’impérieuse nécessité
de changement.
L’histoire
retiendra que la révolution libyenne
aura été «la première révolution
assistée par ordinateur» et le meurtre
libératoire de l’ancien bourreau l’objet
d’une assistance à distance. La fin de
Kadhafi est la fin d’une longue
lévitation politique en même temps que
d’une illusion lyrique.
Les Libyens vont
devoir purger le cauchemar qui a peuplé
leur subconscient et leur inconscient et
apporter la démonstration qu’ils ne
constituent pas un peuple d’assistés
permanents.
Le
combat contre la dictature ne saurait
être sélectif.
La démocratie
du Tomahawk a affranchi le djihadisme
erratique et projeté dans l’arène la
foultitude des paumés de l’islam
takfiriste. Le sommeil de la raison a
engendré des monstres.
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Publié avec l'aimable autorisation de
René Naba
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