Vu du Droit
Instrumentalisation politique de la
Justice
à la Réunion : la méthode
coloniale
Régis de Castelnau

Samedi 22 février 2020
L’instrumentalisation politique de la
justice a toujours existé. Simplement,
avec le mandat de Nicolas Sarkozy qui en
fut une cible particulière, et surtout
la mise en place par François Hollande
d’un véritable dispositif avec la
création d’une véritable juridiction
d’exception que constitue l’alliance
entre le Parquet National Financier
(créé par Hollande) et le Pôle
d’instruction financier où figurent des
magistrats militants qui n’ont en
général rien à refuser au pouvoir
socialiste et à celui qui en est
aujourd’hui l’héritier Emmanuel Macron.
Lorsque celui-ci est arrivé à la
présidence, ravi de l’aubaine, il en a
peaufiné l’organisation en la complétant
avec le choix personnel qu’il fit du
procureur de Paris et la mise en coupe
réglée par Nicole Belloubet des parquets
métropolitains à l’occasion de la crise
des gilets jaunes.
Nous l’avons dit à plusieurs reprises,
l’appareil judiciaire a rallié Emmanuel
Macron et le bloc élitaire qu’il
représente. Aux côtés de la police
et des médias, il constitue le principal
outil de répression dont a besoin ce
pouvoir minoritaire. Implanté
professionnellement depuis longtemps à
l’île de la Réunion, nous avons eu
l’occasion d’en connaître la vie
politique. Aussi c’est avec stupéfaction
que nous avons pu assister à un
paroxysme d’instrumentalisation de la
justice à des fins politiques, que l’on
pourrait qualifier sans exagération de
pratiques coloniales. LREM n’est pas
implantée à la Réunion en tant que tel,
mais un certain nombre d’opportunistes
politiques ont abandonné leurs anciennes
étiquettes ou simplement brutalement
émergé afin de profiter de l’appui de
Paris. En matière de manipulation, rien
ne leur est refusé.
Quiconque en effet
consulte sur Internet la presse
réunionnaise est frappée par la
suractivité médiatique et judiciaire à
l’approche des élections municipales. La
cartographie des élus dans le
collimateur du combiné
justice-média-réseaux sociaux doit peu
de choses au hasard : elle reflète la
guerre politique, qui oppose le
président de la Région Réunion, ex-LR à
une myriade d’adversaires centristes et
encartés Les Républicains.
Un affrontement
régi par des spécificités locales, où
les étiquettes adoptées par les acteurs
ne traduisent pas forcément des options
idéologiques. Et également une
géographie particulière qui fait que la
Réunion à la fois Région et Département,
peuplée d’un million d’habitants ne
comprend que 24 communes, en général de
grande taille.
À la manœuvre,
Didier Robert, actuel président de la
Région Réunion, maître d’ouvrage de
l’immense chantier de la « Nouvelle
route du littoral ».
Ce chantier, l’un
des plus grands au monde, cristallise
les intérêts de grands groupes du BTP,
ce qui exerce une grande influence sur
la vie politique locale. Plusieurs
enquêtes judiciaires en cours, dont une
menée par le Parquet National Financier,
portent sur divers aspects de ce grand
chantier. Ces enquêtes ont valu à M.
Robert plusieurs perquisitions, mais
malgré le temps qui passe, le front est
particulièrement calme et il n’en est
rien ressorti. Manifestement le PNF
prend son temps et comme d’habitude en
fonction d’impératifs qui ne semblent
pas directement judiciaires…
Principale cible de la crise des Gilets
jaunes, M. Robert est aujourd’hui
politiquement affaibli, il a donc décidé
de se porter candidat à l’élection
municipale dans le chef-lieu,
Saint-Denis de La Réunion, tenu d’une
main de fer par le socialiste macronien
Gilbert Annette. Ce dernier a décidé de
laisser place à sa belle-fille, Ericka
Bareigts, ancienne ministre de
l’Outremer de François Hollande et élue
députée sous un label également
macronien, avant de s’en retourner au
parti socialiste. Fatale erreur ?
Pendant ce temps,
la « guerre des droites » oppose Didier
Robert à plusieurs figures de la vie
politique réunionnaise : la sénatrice
Nassimah Dindar, qui fut quinze années
durant la patronne du Conseil général et
jouit d’une grande popularité pour la
politique sociale menée par
l’institution pendant ses mandatures. On
trouve aussi Michel Fontaine, maire
gaulliste du Sud, patron de LR dans
l’île réélu dans discontinuer depuis
2001.
Autre poids-lourd,
Jean-Paul Virapoullé, maire de
Saint-André, ancien grand rival de Paul
Vergès et figure de la vie politique
réunionnaise. Il ne se représente pas
mais soutient son fils, vice-président
du Conseil départemental. Il faut aussi
mentionner Cyrille Hamilcaro, ancien
maire UDI de Saint-Louis, ainsi que
Richard Nirlo, maire de Sainte-Marie,
qui remplace Jean-Louis Lagourgue, maire
de 1990 à 2017. Il s’agit là de communes
qui comptent toutes entre 30.000 et
100.000 habitants.
Tous ces élus, qui
gravitent entre la droite et le
centre-droit, ont un point commun : ils
sont en conflit avec le Président de la
Région Réunion qui recherche activement
le soutien d’Emmanuel Macron. Et tous,
au gré de leurs relations avec M.
Robert, font l’objet de mises en cause
judiciaires et de campagnes d’opinion.
Depuis le début du mois de janvier et à
l’approche des élections municipales,
les mises en examen, perquisitions,
gardes à vue, interrogatoire et annonces
de jugements dégringolent en cadence de
manière caricaturale. Avantage, elles
fournissent une cartographie assez
précise des ennemis du Président de
Région. Ainsi, Nassimah Dindar, ciblée
par divers procès (qui se sont terminés
jusqu’à présent par des relaxes) au gré
de l’aggravation de ses relations avec
le président de la Région Réunion, se
voit mise en cause dans une énième
affaire de « prise illégale d’intérêt ».
Sa convocation est d’ores et déjà
annoncée pour le 3 avril, soit deux
semaines à peine après le second tour
des élections municipales. Ce qui chacun
le comprendra est excellent pour mener
une campagne sereine…
A Saint-André, le
président de la Région Réunion affiche
une unité de façade avec jean-Paul
Virapoullé, son grand rival. Mais tout
le monde sait qu’il apporte son soutien
à deux autres candidats. Le 6 février
dernier, un opposant politique de
Jean-Paul Virapoullé annonçait avant
tout le monde et avant même que
l’intéressé ait reçu la moindre
citation, la convocation de celui-ci
devant le Tribunal correctionnel, le 3
avril prochain ! Comme partout en France
les rôles des tribunaux sont surchargés,
mais il s’est trouvé opportunément une
date libre pour annoncer le procès
pendant la campagne électorale. Quelques
semaines auparavant, sur la même
commune, une autre cible, Eric Fruteau
également candidat, faisait l’objet
d’une garde à vue spectaculaire pour des
marchés de communication conclus par la
commune il y a une dizaine d’années !
Michel Fontaine,
maire sortant de Saint-Pierre principal
adversaire de M. Robert, a eu droit pour
sa part à un traitement médiatique
particulièrement soigné. Qui démontre le
rôle de certaines officines médiatiques
dans les stratégies judiciaires mises en
en œuvre. On se rappelle du rôle du
Canard enchaîné dans l’affaire Fillon,
cette fois-ci il s’agit de Mediapart. Au
mois d’octobre dernier, le site d’Edwy
Plenel révélait une étrange affaire de
bourrage d’urnes qui aurait eu lieu
pendant les élections européennes (!),
scrutin qui n’intéresse personne à la
Réunion. Deux personnes auraient été
filmées à leur insu plaçant 19 (!)
bulletins « Bellamy » dans une urne.
Affaire complètement rocambolesque, la
fameuse vidéo sentant le montage à plein
nez. La scène est censée avoir été
tournée en cachette, mais les bourreurs
d’urnes rigolards sont bien centrés et à
visage découvert ! Face au tintamarre
déclenché et relayé par certains médias
réunionnais avec une rapidité
exceptionnelle, et malgré le ridicule,
le parquet a brillamment annoncé
l’ouverture d’une enquête préliminaire.
Dans l’opinion d’une ville de 85 000
habitants, « l’affaire des 19 bulletins
Bellamy » a fait rire. Nouvel épisode il
y a quelques jours, histoire
d’entretenir le feu sous la marmite
Mediapart encore manifestement décidé à
« se faire » l’adversaire de l’ami de
Macron a récidivé. On apprenait dans la
presse réunionnaise que Mediapart
enquêtait sur des fraudes à l’élection
de Michel Fontaine en 2014.
Dans un questionnaire comminatoire
destiné au maire sortant, le
journaliste de Mediapart affirmait
l’existence de témoignages et de
documents établissant la falsification
de registres électoraux en faveur du
maire de Saint-Pierre, au second tour de
l’élection de 2014. Problème, Fontaine
l’a emporté au premier tour cette
année-là, il n’y a pas eu de second tour
! Tout ceci sent la manipulation
coloniale, mais hélas ne s’arrête pas
là.
A Saint-Louis,
Cyrille Hamilcaro se représente et il
part favori. Il n’a plus, les faveurs de
Didier Robert, qui soutient une
candidate plus jeune. On vient
d’apprendre son renvoi en
correctionnelle pour un fantaisiste «
exercice irrégulier de la fonction d’élu
» en 2014 (!). Il y avait en effet
urgence !
A Sainte-Marie, les
fonctionnaires territoriaux reçoivent
régulièrement des convocations pour être
entendus par les gendarmes. Des
collections de lettres anonymes arrivent
opportunément entre les mains du
procureur qui semble vouloir suivre à
chaque fois. C’est ainsi que le maire
Richard Nirlo successeur de Jean-Louis
Lagourgue et comme lui adversaire de
Didier Robert, subit une forme de
harcèlement judiciaire avec multiples
gardes à vue d’élus et de fonctionnaires
accompagnés de perquisitions dans la
presse et à chaque fois des gorges
chaudes. Le dernier rodéo ayant eu lieu
au mois de décembre dernier. Ce genre de
problème pas non plus son prédécesseur
devenu avec soulagement sénateur en
2017. Et jusqu’à présent, aucune
information judiciaire, aucune mise en
examen et cette impression désagréable
qu’il s’agit d’alimenter les polémiques
politiques.
Il est probable
qu’Emmanuel Macron ou Édouard Philippe
ne s’intéressent pas outre mesure à ce
territoire lointain. Mais ceux qui se
veulent leurs relais sur le plan local
semblent bénéficier de leur appui avec
l’importation sur ce territoire de
méthodes malheureusement activement
utilisées en métropole.
PS: Le rodéo,
c’est tout les jours…

À peine avais-je
publié cet article, que je commençais à
consulter les informations du jour pour
tomber sur celle qui fait la une de tous
les médias. Perquisition à la mairie de
Saint-Benoît, comme par hasard une de
celles qui pourraient échapper aux amis
d’Emmanuel Macron. Enquête préliminaire
commencée en août 2016 c’est-à-dire il y
a près de quatre ans. Il y avait donc
une urgence particulière à faire un raid
à trois semaines du premier tour.
Tout ceci commence
à ressembler à une farce.
Interview de
Geoffroy Géraud Legros

Afin de compléter
l’examen superficiel de cette situation,
nous avons demandé à quelqu’un qui
connaît particulièrement la situation
politique de l’île J’ai interviewé mon
ami Geoffroy Géraud-Legros, commentateur
de la vie politique réunionnaise,
journaliste, publiciste et géopoliticien
Vu Du Droit
: Il y a quelques jours, vous ironisiez
sur la concomitance entre les « affaires
» qui frappent certains politiques
réunionnais et le calendrier des
élections municipales. Vous dites
aujourd’hui que l’actualité vous donne
raison…
Geoffroy Géraud
Legros : Hier, un article paru dans
le « JIR » révélait qu’un correspondant,
pigiste de « Médiapart », colportait des
fausses informations et entendait
bâtir sur ces fausses informations un
reportage « d’investigation ». L’affaire
est intéressante et peut nous montrer le
processus par lequel se construit une
Fake News.
Le terme peut
paraître brutal, mais c’est l’exacte
vérité: jugez-en.
Voici l’affaire :
Michel Fontaine, maire LR de la 3e
commune de l’île (85.000 habitants) qui
de l’avis général, vient de réussir un
meeting de lancement d’une ampleur sans
précédent, se voit sommé par « Médiapart
» de répondre à des questions. Ces
questions portent sur des frfraudes qui,
selon le journaliste, auraient entaché
l’élection de M. Fontaine en 2014.
Passons sur l’orthographe douteuse et
les lapsus intéressants que contient ce
questionnaire partiellement reproduit
par un journal réunionnais ; allons au
fond.
Ledit pigiste écrit
donc au maire de Saint-Pierre en ces
termes : « Nous avons pour notre
part poursuivis (sic) nos recherches.
Nous avons notamment pu interroger une
ancienne assesseure qui a été aussi
interrogée par la police. Elle nous a
expliqué avoir elle-même réalisé des
fausses signatures au second tour des
municipales, à partir des listes
d’émergement (sic) qui lui avaient
remises (sic) après le premier tour par
des employés communaux ou par vos
militants. Cette personne nous a donné
une liste d’émergement (sic) annotée
après le premier tour et qui lui a été
distribuée. Aviez-vous connaissance d’un
tel procédé ? » .
Le pigiste de «
Médiapart » veut donc éclairer la fraude
qui aurait caractérisé Michel
Fontaine au second tour des élections
municipales de 2014.
Problème: il n’y a
pas eu de « deuxième tour » au scrutin
de 2014, que Michel Fontaine a remporté
dès le premier tour avec, je crois,
16.000 voix d’avance sur son adversaire,
Jean-Gaël Anda. Le tribunal
administratif a dûment validé
l’élection. On se demande bien comment
une « assesseure » aurait pu falsifier
des registres de second tour qui n’ont
jamais été utilisés, faute de scrutin.
Ni quelles signatures la mystérieuse «
assesseure » a bien pu imiter
puisque personne n’a voté.
Il y a donc deux
possibilités : soit cette « source
» , qui n’en est pas une, a
intoxiqué l’infortuné pigiste ; mais
alors, il faut se figurer que ce
journaliste d’investigation ne s’est
même pas renseigné sur l’objet de son
enquête, jusqu’à ignorer que l’élection
sur laquelle il enquêtait avait été
remportée dès le premier tour par M.
Fontaine. Il faut aussi vérifier que ce
journaliste n’a pas pris la peine de
vérifier a minima l’authenticité
des documents qu’on lui montrait. Le
prix Albert Londres n’est pas pour
demain ! J’ai peine à croire qu’un
journaliste envoyé à 10.000 kilomètres
de l’Hexagone – et le voyage n’est pas
donné- par un grand média ait pu faire
preuve de tant de légèreté.
La deuxième
possibilité c’est que cette « assesseure
» est une pure invention et n’a pas plus
existé que le « deuxième tour », les «
fausses signatures » et les « listes
d’émergement» données par de
fantomatiques « militants »…
VDD : Mais
vous dites que cela était prévisible…
GGL : Et
prévu ! J’ai effectivement écrit,
quelques jours avant cette affaire, que
plusieurs hommes et femmes
politiques, qui n’appartiennent pas à
certaine « élite du pouvoir » ,
subissent des campagnes de
dénigrement dans l’opinion et notamment
sur les réseaux sociaux, à l’approche
des élections. Dans certains cas, ces
campagnes s’appuient sur des procédures
judiciaires en cours ; on lynche sur les
réseaux sociaux, au mépris de la
présomption d’innocence.
J’ironisais en
disant que mes antennes, qui sont
longues, me grésillaient que d’autres
joyeusetés dans ce genre allaient
advenir. Et il est vrai que j’entendais,
du côté de Paris, une rumeur selon
laquelle « quelque chose allait sortir »
dans un journal de l’Hexagone. C’est que
le monde de la diaspora créole est
un petit monde et le monde du
journalisme parisien l’est aussi ; or,
j’ai quelques contacts dans ces deux
univers, que j’ai un peu fréquentés dans
une autre vie… Surtout, beaucoup de gens
parlent.
Mais en vérité,
j’étais plus sûrement informé par des
ondes courtes : dans la rue (on dit en
créole « dans le chemin ») des militants
de Jean-Gaël Anda, principal rival du
maire de Saint-Pierre (un ex-Modem
blackboulé par LREM) cornaient à qui
mieux mieux que « des dossiers allaient
sortir » , qui plus est « dans
Médiapart »…Et on indiquait aussi la
date: cette semaine. On m’a même
rapporté que l’annonce de cette parution
avait été faite au micro lors d’un
meeting. Je ne sais pas si la chose est
vraie, mais enfin, cette
publication était annoncée par ceux qui
pensent avoir un intérêt direct à de
telles « révélations ».
Celui qui entendait
faire un « coup » médiatique ne connaît
guère La Réunion.
Ici, tout le monde
parle et tout se sait ; comme on dit
chez nous, « fourmi court sous la terre,
Créole i connaît », ce qui veut dire
qu’il ne se passe rien dans l’île sans
que nous autres, Réunionnais enracinés
dans ce pays, n’en ayons connaissance.
Tous ceux qui ont voulu jouer les
Méphistophélès de mairie-annexe l’ont
appris à leurs dépens…
On note d’ailleurs
que « Médiapart » avait déjà été à
l’origine d’une « révélation » dans le
cadre des élections européennes. Comme
aujourd’hui, M. Anda avait claironné
partout, des mois à l’avance, la
parution de ces informations, qui ont
d’ailleurs fait pschitt, comme dirait
l’autre. Il serait intéressant de savoir
pourquoi, et comment, M. Anda est à
chaque fois au courant du contenu et de
la date de parution des articles qui
visent son principal adversaire…
VDD :
Pourquoi selon vous « Médiapart »
enquête-t-il sur ce qui se passe à La
Réunion ?
CGL : Je ne
sais pas si on peut appeler « enquête »
ce ratage digne d’un pied-nickelé.
Disons qu’il est d’usage, ici, de faire
intervenir la presse hexagonale quand on
ne parvient pas à mener à bien une
campagne de dénigrement dans les médias
locaux. Cette pratique est d’ailleurs
sous-tendue par un préjugé franchement
raciste, selon lequel les médias
réunionnais seraient plus « achetés », «
aux ordres » que les autres, et «
filtreraient » les informations. La
question qui se pose, c’est tout de même
celle du mécanisme par lequel un acteur
politique ou économique local parvient à
persuader un média national de venir
enquêter sur nos turpitudes supposées.
Après tout, il suffit d’aller dans les
Hauts-de-Seine pour trouver des
pratiques politiques bien plus «
exotiques » que les nôtres… Il est vrai
qu’il existe encore à La Réunion un
lectorat colonial avide de lire la
chronique des vices des indigènes ; et
il y a des faiseurs d’opinion pour
satisfaire cette demande. Bien sûr, ces
gens-là ne se voient pas comme des
colons, mais comme des philanthropes
chargés de moraliser les moeurs
insulaires corrompues, tartufferie
habituelle du colonialisme de gauche.
Mais enfin, il s’agit d’une niche.
Au-delà, on se demande qui sont les
commanditaires de tels « papiers » – car
il y a sans doute des commanditaires –
et on se pose aussi, en bonne logique,
la question de la contrepartie…
VDD : Et
avez-vous une idée de l’identité de ces
commanditaires ?
CGL: Faut-il
reposer l’éternelle question : « cui
prodest » ? On dit en créole, « c’est la
poule qui kakaye qui a pondu l’oeuf » –
je vous laisse traduire. A ce stade, je
préfère ne pas aller plus loin, eu égard
au contexte actuel. Depuis peu de temps
– deux ou trois ans à peine – La
Réunion, île marquée par la culture
orale où régnait une grande liberté de
parole, dérive vers la forme de
gouvernance autoritaire que les
Européens de l’Est nomment la «
démocrature ». Aujourd’hui, il peut être
risqué d’exprimer son opinion.
C’est l’effet de la
crispation de clans de pouvoir locaux,
et non de l’Etat central, qui doit
lutter pour ne pas perdre du terrain. Un
signe ne trompe pas : de plus en plus de
Réunionnais adoptent des pseudonymes sur
les réseaux sociaux ; non pas pour
troller, mais par peur d’être reconnus
et d’avoir des ennuis à leur travail ou
dans leur vie civique.
Bien sûr, personne
ne risque le Goulag et personne ne
disparaît la nuit : mais dans une île
exiguë et ravagée par le chômage, il est
facile de pourrir la vie à ceux qui ne
pensent pas comme il faut, d’empêcher
les gens de travailler, de susciter
mille et une tracasseries
administratives. De même, des
journalistes ont récemment dû
faire grève pour imposer à leur
rédaction la publication de « papiers »
relativement critiques envers certaines
institutions. Des institutions dites
décentralisées qui, en réalité, donnent
dans le séparatisme… A La Réunion, le
phénomène de « sécession des élites »
qui peut être constaté au niveau
global passe par un dévoiement complet
de la décentralisation et par un
accroissement du contrôle social sur la
population. Dans ce contexte, un
élu tel que Michel Fontaine, gaulliste
social affirmé et républicain « à
l’ancienne » est gênant et on veut le
dégager.
Autrefois, les
manoeuvres de ce type, qui étaient
légion, étaient menées par des
gens qui grenouillaient dans le marigot
barbouze-mercenaire. Au passage, ces
gens étaient eux-même de fameux
pied-nickelés qui ont manqué la plupart
de leurs « coups ». Aujourd’hui, tout
cela passe par le clavier et,
semble-t-il, par des gens qui affichent
des convictions tiers-mondistes. Des
barbouzes tiers-mondistes : on patauge
en pleine bouillie post-moderne…
Le plus déprimant,
c’est que dans ce processus, les
lyncheurs médiatiques ont le soutien
objectif des habituels idiots utiles: la
claque gauchiste qui crie « tous
pourris », manifeste « contre la
crruption des élus » en tapant sur des
casseroles et se retrouve tout étonnée
lorsqu’elle fait à son tour l’objet d’
« enquêtes » à charge et de lynchages
qui foulent aux pieds la présomption
d’innocence.
VDD :
Pensez-vous que ces campagnes
médiatiques auront un effet sur les
élections ?
CGL : Je ne
le crois pas. La Réunion est une île
prolétaire, marquée par un fort chômage
(25% de la population) et une forte
pauvreté – près de 40% des Réunionnais
vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Les Réunionnais votent
traditionnellement beaucoup aux
élections municipales et attendent du
concret ; les maires sont des acteurs
sociaux de premier plan. Les maires qui
durent sont proches du peuple et le
peuple les reconnaît comme tels ; les
élections se gagnent dans le
porte-à-porte et les « réunions-café »
chez l’habitant. Je ne crois pas qu’on
puisse gagner une élection dans notre
île en balançant des horreurs et des
Fake News, assis derrière un écran.
Choisir le terrain des « affaires » pour
conquérir une mairie, c’est un choix de
perdant.
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