Vu du Droit
Affaires du PNF : quand les magistrats
se comportent en militants politiques
Régis de Castelnau

Samedi 27 juin 2020
Atlantico m’a demandé mon avis sur
les raisons de la politisation désormais
incontestable de la haute fonction
publique judiciaire et notamment des
magistrats du PNF et du Pôle
d’instruction financier.
Nous sommes en
présence d’un scandale d’État
considérable, je me réjouis de ce
dévoilement qui met au jour ce que je
dénonçais depuis déjà quelques années.
Le
rétablissement de l’impartialité de la
Justice est une urgence à laquelle il
faut s’atteler. Je parle aussi des
mesures à prendre pour aller dans cette
voie.
Régis de
Castelnau
Atlantico.fr :
Depuis plusieurs années des affaires
judiciaires particulièrement médiatisées
ont eu un fort retentissement sur la vie
politique : de Nicolas Sarkozy jusqu’aux
gilets jaunes en passant par la très
fameuse affaire Fillon dont on voit
aujourd’hui ressortir les enjeux. La
question posée devient de plus en plus
directement celle de la responsabilité
des juges face aux effets politiques de
leurs décisions.
La France
fait-elle face à un problème de
partialité de ses juges ? Si oui depuis
quand et pourquoi ?
Régis de
Castelnau : Oui, incontestablement.
Cela est dû aujourd’hui à plusieurs
facteurs, mais il est incontestable que
l’impartialité n’est pas considérée par
le corps des magistrats comme un
impératif absolu. Il a très longtemps
été reproché à la justice française
d’être, au service du pouvoir exécutif
et à celui de la préservation d’un ordre
social. Cette approche est
historiquement justifiée, avec comme
symbole paroxystique le ralliement
massif au maréchal Pétain. Un seul
magistrat sur l’ensemble du corps ayant
refusé de lui prêter serment.
Il y a plusieurs
raisons à cela, parmi lesquelles deux
peuvent être particulièrement mis en
avant : tout d’abord l’homogénéité
sociologique du corps, et ensuite une
culture de l’ordre au détriment de celle
de la justice. On l’a bien vu au moment
de la crise des gilets jaunes avec la
violence de la répression judiciaire,
les magistrats considérant qu’ils
étaient là pour rétablir l’ordre et non
pas pour rendre la justice.
Nous vivons une
période particulière qui est le fruit
d’une évolution commencée dans les
années 80 avec un processus
d’émancipation de la magistrature
vis-à-vis du pouvoir politique. Celle-ci
a pu se réaliser dans une alliance avec
la presse et une forme de délégation de
l’opinion publique contre la classe
politique considérée comme corrompue.
Les termes « indépendance de la
justice » sont devenus un mantra
régulièrement psalmodiié par les
organisations syndicales. Qui sont
d’abord des structures politisées avant
d’être des organisations de défense
d’intérêts catégoriels. Le problème, est
que cela a conduit à l’irruption de « l’autorité
judiciaire » (comme l’appelle la
Constitution) dans le champ politique.
L’indépendance institutionnelle liée à
la séparation des pouvoirs et destinée à
être l’outil de l’impartialité, est
devenue dans un singulier renversement
l’outil de la partialité essentiellement
politique. La
grotesque affaire du « mur des cons » où
l’on a vu une organisation syndicale
afficher cette revendication de
partialité, en est le très triste
symbole. Rappelons qu’aucune sanction
disciplinaire n’a été prise contre ce
manquement considérable.
Une autre des
raisons de cette absence d’impartialité,
est liée au fonctionnement politique de
la France depuis le début des années 80.
En effet après plus de 30 ans de pouvoir
hégémonique de la droite, l’arrivée de
François Mitterrand au pouvoir
enclenchait un processus d’alternance
régulier. Sur le plan politique, on sait
bien qu’il s’agissait d’une fausse
alternance, car comme le disait Philippe
Séguin « droite et gauche étaient deux
épiceries concurrentes se fournissant au
même grossiste. » Le problème, était que
lorsqu’un des courants était au pouvoir,
il piochait dans la magistrature ceux
qui allaient venir occuper les bureaux
de la place Vendôme et entourer le Garde
des Sceaux. Lors des changements,
ceux-là retournaient dans leur corps
d’origine à des postes en général assez
élevés. Le passage par les cabinets
ministériels est devenu un des éléments
forts des carrières supérieures. Le
vivier du parti socialiste était
essentiellement le syndicat de la
magistrature, certes minoritaire dans le
corps, mais marqué par une forte
politisation et un gauchisme culturel
affirmé. Il est d’ailleurs à noter que,
ce « spoil system » à la française
fonctionne de la même façon au Conseil
d’État.
Pour les affaires
impliquant ces jours-ci le Parquet
National Financier, il convient d’abord
de rappeler que cette institution a été
créée par François Hollande venant
compléter un dispositif un peu plus
ancien, celui du « Pôle d’instruction
financier ». Il constitue aujourd’hui
une juridiction d’exception qui en
recèle absolument tous les travers. Le
pouvoir socialiste a veillé à ce qu’il
soit composé de magistrats amis afin de
jouer un double rôle : d’abord d’une
instrumentation politique contre
l’opposition, et ensuite de protection
des amis du pouvoir. À son arrivée à
l’Élysée Emmanuel Macron l’a récupéré,
d’autant plus facilement qu’il a
bénéficié sur le plan politique d’une
fusion du centre de gauche et du
centre-droit, disposant ainsi du soutien
des magistrats de gauche et de droite…
Concernant les trois scandales récents
du PNF, il y a d’abord le
raid judiciaire lancé contre François
Fillon pour le disqualifier de la
course à la présidence de la république
et favoriser ainsi l’élection d’Emmanuel
Macron. Il n’y a eu nul besoin que le
pouvoir de François Hollande donne
ordres ou consignes. Les magistrats du
PNF se sont comportés comme des
militants, et le juge d’instruction qui
fut saisi ensuite du dossier également.
C’est l’instrumentalisation politique
contre les opposants. Ensuite l’affaire
Kohler quant à elle, démontre jusqu’à la
caricature, comment fonctionne la
protection et l’absence de tout scrupule
dans le fonctionnement de cette
blanchisseuse. Enfin, le scandale des
écoutes des avocats pénalistes en charge
en général de la défense dans des
affaires politiques, révèle une
invraisemblable capacité à fouler aux
pieds les principes légaux qui encadrent
la procédure judiciaire et en
particulier le secret professionnel des
avocats.
Quel est l’état
actuel du contrôle des juges
d’instruction lorsqu’ils s’engagent dans
des actes militants ou décident de
poursuites judiciaires pour des raisons
politiques ?
Régis de
Castelnau : À ma connaissance,
jamais. Cette politisation de la
magistrature est un impensé de la
justice française. Il suffit de voir le
traitement judiciaire de l’affaire du «
mur des cons » qui a accouché d’une
procédure interminable se terminant en
queue de poisson. Il n’y a eu aucune
procédure disciplinaire ce qui aurait
pourtant été la moindre des choses.
Il faut rappeler
que comme dans toutes les grandes
administrations, il existe un corps de
contrôle. Pour la justice il s’agit de
l’Inspection Générale des Services
Judiciaires qui a des pouvoirs d’enquête
et intervient lorsque des problèmes
surviennent. Si des fautes avérées sont
établies, c’est ensuite le Conseil
Supérieur de la Magistrature qui
fonctionne comme un conseil de
discipline et donne un avis au pouvoir
exécutif qui dispose du pouvoir de
sanction. Malheureusement, le corps des
magistrats est marqué par un
corporatisme extrêmement puissant qui
naît dès l’École Nationale de Bordeaux.
On rappellera l’anecdote d’une promotion
votant pour porter le nom du juge
Burgaud sanctionné pour ses défaillances
dans la catastrophe d’Outreau…
À ma connaissance
il n’existe pas de procédure suivie de
sanction pour des comportements
manifestement politiques dans l’exercice
des prérogatives de justice. On
rappellera aussi la fameuse affaire de
Guyane où dans une procédure
complètement irrégulière
un tribunal correctionnel avait condamné
une ancienne candidate du Front National
à neuf mois de prison ferme par un
jugement qui ressemblait beaucoup plus
un tract politique qu’à une décision de
justice régulière. La cour d’appel avait
discrètement annulé la décision, mais ni
les magistrats concernés
ni même Christiane Taubira pourtant
impliquée n’ont été ne serait-ce que
réprimandés.
Comment réformer
la justice afin de faire en sorte que
les juges soient face aux conséquences
de leurs actes quand ceux-ci
interviennent de manière injustifiée sur
la vie politique démocratique ?
Régis de
Castelnau : C’est à la fois simple
et compliqué… on pourrait dire d’abord
qu’il conviendrait que la discipline
dans ce domaine soit exigée, et que les
procédures disciplinaires soient
appliquées. Et que cesse ce
fonctionnement corporatiste marqué par
une indulgence excessive.
Ensuite il serait
nécessaire de dépolitiser la justice qui
ne doit être ni l’instrument du pouvoir
exécutif, ni surtout le bras armé de
courants politiques. Pour cela il
faudrait sortir de l’hypocrisie, et
admettre que si les magistrats ont comme
tous les citoyens des opinions
politiques, il devrait s’imposer à eux
un devoir de réserve particulièrement
rigoureux. Et les demandes de
dessaisissement voire de suspicion
légitime, ne devraient pas être
considéré par le corps comme une injure.
Enfin, il y a deux
problèmes qu’il va bien falloir finir
par prendre à bras-le-corps.
C’est-à-dire séparer radicalement les
fonctions de poursuite qu’exercent les
parquets et les fonctions de juger,
celles des juges du siège. Et aussi la
question du syndicalisme dans la
magistrature. Force est de constater que
les structures existantes, et notamment
les deux grands syndicats que sont
l’Union Syndicale des Magistrats (USM)
et le Syndicat de la Magistrature (SM),
sont des structures qui interviennent
essentiellement dans le domaine
politique. Cette situation est malsaine.
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