Vu du Droit
L’injonction du CSA à Canal+ :
défendre
d’abord le profit
Régis de Castelnau
Dimanche 22 mars 2020 Le Conseil
Supérieur de l’Audiovisuel est une haute
autorité administrative indépendante
chargée de réguler le paysage
audiovisuel français. Dans le souci de
permettre aux citoyens confinés
d’accéder à ses programmes, la chaîne
payante a décidé de les diffuser pendant
la durée du confinement. Immédiatement
les mastodontes concurrents ont poussé
des cris d’orfraie et hurlé à la
concurrence déloyale. Faisant du
principe européiste de « concurrence
libre et non faussée » un droit de
l’Homme supérieur à tous les autres. Et
naturellement le CSA présidé par un ami
d’Emmanuel Macron choisi par lui s’est
couché et a
fait injonction à Canal+ de remballer
son petit cadeau. Le business
d’abord, pour ces gens-là, le moral des
actionnaires est autrement important que
celui des petites gens confinées.
Atlantico m’a demandé mon avis.
Atlantico : Le
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a
indiqué que Canal + doit cesser le 31
mars son passage intégral en clair,
décidé alors que les Français sont
confinés chez eux. Cet arrêt total de la
gratuité du groupe Canal + est-il
justifié alors que l’on peut d’avance
prévoir un report de la fin du
confinement ? Pourquoi le CSA a-t-il
pris cette décision ?
Régis de
Castelnau : Cette affaire est
complètement consternante. Canal+ a pris
une initiative qui certes ne lui coûtait
pas cher et pouvait constituer un
argument commercial et une incitation,
pour ceux qui y auraient pris goût, à
s’abonner dans le monde d’après. Mais
qu’on le veuille ou non, il s’agissait
d’un geste de solidarité avec les
confinés, au moment où justement les
gens ont besoin de se sentir impliqué.
Si un groupe comme Canal faisait cet
effort, cela ne pouvait être que
positif. Et pensons à ceux qui sont
enfermés.
L’intervention
autoritaire du CSA est de ce point de
vue calamiteuse. Il s’est agi de faire
plaisir aux grandes chaînes hertziennes
qui disposent d’un monopole et sont
contrariés par l’initiative de Canal
présentée comme une « atteinte à la
concurrence et à la réglementation ». Au
moment où l’ensemble du pays est
confronté à une épreuve considérable, où
l’on demande aux citoyens un engagement
rigoureux, voilà que les mastodontes
ergotent, pleurnichent et se battent
pour leurs petits sous. « Vous comprenez
cela va fausser la concurrence et la
chronologie de diffusion des films ». En
ces temps où l’union européenne fait la
démonstration de son inutilité par son
incapacité à organiser la solidarité, au
moment où tous les gouvernements
renoncent à l’application des traités
concernant les règles budgétaires, les
interdictions d’intervention économique
et les nationalisations, voilà que TF1
et la bande qui le suit invoque le
principe de « concurrence libre et non
faussée » ! Alors même que tous les
gouvernements sont en train de le
balancer par-dessus les moulins.
Le choix par le CSA
de la date du 31 mars est d’une
hypocrisie totale. Cette façon de
s’aligner sur la première date de fin du
confinement, alors que l’on sait
parfaitement que celui-ci sera prolongé
témoigne bien du refus de prendre en
compte la période que vit notre pays.
Alors pendant qu’on demande des efforts
au personnel soignant d’abnégation
admirable, à tous les autres qui font
tourner la machine France et aux
citoyens de s’incarcérer chez eux, les
grandes sociétés capitalistes rappellent
que leur premier impératif à elles,
c’est de préserver leurs profits. Est-il
possible de mieux témoigner de sa
cupidité de son égoïsme ?
Que risquait
Canal+ en prolongeant la gratuité de
toutes ses chaînes jusqu’au 15 avril ?
Régis de
Castelnau : Le CSA est ce que l’on
appelle une autorité administrative
indépendante. C’est-à-dire qu’il a des
pouvoirs réglementaires que lui a
confiés l’État. Il contrôle le
fonctionnement du secteur audiovisuel,
dispose de compétences d’injonctions
mais également de sanctions financières.
Si Canal+ ne respectait pas la jonction
de cesser sa diffusion en clair après le
31 mars, il serait alors susceptible de
se voir infliger de lourdes amendes.
Mais il faut
rappeler que toutes les décisions
rendues par le CSA, sont sous le
contrôle de la juridiction
administrative. Le Conseil d’État aurait
donc le pouvoir d’annuler à la fois
cette injonction et les amendes
infligées pour le son non- respect. Nous
vivons une période exceptionnelle, où il
serait tout à fait possible de
considérer que juridiquement pendant le
temps du confinement, ces normes du
droit de la concurrence peuvent être
écartées.
Je crois que Canal+
(auquel je suis personnellement abonné…)
serait bien inspiré de refuser cette
injonction, de saisir le conseil d’État
en référé pour en obtenir la suspension
puis l’annulation.
Comment peut-on
demander tous ces efforts à tous les
citoyens et en dispenser le monde de
l’argent aux commandes de ces chaînes ?
Le CSA,
rappelons-le, régule le secteur
audiovisuel au nom de l’Etat mais sans
dépendre du Gouvernement. Pensez-vous
que le Conseil ait tout de même pu
recevoir des consignes ? Le CSA est-il
finalement un bon représentant de ce que
veulent les Français ?
Régis de
Castelnau : Il faut être sérieux, il
est évident que la décision émane
directement du pouvoir. L’indépendance
de cette « haute autorité » pourtant
organisée par la loi est un leurre. Les
gens qui la dirigent appartiennent à la
caste de la haute fonction publique qui
est également actuellement aux commandes
de l’État, et c’est comme cela depuis
longtemps. L’énarque Roch-Olivier
Maistre, l’actuel président choisi en
février 2019 par Emmanuel Macron est un
proche de celui-ci et non seulement n’a
rien à lui refuser mais chacun sait
qu’il est essentiellement une courroie
de transmission du nouveau pouvoir. Son
prédécesseur était un autre énarque haut
fonctionnaire et socialiste bon teint,
Olivier Schrameck choisi par François
Hollande et dont la longue carrière
précédente s’était essentiellement
déroulée dans la sphère publique dès
lors qu’elle était dirigée par le PS.
Alors
l’intervention du CSA a bien évidemment
une origine directement politique,
prétendre le contraire surtout en cette
période ne serait pas sérieux. Dans le
conflit qui opposait Vincent Bolloré et
Martin Bouygues, Emmanuel Macron a
arbitré contre Bolloré. Mais surtout
contre l’intérêt des citoyens confinés,
il a choisi l’argent. Cela jette un
éclairage particulier sur les discours
qui nous disent que le « jour d’après »
ne sera pas un retour au « jour d’avant
».
Le choix du CSA
a provoqué la colère de nombreux
internautes, contents d’avoir accès
gratuitement aux programmes -films et
séries- proposés par la chaîne
habituellement cryptée. Un hashtag,
« #BoycottTF1 », a été lancé sur Twitter
suite à cette annonce et est arrivé dans
le top 3 des sujets les plus discutés
sur le réseau social. Qu’en
pensez-vous ? Le CSA est-il finalement
un bon représentant de ce que souhaitent
véritablement les Français ?
Régis de
Castelnau : Je pense que c’est une
preuve de plus du fait que les notions
d’intérêt général, d’intérêt des
citoyens, d’intérêt du pays n’entrent
guère dans les décisions de ce type.
L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir,
nous a bien montré l’importance de cette
connivence avec les grands intérêts.
Pour répondre à
votre question, le CSA ne prend pas ses
décisions en fonction de ce que
souhaitent véritablement les Français.
Il est là pour être le gendarme du
secteur audiovisuel, et il effectue
cette mission en liaison étroite avec le
pouvoir exécutif.
Il faudrait
clairement que les téléspectateurs
tiennent compte de ce qui vient de se
passer et fasse supporter aux chaînes
hertziennes qui ont voulu qu’on les
prive de la ressource Canal+ en ces
temps difficiles. Mais malheureusement,
changer les habitudes n’est pas facile.
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