Vu du Droit
Procédures contre l’État Macron :
pourquoi le Conseil d’État ?
Régis de Castelnau

Vendredi 27 mars 2020 Philippe Prigent
est avocat à la cour de Paris et il
vient de déposer une requête devant le
conseil d’État au nom de Nicolas
Dupont-Aignan et de son parti politique
Debout la France. Le texte de la requête
en référée liberté que nous avons mise
en ligne est le fruit de son travail de
sa réflexion. Compte tenu des débats qui
ont lieu sur la question de la saisine
des juridictions qu’elle soit pénales ou
administratives pour mettre en cause la
gestion de la pandémie par l’actuel
pouvoir, il nous est apparu nécessaire
de lui demander un certain nombre de
clarifications et d’explications.

Entretien
Vududroit – Me Philippe Prigent
Vududroit : Vous
avez déposé un référé-liberté devant le
Conseil d’Etat pour qu’il enjoigne au
Gouvernement de modifier sa politique
sanitaire face à la pandémie. Avant
d’entrer dans le fond, pourriez-vous
nous expliquer brièvement cette
procédure ?
Me Prigent :
Le référé-liberté permet de demander au
juge administratif d’ordonner toute
mesure nécessaire pour mettre fin à
« atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale »
de la part d’une personne morale de
droit public.
Comme l’Etat est la
personne morale de droit public par
excellence, dirigée par le Gouvernement,
on peut demander au juge administratif
de remédier aux atteintes manifestes que
le Gouvernement porte à une liberté
fondamentale. Comme la survie est la
première liberté fondamentale et la
condition nécessaire pour jouir de
toutes les autres, on peut l’invoquer en
référé-liberté. Enfin, l’atteinte peut
résulter non seulement d’un acte (comme
la contamination par l’Etat de l’eau
courante) mais aussi d’une omission
(comme ne pas empêcher une personne
privée de contaminer l’eau courante).
Les grands
avantages pratiques du référé-liberté
sont que le juge statue en quelques
jours et qu’il peut ordonner toute
mesure qui remédie à l’atteinte
manifestement illégale à une liberté
fondamentale. Les actions pénales seront
utiles à terme mais pour l’instant il
faut parer au plus pressé par des
mesures concrètes et immédiatement
applicables.
Vududroit :
Justement, encore faut-il que l’atteinte
soit « manifestement illégale »...
Me Prigent :
Oui. Par chance, l’illégalité peut
résulter de la simple stupidité même
quand l’Etat ne viole aucune loi. Le
droit administratif permet de censurer
« l’erreur manifeste d’appréciation »,
c’est-à-dire l’erreur qui « ne fait
aucun doute pour un esprit éclairé ».
Une décision ou une abstention d’un
ministre ou d’autre autorité
administrative qui trahit un manque
évident de bon sens est illégale.
L’erreur doit être évidente mais le
Conseil d’Etat peut être exigeant
vis-à-vis de l’administration lorsque le
droit à la vie est en cause car alors
les erreurs entraînent des conséquences
gravissimes.
Vududroit :
Quelles erreurs évidentes reprochez-vous
au Gouvernement ?
Me Prigent :
La première est de ne pas augmenter
massivement la production de masques en
vue de leur distribution aux soignants,
aux forces de l’ordre et à la population
en règle générale. On nous dit que ces
masques sont imparfaits mais les
premiers masques à gaz étaient
imparfaits de 1914 à 1916 ; les généraux
ont-ils pour autant interdit leur
utilisation ? Evidemment non. Mieux vaut
une protection imparfaite qu’aucune
protection du tout.
La deuxième erreur
est de ne pas appliquer la quarantaine
dans les zones de non-droit. Quel est
l’intérêt de confiner temporairement une
grande partie de la population tout en
laissant le virus se propager donc
survivre dans une partie du territoire,
prêt à resurgir à la levée du
confinement ? Imagine-t-on un médecin
soumettre un patient à une
chimiothérapie en épargnant
soigneusement des zones atteintes de
métastases pour que le cancer puisse
reprendre ensuite ?
Sans parler de
l’égalité devant la loi, qui interdit le
confinement à géométrie variable.
La troisième erreur
est de ne pas fabriquer autant de tests
que possible et de compter sur les
importations or tous les autres pays
risquent de vouloir conserver leurs
tests !
Nous faisons face à
l’invisible comme si nous étions dans un
sous-marin et comme exposé par le
Président de la République, nous sommes
en guerre. Or en temps de guerre, la
première chose à faire dans le
sous-marin est de faire fonctionner le
sonar pour y voir plus clair et ne pas
rester dans l’ignorance.
La quatrième erreur
est l’imprudence. Nous manquerons
peut-être de bouteilles nécessaires pour
alimenter en oxygène les respirateurs de
réanimation, car la demande est énorme.
Nous aurons aussi peut-être besoin de
chloroquine pour soigner les personnes
atteintes du virus. J’insiste :
« peut-être », pas certainement. Or
la seule usine située en France qui
fabrique de telles bouteilles et la
seule usine située en France qui
fabrique de la chloroquine sont en
faillite, donc en vente par les
tribunaux de commerce.
Pour lutter contre
la pandémie, de deux choses l’une : soit
on aura besoin de chloroquine ou de plus
de bouteilles d’oxygène médical, soit en
n’en aura pas besoin. Donc soit le
rachat de ces usines ne coûte rien et
permet de produire des biens utiles (la
chloroquine et ces bouteilles peuvent
toujours servir ailleurs), soit le
rachat de ces usines aura été le
meilleur investissement public depuis
des décennies. Tant qu’on est dans
l’incertitude, il faut choisir l’option
la plus prudence, c’est-à-dire le rachat
de ces usines. Au pire du pire, on aura
donné du travail à 300 salariés, ça ne
peut pas faire de mal.
Notre référé
demande au Conseil d’Etat d’enjoindre au
Gouvernement de corriger ces erreurs.
Vududroit :
Projetons-nous dans l’avenir, quand on
l’espère la pandémie aura été vaincue. A
rebours d’un certain nombre de vos
confrères, vous recommandez aux futures
victimes de ne pas s’arrêter à la Cour
de justice de la République (CJR) et
d’envisager des recours devant le juge
administratif. Pourquoi ?
Me Prigent :
Il y a une réponse brève et une réponse
longue.
Réponse brève :
quand l’Etat a commis une faute dans sa
mission de santé publique, c’est à lui
de réparer les conséquences de sa faute
or seul le juge administratif peut juger
l’Etat dans un tel domaine.
Réponse longue :
plusieurs éléments militent pour la
saisine du Conseil d’Etat.
D’abord, la
procédure est plus brève, car les arrêts
du Conseil d’Etat ne peuvent faire
l’objet d’aucun recours, quand les
arrêts de la CJR peuvent être attaqués
devant la Cour de cassation, qui renvoie
l’affaire à la CJR si son raisonnement
contenait même une seule erreur
décisive.
Ensuite, le Conseil
d’Etat est beaucoup moins politisé que
la CJR, dont les membres ont largement
été choisis par le Parlement,
c’est-à-dire en pratique par des élus
LREM, LR ou autres Macron-compatibles,
qui recommandaient de ne rien faire face
à la pandémie qui arrivaient. J’ai du
mal à imaginer qu’ils se déjugent en
condamnant les ministres pour avoir mis
en œuvre la politique qu’ils
recommandaient… A l’inverse, le Conseil
d’Etat est plus impartial car ses
membres ne sont pas compromis dans le
scandale de notre imprévoyance ; on est
toujours meilleur juge quand on n’est
pas mis en cause.
Vous me direz que
je vois le mal partout, mais les
ministres pourraient organiser leur
propre procès devant la CJR afin d’être
absous par leurs parlementaires et les
parlementaires des partis compromis
avant les nouvelles législatives. Bel
argument de communication – « nous avons
été blanchis dans un procès
transparent » – et impunité judiciaire
garantie grâce à l’interdiction de juger
deux fois les mêmes faits.
Vududroit : Ces
éléments de contexte sont importants,
mais sur le fond du droit, pourquoi
engager la responsabilité de l’Etat en
droit administratif plutôt que de
poursuivre les fautifs en droit pénal ?
Me Prigent :
La difficulté de la voie pénale est que
la culpabilité suppose un manquement à
une obligation particulière de prudence
ou de sécurité. Or quelles étaient les
obligations à respecter ? et
étaient-elles des obligations
particulières ? comme il n’y a pas de
responsabilité pénale collective,
peut-on identifier les manquements de
tel ou tel ministre pour le condamner à
ce titre ?
Autant d’écueils
qui peuvent chacun suffire à faire
échouer une procédure.
A l’inverse, la
voie administrative repose sur la
responsabilité de l’Etat dans son
ensemble et ne nécessite aucun
manquement à une obligation
particulière. Dans de nombreux domaines,
et notamment en matière de police
sanitaire, la responsabilité de l’Etat
peut être engagée pour faute simple. Et
dans tous les domaines, l’erreur
manifeste d’appréciation engage la
responsabilité de la puissance publique.
Or cette erreur
manifeste semble plus facile à
caractériser que le manquement à une
obligation particulière de sécurité. Par
exemple, la destruction systématique des
masques FFP2 actuellement imposée par un
protocole n’est pas un manquement à une
obligation de prudence mais continuer à
appliquer ce protocole alors que ces
masques pourraient être réutilisés après
décontamination est un flagrant manque
de bon sens…
(sur la possibilité
de réutiliser les masques FFP2 après
nettoyage :
https://absa.org/wp-content/uploads/2020/03/ABJ-200326_N-95_VHP_Decon_Re-Use.pdf
)
Vududroit : Il
n’y a qu’un problème dans votre méthode,
les ministres qui ont causé la
catastrophe ne sont pas personnellement
responsables…
Me Prigent :
Je garde le meilleur pour la fin.
En cas de faute
personnelle de son agent, la personne
publique peut se retourner vers son
agent en cas de faute personnelle pour
qu’il lui rembourse le montant de
l’indemnisation qu’elle a dû verser.
Selon une distinction ancienne, « la
faute personnelle est celle qui révèle
l’homme avec ses faiblesses, ses
passions, ses imprudences; la faute de
service est celle de l’administrateur
plus ou moins sujet à erreur ».
Certes, le
mécanisme n’a jamais été employé à
l’encontre des ministres mais le Conseil
d’Etat pourrait faire évoluer sa
jurisprudence en ce sens si le peuple
souverain élit de nouveaux dirigeants
qui demandent aux actuels de payer
l’addition de la crise dans la mesure de
leurs moyens.
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