Vu du Droit
Pandémie et carences de l’État :
les
voies judiciaires pour en demander
raison
Régis de Castelnau

Vendredi 27 mars 2020
La
responsabilité juridique personnelle des
décideurs publics est une question
essentielle. Depuis une trentaine
d’années, les lois et la jurisprudence
ont cerné les conditions dans lesquelles
élus et fonctionnaires pouvaient être
poursuivis devant les juridictions
pénales. Face à la crise
dramatique que traverse notre pays, et
devant l’évidence de la carence, de la
désinvolture et de l’irresponsabilité
qui ont caractérisé et caractérisent
toujours l’action des gouvernants et des
hauts fonctionnaires, il est
indispensable de clarifier aujourd’hui
quelles sont les voies judiciaires qui
seront ouvertes aux victimes et aux
citoyens pour demander raison.
Beaucoup
d’initiatives ont lieu actuellement,
Atlantico m’a demandé d’essayer de
clarifier un peu afin d’éviter la
confusion.
On pourra retrouver l’interview
directement sur leur site.
Sans utiliser
d’argument d’autorité, je vais
simplement rappeler que cette matière a
fait partie de mon cœur de compétence
professionnelle. Nourrie d’une pratique
trentenaire assidue, de la rédaction de
plusieurs ouvrages et d’un enseignement
à l’université de Paris II.
Atlantico.fr :
« L’heure n’est pas à la polémique »
et pourtant plusieurs procédures pénales
ont dores et déjà été lancées contre le
gouvernement. En cause, sa mauvaise
gestion de l’épidémie de coronavirus.
Une accusation qui, si elle planait
déjà, a été aggravée par les révélations
d’Agnès Buzyn la semaine dernière. Alors
que l’épidémie de coronavirus perdure,
un certain de nombre de plaintes – 5
d’après le quotidien Le Monde – ont déjà
été envoyées à la Cour de la justice de
la République. N’est-ce pas encore trop
tôt pour demander des comptes et des
réparations ?
Régis de
Castelnau : Sur le plan judiciaire,
ces procédures lancées exclusivement
contre les ministres en saisissant la
Cour de justice de la République n’ont
aucun intérêt. Sur le plan médiatique,
et par conséquent politique elles sont
au contraire importantes et
nécessaires.
Je m’explique : la
gestion de la crise par le gouvernement
et par l’État depuis le début du mois de
janvier a été, chacun le sait bien
aujourd’hui, calamiteuse.
Les aveux pleurnichards d’Agnès Buzyn
n’en sont finalement qu’une
confirmation. Comme j’ai déjà eu
l’occasion de m’en expliquer dans vos
colonnes, le comportement de nos
dirigeants a été marqué par
l’impréparation, la désinvolture, le
cynisme, et beaucoup de leurs actes
relèvent de l’application du code pénal.
Homicides par négligences, mise en
danger délibéré de la vie d’autrui,
non-assistance à personne en danger,
détournement de biens (disparition des
stocks de masques et de chloroquine)
nous avons affaire à un véritable
florilège. Mais il faut bien comprendre
que ce sont toutes les chaînes de
commandement de l’État qui sont
impliquées. Il n’y a pas que les
ministres, Jérôme Salomon par exemple
est un haut fonctionnaire. Or saisir
directement la Cour de Justice ce n’est
viser que les ministres puisque cette
juridiction est justement prévue pour
les juger eux. Le directeur général de
la santé relève quant à lui des
tribunaux ordinaires. Le processus
normal serait de saisir directement les
parquets qui alors demanderaient
l’ouverture d’informations judiciaires
et la désignation de juges
d’instruction. Si dans le cours de
celle-ci apparaissent des faits
susceptibles d’être reproché aux
ministres, cette partie du dossier
serait alors transmise à la Cour de
Justice. Il y a un autre problème celui
de la recevabilité des plaintes déposées
en général. Si j’ai bien compris par des
organisations syndicales ou associatives
qui à mon sens n’ont pas d’intérêt pour
agir en se constituant partie civile.
L’article 2 du code de procédure pénale est
très clair :
«L’action civile
en réparation du dommage causé par un
crime, un délit ou une contravention
appartient à tous ceux qui ont
personnellement souffert du dommage
directement causé par l’infraction.
»
Ce sont donc bien
les victimes ou leurs proches qui
devront déposer les plaintes le moment
venu. C’est-à-dire quand la justice sera
en capacité de les recevoir et de les
traiter.
En revanche je peux
comprendre les démarches actuelles dont
les médias se font l’écho. Il me semble
que les principaux objectifs sont
d’abord d’appeler l’attention des
Français sur la responsabilité de ces
politiques et fonctionnaires claquemurés
dans leur sentiment d’impunité. Ensuite
de faire peser sur les épaules de cette
caste, le poids de ses responsabilités
qu’elle exerce normalement au nom de la
nation et pas au service de leur petite
carrière.
Et l’argument selon
lequel il conviendrait d’attendre la fin
de la crise pour faire les comptes, pour
favoriser l’union nationale est une
imposture. C’est au contraire le moment
de dire à ceux qui nous gouvernent que
nous les regardons, que nous allons
faire notre devoir, mais que nous leur
demanderons des comptes sur la façon
dont ils ont rempli le leur. Et que dans
l’appréciation, le fait qu’ils se soient
ressaisis pourra être porté à leur
crédit.
Donc les procédures
pénales actuelles n’ont pas d’utilité
judiciaire, mais elles sont un signal
politique fort. Nous n’oublierons rien.
En revanche les procédures
administratives qui fleurissent ces
temps-ci devant Conseil d’État
ont-elles, utilité immédiate. En effet
il est possible de demander à la haute
juridiction de délivrer des injonctions
au pouvoir gouvernemental afin qu’il
prenne enfin les mesures qu’impose la
situation.
Une fois le gros
de l’épidémie derrière, il apparaît
clair que le gouvernement devra rendre
des comptes. Quels hauts responsables de
l’Etat risquent d’être mis en cause et
par le biais de quelles procédures ?
Régis de
Castelnau : Comme je viens de vous
le dire, il y aura deux sortes de mis en
cause susceptibles d’être poursuivi
devant les juridictions pénales.
En application du
principe de la séparation des pouvoirs,
le juge de droit commun ne peut pas
juger les ministres ayant commis des
fautes pénales dans l’exercice de leurs
fonctions. Il s’agit bien évidemment de
fautes commises dans l’exercice précis
de leurs responsabilités. Si un ministre
dans une crise de colère à son domicile
tue son conjoint à coups de revolver, il
sera bien évidemment justiciable de la
cour d’assises. En revanche si un
ministre de l’intérieur participe à la
décision de maintenir le premier tour
d’une lecture municipale et ordonne à
ses collaborateurs de l’organiser
(l’organisation du scrutin est une
compétence municipale exerçée au nom de
l’État) malgré l’évidence du risque
mortel que l’on fait courir à la
population ainsi appelée aux urnes,
cette violation grossière de l’article
221–6 du code pénal relèvera bien de la
Cour de Justice de la république. Mais,
tous les fonctionnaires de la chaîne de
commandement et tous ceux qui ont été
impliqués dans les fautes commises
pourront voir leur responsabilité pénale
recherchée devant le juge judiciaire. Et
à ce stade il convient de tordre le cou
à une légende selon laquelle obéir aux
ordres seraient exonératoire de
responsabilité pénale.
L’article 28 du statut de la fonction
publique prévoit effectivement un
devoir d’obéissance pour le
fonctionnaire, mais aussi sa
contrepartie, le devoir de
désobéissance. Celui-ci doit être
appliqué dans le cas où l’ordre donné
est manifestement illégal et de nature à
compromettre gravement un intérêt
public. La plupart des absurdités qui
parsèment la gestion par ce gouvernement
de la crise relevaient pour les
fonctionnaires qui les ont accomplis du
devoir de désobéissance. Ils devront
donc en répondre.
Seront par
conséquent exposés au moment de la
reddition pénale des comptes sur la
gestion de la pandémie, les ministres et
les hauts fonctionnaires.
Emmanuel Macron, le
décideur final est protégé par son
immunité présidentielle.
Risque-t-on, une
fois la crise passée, de se retrouver
face à un scandale qui pourrait être
comparable à celui de l’affaire du sang
contaminé ?
Régis de
Castelnau : La jurisprudence est
pleine de décisions relatives à des
gestions d’accident intervenu en matière
de sécurité civile. Mais il est clair
que la pandémie Covid19 est une
catastrophe sans précédent. Les seules
affaires qui peuvent peu ou prou s’y
rattacher sont celles de l’amiante, de
la vache folle, de l’hormone de
croissance et surtout du sang contaminé.
Dans cette dernière, il était reproché
au directeur du Centre National de
Transfusion Sanguine d’avoir continué à
distribuer du sang infecté par le virus
du sida sans qu’il ait été chauffé au
préalable, technique connue qui aurait
permis d’inactiver le virus. Michel
Garretta fut lourdement condamné par la
juridiction correctionnelle. Mais en
parallèle trois ministres dont Laurent
Fabius furent jugés par la Cour de la
justice de la République pour n’avoir
pas mis en place suffisamment à temps
une réglementation rendant obligatoire
le chauffage du sang.
C’est donc dans ce
cas de figure que nous nous retrouverons
lorsque la justice pénale se sera
emparée de la gestion de la tragédie.
Les fonctionnaires et toutes les autres
personnes impliquées dans les fautes
pénales commises pourront être
poursuivies devant le tribunal
correctionnel. Les ministres et le
premier d’entre eux Édouard Philippe,
auront à répondre de leurs actes devant
la Cour.
Quant au scandale,
compte tenu de ce que l’on sait déjà, il
sera sans commune mesure avec celui du
sang contaminé. Et ce d’autant que si
certaines infractions relèveront des
atteintes involontaires à l’intégrité
humaine, il y en a malheureusement
d’autres qui semblent se rattacher
plutôt à des comportements malhonnêtes.
Il faudra que l’on sache où sont passés
les stocks de masques, où sont passés
les stocks de chloroquine, pourquoi
l’État renoncé à faire respecter le
confinement dans certaines cités. Là on
parle de détournement de biens publics
et de mise en danger délibéré de la vie
d’autrui.
Le sommaire de Régis de Castelnau
Le dossier
Politique
Le dossier
Covid-19
Les dernières mises à jour

|