Opinion
L’équation chiite dans la problématique
du jeu des puissances régionales et
internationales 2/2
René Naba
Dimanche 12 octobre 2014
I. Le Hezbollah
et sa « dissuasion asymétrique »
En initiant une
dissuasion asymétrique, fondée sur une
riposte balistique, le Hezbollah a
modifié les règles du combat dans sa
confrontation avec Israël, une puissance
nucléaire créditée parmi les plus
grandes armées de l’Hémisphère Sud. En
obtenant le dégagement militaire
israélien du Liban sans négociation ni
traité de paix, en 2000, la formation
chiite a propulsé le Liban à la fonction
de curseur diplomatique régional, et,
dans l’histoire du conflit
israélo-arabe, le standard libanais au
rang de valeur d’exemple, tant cet
exploit a revêtu dans la mémoire
collective arabe un impact psychologique
d’une importance comparable à la
destruction de la ligne Bar Lev, lors du
franchissement du Canal de Suez, lors de
la guerre d’octobre 1973. Récidiviste
huit ans plus tard, le Hezbollah
initiera, face à la puissance de feu de
son ennemi et à l’hostilité quasi
générale des monarchies arabes, une
nouvelle méthode de combat, concevant un
conflit mobile dans un champ clos, une
novation dans la stratégie militaire
contemporaine, doublée d’une audacieuse
riposte balistique, à la grande
consternation des pays occidentaux et de
leurs alliés arabe.
En 2006, la «
divine surprise » du Hezbollah
s’explique tant par le fait que la
milice chiite se battait, alors que son
arrière-plan stratégique, – son flanc
occidental et son flanc oriental-,
étaient tenus par ses adversaires, – le
camp phalangiste à Beyrouth et le clan
Hariri à Beyrouth Ouest – que par le
fait que cette victoire s’est
accompagnée d’une spectaculaire
opération d’échange de prisonniers avec
Israël. Un échange œcuménique dépassant
les clivages traditionnels du Monde
arabe, en ce qu’il comportait tan des
Libanais que des Palestiniens, dont
aucun n’appartenait au Hezbollah,
notamment le druze Samir Kintar, le
doyen des prisonniers politiques arabes
en Israël, et près de 200 dépouilles,
dont celle de la palestinienne, Dalal
Moughrabi, membre d’un commando
palestinien tuée en 1978. Un exploit qui
pourrait éclairer le souci du camp
islamo-atlantiste (la coalition des
grands pays musulmans sunnites avec le
bloc atlantiste) d’enserrer le Hezbollah
dans un nœud coulant en vue de provoquer
sinon son implosion, à tout le moins sa
strangulation, via la justice
internationale et la politique de
criminalisation du Hezbollah
(inculpation par le Tribunal Spécial sur
le Liban, TSL Liban Hariri), inscription
sur les liste des organisations
terroristes de l’Union européenne.
Hasard ou
préméditation ? Deux journalistes
français se sont distingués, de manière
synchrone, durant cette période. Le
premier, Yves Mamou, un ancien du
journal Le Monde, commettra un opus de
moyenne facture, intronisant le
Hezbollah comme le nouveau baron du
narco trafic tri continental (Amérique
latine, Afrique Moyen orient), l’égal de
Pablo Escobar.
La seconde, Annick Cojean, une ancienne
journaliste au même journal qu’elle a
réintégré, dissertera, elle, sur la
sexualité débridée des combattants de la
formation chiite, se fondant sur le
témoignage des réfugiées syriennes du
camp de Zaatari, un camp situé en
Jordanie, placé sous haute surveillance
de l’armée bédouine du Roi hachémite.
Mais le fait est que Brookings Doha
Center, – une institution nullement
suspectée de sympathies ni pour l’Iran,
ni pour le Hezbollah -, n’ait mentionné
le moindre de ces méfaits dans son
rapport paru en Mai 2014 a posé le
problème la pertinence de ses articles.
S’agissait-il de la
part des deux confrères de l’ancien et
du nouveau Monde de discréditer le
Hezbollah pour mieux accréditer sa
culpabilité en pleine phase accusatoire
du procès des assassins présumés de
l’ancien premier ministre libanais Rafic
Hariri (TSL) ? De faire contre feux au
fait qu’Israël soit devenu l’un des
premiers colonisateurs de la planète,
une superficie 20 pour cent supérieure à
la totalité de la Palestine, avec une
colonisation de terres en Amérique
latine et en Afrique ?
http://www.renenaba.com/yves-mamou-et-le-phenomene-de-serendipite/
II. Du Symbole
et de sa fonction
Un symbole se
flétrit de ses flétrissures. Il dépérit
faute d’éléments contributifs à sa
pérennisation. Il en est ainsi d’Achoura
et de La Mecque. Achoura, la
commémoration du martyr d’Hussein, se
serait réduite à un exercice de
flagellation et de lamentation, objet de
dénigrement de la part des adversaires
des chiites n’était-ce les exploits
guerriers du Hezbollah et la résistivité
de l’Iran. Achoura est ainsi devenue un
temps fort du rituel symbolique de la
révolution, comparable à la prise de la
bastille en France ou au défilé de la
place Rouge commémorative de la
Révolution d’Octobre en Russie. En
contrechamps, l’Arabie saoudite,
elle, détient les symboles les plus
incontournables de l’Islam en ce qu’elle
est la terre de la prophétie, abritant
la Mecque et Médine. Sans la puissance
financière du Royaume et ses réserves
pétrolières, l’Arabie aurait été un nain
politique, objet d’une détestation
généralisée.
A – La
symbolique de l’exercice du pouvoir au
Liban : Hassan Nasrallah versus Saad
Hariri
Hassan Nasrallah et
Saad Hariri, les deux chefs de file des
deux courants antagonistes de l’islam
libanais, sont antinomiques. Le chiite,
adossé à l’Iran, fait objet d’un
rigoureux pistage des services
israéliens et de la totalité des
services occidentaux et pétro
monarchiques, le sunnite, adossé sur
l’Arabie saoudite, fait, lui, l’objet de
la sollicitude de ces mêmes services.
Une reproduction à l’identique du schéma
irakien sous la monarchie hachémite.
Abdel Mohsen Saadoune, premier ministre
chiite d’Irak (1879-1929) se suicidera
après avoir ratifié, sur ordre de son
Roi, un traité anglo-irakien qu’il
jugeait contraire aux intérêts de son
pays, quand son successeur Noury Saïd
(1958), de même que son compère de la
branche jordanienne de la dynastie
hachémite Wasfi Tall (1971), tous deux
sunnites et agents attitrés de
l’Intelligence service, périront lynchés
par la foule, l’irakien pour avoir
encouragé les Anglais à lancer une
expédition contre l’Égypte nassérienne
(1956), le jordanien pour avoir servi de
bourreau aux palestiniens lors du
septembre noir jordanien (1970).
Noury Said est
passé à la postérité pour avoir tenu ces
propos au premier ministre britannique
de l’époque, Anthony Eden, concernant
Nasser : « Hit him, Hit him now, Hit him
hard » (« Frappe le, Frappe le
maintenant, Frappe le durement »), au
diapason des suppliques de Youssef al
Qaradawi, le Multi du Qatar, implorant
l’Otan de bombarder la Syrie quand le
Pape en personne mettait en garde contre
un emballement belliciste.
Au Liban, une
menace permanente pèse sur les deux
dirigeants libanais. Hassan Nasrallah a
perdu deux de ses plus importants
collaborateurs au niveau militaire, Imad
Moughnieh, le fondateur de la branche
militaire du Hezbollah et Hassan Lakiss,
le chef de sa balistique, et l’un des
dignitaires chiites a fait l’objet d’une
tentative d’assassinat de la part de la
CIA, Cheikh Hassan Fadlallah. Sans
compter les opérations de
déstabilisation du fief Hezbollah, l’été
2013, en relation avec la guerre de
Syrie, dont le plus meurtrier aura été
l’attentat contre la mission culturelle
iranienne à Beyrouth. Saad Hariri, lui,
a perdu son père Rafic Hariri, l’ancien
premier ministre, dans un attentat en
Février 2005, et le chef de sa garde
rapprochée, Wissam Al Hassan, dans un
attentat en octobre 2012, en pleine
guerre de Syrie.
Là s’arrête la
similitude. Hassan Nasrallah n’a jamais
déserté le champ de bataille, ni son
fief du sud de Beyrouth, alors que son
contrepoids sunnite Saad Hariri, le chef
du clan saoudo américain au Liban a opté
pour la fuite en avant comme mode de
gouvernement.
Député de Beyrouth,
une ville reconstruite par son père, de
surcroît chef de la majorité
parlementaire à l’époque, il n’hésitera
pas à fuir Beyrouth, au premier coup de
feu tiré par les Israéliens en 2006. Il
récidivera cinq ans plus tard en
s’exilant en Arabie saoudite pendant la
totalité de la guerre de Syrie, glanant
au passage le sobriquet de « planqué de
Beyrouth ».
Il en a été de même des deux formations
sunnites Fateh Al Islam et celle du
prédicateur salafiste pro Qatar de
Saïda, Cheikh Ahmad Al Assir,
missionnées, tous les deux, par les
pétromonarchies du Golfe pour y créer un
abcès de fixation dans l’hinterland
stratégique du Hezbollah. Tant Fateh Al
Islam (Nord du Liban) que Cheikh Ahmad
Al Assir (Sud du Liban) se sont attaqués
à l’armée libanaise, agrégateur des
diverses composantes de la mosaïque
libanaise en ce qu’elle constitue
l’unique matrice du brassage humain
inter libanais. Les deux ont infligé de
lourdes pertes à l’armée libanaise. Plus
durement qu’elle n’en a subie depuis
l’indépendance du Liban, il y a 70 ans.
Et pas la moindre éraflure à l’armée
israélienne. Les deux ont
instrumentalisé des Palestiniens dans
leur aventure, dévoyant le combat
principal des Arabes de son champ de
bataille principal la Palestine.
Les chefs de ces
deux formations ont déserté le champ de
bataille. Chaker Absi, le nordiste, a
été exfiltré vers l’Arabie saoudite par
son ancien commanditaire Saad Hariri,
(remembrer l’épisode de la Banque de la
Méditerranée) et Ahmad Al Assir a
disparu de la scène par phénomène
d’évaporation théologique. Une baudruche
dégonflée.
B – Le
Hezbollah, Al Qaida : Une différence de
stature
Une différence de
stature existe entre les deux
organisations de lutte armée
opérationnelles du Monde arabe, Al Qaida
(sunnite) et le Hezbollah (chiite).
Hezbollah recherche la dissuasion, une
parité stratégique avec son ennemi,
alors qu’Al Qaida pratique la nuisance.
Dommage collatéral et subsidiaire, la
destruction des Bouddhas de Bamyan a
entraîne de surcroît un rapprochement
entre Israël et l’Inde, jadis partenaire
privilégiée de l’Égypte au sein du
mouvement des non-alignés. De même les
dérives djihadistes du conflit de Syrie
ont accentué l’islamophobie dans le
Monde occidental et massivement
contribué à un retournement de
l’opinion.
Bénéficiant d’une
audience certaine tant au sein de
l’Islam asiatique (Afghanistan Pakistan)
que de l’Islam africain (Sahel
subsaharien), son mouvement opérant une
spectaculaire percée en Syrie à la
faveur des errements de la stratégie
islamo atlantiste, Oussama Ben Laden a
souffert toutefois d’un handicap majeur
au sein du noyau historique de l’Islam –
le Monde arabe – du fait de son passé
d’agents de liaison des Américains dans
la guerre anti soviétique d’Afghanistan
(1980-1990), détournant près de
cinquante mille combattants arabes et
musulmans du champ de bataille
principal, la Palestine, alors que
Yasser Arafat, chef de l’OLP, était
assiégé à Beyrouth par les Israéliens
avec le soutien américain (juin 1982).
S’il a pu se
targuer d’avoir contribué à précipiter
l’implosion d’un « régime athée »,
l’Union soviétique, ses censeurs lui
reprochent d’avoir privé de leur
principal soutien militaire, les pays
arabes du « Champ de bataille »,
l’Organisation de Libération de la
Palestine, l’Égypte, la Syrie, l’Irak,
ainsi que l’Algérie, le Sud Yémen, le
Soudan et la Libye. Son autorité de ce
fait se heurte sur la scène arabe au
charisme d’authentiques dirigeants à la
légitimité avérée aux yeux de larges
factions du Monde arabo musulman, Cheikh
Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, le
mouvement chiite libanais, auteur de
deux exploits militaires contre Israël
(2000, 2006), dont l’incomparable
avantage sur Oussama Ben Laden réside
dans le fait qu’ils n’a jamais déserté,
lui, le combat contre Israël, l’ennemi
principal du monde arabe. Elle se heurte
aussi à la concurrence du nouveau Calife
de l’Islam, le calife Ibrahim.
http://www.renenaba.com/yemen-le-pied-de-nez-de-ben-laden-a-ses-anciens-parrains/
http://www.renenaba.com/yemen-le-pied-de-nez-de-ben-laden-a-ses-anciens-parrains-2/
C – À propos du
Hamas
Cas unique dans les
annales des guerres de libération
nationale, la décision du Hamas
d’installer son quartier général
politique à Doha a constitué une
aberration mentale équivalant, dans
l‘ordre symbolique, à se placer sous la
coupe de son bourreau, équivalant, pour
bien le’souligner, à l’implantation du
QG du FLN algérien à proximité de
Taverny, le PC de la force stratégique
aérienne française, ou du ViêtCong
vietnamien à Pearl Harbour, la plus
importante base américaine de la zone
Asie Pacifique.
Un mouvement de
libération nationale qui renonce de
facto à libérer son pays occupé pour
privilégier un alignement sectaire, non
sur sa religion, mais sur une école de
pensée religieuse, cesse ipso facto
d’être un mouvement de
libération.Toutefois, le premier
percement balistique de l’espace aérien
israélien par sa trajectoire
transnational de Gaza à Tel Aviv, opéré
en riposte à « Bordure protectrice », a
rompu la réclusion du Hamas consécutive
à son alignement sectaire sur les
pétromonarchies rigoristes. En replacant
la revendication palestinienne au centre
du débat international, il a renfloué du
coup la branche palestinienne des Frères
Musulmans en renouant ses relations avec
ses anciens frères d’armes, le Hezbollah
et l’Iran, le rangeant à nouveau parmi
les principaux interlocuteurs de ce
conflit.
http://www.renenaba.com/qatar-hamas-un-an-apres-hamad-du-qatar-en-rade-et-le-hamas-en-panade/
D – Le drone
Ayoub : Une spectaculaire démonstration
de leur capacité technologique à forte
portée psychologique
Au-delà des
tentatives de déstabilisation, de
criminalisation et des supputations,
l’Iran et son allié libanais ont fait
preuve de résistivité et de leur
capacité à percer la défense anti
aérienne israélienne.
Le lancement le 2 octobre 2012 d’un
avion sans pilote du Hezbollah en
direction d’Israël a constitué la
première incursion aérienne réussie de
l’aviation arabe depuis la guerre
d’octobre 1973, il y a 40 ans. Son
survol du site nucléaire de Dimona, dans
le Néguev, a démontré l’étanchéité du «
dôme d’acier » israélien, édifié avec de
coûteux moyens avec l’aide américaine en
vue d’immuniser le ciel israélien de
toute attaque hostile. Cet exploit
militaire du Ayatollah, et par voie de
conséquence de l’Iran, est apparu comme
une spectaculaire démonstration de leur
capacité technologique à forte portée
psychologique tant à l’égard d’Israël et
des États-Unis, qu’à l’encontre du
groupement des pays sunnites gravitant
dans l’orbite atlantiste.
Le drone produit
par l’Iran, sans doute un clonage du
RQ-170, a été monté par le Hezbollah sur
le sol libanais. Son nom de code « Ayoub
» fait référence à l’un des combattants
du Hezbollah, Hussein Ayoub, premier
artisan de cette formation tué lors
d’une attaque. Par extension au
personnage biblique de Job et à sa
légendaire patience, comme pour
signifier que cette qualité anime aussi
les contestataires à l’ordre hégémonique
israélo-américain dans la sphère arabo
musulmane. Au vu de ce bilan, bon nombre
d’analystes occidentaux considèrent que
le Hezbollah constituent le phénomène
majeur sur le plan politique et
militaire du dernier quart de siècle, un
des plus prestigieux mouvements de
libération du tiers monde, à l’égal des
Barbudos cubains, du FLN vietnamien et
du FLN algérien.
Pour aller plus loin sur l’aspect
militaire du Hezbollah, son leadership
et les enjeux de la guerre de Syrie, sur
ces liens :
http://www.renenaba.com/hassan-nasrallah-lindomptable/
http://www.renenaba.com/sous-la-syrie-le-hezbollah/
http://www.renenaba.com/moqtada-sadr-un-scalp-ideal-pour-george-bush-en-fin-de-mandat/
III. La
normalisation avec Israël
Alors que le grands
pays arabes musulmans sunnites,
notamment l’Arabie Saoudite,
s’emploient, via la théologie, à
provoquer une normalisation de facto
avec Israël, l’Iran et le Hezbollah s’y
refusent.
Aucun dignitaire religieux chiite n’a
participé au colloque des oulémas
sunnites d’Amman, le 1 er mai 2014,
rendant licite sous certaines
conditions, le pèlerinage à Jérusalem
pour les Musulmans, dégageant ainsi la
responsabilité de la branche rivale du
sunnisme dans cette forme de
normalisation déguisée par la théologie
avec Israël.
L’Iran chiite et le
Hezbollah libanais constituent les deux
seules entités à proclamer leur
attachement à la célébration de la
journée mondiale d’« Al Qods »,
commémorée chaque année le dernier
vendredi du mois de Ramadan, en
l’absence de la moindre participation
sunnite, alors que la Palestine est dans
sa très grande majorité peuplée de
sunnites et d’une minorité chrétienne
arabe, dont la population ne comporte
aucun chiite, et que la responsabilité
de la défense des Lieux Saints Musulmans
incombe aux vingt pays arabes qui se
réclament du sunnisme, la branche
majoritaire de l’Islam.
IV. Le surge de
l‘ISIS en Irak et « l’impérialisme
safavide »
Des
islamophilistes, jamais avares
d’explications apologétiques,
soutiendront que le surge de l’ISIS en
Irak, en juin 2014, visait, au premier
chef, « l’expansionnisme iranien » et «
l’impérialisme safavide », en référence
à la dynastie des Safavides (1501-1736),
qui se sont convertis au chiisme
entraînant avec eux la majorité de la
population iranienne.
Sous le fatras des
considérations historico théologiques de
ces plumitifs besogneux, l’objectif
sous-jacent viserait en fait « la
fracture du croissant chiite, dont la
continuité territoriale allait, depuis
l’invasion américaine en Irak, en 2003,
et la mise en place d’un régime chiite à
Bagdad, de Téhéran à Beyrouth ».
Cf :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/19/la-guerre-de-l-eiil-contre-l-iran-ne-concerne-ni-la-france-ni-l-occident_4441248_3232.html
et la contre analyse du signataire de ce
papier :
http://www.renenaba.com/irak-la-proclamation-du-califat-et-ses-consequences-strategiques/
Sauf que cette
thèse pour séduisante qu’elle soit, ne
résiste pas à l’analyse, en ce que le
déclencheur du feu initial a bel et bien
été le camp sunnite : Saddam Hussein,
d’abord, contre la révolution islamique
iranienne, en 1979, c’est-à-dire par un
dirigeant nationaliste et non
théocratique, animé d’une idéologie
laïque pan arabe, pour le compte de
pétromonarchies théocratiques, dont il
apparaîtra ultérieurement comme le
sous-traitant, gratifié de leur
ingratitude par l’invasion de son pays
et sa pendaison. Le colonel Mouammar
Kadhafi, ensuite en décapitant sans
raison apparente, en pleine guerre du
Liban, (1975-1990), l’Imam Moussa Sadr,
chef spirituel de la communauté chiite
libanaise, le partenaire principal d’une
coalition palestino-progressiste à très
forte majorité sunnite et qui récoltera,
à son tour l’ingratitude
islamo-atlantiste.
En contrepoint, la
formation chiite libanaise a été
l’alliée stratégique du sunnite Hamas
dans son combat anti israélien, jusqu’à
la défection sectaire de la branche
palestinienne de la confrérie des Frères
Musulmans, parallèlement au harcèlement
des organisations takfiristes, Jobhat an
Nosra et Dahe’ch, sur le Hezbollah plus
intensément que sur leur supposé ennemi
commun Israël.
L’axe chiite de
Téhéran à Beyrouth, généré par un effet
d’aubaine des déboires de la stratégie
saoudo américaine, visait par une
alliance de revers à briser la
triangulation constituée par le
partenariat stratégique d’Israël et la
Turquie, seul pays musulman qui plus est
sunnite membre de l’Otan.
Une alliance contre
nature entre le premier état génocidaire
du XXème siècle et les rescapés du
génocide hitlérien. Prolongée par le
chapelet des bases atlantistes des
pétromonarchies du golfe, cette
triangulation enserre le cœur du Monde
arabe dans un étau et bride ses
aspirations à l’autonomie.
Durant la guerre de
Syrie, un PC opérationnel de l’Otan et
des pétromonarchies, incluant la
Turquie, avait même été aménagé à
Mafrak, à une 50 km de de la frontière
syrienne de Dera’a, dans l’ancien PC
mixte israélo jordanien de 1988, pour y
synchroniser les opérations contre le
pouvoir de Damas. Un pont aérien avait
été établi de la Jordanie vers la
Turquie pour consolider le Front Nord
(Alep) où les djihadistes étaient en
mauvaise posture. Le prince Salmane Ben
Sultan, demi-frère du prince Bandar,
était chargé de la gestion du flux
djihadiste depuis la Jordanie vers la
Syrie, et la coordination de
l’intendance, leur ravitaillement en
armes et munitions.
http://www.al-akhbar.com/node/203853
Le chef de l’ISIS,
Abou Bakr al-Baghdadi, un Irakien de
Samarra de son vrai nom Ibrahim Awad Al
Badri, Al Sammarai, s’est battu contre
les Américains. Ancien lieutenant d’Abou
Mouss’ab Al Zarkaoui, capturé, détenu,
il a été torturé dans la plus grande
prison américaine en Irak, le camp Bucca
pendant cinq ans.
L’administration
George Bush jr a réveillé le conflit
entre sunnites et chiites enraciné dans
plus de 14 siècles d’histoire en ce que
l’ignorance délibérée par les États-Unis
de l’oppression massive des Irakiens et
des sunnites en particulier, au cours de
la guerre de 2003 jusqu’à leur retrait,
de même que l’éradication du Baas et le
démantèlement de l’armée, ont été un
facteur important dans la formation de
l’ISIS et dans le déchaînement de
violence dont il s’est illustré en Irak,
depuis juin 2014. L’Iran a su exploiter
la situation pour des raisons diverses
dont de forts intérêts politiques et
territoriaux, couplés avec l’espoir de
prendre sa revanche sur ce que beaucoup
de chiites perçoivent comme des
injustices historiques.
À noter que la
résurgence de l’ISIS marque l’échec
cuisant des idéologies, particulièrement
baasiste, en ce que le pouvoir baasiste
à Damas le plus important soutien à ses
frères d’armes baasistes irakiens dans
leur contre insurrection anti-américaine
à Bagdad, en 2003, sera payé de retour,
de bien curieuse façon par le résidu du
Baas irakien, via son alliance avec
l’ISIS, l’adversaire le plus coriace des
baasistes syriens.
CF. À ce propos l’une des rares
interviews du successeur de Saddam
Hussein à la tête du Baas irakien, Izzat
Ibrahim ad Doury, l’artisan de
l’alliance avec l’ISIS
http://www.afrique-asie.fr/menu/moyen-orient/7796-irak-chaos-programme.html
Le Monde musulman, particulièrement sa
sphère arabe, est en pleine ébullition.
Le terrorisme sous couvert du Djihad en
propagation constante. Un mouvement pour
l’instant resté essentiellement
anthropophage en ce que les victimes
sont dans leur très grande majorité des
musulmans : un million de morts lors de
la guerre Irak-Iran (1979-1989), 200 000
morts en Algérie durant la décennie
1990, 200 000 morts en Irak (2003-2008),
davantage encore au Soudan (Darfour), en
Somalie, en Libye, en Syrie et au
Pakistan, sans compter l’Égypte et la
Tunisie.
La mutation de
l’Islam sunnite en Islam wahhabite a, en
fait, signé « l’adieu aux armes » des
pays arabes et sa reddition à l’Imperium
israélo-américain, dont le signe le plus
manifeste aura été le ralliement aux
pétromonarchies du mouvement palestinien
Hamas, l’unique mouvement de guérilla
sunnite au monde arabe, sinon l’excepte
le djihadisme erratique d’Al Qaida et de
l’ISIS, ainsi que la renonciation par
Mahmoud Abbas au « Droit au retour » des
Palestiniens, quêtant la faveur de
visiter sa ville natale de Safad, avec
promesse de ne pas s’y installer dans
une pathétique prestation à l’occasion
du 95eme anniversaire de la promesse
Balfour.
La verticale
Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth constitue,
dans ce contexte, l’axe de la
contestation à l’hégémonie
israélo-occidentale, – « Douwal Al
Moumana’3a » -, un concept lancé par le
président iranien Mohamad Khatami, en
personne, en 2004, lors de son
déplacement officiel à Beyrouth, haut
lieu de la résistance arabe. Cette
verticale a été désignée par le Roi de
Jordanie d’« arc chiite ».
Dans la prose
occidentale, elle constitue « l’axe du
mal », cher à George Bush jr, par
opposition à « l’islam des lumières »
incarné par la constellation des régimes
les plus rétrogrades du monde (les
pétromonarchies du golfe) et les plus
répressifs (la Jordanie, Maroc). Un «
Islam des Lumières » qui constitue par
ses états de service, l’axe de la
capitulation, célébré au sein du camp
occidental par la mise en œuvre du
pernicieux protocole de validation d’un
islam domestiqué à l’ordre israélo
américain, opérée, de manière
subliminale, à la faveur du « printemps
arabe ».
L’instrumentalisation de l’islam à des
fins politiques est le fait de deux
démiurges, les États Unis aux manettes,
en tant que sorcier apprenti, et
l’Arabie saoudite, copilote, en sa
qualité d’apprenti sorcier. Sous l’égide
de Gamal Abdel Nasser, l’islam sunnite,
flamboyant dans le tiers monde, bien
au-delà du Monde arabe, a été le point
de ralliement des peuples en lutte pour
l’indépendance. Sous les wahhabites, le
centre de basculement vers la
vassalisation à l’ordre
israélo-américain. Ce n’est pas tant
l’islam qui est en cause, mais l’usage
qui en est fait.
Épilogue :
Au-delà de cette gesticulation guerrière
Au-delà de cette
gesticulation guerrière, trois vérités
s’imposent :
Première vérité
: Le Monde arabe est redevable à
l’Iran d’une part de sa culture et
l’Islam d’une partie de son rayonnement,
qu’il s’agisse du philosophe Al Fârâbî,
du compilateur des propos du prophète,
Al Boukhary, du linguiste Sibawayh, du
théoricien du sunnisme Al Ghazali, des
historiens Tabari et Shahrastani, du
mathématicien Al Khawarizmi
(Logarithmes), et naturellement du
conteur du célèbre roman Kalila wa
Doumna, Ibn al Mouqaffah ainsi
qu’Avicenne (Ibn Sinna). De même,
l’expansion de l’Islam en Asie centrale
aux confins de la Chine n’a pu se faire
sans le passage par la plate forme
iranienne.
Deuxième vérité
: Le Monde arabe est redevable à
l’Iran d’un basculement stratégique qui
a eu pour effet de neutraliser quelque
peu les effets désastreux de la défaite
arabe de juin 1967, en substituant un
régime allié N’Israël, la dynastie
Pahlévi, le meilleur allié musulman de
l’état hébreu, par un régime islamique,
qui a repris à son compte la position
initiale arabe scellée par le sommet
arabe de Khartoum (Août 1967) des «
Trois NON » : Non à la reconnaissance,
Non à la normalisation, Non à la
négociation avec Israël. Il a ainsi
offert à l’ensemble arabe une profondeur
stratégique en le libérant de la
tenaille israélo iranienne, qui
l’enserrait dans une alliance de revers,
compensant dans la foulée la mise à
l’écart de l’Égypte du champ de bataille
du fait de son traité de paix avec
Israël. La Révolution Islamique en Iran
a été proclamée le 9 Février 1979, un
mois avant le traité de Washington entre
Israël et l’Égypte, le 25 mars 1979.
En retour, les Arabes, dans une démarche
d’une rare ingratitude, vont mener
contre l’Iran, déjà sous embargo, une
guerre de dix ans, via l’Irak, éliminant
au passage le chef charismatique de la
communauté chiite libanaise, l’Imam
Moussa Sadr (Libye 1978), combattant
dans le même temps l’Union soviétique en
Afghanistan, le principal pourvoyeur
d’armes des pays du champ de bataille
contre Israël.
Troisième vérité
: Le Monde arabe s’est lancé,
au-delà de toute mesure, dans une
politique d’équipements militaires,
pendant un demi-siècle, payant rubis sur
ongle de sommes colossales pour
d’arsenal désuets, pour des livraisons
subordonnées à des conditions politiques
et militaires draconiennes, alors que,
parallèlement, les États-Unis dotaient,
gracieusement, Israël de son armement le
plus sophistiqué.
Israël a ainsi bénéficié, à ce titre, de
cinquante et un (51) milliards de
dollars de subventions militaires depuis
1949, la majeure partie depuis 1974,
plus qu‘aucun autre pays de la période
postérieure à la II me Guerre mondiale,
selon une étude du spécialiste des
affaires militaires Gabriel Kolko, parue
dans la revue « Counter punch » en date
du 30 mars 2007. À cette somme, il
convient d’ajouter 11,2 milliards de
dollars de prêts pour des équipements
militaires ainsi que 31 milliards de
dollars de subventions économiques, sans
compter la fourniture de l’ordre de
trente milliards de dollars, dont des
missiles à guidage laser, des bombes à
fragmentation, des bombes à implosion,
un dôme d’acier de protection anti
balistique, en vue de préserver la
suprématie militaire israélienne au
Moyen Orient.
À deux reprises au
cours du dernier quart de siècle, les
pays arabes ont participé à des guerres
lointaines par complaisance à l’égard de
leur allié américain, parfois au
détriment des intérêts à long terme du
Monde arabe, s’aliénant même un allié
naturel, l’Iran, un voisin millénaire,
dans la plus longue guerre
conventionnelle de l’époque
contemporaine, sans pour autant
bénéficier de la considération de leur
commanditaire américain.
À l’apogée de sa
puissance, au plus fort de son alliance
avec l’Iran, l’Amérique n’a jamais
réussi à faire restituer à leur
propriétaire arabe légitime les trois
îlots du golfe, propriété d’Abou Dhabi :
Abou Moussa et les deux îles Tumb,
occupés par le Chah d’Iran, dans la
décennie 1970.
En phase de
puissance relative, l’Amérique
saura-elle, à tout le moins protéger
durablement ces relais régionaux, au
moment où ses déboires en Irak, en
Afghanistan et en Syrie la place sur la
défensive, alors qu’en contrepoint,
l’Iran, fort de sa maîtrise de la
technologie nucléaire et des succès
militaires de son allié libanais, le
Hezbollah se pose en parfait
contre-exemple de la servitude
monarchique. Plus précisément, alors
qu’elle se lance à la conquête de l’Asie
pour y endiguer la Chine, l’Amérique
pourra-t-elle protéger ses relais des
turbulences internes attisées par les
frasques monarchiques répétitives, en
parfait décalage avec les dures
conditions de la réalité quotidienne de
la multitude de leurs concitoyens et qui
gangrènent inexorablement les assises de
leur pouvoir.
Les Arabes ont trop souvent sacrifié la
stratégie à des succès tactiques à court
terme. Au point que l’un des plus actifs
partisans de la diplomatie
pétitionnaire, Leila Shahid, déléguée de
l’autorité palestinienne auprès de
l’Union européenne, a admis l’échec de
leur stratégie après la dernier
offensive anti israélienne contre Gaza.
Pour leur malheur et celui des peuples
en lutte pour leur liberté.
Au-delà de leur
discours de légitimation respectif
(Wilayat al Faqih pour les Iraniens,
idéologie du Tawhid pour les Saoudiens),
une analyse concrète d’une situation
concrète tendrait à constater que l’Iran
dispose d’une autonomie de décision, de
par son statut de puissance du seuil
nucléaire. L’Arabie saoudite, elle, est
sous protectorat américain. Et le Clan
Hariri au Liban, une excroissance de
l’Islam wahhabite et sa délocalisation
dans un pays à système pluraliste. Des
faits indiscutables.
Ni théologien ni linguiste, le
signataire de ce texte laisse toutefois
le mot de la fin à plus compétent que
lui en la matière pour traiter de la
différence entre chiites et sunnites : «
Les religieux chiites reçoivent une
éducation beaucoup plus rigoureuse que
les clercs sunnites. Ils ont une solide
formation dans les sciences
théologiques. Ils apprennent la logique
aristotélicienne avant le Coran….« La
théologie est beaucoup plus vivante dans
la communauté chiite. …Les Chiites sont
plus théologiques, les sunnites sont
légalistes. Et les chiites ont leur
« histoire de passion » avec Hussein et
Ali. C’est une invitation à réfléchir
sur la nécessité de la justice »,
soutient un universitaire sunnite
palestinien, Cheikh Tarif Al Khalidi,
Professeur de civilisation musulmane à
l’Université Américaine de Beyrouth.
Paroles d’expert.
Référence
Cheikh Tarif Al-Khalidi
: Interview de Robert Fisk correspondant
du journal The Independent pour le Moyen
Orient. http://www.independent.co.uk/biography/robert-fisk
Publié le 22 octobre avec l'aimable
autorisation de René Naba
Le sommaire de René Naba
Les dernières mises à jour
|