Vu du Droit
La Justice aux petits soins pour
Hollande et Griveaux
Régis de Castelnau

Vendredi 21 février 2020 J’ai donné une
interview à Sputnik, toujours à
propos de l’instrumentalisation de la
justice dont nous avons eu une nouvelle
illustration avec la façon dont a été
traitée l’affaire Griveaux sur le plan
judiciaire. Un service public de la
justice au bord de l’effondrement, des
pans entiers de la délinquance quasiment
dépénalisés pendant que les amis du
pouvoir bénéficient de tous les soins.
Régis de
Castelnau
SPUTNIK :
Piotr Pavlenski a
été interpellé en quelques heures, son
statut de réfugié remis en cause ; le
cambrioleur de Julie Gayet s’est
retrouvé sous les verrous en trois
jours. Une efficacité loin d’être vécue
au quotidien par les Français. L’avocat
Régis de Castelnau revient au micro de
Sputnik sur cette justice à deux
vitesses.
Devant la justice,
serions-nous inégaux… au pays de
l’égalitarisme ? Piotr Pavlenski a été
arrêté le 14 février, le jour même du
retrait de Benjamin Griveaux de la
course à la mairie de Paris. Le
19 février sur France Inter, Christophe
Castaner évoquait une remise en cause du
statut de réfugié politique du
performer. L’expulsion manu militari, un
sort également réservé au jeune
cambrioleur algérien de l’appartement de
Julie Gayet, la compagne de François
Hollande, arrêté et placé en détention
trois jours seulement après les faits.
Un zèle, une réactivité, que l’on ne
constate pas dans des affaires
similaires –parfois criminelles– qui
affectent chaque jour les Français.
On remarquera
d’ailleurs que Piotr Pavlenski était
recherché pour une autre affaire, de
violences celle-ci, depuis déjà un mois
et demi, sans avoir été inquiété. Quant
au cambrioleur de la compagne de
l’ex-Président, il était « déjà connu
des services de police pour des faits de
vols », d’où son identification
rapide par ses empreintes, laissées sur
place. Un casier judiciaire qui lui
avait valu une obligation de quitter le
territoire… non exécutée.
On remarquera
également que l’appartement de Julie
Gayet a été passé au peigne fin par les
enquêteurs, contactés par l’officier de
sécurité de François Hollande, resté à
son service, et les analyses ont été
rondement menées. Lors de cambriolages,
elles peuvent se chiffrer à «
plusieurs dizaines de milliers
d’euros » en cas de recours à un
labo privé. Dans d’autres cas, comme
celui d’Élisa Pilarski, cette jeune
femme enceinte de six mois tuée par une
meute de chiens le 16 novembre dernier,
les analyses
auraient été jugées trop onéreuses,
d’après une information de France
Info.
Des cas de figure
sur lesquels nous avons interrogé Régis
de Castelnau, avocat spécialiste en
droit public, fondateur du Syndicat des
avocats de France (SAF) et animateur du
blog Vu Du Droit.
Sputnik : Est-ce
la couverture médiatique qui donne cette
impression ou aurait-on en France une
justice à deux vitesses?
Régis de
Castelnau : « La France a évidemment
une justice à plusieurs vitesses, ce
n’est pas une nouveauté, cela s’est
toujours passé comme ça. Il est clair
que le parquet, c’est-à-dire l’autorité
de poursuite soumise hiérarchiquement au
pouvoir exécutif, déploie un zèle
particulier dès lors que l’on est en
face d’affaires sensibles.
Effectivement, l’actualité récente vient
de nous donner des exemples assez
caricaturaux.
Récapitulons: dans
la fameuse affaire Mila, jeune fille
victime de harcèlement, d’injures
sexistes, homophobes et racistes et qui
avait vivement réagi en mettant en cause
la religion dont ses harceleurs se
prévalaient, on se rappelle que cette
réaction légitime avait déclenché un
incroyable lynchage à base d’injures
publiques, d’injures racistes et de
menaces de mort. Que ce soit par le
harcèlement initial ou le lynchage
postérieur aux réactions de la jeune
Mila, on était en présence de milliers
d’infractions pénales graves. La jeune
fille, quant à elle, n’avait rien à se
reprocher, puisqu’elle avait critiqué,
certes vivement, une religion, ce qui
fait partie des libertés publiques en
France. Cela n’a pas empêché le parquet,
probablement la demande du ministre de
la Justice, d’ouvrir une enquête
préliminaire contre elle. La réaction
très vive de l’opinion publique l’a
amené à battre en retraite.
En revanche, depuis
un mois, alors que les auteurs des
délits commis à l’encontre de Mila
peuvent être très facilement identifiés
grâce à leurs adresses IP, aucune
arrestation, aucune garde à vue, aucune
poursuite. Il s’agit là bien évidemment
d’une décision politique visant à
ménager la communauté musulmane.
Si l’on met cette
affaire en regard du cambriolage dont a
été victime la compagne de François
Hollande, comme des centaines de
milliers de Français par an, sans que
l’on ne retrouve jamais les coupables,
l’arrestation de l’auteur dans les trois
jours (!) relève de la caricature. Et
que dire de l’arrestation de Pavlenski,
auteur de la diffusion de la vidéo
pornographique réalisée par Benjamin
Griveaux… La violence de la réaction du
mainstream, manifestement terrifié par
ce précédent, explique cette incroyable
célérité. »
Sputnik: Une
telle différence de traitement des
affaires, suivant le statut des
victimes, a-t-elle toujours existée ou
est-ce quelque chose de relativement
récent?
Régis de
Castelnau : « Oui, évidemment, comme
je le disais, ce n’est pas une
nouveauté, cette façon d’aborder la
gestion des poursuites en fonction de
l’importance des affaires traitées, et
surtout de leur impact dans l’opinion
publique. Le problème est qu’avec
François Hollande d’abord et Emmanuel
Macron maintenant, c’est devenu un
véritable système. L’essentiel de
l’appareil judiciaire ayant rallié le
pouvoir, il suit avec docilité les
injonctions de celui-ci. Il y a
désormais trois catégories d’affaires
pénales qui font l’objet de traitement
différencié.
Tout d’abord,
lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser la
justice avec un politique, comme l’a
montré par exemple l’affaire Fillon,
dont la phase initiale fut absolument
fulgurante et uniquement motivée par
l’objectif d’écarter le candidat de la
droite de la Présidentielle et de
favoriser l’élection d’Emmanuel Macron.
Cette affaire, qui était si urgente au
printemps 2017, s’est paisiblement
endormie ensuite, pour n’être jugé que
trois ans plus tard… il est d’ailleurs
assez intéressant de constater que la
gestion des affaires pénales concernant
l’opposition comme Marine Le Pen,
Jean-Luc Mélenchon, jusqu’à Gérard
Collomb, qui s’était permis de prendre
ses distances avec Macron, que cette
gestion, donc, obéit à des agendas très
politiques. Toutes les initiatives de
procédure sont articulées avec les
échéances politiques nationales.
Ensuite, il y a la
protection des amis du pouvoir. Là, les
procédures prennent un temps fou, comme
le montre les affaires Benalla, Ferrand,
François Bayrou, Khöler, Pénicaud, Le
Roux, etc. il y a aussi les classements
sans suite “express” d’enquêtes
préliminaires de beaucoup de procédures
qui aurait pu s’avérer gênantes. On
pense en particulier à l’affaire des
faux témoignages devant la commission
sénatoriale d’enquête sur l’affaire
Benalla.
Et enfin, la
violente répression de masse du
mouvement social des Gilets jaunes et
des manifestations contre la réforme des
retraites s’est déroulée exclusivement
en choisissant les procédures dites de “comparutions
immédiates” qui permettent
d’embastiller dans l’urgence. Cette
répression est là aussi assortie d’une
mansuétude, d’une indulgence assez
invraisemblable vis-à-vis des violences
policières massives, qu’il n’est pas
possible de contester et qui n’ont pu se
développer que grâce au refus de la
justice de les poursuivre, assurant
ainsi une impunité coupable à ces
débordements. »
Sputnik: Peut-on
parler de justice politique en France?
Régis de
Castelnau : « De ce point de vue,
pour répondre à votre question précise,
on peut tout à fait dire qu’il existe en
France aujourd’hui, de façon quasi
caricaturale, une justice politique. Je
répète que cette situation est
relativement nouvelle à ce niveau et a
pris racine sous cette forme dans le
mandat de François Hollande, qui est le
grand responsable de cet état de fait.
Elle s’est poursuivie et développée avec
Emmanuel Macron, probablement ravi de
l’aubaine. »
Sputnik : Si, «selon
que vous serez puissant ou misérable,
les jugements de cour vous rendront
blancs ou noirs», constatez-vous une
dérive récente de la justice en ce
domaine?
Régis de
Castelnau : « Je dirais d’abord que,
pour ne pas encourir trop brutalement
les foudres de la justice, il ne vaut
mieux pas être un opposant politique
–quel qu’il soit– à Emmanuel Macron.
Cette présentation assez lapidaire est
malheureusement fondée.
En revanche, le
vers de Jean de La Fontaine, dans sa
fable Les animaux malades de la peste,
est beaucoup moins visible qu’avant. La
puissance et la richesse, ou l’appui des
meilleurs avocats, n’est pas une
garantie d’impunité, comme vient de le
montrer l’affaire Balkany.
Mais il existe
incontestablement une réserve de la part
des juridictions répressives vis-à-vis
de la délinquance en col blanc,
l’affaire Balkany ne devant pas être
l’arbre qui cache la forêt. »
Sputnik: Le
laxisme judiciaire, que certains
dénoncent, est-il aussi à géométrie
variable en fonction des zones
géographiques ou des milieux sociaux?
Régis de
Castelnau : « Vous posez la question
du laxisme que l’on reproche la justice
dès lors qu’il s’agit de la délinquance
dite “des quartiers”, lorsqu’on
apprend l’arrestation d’un individu
ayant 20 condamnations à son casier
judiciaire et n’ayant jamais accompli la
moindre journée de prison.
Mais il faut
rappeler que c’est d’abord une question
de moyens et clairement, l’inspection
générale des finances de Bercy
s’opposera à toute allocation de
ressources supplémentaires aux forces
policières chargé de l’ordre républicain
sur le territoire et surtout chargé de
prévenir et de lutter contre la
délinquance qui pourrit la vie des
citoyens: violence, vols, cambriolages,
agressions gratuites, toute cette
violence de tous les jours dont les
statistiques nous ont montré
l’explosion.
Face à ce manque de
moyens, tant des forces de l’ordre que
de l’appareil judiciaire, un certain
nombre de comportements on finit par
être adoptés. Il y a tout d’abord une
forme de consensus entre les forces de
police et les parquets pour laisser
impunie toute une délinquance que l’on
va qualifier de “tous les jours”,
délinquance qui a quand même un impact
considérable sur la population.
On trouve ainsi
banal qu’à diverses occasions, des
milliers de voitures, qui sont celles
des pauvres, soient incendiées. Il n’y a
jamais de recherche des auteurs (en
général bien connus des forces de
police) et une volonté de minorer le
phénomène de la part des pouvoirs
publics. Pareil pour les cambriolages,
les vols avec ou sans violence, les
agressions gratuites, etc. Il n’est pas
exagéré de dire que faute de moyens, et
par abandon des zones concernées, une
forme de délinquance a été dépénalisée
dans notre pays. Sait-on qu’il y a un
million et demi d’infractions avec
auteurs connus, mais qui ne sont pas
poursuivies ?
Je crois qu’il est
malheureusement tout à fait possible de
dire aujourd’hui qu’en France, pour
toutes les raisons que je viens
d’indiquer, la justice n’est pas la même
pour tous. »
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