MADANIYA
Marwane Barghouti, le Mandela
Palestinien,
pour le Prix Nobel de la Paix 2016
René Naba
Lundi 6 juin 2016
Le parlement belge
choisit Marwan Barghouti pour le Prix
Nobel de la Paix.
Le parlement tunisien a proposé, le 7
avril 2016, la candidature de Marwane
Barghouti au Prix Nobel de la Paix, dans
une démarche qui illustre la défiance de
la Tunisie à l’égard de la normalisation
rampante des pétromonarchies du Golfe
avec Israël, considéré par les
Palestiniens comme l’usurpateur de la
Palestine.
En écho, le parlement belge lui a
emboité le pas. Les chefs de groupes
politiques du parlement belge, toutes
tendance confondues, ont adressé une
lettre au «Comité Norvégien du Prix
Nobel de la Paix» réclamant que soit
remis au prisonnier politique
palestinien cette distinction,
considérant que ce condamné à perpétuité
par la puissance occupante israélienne
est le «Mandela palestinien».
“La paix exige la libération de
Marwan Barghouti et celle de tous les
prisonniers politiques, comme celle de
l’ensemble du peuple palestinien, qui
vit sous occupation depuis des
décennies », ont écrit les
parlementaires belges dans une lettre
collective.
“En accordant le prix Nobel de la Paix à
une personne qui symbolise la lutte du
peuple palestinien pour la liberté, mais
aussi leur aspiration à vivre en paix,
un leader qui a la capacité d’unir les
Palestiniens autour d’un projet
politique qui s’appuie sur le droit
international et le retour aux
frontières de 1967, menacées par la
colonisation galopante et l’absence
d’horizon politique, le Comité du Prix
Nobel de la Paix contribuerait à faire
revivre l’indispensable espoir de sortir
de l’impasse politique actuelle ».
Cette lettre rappelle également la
« Déclaration de Robben Island » de
2013, signée par huit prix Nobel de la
Paix, ainsi que le président Jimmy
Carter et le Sud-Africain Ahmed Kathrada,
à l’intérieur de la cellule occupée
durant 27 ans par Nelson Mandela dans la
vieille prison de Robben Island.
Récidiviste, la Tunisie a refusé de
criminaliser le Hezbollah libanais,
considérant que la formation chiite est
une formation combattante, assurant
qu’elle soutenait sa lutte pour la
libération du territoire libanais, par
allusion aux fermes de Cheba’a, se
démarquant ainsi de la majorité des
états membres de la Ligue arabe, à
l’exception de l’Algérie, dont la
position est singulière en la matière.
La position de l’Algérie, de la Tunisie
et de la Belgique tranchent avec la
crispation philosioniste du pouvoir
socialiste français, particulièrement de
l’exécutif, François Hollande, qui se
débrouillera toujours pour dénicher une
«chanson d’amour» pour Israël, Manuel
Valls, lié de «manière éternelle à
Israël» ou encore l’ancien ministre des
Affaires étrangères, Laurent Fabius, le
petit télégraphiste des Israéliens lors
des négociations internationales sur le
nucléaire iranien.
Ce papier a été publié pour
la première fois le 5 juin 2009 sur
www.renenaba.com au lendemain du
discours du Caire du président
fraîchement élu américain Barack Obama.
L’auteur a décidé de le remettre en
ligne, en guise de flashback à la veille
de la commémoration du premier
centenaire de la promesse Balfour, alors
que le président américain est en fin de
mandat et que la Palestine est en voie
de de phagocytose totale de la part des
Israéliens.
L’auteur revient sur cet aspect
méconnu de la guerre psychologique menée
par Israël contre les Arabes en vue de
les contraindre à intérioriser leur
infériorité dans un papier intitulé «La
symbolique de la sentence contre Marwane
barghouti ou de l’usage du calendrier
comme fonction traumatique».
La symbolique de la
sentence contre Marwane Barghouti
Paris, 5 juin 2009- Cinq peines de
prison à vie et une peine de sûreté
incompressible de 40 ans de détention,
soit, pour une durée de vie moyenne de
60 ans, un total de 340 années de
détention, record mondial absolu de tous
les temps. Il faudra donc à Marwane
Barghouti, le chef de la jeune garde
palestinienne, plus de trois siècles de
vie pour purger la peine que lui a
infligée dimanche 6 juin 2004 la justice
israélienne.
Trois siècles pour purger un crime
imprescriptible le «crime de
patriotisme».
La sentence est sans surprise, tant par
sa lourdeur que par le choix du jour du
verdict.
Le patriotisme palestinien est une
matière corrosive, le principal obstacle
à l’expansionnisme israélien, la peine
peut paraître dans ce contexte justifiée
dans la logique hégémonique israélienne
et de la fonction traumatique du
verdict.
Il n’a échappé à personne que la
sentence est tombée le jour où la
planète entière ce dimanche là avait les
yeux rivés sur les plages de Normandie
où les anciens alliés de la Deuxième
Guerre mondiale -Américains, Anglais,
Français et Russes- scellaient leur
réconciliation avec leur ancien
adversaire allemand. Luxe de raffinement
ou de sadisme ?
Le verdict israélien contre l’un des
symboles du combat national palestinien
est intervenu le jour anniversaire de
Marwane Barghouti. Il singularise ainsi
Israël en plaçant ce pays à
contre-courant d’une tendance générale
au dépassement des conflits hérités de
la guerre froide.
Mais ce verdict de guerre n’est pas le
fruit d’un hasard fortuit. La bataille
dans l’ordre symbolique revêt une
importance primordiale dans le contexte
de guerre totale que livre Israël, car
elle détermine, au delà d’une lecture
linéaire de l’actualité, l’issue d’un
combat capital, la bataille pour la
captation de l’imaginaire arabe et
partant la soumission psychologique de
ses adversaires. Dans cette guerre
psychologique, deux dates ont une
fonction traumatique dont Israël en use
régulièrement à l’encontre de ses
ennemis à la manière d’un coup de butoir
répétitif afin d’intérioriser
l’infériorité arabe et d’ancrer dans
l’opinion l’idée d’une supériorité
permanente israélienne et partant d’une
infériorité irrémédiable arabe.
La date traumatique
de la bretelle du 5-6 juin
La grande date traumatique est celle
de la bretelle du 5-6 juin surchargée
d’histoires:
Sur cette date se concentre en effet la
troisième guerre israélo-arabe de juin
1967 ; la destruction de la centrale
nucléaire irakienne de Tammouz le 5 juin
1981, ordonnée par Menahem Begin pour
tester les réactions du nouveau
président socialiste français François
Mitterrand ; le lancement de l’opération
«Paix en Galilée» contre le Liban, le 6
juin 1982, visant à déblayer la voie à
l’élection à la présidence libanaise du
chef phalangiste libanais Bachir
Gemayel, enfin le 6 juin 2004 la lourde
condamnation de Marwane Barghouti.
La Guerre de juin 1967, première
guerre préemptive de l’histoire
contemporaine, a permis à Israël, -déjà
à l’époque première puissance militaire
nucléaire du Moyen-Orient et non «le
petit David luttant pour sa survie
contre un Goliath arabe»-, de s’emparer
de vastes superficies de territoires
arabes (le secteur Est de Jérusalem, la
Cisjordanie, la Bande de Gaza, le
plateau syrien du Golan et le désert
égyptien du Sinaï) et de briser l’élan
du nationalisme arabe. Mais elle a du
même coup accéléré la maturation de la
question palestinienne et favorisé
l’émergence du combat national
palestinien qui demeure encore de nos
jours, 42 ans après, le principal défi
qui se pose à Israël.
La guerre du Liban de juin 1982,
culminant avec un siège de 56 jours de
la capitale libanaise, si elle a
provoqué la perte du sanctuaire libanais
de l’Organisation de Libération de la
Palestine et le départ forcé de Yasser
Arafat de Beyrouth, elle a dans le même
temps donné naissance à une résistance
nationale libanaise armée symbolisée par
le Hezbollah (le Parti de Dieu) qui
forcera dix huit ans plus tard
l’invincible armée israélienne à une
retraite sans gloire du sud-liban, le 25
mai 2000, premier dégagement militaire
israélien d’un territoire arabe non
assorti d’un traité de paix.
L’allié des Israéliens a bien accédé
à la magistrature suprême, mais pour une
présidence éphémère toutefois. Bachir
Gemayel sera tué dans un attentat à la
veille de sa prise de pouvoir et les
Israéliens éclaboussés par les massacres
des camps palestiniens de Sabra-Chatila
qui ont suivi son assassinat.
La 2e date
traumatique, la bretelle du 11-13 avril
L’autre date traumatique de la guerre
psychologique anti-arabe menée par
Israël est celle de la bretelle du 11-13
avril, date d’une triple commémoration :
- celle du raid israélien contre
le centre de Beyrouth, le 11 avril
1973, qui a entraîné l’élimination
de trois importants dirigeants de
l’OLP Kamal Nasser son porte-parole,
Abou Youssef Al-Najjar, son ministre
de l’Intérieur ainsi que Kamal
Adwane, le responsable des
organisations de jeunesse.
- celle du déclenchement de la
guerre civile inter factionnelle
libanaise deux ans plus tard, le 13
avril 1975, la troisième, celle du
raid aérien américain sur Tripoli
(Libye), le 13 avril 1986, puis
ultérieurement l’imposition du
boycottage de la Libye par les
Nations Unies le 13 avril 1992.
- La condamnation de Marwane
Barghouti, un des rares dirigeants
palestiniens bilingues
arabo-hébraïque, a éliminé de la vie
politique active l’un des plus
brillants représentants de la relève
palestinienne, l’antithèse des
bureaucrates corrompus à la
représentativité problématique. Mais
elle répond surtout à une fonction
traumatique.
Par son excès toutefois, le verdict
est lourd de conséquences en termes
d’images pour les Israéliens, encombrés
désormais d’un prisonnier charismatique
et galvaniseur. Liant sa libération au
triomphe qu’il juge inéluctable de la
lutte du peuple palestinien, Marwane
Barghouti n’a pas voulu se laisser
enfermer dans la logique de ses
adversaires.
Prenant le contre argument de ses
ennemis par une opération de
retournement psychologique, il a salué
sa condamnation comme une victoire
morale des combattants palestiniens sur
leurs bourreaux israéliens. En le
victimisant, les Israéliens l’ont
transformé en symbole et les geôliers
israéliens sont devenus ainsi, au regard
de ses nombreux sympathisants dans le
monde, les propres captifs de leur
prisonnier palestinien. Avec en prime un
symbole encombrant à gérer.
Le hasard favorise parfois le
calendrier, la coïncidence apparaît
alors comme un signe du destin. Marwane
Barghouti a été condamné à la détention
à perpétuité le jour du décès de
l’ancien président américain Ronald
Reagan, celui-là même qui avait dit «Bye
Bye l’OLP», le jour de l’évacuation des
Fedayin de la capitale libanaise en
septembre 1982. En 25 ans les Fedayin se
sont transformés en Moudjahiddine et le
fait national palestinien a survécu à
Ronald Reagan.
Un clin d’œil de
l’histoire ?
Un symbole vit de sa propre vie en
dehors de son porteur et la lutte des
peuples pour leur survie obéit à
d’autres paramètres que ceux engrangés
dans les ordinateurs sophistiques de la
guerre intelligente. Le moteur du combat
d’un peuple pour sa survie est la
dignité. L’honneur, la sève qui nourrit
sa résistance. Ces paramètres là sont
par essence non quantifiables. Ils
échappent par définition à toute mise en
équation. Marwane Barghouti en a fait
l’éclatante démonstration lors du
verdict traumatique du 6 juin 2004.
En 49 ans, les coups de butoir
répétitifs israéliens ont eu donc des
résultats mitigés, parfois même en
contradiction avec l’objectif visé. Tout
au long de ce conflit, Israël a veillé à
s’assurer la maîtrise du récit
médiatique et le monopole de la
compassion universelle pour les
persécutions dont les Juifs ont été les
victimes au XIX me et XX me siècles en
Europe. Mais la destruction de la ligne
Bar Lev par les Égyptiens lors de la
Guerre d’octobre 1973 a libéré les
Arabes de la peur panique que leur
inspirait l’État Hébreu, et, avec les
volontaires de la mort, les bombes
humaines ont fait 914 morts du côté
israélien lors de la deuxième Intifada
palestinienne (2000-2003). La peur est
désormais équitablement répartie entre
les deux camps, alors que,
parallèlement, les massacres des
Palestiniens de Sabra et Chatila, en
1982, ont brisé le mythe de la «pureté
des armes israéliennes» et le dégagement
militaire du Sud du Liban, le «mythe de
l’invincibilité israélienne».
Le temps historique n’est pas réductible
au temps médiatique. Israël, durant le
premier demi-siècle de son indépendance
(1948-2000), a été victorieux dans
toutes les guerres qui l’ont opposé aux
armées conventionnelles arabes, mais la
tendance s’est inversée depuis le début
du XXI me siècle, avec la mise en œuvre
de la stratégie de la guerre
asymétrique.
Toutes ses confrontations militaires
avec ses adversaires arabes se sont
depuis lors soldées par des revers
militaires, que cela soit au Liban, en
2006, contre le Hezbollah chiite
libanais, ou en 2008 à Gaza, en
Palestine, contre le Hamas sunnite
palestinien.
Longtemps sous la coupe des états
arabes, les Palestiniens ont livré dans
leur ghetto de Gaza, en décembre 2008,
leur première guerre indépendante de
toute tutelle. Désastreux sur le plan
humain pour les Palestiniens, ce combat
solitaire et solidaire de toutes les
formations de la guérilla, y compris le
Fatah de Mahmoud Abbas, et les
formations marxistes, a néanmoins
suscité un regain de sympathie
internationale envers la revendication
nationale palestinienne et placé sur la
défensive les gouvernements arabes.
Désastreuse pour les Israéliens, sur
le plan moral, l’expédition punitive
israélienne continuera de produire ses
effets corrosifs aussi longtemps que les
pays occidentaux feront l’impasse sur
les violations israéliennes au prétexte
d’assurer «la sécurité d’Israël» et de
le ravitailler en armes, sans prendre en
compte l’insécurité que son bellicisme
débridé génère à son environnement, ni
brider la colonisation rampante de la
Palestine. Aussi longtemps qu’ils
continueront de témoigner de leur
mansuétude à l’égard de leur gendarme
régional, générateur en chef du Hamas
par quarante ans d’occupation illégale
et abusive de la bande de Gaza,
anciennement sous souveraineté
égyptienne.
La sophistication de la guerre
psychologique menée depuis près de
60 ans par Israël ne saurait masquer la
réalité.
Israël vit une situation schizothymique
: Un état de Droit, certes, mais
exclusivement à l’égard de ses citoyens
de confession juive, un état d’apartheid
à l’égard de la composante palestinienne
de sa population, une zone de non droit
et de passe droit dans ses colonies et
sur la scène régionale, au point que bon
nombre d’observateurs, pas uniquement
arabes, pas uniquement musulmans,
tendent à le considérer comme l’état
voyou N°1 sur la scène internationale.
- Pour audacieuse que soit sa
vision du monde et novatrice sa
démarche, le président Barack Obama
se devrait de savoir :
Que le monde arabo musulman n’a pas
le monopole de la terreur aveugle,
comme en témoigne la vitrification
de Hiroshima et Nagasaki (Japon) et
de Dresde (Allemagne), cibles
urbaines d’innocentes victimes
civiles.
- Que la «génération des lanceurs
de pierre», véritable déclencheur de
la première «Intifada» palestinienne
en 1987, puis de la deuxième
Intifada en 2000, a surgi dans la
foulée de l’invasion israélienne du
Liban en 1982 visant à démanteler
les structures de l’Organisation de
libération de la Palestine.
- Que les «volontaires de la mort»
ne sont nullement animés
exclusivement d’une «idéologie du
mal», selon l’expression de
lancienpremier ministre britannique
Tony Blair, ou d’une «culture de la
mort», selon la thématique saoudo
américaine, mais aussi et sans doute
dans les mêmes proportions d’une
aversion profonde à l’égard de la
morgue occidentale et que les
«bombes humaines» constituent
surtout une réponse inhumaine à la
non-reconnaissance de l’humanité des
interlocuteurs légitimes de la cause
palestinienne.
- Que les combattants islamiques
tant du Hamas que du Hezbollah que
les partisans du chef chiite irakien
Moqtada Sadr appartiennent à une
génération que la promesse la plus
alléchante ne saurait dévier de leur
trajectoire, tant en Irak qu’au
Liban, qu’en Palestine, aussi
longtemps que la boulimie
annexionniste d’Israël n’aura pas
été bridée, aussi longtemps que la
dignité du peuple palestinien et des
autres peuples arabes sera bafouée.
Aussi longtemps que sera proposé un
état croupion palestinien pour solde de
tout compte à la spoliation de la
Palestine. Aussi longtemps enfin que Mme
Hillary Clinton, Secrétaire d’État
américain, en tournée au Moyen-Orient,
de même que son prédécesseur républicain
Condoleeza Rice, se précipiteront à
Beyrouth pour fleurir la tombe de Rafic
Hariri, l’ancien premier ministre
libanais assassiné, tout en persistant à
négliger à leur passage à Ramallah
(Cisjordanie), le mausolée de Yasser
Arafat, le symbole de la renaissance du
peuple palestinien.
Aussi longtemps que les dirigeants
occidentaux autoproclamés «amis du
peuple palestinien» s’appliqueront à
contourner Ramallah, siège du pouvoir
légal palestinien, pour rencontrer
Mahmoud Abbas à Jéricho, comme ce fut le
cas de Nicolas Sarkozy lors de son
voyage en juin 2008, toujours dans le
même but d’éviter le Mausolée de Yasser
Arafat, comme si un Prix Nobel de la
Paix palestinien constituait une
monstruosité infamante, comme si le
porte étendard de la revendication
nationale palestinienne était pestiféré
même au delà de la mort.
Une génération de combattants qui pense
-et avec elle bon nombre d’adultes pas
nécessairement uniquement arabes ou
musulmans- qu’il existe un lien entre
les attentats de Londres, de Madrid et
d’ailleurs, -contrairement à la thèse
défendue par Tony Blair-, un lien même
entre les attentats de Londres et la
Palestine, au-delà, un lien par ricochet
avec la promesse Balfour, une promesse
anglaise à l’origine de la création de
l’État d’Israël.
Par glissement successif, Israël a été
perçu dans un premier temps comme un
fait colonial, le «coup de poignard» de
l’Europe au cœur du Monde arabe, puis le
bras armé de l’Amérique, enfin le
«levier stratégique» de l’Occident dans
la zone, son croquemitaine.
Sauf à vouloir se vivre en forteresse
assiégée, une telle image paraît
difficilement compatible avec une
éventuelle intégration régionale, malgré
toutes les barrières de sécurité et les
murs de séparation, malgré toutes les
rodomontades de tous les militaires ou
paramilitaires qui se sont succédé à la
tête du gouvernement israélien (Menahem
Begin, Itzhak Shamir, Itzhak Rabin, Ehud
Barak, Ariel Sharon), malgré le soutien
intempestif de leurs relais au sein de
la diaspora juive et de la communauté
des chrétiens sionistes, de l’ordre de
70 millions de personnes dans le monde,
et la servitude résignée de bon nombre
de dirigeants arabes.
Le refuge des juifs, des rescapés des
camps de la mort et des persécutés, le
pays du Kibboutz socialiste et de la
fertilisation du désert, des libres
penseurs et des anticonformistes est
devenu, aussi, au fil des ans, un
bastion de la religiosité rigoriste, des
illuminés et des faux prophètes, de Meir
Kahanna (Ligue de la Défense Juive) à
Baruch Goldstein, l’auteur de la tuerie
d’Hébron, le 25 février 1994, le pays
des gangs mafieux et des repris de
justice, des Samuel Flatto-Sharon à
Arcadi Gaydamak.
Un phénomène amplifié par la
décomposition de l’esprit civique,
gangrené par l’occupation et la
corruption affairiste des cercles
dirigeants, matérialisé par le naufrage
du parti travailliste, le «parti des
pères fondateurs», et la cascade de
démission au plus haut niveau de l’état
soit pour harcèlement sexuel, soit pour
des faits en rapport avec l’argent
illicite.
La propulsion d’Avigor Libermann sur
le devant de la scène politique
israélienne constitue à cet égard une
illustration caricaturale du «Droit au
retour» dans son extravagance la plus
criante, en ce qu’elle confère à un
ancien videur de boîtes de nuit de Kiev,
du seul fait de sa judéité, et, au
détriment des habitants originels du
pays, une part du destin du Moyen
orient. Elle constitue par là même la
marque de l’aberration du projet
sioniste dans ses manifestations les
plus extrêmes, l’échec patent du projet
occidental.
Près de 100 ans après sa fondation, le
Foyer National Juif apparaît ainsi
rétrospectivement comme la première
opération de délocalisation de grande
envergure opérée sur une base ethnico
religieuse en vue de sous traiter au
Monde arabe l’antisémitisme récurent de
la société occidentale.
Et la Palestine, dans ce contexte, est
devenue un immense défouloir de toutes
les frustrations recuites générées des
bas fonds de Kiev (Ukraine) et de
Tbilissi (Géorgie) au fin fond de
Brooklyn (États-Unis), la plus grande
prison du monde, le plus grand camp de
concentration à ciel ouvert pour les
Palestiniens, les propriétaires
originels du pays.
Le droit à l’existence d’Israël ne
saurait impliquer un devoir
d’anéantissement du peuple palestinien,
ni son droit à la sécurité, l’insécurité
permanente des pays arabes.
Curieux cheminement que celui des
rescapés des Ghettos de Varsovie et
d’ailleurs que de «s’emmurer» (2) en
terre d’Orient, comme le signe d’une
impasse de la société israélienne,
soixante ans après la transformation de
son «Foyer National» en état
indépendant.
La mobilisation identitaire constitue la
marque d’une crise interne du système
politique, la ghettoïsation, la marque
d’une régression car elle entraîne une
éviction de l’intrus et non la
reconnaissance de l’autrui. Une équation
à tous égards réversible… tant qu’il est
encore temps.
Notes
- Le 25 février 1994, Baruch
Goldstein, un médecin, colon juif
d’origine américaine installé à
Kyriat Arba, colonie forteresse fief
de la colonie orthodoxe implantée à
l’entrée d’Hébron, pénètre dans la
mosquée bondée d’Abraham, située
dans la ville biblique d’Hébron en
Cisjordanie. Au cri de «Joyeux
Pourim», il vide trois chargeurs de
30 cartouches à l’aide de son fusil
d’assaut automatique sur
l’assistance constituée de quelque
800 Palestiniens en prière, tuant 29
personnes et en blessant 150 autres
avant d’être battu à mort.
- Fidèle de longue date du groupe
fondamentaliste radical juif, le
mouvement «Kach», Baruch Goldstein
était motivé par un mélange
compliqué de ce qui ressemble à des
considérations inextricables de
nature politique et religieuse,
alimentées par le fanatisme et par
un sentiment aigu de trahison en
constatant que son Premier ministre
était en train de «conduire l’État
juif hors du patrimoine légué par
Dieu et vers un danger mortel». Le
Premier ministre israélien, Yitzhak
Rabin, s’exprimant au nom de la
grande majorité des Israéliens,
exprima son dégoût, sa révulsion,
ainsi que sa profonde tristesse à
l’égard de l’acte commis par un
«fanatique dérangé», tandis qu’une
grande proportion des colons
orthodoxes militants ont qualifié
Goldstein d’homme juste et lui ont
conféré la dignité de martyr.
- 2. «Les Emmurés, la société
israélienne dans l’impasse» de
Sylvain CYPEL, journaliste au
quotidien Le Monde. Éditions La
découverte Février 2005 Ainsi que
«Destins croisés, Israéliens,
Palestiniens, l’Histoire en partage»
de Michel Warshawski, préface d’Avraham
Burg- Editions Riveneuve Avril 200
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