MADANIYA
La criminalité transnationale,
la face hideuse de la mondialisation
(mise à jour) 1/2
René Naba
Jeudi 6 octobre 2016
Ce papier
constitue la réactualisation d’un texte
de l’auteur paru le 1er juin 2006 et
intègre le scandale des «Panama Papers»,
de même qu’une mise à jour du classement
du hit parade des paradis fiscaux.
Le scandale des
«Panama Papers»
Le
scandale des “Panama Papers” , déclenché
par un lanceur d’alerte anonyme et non
rémunéré -connu seulement sous le
pseudonyme de John Doe-, désigne la
fuite de plus de 11,5 millions de
documents confidentiels issus du cabinet
d’avocat panaméens Mossack Fonseca,
détaillant des informations sur plus de
214.000 sociétés off shore, ainsi que
les noms des actionnaires de ces
sociétés.
Les
chefs d’État ou de gouvernement de six
pays -Arabie saoudite, Argentine,
Emirats Arabes Unis, Islande, Royaume
Uni et Ukraine- sont directement
incriminés par ces révélations, tout
comme des membres de leurs
gouvernements, et des proches et des
associés de chefs de gouvernements de
plus de 40 autres pays, tels que
l’Afrique du Sud, Chine, Corée du Sud,
Brésil, France, Inde, Malaisie, Mexique,
Pakistan Russie Syrie. Parmi eux se
trouvent des hommes politiques, des
milliardaires, des sportifs de haut
niveau ou des célébrités.
Initialement envoyées au quotidien
allemand Süddeutsche Zeitung en 2015,
les données ont rapidement été partagées
avec les rédactions de media dans plus
de 80 pays par l’intermédiaire de
l’international Consortium of
Investigative Journalists (ICIJ) basé à
Washington. Les premiers articles ont
été publiés le 3 avril 2016, accompagnés
de 149 documents. D’autres révélations
suivront les publications initiales,
l’intégralité des sociétés mentionnées
par les documents devant être dévoilée
d’ici mai 2017.
Ces
documents concernent de sociétés extra
territoriales — dites offshore — que la
firme Mossack Fonseca a aidé à créer, ou
avec qui ses clients ont été en contact.
Si dans la législation de la plupart des
pays, les sociétés offshore ne sont pas
illégales en elles-mêmes, c’est leur
usage comme société-écran dans l’évasion
fiscale ou le blanchiment d’argent qui
l’est.
«Panama Papers»,
huit ans après la grande crise du
système bancaire
Précédé
du scandale Luxleaks (Luxembourg)
«Panama Papers» intervient huit ans
après la grande crise systémique
bancaire d’octobre 2008. Au terme d’un
psychodrame d’un mois Septembre-Octobre
2008), le Congrès américain avait
autorisé, le 3 octobre 2008, l’injection
de 700 milliards de dollars dans
l’économie américaine en vue de contenir
la bourrasque financière et boursière
qui a entraîné la faillite de treize
banques et compagnies d’assurances et de
sept cent mille foyers américains du
fait d’un gestion spéculative des prêts
immobiliers, sinistrant l’industrie
automobile avec une chute de la
production de l’ordre de 26 pour cent,
plongeant dans la récession bon nombre
de pays européens, dont la France.
Sur fond
d’un paysage sinistré de l’économie
occidentale, marqué par de faillites
retentissantes de grands établissements
de renom tant aux Etats-Unis qu’en
Europe, un basculement stratégique s’est
ainsi opéré en 2008 au niveau de la
géo-économie» mondiale avec la
recomposition de la carte bancaire
américaine, l’entrée spectaculaire des
fonds souverains arabes ou asiatiques
dans le capital de grandes sociétés
américaines ou européennes et
l’affirmation de plus en plus marquée
des grands pays du Sud, les
pétromonarchies du Golfe et le groupe
Bric (Brésil, Inde, Chine et Afrique du
Sud) comme acteurs majeurs de la scène
mondiale.
Au point
que se pose la question de la pérennité
de l’hégémonie planétaire des Etats-Unis
et de la viabilité des structures
internationales tant financières que
politiques mises en place dans la foulée
de la Deuxième Guerre Mondiale
(1939-1945), notamment le Conseil de
sécurité de l’ONU, le Fonds Monétaire
International et la Banque Mondiale,
ainsi que le G7, le regroupement des
sept pays les plus industrialisés de la
planète crée après la première crise du
pétrole (1973). Apparemment la leçon n’a
pas été retenue.
Pis,
selon The Daily Beast, les sommes
détournées par l’ensemble des
kleptocrates de la planète
avoisineraient les 12 billions de
dollars. Si l’on ajoute l’évasion
fiscale et les activités criminelles
comme le trafic de drogue, le nombre
avoisinerait les 36 billions de dollars.
En 2014, la valeur nette de la planète
Terre était estimée à environ 240 000
milliards de dollars, ce qui signifie
que 15% de la richesse mondiale serait
passée dans la poche des kleptocrates.
La
publication américaine se fonde sur les
calculs d’un économiste d’investigation
qui a épluché 45 ans de statistiques
officielles. En croisant les
statistiques de 200 pays, l’économiste
en vient à la conclusion que 15 pour
cent de la richesse mondiale est volée
des pays les plus pauvres et placée
dissimulé dans les paradis fiscaux, en
Suisse, aux États-Unis et dans des
protectorats britanniques comme les
Bermudes et les îles Caïmans. Le terme
kleptocrate désigne les dirigeants de
régimes qui s’enrichissent par le vol
des ressources publiques, et pratiquent
à grande échelle la corruption et le
blanchiment d’argent pour dissimuler
l’origine de leur richesse.
Pour aller plus loin sur ce
sujet
Les fuites des
«Panama papers» hasard ou préméditation
?
L’économiste Paul Jorion soutient, quant
à lui, que «les fuites des Panama-papers
ne surviennent pas par hasard». «Le
réseau des paradis fiscaux est en fait
extrêmement bien surveillé, parce qu’il
correspond à l’ancien Empire
britannique. La City de Londres continue
d’opérer une surveillance de bon niveau
sur l’ensemble du réseau. En fait, les
États ont besoin de cette surveillance
parce qu’ils veulent contrôler de façon
semi-permissive le blanchiment d’argent
sale qui provient du trafic de la
drogue, de la prostitution, du trafic
d’armes. Le 17 septembre 2008, jour où
le système s’est effondré, beaucoup
d’argent sale a été injecté par le biais
des paradis fiscaux si l’on en croit
Antonio Mario Costa, qui était alors
directeur de l’Office des Nations-Unies
contre la drogue et le crime. Il est
évident que la raison d’état a besoin de
ces paradis», assure-t-il.
http://www.telerama.fr/idees/paul-jorion-economiste-les-fuites-des-panama-papers-ne-surviennent-pas-par-hasard,140605.php
Capitaux errants et budgets
aberrants
Paradis
fiscaux, zones offshore, flux
monétaires, capitaux errants et budgets
aberrants. Ces termes innocents évoquent
au premier abord une douceur de vivre
dans une société marquée par l’abondance
financière, la flexibilité économique et
l’évasion fiscale.
C’est en
fait la face hideuse de la
mondialisation, nouveau dogme de la
libre entreprise, avec son cortège de
chômage, d’exclusion, de corruption, en
un mot tous les ingrédients qui
gangrènent la vie politique, sapent les
fondements des puissances grandes et
petites et font planer le risque de
perversion des grandes et vieilles
démocraties.
Le
nouvel ordre international tant célébré
depuis l’effondrement du bloc
communiste, c’est à dire depuis
l’effondrement du monde bipolaire au
début de la décennie 1990, a sécrété en
contrepoint, un système planétaire
articulé autour de la criminalité
transnationale.
Les
commentateurs occidentaux se sont
longtemps montrés discrets sur ce sujet,
plus prompts à dénoncer le péril
islamiste ou le péril jaune, après avoir
tant dénoncé le péril rouge.
Mais
s’il est sain de dénoncer les périls
extérieurs, il serait tout aussi salubre
de dénoncer aussi ses propres périls
intérieurs: Trafic de drogue, trafic
d’armes, prostitution, jeux clandestins,
racket constituent les principales
sources de capitaux illicites et ces
divers trafics, parfois tolérés sinon
encouragés par les états, génèrent
annuellement mille cinq cent milliards
de dollars (1.500 milliards), soit le
budget des 20 pays de la Ligue arabe,
dont le tiers -500 milliards de dollars-
proviendrait uniquement de la drogue.
Un
universitaire britannique, Ronan Palan,
chef du département international de
l’Université du Sussex et auteur d’un
ouvrage «The Off-Shore World» (Cornell
Press University -2003) soutient que les
paradis fiscaux ont été impliqués dans
tous les scandales car ils disposent de
la faculté de «légaliser» l’argent
provenant d’activités illicites dans la
mesure où la surveillance des capitaux
transitant par les places off-shore sont
très difficiles.
L’explosion du nombre des paradis
fiscaux a avivé la concurrence au point
que même la City de Londres, pourtant
réputée pour sa rigueur, n’a pas été
épargnée par des manipulations
douteuses.
Première
place financière européenne, Londres
compte près de 800 banques. Les
autorités financières notamment
Financial Service Authority (FSA) ont
ainsi gelé les comptes bancaires d’un
total d’un milliard de dollars volés
dans la caisse de la banque centrale du
Kenya sous la présidence de Daniel Arap
Moi (1978-2002), ainsi que des avoir
dissimulés de l’ancien dictateur chilien
Augusto Pinochet.
Pour se
démarquer, les paradis fiscaux cherchent
à se spécialiser proposant une gamme de
services. C’est ainsi que Guernesey
(Îles britanniques) s’est lancée dans
l’assurance, Costa Rica dans les casinos
sur Web, les Bermudes dans le commerce
en ligne.
Les
tenants de l’économie libérale
justifient leur existence par le fait
que leur présence contraint les places
financières traditionnelles à ne pas
sombrer dans la léthargie et qu’il
convient de distinguer entre l’évasion
fiscale, un délit, et une optimisation
fiscale, qui constitue à leurs yeux une
démarche légale visant à minimiser les
impôts.
A l’origine était la Mafia
Curieusement à l’origine la
prolifération des paradis fiscaux se
trouve la Mafia.
La Mafia
fonctionne à une seule échelle, celle de
la planète. La mafia de la drogue
s’étend partout: Chine, Japon,
États-Unis, Amérique du Sud, dans la
zone caraïbes-Pacifique, en Russie et
l’Europe de l’Est, sans parler de l’Asie
du Sud-est, du Moyen-Orient et de
l’Afrique. S’adaptant à la
mondialisation des économies, les
organisations mafieuses ont crée des
réseaux internationaux qui s’appuient
sur des technologies les plus modernes
(Internet, téléphone cellulaire),
échappant à toute interception.
Selon
une étude du FBI américain, le cartel
colombien de la drogue aurait réalisé en
1995 un chiffre d’affaires estimé à 67
milliards de dollars, soit plus du
double du budget d’Interpol (30
milliards de dollars) qui emploie, lui,
plusieurs centaines d’agents. Les
meilleurs experts en informatique sont
embauchés pour faire prospérer ce
pactole par son blanchiment et les
grandes confédérations mafieuses
(américaine, sicilienne, turque, russe,
yakuza japonais et triades chinoises) se
seraient constituées en une
multinationale se partageant pays et
produits, rôles et marchés.
A
l’instar de la drogue, l’argent sale
provenant du trafic illicite devient
pour les banques et institutions
financières qui se prêtent à des
opérations de blanchiment une addiction
ayant les mêmes effets que les
stupéfiants sur les individus.
Empruntant un circuit complexe et
risqué, l’argent noir transite par une
multitude de sociétés écrans éparpillées
à travers les paradis fiscaux de la
planète, avant de se réhabiliter dans de
respectables banques des grandes places
financières internationales. Sa
détection est difficile. Le seul
véritable détecteur, au niveau mondial,
est la balance mondiale des paiements.
Normalement, au niveau des échanges
mondiaux, lorsqu’un pays est
déficitaire, un autre devient
excédentaire, mais l’injection massive
de capitaux illicites a fortement
déséquilibré les échanges mondiaux.
Depuis 1982, le trou dans les échanges
mondiaux est estimé à cent milliards de
dollars annuellement. En 17 ans, il
s’est élevé à mille sept cent milliards
de dollars.
Les
détenteurs de ces capitaux de l’ombre
sont, pêle-mêle, des services spéciaux,
guérillas du tiers-monde, mafias,
trafiquant d’armes et de stupéfiants,
états sous embargo, banques corrompues,
y compris de respectables compagnies et
États occidentaux toujours prêts à dire
le Droit et à prêcher la Morale.
Cette
importante masse financière clandestine
tire profit des crises conjoncturelles
de l’économie mondiale -Krach boursier
américain de 1986, Krach immobilier
européen du début des années 1990,
tourmente boursière des marchés
asiatiques de 1997- pour s’insinuer dans
les rouages de la finance
internationale. Ceci risque de gangrener
à terme l’économie mondiale, comme en
témoigne l’augmentation du nombre des
pays à budgets aberrants, ou les pays à
forte NEO.
Les pays NEO (Net Errors and
omissions)
Généralement situés à proximité des
zones du narco-trafic mondial, les pays
NEO sont ainsi appelés car ils disposent
dans leur balance de paiement d’une
rubrique NEO (Net Errors and omissions)
qui permet par un artifice comptable, en
prétextant les erreurs statistiques
résultant des désordres administratifs,
de dissimuler le grave dysfonctionnement
de leur commerce extérieur découlant du
transit du capital blanchi.
La
procédure du blanchiment tire son nom
d’une technique empruntée par un mafieux
de Chicago des années 20 désireux à
l’époque de se débarrasser de l’argent
retiré de la vente clandestine d’alcool
du temps de la prohibition. Par un jour
de grande inspiration, il mit en
application une idée inspirée par la
mafia locale en achetant une chaîne de
laveries automatiques où l’on paye en
espèces.
Il ne
lui restait plus à la fin de chaque
journée de travail que d’ajouter de
l’argent sale aux gains du jour et de
déposer le tout à la banque, en prenant
soin au préalable de déclarer au fisc la
totalité de la recette, incluant
l’argent ainsi blanchi. Plus tard, dans
les années 50-60, les mafias, anticipant
les modifications du marché de la
consommation, ont eu recours aux chaînes
de restauration rapide à l’exemple des
pizzeria, pour blanchir l’argent sale,
donnant ainsi naissance à la «Pizza
connection». Ces techniques apparaissent
désormais dérisoires.
Le temps
du blanchiment de l’argent par les
laveries et les pizzerias est
aujourd’hui relégué à l’époque
préhistorique du blanchiment.
De nos
jours, les sommes en cause sont énormes
et nécessitent pour leur blanchiment des
techniques sophistiquées, donnant ainsi
naissance à un métier nouveau «le
financier-criminel», c’est à dire un
ingénieur financier déployant ses
talents dans les activités de nature
criminelle.
Le blanchisseur perçoit, à titre de
commissions, près de huit pour cent de
la somme ayant transité par les
transferts électroniques, alors que le
contrebandier, passeur d’argent avec des
mallettes, ne prélève que cinq pour
cent. A titre d’illustration, les SWIFF
(sociétés pour les télécommunications
financières mondiales interbancaires) et
les CHIPS (Chambre de compensation des
systèmes de paiement interbancaires)
brassent quotidiennement près de mille
milliards de dollars.
L’identification tant du donneur initial
que du bénéficiaire final devient donc
d’autant plus difficile que le
recycleur, moyennant une commission
substantielle à chaque phase de
l’opération, peut promener l’argent de
compte offshore en sociétés-écrans,
jusqu’à trouver un abri décent au
capital. Ainsi un capital illicite
entreposé aux Îles Caïmans peut, après
un détour par Hongkong et Singapour se
retrouver au Luxembourg pour être
investi ensuite dans l’immobilier de
luxe parisien.
S’il
gagne gros, le recycleur a néanmoins une
obligation de résultat. Il répond de sa
vie de la réussite de l’opération de
blanchiment. Il est en fait responsable
sur sa vie…pour le restant de sa vie.
Pour
d’évidents et impérieux motifs de
sécurité, la Mafia ne peut tolérer
l’amateurisme ou le bavardage et préfère
limiter ses risques au maximum.
Quiconque participe à une opération de
blanchiment demeure un otage pour la
vie. S’il lui est loisible, après accord
de ses employeurs, de se reconvertir
dans d’autres activités, son port
d’attache demeure son activité de
départ: la validation d’un argent
d’origine crapuleuse. Captif doré, mais
captif.
En marge
du transfert électronique des capitaux,
qui est le MUST du blanchiment, il
existe diverses autres techniques liées
au jeu, aux transactions sur les métaux
précieux, ainsi qu’au transfert par «stroumpfage»:
- Le
jeu: l’argent noir est investi dans
des casinos par l’achat de plaques
de jeu, puis reconvertis en chèques,
c’est la technique du «faux-jeton».
-
L’achat de bijoux et d’or dans les
zones offshore. Le produit de
revente du métal précieux est déposé
en toute légalité dans un compte en
banque.
- Le
transfert par «stroumpfage». Une
multitude de petits passeurs (smurfs
en Américain) achètent dans les
banques des traveller’s chèques ou
des devises. Aux États-Unis, tout
individu peut retirer jusqu’à dix
mille dollars en liquide. Une fois à
l’étranger, ces passeurs entreposent
ces chèques de voyage dans un compte
bancaire légal.
Panama
En 1993
à New York, le FBI, intrigué par un flux
anormal de mandats de la poste locale,
ordonne une enquête. La découverte est
stupéfiante: les cartels colombiens
ayant recours à des «fourmis» ont
procédé, pendant près d’un an à des
virements sur des comptes au Panama pour
un montant global quotidien de l’ordre
de cent mille 100.000 dollars réalisé
par le biais de modestes mandats dont la
valeur pour chaque opération n’excédait
pas mille dollars.
Depuis
Panama, les fonds collectés étaient
virés une nouvelle fois vers une
succursale bancaire à Hong kong.
L’opération a permis le blanchiment de
198 millions de dollars en moins d’un
an. La répartition des fonds entre les
différents bénéficiaires mafieux se
faisant en fonction des signes
distinctifs enregistrés au dos du
mandat-poste et qui permettait le
repérage de chaque mandat et son
appartenance.
Autre
stratagème de légalisation de l’argent
illicite: la création d’une société
écran dont l’objet est de collecter des
fonds et des «dons charitables» pour de
fausses congrégations religieuses.
Face à
un tel pactole, l’imagination tourne à
plein rendement et les procédés sont
parfois rocambolesques, tel celui
utilisé par un trafiquant de cannabis
pakistanais qui n’a pas hésité à cacher
35 millions de dollars en espèces dans
des machines de dessalement d’eau de mer
spécialement aménagées à cet effet,
commandées en Australie pour être
exportées vers Singapour.
Toutefois, face à l’énormité des sommes
en jeu, la Mafia n’a pas hésité parfois
à prendre le contrôle de la totalité
d’une banque pour en faire une usine de
blanchiment d’argent.
La Banque pirate
L’inventeur de la «banque pirate» est M.
Jose-Antonio Fernandez, gros importateur
de Marijuana colombien aux États-Unis
dans la décennie 1970.
A travers toute une série de
sociétés-écrans, M. Fernandez a réussi à
prendre le contrôle de la «Sunshine
State Bank» de Floride, la transformant
en blanchisseuse géante pendant une
dizaine d’années, jusqu’à son
arrestation en 1984.
Parmi
les autres exemples célèbres de
banque-pirate citons celui de la BCCI
(Banque du crédit et du Commerce
International), propriété des émirats
arabes, mise en banqueroute financière à
la fin des années 80 pour sa connection
réelle ou supposée avec l’argent de la
drogue.
Un autre
exemple est celui de la «Great American
Bank» aux États-Unis, sous contrôle
colombien en 1984 au moment de son
démantèlement ainsi que la «Banque pour
le développement du bâtiment de Poznam»
(Pologne), qui a écoulé en Allemagne en
1992, près de 150 millions de dollars
issus des fonds errants de Hong Kong.
Le processus du blanchiment
Le
processus de blanchiment se déroule en
trois étapes: le placement, l’empilage
et l’intégration
-Le
placement (ou prélavage): l’opération
consiste à placer les importantes sommes
d’argent recueillies de manière illicite
dans le maillon faible du dispositif:
l’économie de détail (achat de devises
auprès d’agent de change, casinos de
jeu, maison de retraite), le transfert
par petits porteurs et petites coupures
(schtroumpfage).
-L’empilage (ou lavage): l’opération
consiste à gommer toute trace des
origines criminelles de l’argent, en
multipliant les transferts de compte à
compte ou les transactions financières,
notamment par le biais du «prêt
apparent». Ce procédé consiste à obtenir
un prêt pour un investissement garanti
par le montant du compte numéroté détenu
dans la même banque par l’emprunteur.
Le montant du prêt correspond à celui du
dépôt et les intérêts à payer identiques
à ceux perçus sur le compte numéroté.
-L’intégration (ou recyclage), terme
ultime, confère une apparence de
légalité à des revenus d’origine
criminelle, qui sont investis dans des
circuits économiques officiels:
immobilier, tourisme, finance.
Ainsi le
capital illicite part de New York par
petits porteurs, fait d’abord une halte
dans un des paradis fiscaux des
micro-états de la région Pacifique-Caraibes,
se transfère sur des grandes places
financières asiatiques pour reprendre un
début de respectabilité (Hongkong,
Singapour) et termine dans les grandes
places financières occidentales (Suisse,
Luxembourg). A ce stade, le détenteur du
capital réclame à Paris ou Londres un
«prêt adossé» (Loan back), un prêt gagé
sur un dépôt bancaire au Luxembourg,
investissant ainsi tout à fait
légalement dans l’immobilier,
l’hôtellerie, la restauration, la bourse
etc. avec en prime un surcroît
d’honorabilité et de notoriété mondaine.
Devant
l’ampleur du phénomène, les sept pays
les plus industrialisés -les G7- ont
fondé en juillet 1989 à la date
anniversaire de la Révolution française,
le groupe d’action financière
internationale (GAFI) contre le
blanchiment des capitaux. Instrument
d’étude et d’expertise, le GAFI est
chargé de suivre l’évolution des
techniques de recyclage de l’argent sale
et de vérifier l’application des mesures
de lutte contre le blanchiment. En 2005,
le Tracfin, l’organisme chargé de faire
la chasse aux comptes douteux, a traité
plus de dix mille «déclarations de
soupçons», signalement de cas douteux,
mais seulement 347 dossiers ont été
transmis à la justice.
Parmi les autres organismes
internationaux, on relève le programme
des Nations-Unies pour le contrôle
international de la drogue (PNUCID),
l’organe international de contrôle des
stupéfiants (OICS) et enfin Interpol qui
a crée en son sein un service spécialisé
de lutte contre le blanchiment de
l’argent de la drogue. Si la communauté
internationale a pris conscience de
l’ampleur de l’enjeu, la lutte contre la
prolifération des capitaux illicites
demeure rudimentaire.
Selon le
Gafi, à peine 0,5 pour cent des 4.400
milliards de dollars de bénéfices
réalisés entre 1982 et 1992 du fait du
trafic de drogue ont été confisqués. Le
mal est profond et la contamination
étendue. Elle se prolonge désormais sur
la scène internationale par un nouveau
venu le djihadisme d’un type nouveau et
son industrie du captagon.
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