Vu du Droit
Lutte contre la pandémie : un foutoir
juridique
Régis de Castelnau
Samedi 29 août 2020 Sur la base
d’une analyse selon laquelle la pandémie
Covid 19 serait dans une phase de «
rebond », les autorités de l’État ont à
nouveau mis en place un dispositif
juridique visant à imposer des mesures
considérées comme de prévention.
Les débats font
rage sur leur utilité sanitaire, mais
elles apparaissent à l’évidence comme
une contrainte difficilement supportable
sur la vie sociale organisée. Je ne
saurais me prononcer sur l’utilité du
port du masque, de la fermeture des bars
à 23 heures, et de l’interdiction de
rassemblement de plus de cinq personnes,
même chez soi. Ce qu’en revanche je
constate c’est que le cadre juridique
dans lequel ces mesures très
restrictives des libertés publiques
fondamentales sont mises en place,
ressemblent un grand foutoir. Cela n’est
pas nouveau, toute la gestion de la
première phase au premier semestre s’est
déroulée elle aussi dans un grand
n’importe quoi juridique.
On ne peut pas
se résoudre dans une démocratie à cette
espèce d’État d’exception qui permet de
violer tranquillement toutes les règles
de d’un État de droit. S’il y a des
mesures sanitaires à prendre, elles
doivent être organisées dans un cadre
juridique irréprochable, ce sera le
meilleur moyen de leur donner la
légitimité dont elles ne semblent pas
disposer aujourd’hui.
Et il est
profondément malsain de s’habituer à
l’arbitraire, cette fois-ci soi-disant
pour la bonne cause.
Mais demain ?
Atlantico m’a demandé mon avis.
- Atlantico:
Le Gouvernement a annoncé
l’obligation du port du masque dès
ce vendredi pour les piétons, vélo,
conducteurs de trottinettes et
scooter dans Paris et la petite
couronne. Que pensez-vous de cette
nouvelle mesure ?
Régis de
Castelnau : Première réaction sur le
fond, on a manifestement basculé dans
une forme d’hystérie sanitaire. On ne
reviendra pas sur la palinodie
gouvernementale en matière de masques
depuis le début de la pandémie, mais
simplement souligner que l’usage de cet
accessoire est d’après les spécialistes
essentiellement nécessaire en intérieur,
si tant est qu’il soit utile ce qui
n’est pas très clair, pour prévenir la
propagation de la pandémie. Il semble
qu’il y ait deux motivations qui se
combinent au niveau du pouvoir politique
:
•
Tout d’abord la peur d’engager sa
responsabilité en ne prenant par toutes
les précautions possibles. La crainte
des suites judiciaires et des
conséquences politiques tétanise les
décideurs.
•
Ensuite, il apparaît de façon assez
incontestable que le pouvoir a emprunté
une forme de pente naturelle qui est
celle de la volonté de contrôle social,
toutes ces mesures impliquent une
docilité de la population, dont on
attend que, surveillée par la police et
la justice elle se tienne sage.
Malheureusement
cette pression assez insupportable est
grosse de risques d’explosion.
Sur le plan
juridique, dès lors que le pouvoir
impose ces contraintes, il porte
atteinte aux libertés fondamentales. Il
ne peut le faire que si ces atteintes
sont proportionnées à l’objectif
d’intérêt général poursuivi. Ces mesures
coercitives sont donc susceptibles
d’être contestées devant le juge
administratif. Ensuite, dès lors que
l’on prend des mesures et qu’on impose à
la population des obligations
particulières, il est nécessaire de
prévoir des sanctions en cas
d’inobservation. Et là on bascule dans
le domaine pénal qui a ses principes et
ses règles particulières et le moins que
l’on puisse dire c’est que dans les
dispositifs mis en place, ces principes
et ces règles ne sont pas respectées.
Cela présente également le défaut que
l’on avait constaté avec les infractions
au confinement, où les forces de l’ordre
et surtout la gendarmerie se sont
précipitées dans une démarche de
punition de la population considérée
comme récalcitrante, et soyons clair
comme moyen également de remplir les
caisses au moment où la manne des
infractions automobiles s’était tarie.
Il faut savoir que pendant le
confinement ce sont plus d’un million de
procès-verbaux qui ont été dressés
contre 9000 au Royaume-Uni… Cet écart
est malheureusement très révélateur.
- Atlantico :
Quels peuvent-être les recours
juridiques face à cette nouvelle
mesure ?
Régis de
Castelnau : Je répète qu’il y a deux
plans dans l’analyse de la légalité de
toutes ces mesures. Le premier est
relatif au caractère proportionné et
légitime des atteintes aux libertés par
rapport aux objectifs d’intérêt général
poursuivis. Le second se rapporte à la
légalité intrinsèque des textes
répressifs nécessaires à l’application
pour sanctionner ceux qui ne respectent
pas les prescriptions. Toute règle
imposée par la puissance publique doit
être assortie d’une sanction en cas
d’inobservation, sinon la mesure
n’aurait aucune effectivité. Rappelons
que droit n’est pas sa propre fin, il
est le moyen d’atteindre un but qui est
le maintien, la conservation et le
développement de la société. Il y a donc
un caractère coercitif indispensable à
l’existence du droit.
Sur le premier
point, c’est-à-dire la légalité même des
règles mises en place (décrets, arrêtés
préfectoraux, municipaux) dans la mesure
où ce sont des actes qui relèvent de
pouvoir exécutif, il est possible de
saisir les juridictions administratives
de recours afin que soit apprécié le
bilan coûts avantages de la restriction
des libertés. Certains tribunaux
administratifs ont annulé des arrêtés
préfectoraux ou municipaux étendant à
des territoires des mesures sanitaires,
mais il ne semble pas que le Conseil
d’État ait déjà eu à statuer sur le
dernier train de mesures prises par le
gouvernement pour faire face au « rebond
de l’épidémie ». Pour effectuer ce
contrôle, les magistrats de l’ordre
administratif sont confrontés à des
questions délicates. D’abord ils doivent
apprécier le danger que fait courir
l’épidémie à la société, et il faut
reconnaître que dans ce domaine on
entend absolument tout et son contraire
et que médecine et science pataugent
vaillamment. Ce qui est d’ailleurs
parfaitement normal, cette épidémie
étant complètement nouvelle. Ensuite,
une fois que leur conviction sur la
nature et la réalité du danger sera
forgée, il faudra qu’ils apprécient si
les mesures proposées sont de nature à
prévenir et à protéger la population.
Nous leur souhaitons bon courage !
Sur le plan pénal,
il apparaît quand même que c’est le
grand n’importe quoi. Tout d’abord, les
textes répressifs mis en place,
c’est-à-dire la définition des sanctions
qu’encourent les contrevenants à
l’application des mesures décidées (port
du masque, couvre-feu, interdiction des
rassemblements etc. etc.) sont d’une
légalité passablement branlante. En
effet comme d’habitude l’administration
qui les a rédigés procède par renvois.
C’est-à-dire que bien qu’il s’agisse de
nouveaux textes on renvoie à
l’application de décrets antérieurs pour
la définition des sanctions. Or ceux-là
ne sont plus applicables puisque nous ne
sommes plus en état d’urgence sanitaire.
Il est malheureusement probable que les
textes répressifs que les forces de
l’ordre, pourtant fort timides quand il
s’agit de prévenir la violence de rue,
se sont précipités à faire appliquer
soit illégaux. Et que par conséquent
toutes les amendes distribuées à foison
sont elles aussi illégales.
Il y a également le
problème de fond posé par la rédaction
particulièrement vague de textes
répressifs, ce qui est interdit par la
constitution, la déclaration des droits
de l’Homme et, n’en jetez plus, la
Convention européenne du même nom… Un
texte répressif doit être clair,
d’interprétation restrictive, il ne doit
donner aucune marge d’interprétation
surtout en matière de procès-verbaux aux
forces de l’ordre, à ceux qui appliquent
la sanction. Dans ce domaine, et on le
voit bien
avec le zèle
souvent ridicule mais surtout
intolérable qu’elles mettent en œuvre et
que rapportent tant de témoignages.
Alors, quel recours
contre les mesures individuelles ? C’est
une question délicate dans la mesure où
ceux qui sont verbalisés sont en général
démunis, ne connaissent pas les
procédures et n’ont souvent pas les
moyens de saisir le juge compétent
c’est-à-dire le tribunal de police.
Seules des actions collectives
coordonnées seraient de nature à
s’opposer plus efficacement à
l’inflation des sanctions arbitraires
puisque sans véritable base légale. Cela
ne semble pas en prendre le chemin.
Il apparaît clair
que le pouvoir exécutif, les préfets,
voire les Officiers de Police Judiciaire
des forces de l’ordre ont connaissance
de ses illégalités. Il serait peut-être
alors amusant de réclamer l’application
de l’article 432–10 du Code pénal qui
prévoit : « Le fait, par une personne
dépositaire de l’autorité publique ou
chargée d’une mission de service public,
de recevoir, exiger ou ordonner de
percevoir à titre de droits ou
contributions, impôts ou taxes publics,
une somme qu’elle sait ne pas être due,
ou excéder ce qui est dû, est puni de
cinq ans d’emprisonnement et d’une
amende de 500 000 €, dont le montant
peut être porté au double du produit
tiré de l’infraction. » Jean Castex
et le gendarme de base ensembles
concussionnaires, ce pourrait être
savoureux…
- Atlantico :
Peut-on imaginer des
dérogations pour les fumeurs ? pour
les individus qui mangent en pleine
rue sans masque ?
Régis de
Castelnau : On peut tout imaginer,
mais le problème est d’abord de
principe. Plus on va compliquer, prévoir
des exceptions, imaginer des
dérogations, inventer de nouvelles
infractions plus on va rendre le
dispositif complètement illisible et par
conséquente illégal. Et l’on voit bien
dans votre question que les hypothèses
de dérogations dont vous faites état
sont le fruit des réactions montrant le
grotesque de la mesure d’obligation de
port du masque dans l’espace public.
Grotesque non pas en matière sanitaire,
encore que, mais surtout impossible à
organiser sans un bouleversement de la
vie sociale, et la mise en place d’un
système autoritaire qui commence à
devenir un peu terrifiant.
À quand les
gendarmes dans les chambres à coucher
pour vérifier que vous dormez avec un
masque ?
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