Vu du Droit
Classement sans suite pour le
financement de la campagne de Macron à
Lyon : mieux vaut en rire
Régis de Castelnau

Jeudi 23 janvier 2020 Circulez, il n’y
a rien à voir! La plainte de Stéphane
Guilland, conseiller municipal Les
Républicains, visant le financement de
la campagne présidentielle d’Emmanuel
Macron à Lyon, portait sur quatre chefs
d’accusation: «détournement de fonds
publics, abus de biens sociaux, recel de
ce délit et financement irrégulier de
campagne électorale». Elle a été
déboutée par le parquet de Lyon le
20 janvier,
classant ainsi l’affaire sans suite.
L’élu
d’opposition contestait quatre
infractions présumées: l’organisation
d’une réception électorale alors
qu’Emmanuel Macron était encore
ministre, l’implication d’un cadre payé
par la ville de Lyon dans la campagne,
la location par la métropole d’une
péniche pour une soirée de
sympathisants, ainsi que l’utilisation
par le candidat Macron de locaux
parisiens loués par la métropole
lyonnaise. En décidant de classer sans
suite cette affaire, Nicolas Jacquet,
procureur de Lyon, a ainsi estimé
qu’aucun «détournement de fonds publics
n’a été caractérisé» et que «les
infractions au code électoral évoquées
dans la plainte initiale ne sont pas
constituées».
Afin d’analyser
les enjeux de cette décision du parquet,
Sputnik a interrogé Régis de
Castelnau, avocat en droit public et
auteur du blog Vu du Droit.
Sputnik :
Comment expliquer cette décision du
parquet de classer sans suite le
financement de la campagne d’Emmanuel
Macron à Lyon ?
Régis de
Castelnau : Concernant la
décision du parquet, autorité de
poursuite sous la responsabilité du
Garde des Sceaux, et donc du pouvoir
exécutif on ne peut pour l’instant
qu’émettre des hypothèses plus ou moins
plausibles. Malheureusement, compte tenu
des dérives des parquets depuis
l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir,
et des protections judiciaires dont lui
et son équipe ont pu bénéficier, celle
d’une décision du procureur de Lyon
justifiée en fait et en droit est la
moins crédible.
Pour plusieurs
raisons, la première c’est que les
quelques informations dont on a disposé
par la presse et ce que l’on nous
informe aujourd’hui des motivations du
classement sans suite sont quand même
préoccupantes. Il y a ensuite la
chronologie de cette affaire où
l’enquête débutée avant la démission de
Gérard Collomb de son poste de ministre
prend fin à quelques semaines de
municipales ou Emmanuel Macron aura bien
besoin de Gérard Collomb. Et enfin, la
concomitance de la nomination du
procureur de la République Nicolas
Jacquet au grade de chevalier de la
Légion d’honneur quelques jours avant de
rendre ce qui ressemble quand même à un
service. Les faits eux-mêmes faisaient
apparaître quatre infractions possibles
:
D’abord
l’organisation par la Métropole de Lyon
dont Gérard Collomb est le président,
d’une réception de Monsieur Macron
ministre, alors qu’il était déjà en
campagne électorale. La mise à
disposition ensuite d’un cadre payé par
la ville au service campagne de Lrem.
Ensuite toujours la prise en charge par
la métropole des frais de location d’une
péniche pour un rassemblement de
sympathisants Lrem pendant la campagne
présidentielle. Et enfin l’utilisation
par M. Macron lui-même de locaux
parisiens loués par la métropole.
Sputnik France:
Des infractions dans le financement de
la campagne d’Emmanuel Macron à Lyon
sont-elles constituées, selon vous?
Régis de
Castelnau : La réponse du parquet
sur le premier point est vraiment
savoureuse. Il faut savoir que
l’organisation de cette réception est
probablement ce que le code électoral
appelle un « don interdit d’une personne
morale de droit public ». Il y en aurait
même d’ailleurs deux puisque Emmanuel
Macron utilisait les moyens de l’État
pour sa campagne alors qu’il était
ministre (ce qu’il a fait à de multiples
reprises) et la dépense exposée avec des
fonds publics par la mairie était elle
aussi un apport en nature. Le parquet
aurait estimé que la visite du ministre
en juin 2016 « était bien en lien
avec ses fonctions et ne constituait pas
une visite de pré-campagne même si
l’affluence à la réception qui la
concluait s’est révélée bien supérieure
à celles d’autres visites ministérielles
en raison semble-t-il de l’intérêt que
pouvait alors susciter monsieur Emmanuel
Macron. » Défense de rire !
Pour l’agent public
payé par la Métropole, mis à disposition
militante d’Emmanuel Macron, il
s’agirait là d’un « détournement de
fonds publics ». Mais d’après ce que
nous dit la presse, pour le parquet «
si le chef de cabinet de Gérard Collomb
Jean-Marie Girier a joué dès 2016 un
rôle « certain » dans la campagne
d’Emmanuel Macron, cela n’a pas été au
détriment de son travail pour Métropole,
grâce à la très grande puissance de
travail de l’intéressé ». Difficile
cette fois-ci d’éviter le fou rire.
Le sketch continue
pour la péniche destinée à recevoir des
sympathisants « si elle a bien été
réservée via un compte mail de M. Girier
à la métropole, la facture de 996 euros
a été réglée par En Marche et figure
dans ses comptes de campagne ». Fort
bien mais le problème qui se pose là est
l’existence d’une importante remise.
Accordée à qui cette remise ? À la
métropole bien évidemment puisque c’est
elle qui avait passé la commande. Le
problème réside bien là, car si accordée
à ce moment-là, à la collectivité cette
importante remise ne posait pas de
problème, en revanche toute remise à des
candidats en campagne est un financement
indirect et donc interdit. Et le montant
qui doit figurer dans le compte est bien
celui de la valeur commerciale sans
remise. Donc le fait que la petite
manipulation de Monsieur Girier
(commande par la ville et règlement de
la facture par le compte de campagne)
ait permis à Lrem de bénéficier d’une
remise constitue l’infraction pénale de
don interdit.
Enfin, les
conditions d’utilisation par En Marche
d’un local loué à Paris par la Métropole
sont assez obscures, mais il semble
qu’il y ait eu une seule utilisation
pour une rencontre confidentielle entre
les deux tours entre Emmanuel Macron et
Alain Juppé. Si c’est le cas, cette
fois-ci l’objection semble recevable. On
aurait cependant aimé avoir des
précisions sur l’utilisation prévue par
la Métropole de cet appartement parisien
dont le bail a été par la suite résilié.
Comment sont
contrôlés les comptes de campagne des
candidats à l’élection présidentielle ?
Quelles peines encourent les candidats
qui ne respectent pas la loi ?
Régis de
Castelnau : La loi de 1990 sur le
financement public de la vie politique
reposait sur trois principes. Tout
d’abord l’État prenait en charge le
financement des partis politiques et des
campagnes électorales. Ensuite les
dépenses électorales elles-mêmes pendant
les campagnes étaient limitées par des
plafonds dont le dépassement était
assorti de sanctions assez lourdes
allant de l’annulation du scrutin à
l’inéligibilité des fautifs en passant
par le non-remboursement des dépenses
par l’État. Enfin, le troisième principe
était celui du contrôle de l’activité
financière des partis politiques et des
candidats aux élections. Le contrôle des
« comptes de campagne » que
chaque candidat doit faire tenir par un
mandataire ad hoc se fait en deux temps.
Par une autorité administrative
indépendante, la Commission Nationale
des Comptes de Campagne destinataires
des comptes de tous les candidats.
D’abord par le contrôle des recettes,
les dons des personnes morales étant
interdits et ceux des particuliers
encadrés. Ensuite par la réalité des
dépenses pour que celles-ci ne soit pas
sous-évaluées dans le but d’échapper à
l’application du plafond. Les comptes
invalidés sont transmis aux juridictions
compétentes en fonction de l’élection
concernée et font alors l’objet des
sanctions spécifiques.
Mais il est
également prévu un certain nombre de
sanctions pénales pour les contrevenants
à la réglementation notamment sur les
recettes. En effet, les prohibitions de
contributions des entreprises privées
mais aussi des personnes morales de
droit public, pour éviter ce que l’on
appelle « la prime au sortant »,
peuvent entraîner des condamnations
pénales. Les dispositions sont prévues
au Chapitre VIII, dans les articles 86 à
117, du Code électoral. Elles sont assez
nombreuses et on ne va pas les énumérer
ici. Simplement rappeler que depuis la
promulgation de la loi de 1990 la
jurisprudence a précisé, toujours dans
le sens d’une plus grande sévérité, tout
ce qui relevait des infractions au code
de nature à altérer « la sincérité du
scrutin ». On mentionnera bien sûr
l’affaire Bygmalion qui devrait être
jugé cette année devant le tribunal
correctionnel de Paris. Dans ce dossier,
le compte de campagne de Nicolas Sarkozy
en 2012 avait été rejeté pour un
problème d’imputation. Le président
sortant avait profité d’un déplacement
officiel pour réaliser le soir un
meeting de campagne. Les mandataires
financiers avaient, comme cela se fait
couramment, réintégré 30 % du montant
global du déplacement pour le candidat
et 70 % pour le président c’est-à-dire
l’État. La Commission Nationale a jugé
que la bonne répartition était de 70 %
pour le candidat et 30 % pour l’État….
Résultat invalidation du compte,
non-remboursement des 11 millions
d’euros pour la campagne et amende
personnelle pour le candidat de 300 000
€… ce qui explique le fameux Sarkothon.
Cela ne surprendra
personne que le compte de campagne
d’Emmanuel Macron en 2017 n’ait provoqué
aucun froncement de sourcils à la
Commission Nationale. Ceux qui voient un
lien avec
l’augmentation de 52 % de la
rémunération de son président
quelques semaines plus tard ne sont que
de bien mauvaises langues…
Le procureur de
la République Nicolas Jacquet a ainsi
décidé de classer sans suite cette
affaire. Est-il légitime de questionner
l’indépendance des magistrats du parquet
vis-à-vis de l’exécutif ?
Régis de
Castelnau : Comme je viens de le
dire, certaines informations qui se
télescopent peuvent alimenter les
soupçons et nourrir le rejet des élites
dans les Français aujourd’hui ne sont
pas avares. Les réseaux bruissent de
l’information de la
Légion d’honneur attribuée le 1er
janvier dernier au procureur de Lyon
qui a pris trois semaines plus tard la
décision de classement sans suite. Je
pense sincèrement qu’il ne faut pas y
voir un lien direct de cause à effet. Le
zèle des parquets depuis près de trois
ans au soutien d’Emmanuel Macron, pour
poursuivre ses opposants, protéger ses
amis et déployer un zèle incroyable dans
la répression sans précédent contre le
mouvement social des gilets jaunes,
caractérise un ralliement sans état
d’âme au bloc élitaire et à celui qui en
est actuellement la tête.
En revanche vous
posez la question de l’indépendance
éventuelle des parquets vis-à-vis de
l’exécutif. Je suis personnellement
complètement opposé à cette mesure, car
si les juges du siège doivent être
impartiaux, leur indépendance étant un
des leviers de leur impartialité, les
procureurs qui ont l’énorme pouvoir de
l’autorité de poursuite doivent dépendre
de l’exécutif démocratiquement mis en
place. Sinon, si les poursuites relèvent
de la seule intention d’un magistrat,
c’est la porte ouverte à l’arbitraire.
En revanche, ce qui
est souhaitable c’est la séparation
radicale entre les juges du siège et les
membres du parquet. Il n’est pas normal
que les procureurs soient aussi des
magistrats et qui peuvent facilement
passer de l’accusation au siège par des
séries d’allers-retours que je trouve
facheux.
Mais ceci est un
débat auquel le corps n’est pas encore
prêt.
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