Vu du Droit
Covid19, quand le Conseil d’État se fait
l’avocat
de l’incurie du système Macron
Régis de Castelnau

Lundi 20 avril 2020 Un petit
commentaire d’arrêt pour les juristes,
mais pas que.
À la demande de
la Ligue des droits de l’Homme (!) Le
Conseil d’État vient de faire une
nouvelle démonstration de son lien
organique avec le pouvoir d’Emmanuel
Macron. Non seulement il refuse de
prendre ses responsabilités et de
contrôler les actes de celui-ci, mais il
se fait l’avocat zélé de l’incurie
gouvernementale.
Nous étions déjà intervenus pour
commenter
de précédentes décisions, celle
annulant l’arrêté du maire de Sceaux
imposant le port du masque sur le
territoire de sa commune en est une
triste démonstration et dissipe
définitivement les illusions qu’avait pu
faire naître l’avis rendu sur le projet
de loi retraite.
Décidément,
c’est le préfet Lallement qui a raison,
il y a bien désormais deux camps.
Interdiction aux
maires d’imposer le port du masque
Par une décision du 17 avril 2020
avec communiqué de presse, le Conseil
d’Etat vient enfin d’accepter un
référé-liberté contre l’autorité
administrative après avoir rejeté plus
de cent référés destinés à pallier la
carence de l’Etat dans la lutte contre
le coronavirus (réutiliser les FFP2 au
lieu de les détruire, autoriser le port
du masque aux forces de l’ordre, fournir
des masques et autres matériels de
protection aux soignants, produire des
masques, fabriquer des bouteilles
d’oxygène pour respirateurs, fabriquer
de la chloroquine, dépistage dans les
Ephad, etc.).
Le juge
administratif suprême est donc intervenu
pour protéger les libertés… et lever
l’obligation du port du masque imposée
par le maire de Sceaux, grâce à une
nouvelle jurisprudence très créative. Le
référé-liberté avait été lancé par la
Ligue des droits de l’homme (et
manifestement pas du droit à la vie)
avec le soutien du Gouvernement.
On manque de
masques et en même temps on n’en manque
pas
Avant d’en venir au
fond, le Conseil d’Etat affirme que la
France souffre d’une pénurie de masques
après avoir rejeté de multiples référés
en exposant qu’il n’y avait évidemment
aucune pénurie de masques.
Le 15 avril encore,
le juge administratif rejetait sans
audience un référé tendant à la
conservation des FFP2 en vue de leur
réutilisation après stérilisation en
raison de « l’absence de carence
caractérisée des différentes autorités
administratives » dans ce domaine.
Le 17 avril, les « sages du
Palais royal » relèvent « un
contexte qui demeure très contraint » en
matière d’approvisionnement en masques
et qui « a amené à fixer des règles
nationales précises sur les conditions
d’utilisation des masques chirurgicaux
et FFP2 » afin de les réserver aux
soignants.
Dans une ordonnance
Fédération des ouvriers de la
métallurgie rendue le 18 avril et
avec communiqué de presse,
le Conseil d’Etat a rejeté la demande en
exposant : « S’agissant
enfin de la demande du syndicat de
mettre à disposition vingt masques de
protection par salarié et par semaine,
le juge des référés a rappelé la
stratégie adoptée par le gouvernement,
consistant à assurer en priorité, dans
un contexte de forte tension, la
fourniture des masques disponibles aux
établissements de santé, aux EHPAD, aux
établissements médico-sociaux, aux
services d’aide et de soins à domicile
et aux transports sanitaires ».
Certes la situation
peut évoluer d’heure en heure dans une
pandémie mais la pénurie de masques
est-elle vraiment apparue le 16
avril seulement ?
De multiples
erreurs de droit
La décision du
Conseil d’Etat résulte du cumul de
plusieurs erreurs de droit. On entend
déjà d’ici ses défenseurs
inconditionnels : le Conseil d’Etat ne
peut pas se tromper puisqu’il dit le
droit. Nous leur ferons la réponse des
gallicans au Pape : même l’évêque de
Rome peut se tromper, par exemple quand
il s’appelle Borgia.
-
Le choix du vêtement en public
est-il une liberté fondamentale ?
Comme son nom
l’indique, un référé-liberté ne peut
être admis que s’il porte atteinte à une
liberté et même à une liberté
fondamentale.
Le droit de
s’habiller exactement comme on le
souhaite est-il une liberté
fondamentale, au même titre que le droit
à la vie et à l’intégrité physique ?
Le Conseil d’Etat
l’a jugé dans ses célèbres ordonnances
relatives aux arrêtés anti-burkini mais
l’affaire Commune de Sceaux lui
aurait permis de revenir sur cette
jurisprudence erronée. Le législateur a
institué le référé-liberté pour remédier
à des atteintes sérieuses aux libertés
publiques et non pour garantir le droit
de sortir sans masque dans les lieux
publics.
2) L’atteinte
était-elle grave ?
L’article L 521-2
du Code de justice administrative limite
le référé-liberté aux atteintes graves
et manifestement illégales à une liberté
fondamentale.
Imposer le port du
masque est-il une grave atteinte aux
droits de l’homme ? L’élégance
vestimentaire est un souci louable mais
est-il si grave de ne pas pouvoir
sourire en public, surtout lors d’une
période d’assignation à résidence de la
population ?
On rejoint ici une
règle de bon sens du droit romain :
« de minimis non curat praetor », le
juge ne s’occupe pas des sujets sans
importance.
3) Y avait-il
urgence ?
Un référé-liberté
ne peut être admis qu’en cas d’urgence.
Le tribunal
administratif et le Conseil d’Etat ont
estimé que cette condition aussi était
remplie or on peut sérieusement en
douter.
De façon générale,
la liberté de sortir sans masque n’exige
pas du juge administratif qu’il statue
en quelques jours ou quelques semaines.
Le recours pouvait être traité
simplement selon le calendrier normal du
recours pour excès de pouvoir.
C’est encore plus
vrai dans le contexte particulier de la
pandémie. L’urgence est-elle réellement
d’interdire le port du masque et les
juridictions administratives, tournant
au ralenti, n’ont-elles pas des
questions autrement plus importantes à
traiter ?
4) L’atteinte
était-elle manifestement illégale ?
L’admission d’un
référé-liberté suppose aussi que
l’atteinte aux libertés fondamentales
soit « manifestement illégale ».
Comme l’illégalité
d’une mesure de police sanitaire résulte
de l’erreur commise par l’autorité
administrative, on pourrait tout à fait
considérer que le juge administratif ne
peut quasiment pas statuer en
référé-liberté dans ce domaine car la
question est trop complexe pour être
examinée dans le bref délai du référé.
La voie du contrôle limité n’est pas
forcément la bonne mais tout le monde
aurait compris que le Conseil d’Etat
refuse le « gouvernement des juges »
en refusant d’exercer son contrôle dans
ce cadre, en particulier s’il avait fait
valoir le contexte de crise.
Le juge
administratif aurait alors rejeté les
nombreux référés-libertés sans défendre
la politique du Gouvernement, en
exposant seulement qu’il n’estimait pas
disposer d’une base légale suffisante
pour s’ingérer ainsi dans l’action
administrative. Le Conseil d’Etat aurait
alors rejeté aussi le référé-liberté
contre l’arrêté imposant le port du
masque à Sceaux en considérant que la
question était trop complexe pour
retenir une erreur manifeste
d’appréciation de la part du maire.
Toutes ces raisons
auraient pu justifier le rejet du
référé-liberté mais le Conseil d’Etat
les a écartées pour rendre une
ordonnance de principe en faveur de la
politique gouvernementale, se
faisant ainsi l’avocat de l’exécutif. En
rejetant sur le fond les recours contre
les décisions des ministres en
affirmant qu’elles sont bonnes (!).
Alors qu’il aurait pu rejeter les
recours en raison des limites de leur
contrôle juridictionnel des actes de la
puissance publique, certains conseillers
d’Etat endossent ces choix, aux
conséquences meurtrières. À eux
aussi il faudra demander des comptes.
La vision
particulière des circonstances
particulières
En règle générale,
l’autorité nationale impose des mesures
de police au sens ancien, c’est-à-dire
de réglementation destinée à prévenir
des dommages, et le maire peut imposer
des mesures plus strictes (mais pas plus
laxistes) en présence de circonstances
locales particulières.
Ici, le maire de
Sceaux était apparemment parti de trois
constats qui commandaient la prudence :
l’Ile de France est la région la plus
contaminée par le coronavirus, la
densité de population de sa ville est
sensiblement supérieure à celle de
beaucoup d’autres communes et cette
population est plus âgée que la moyenne
nationale. Ces constats sont
difficilement contestables : plus il y a
de contaminés et plus ces contaminés
fréquentent de près des non-contaminés,
plus le risque de contamination est
élevé. Or le risque d’infection est plus
élevé dans une commune urbaine où de
nombreuses personnes sont déjà infectées
que dans une commune rurale où une seule
personne a été touchée.
La mortalité plus
élevée des plus âgés face au covid-19
n’est malheureusement plus à démontrer.
Le Conseil d’Etat
rejette pourtant l’argument des
circonstances particulières…
La créativité
juridique en action
Le Conseil d’Etat
ajoute une seconde condition, inventée
pour l’occasion : « l’usage par le
maire de son pouvoir de police générale
pour édicter des mesures de lutte contre
cette épidémie est subordonné à la
double condition qu’elles soient exigées
par des raisons impérieuses propres à la
commune et qu’elles ne soient pas
susceptibles de compromettre la
cohérence et l’efficacité des mesures
prises par l’Etat dans le cadre de ses
pouvoirs de police spéciale […]
l’édiction, par un maire, d’une telle
interdiction [de sortir sans masque], à
une date où l’Etat est, en raison d’un
contexte qui demeure très contraint,
amené à fixer des règles nationales
précises sur les conditions
d’utilisation des masques chirurgicaux
et FFP2 et à ne pas imposer, de manière
générale, le port d’autres types de
masques de protection, est susceptible
de nuire à la cohérence des mesures
prises, dans l’intérêt de la santé
publique, par les autorités sanitaires
compétentes. De plus, en laissant
entendre qu’une protection couvrant la
bouche et le nez peut constituer une
protection efficace, quel que soit le
procédé utilisé, l’arrêté est de nature
à induire en erreur les personnes
concernées et à introduire de la
confusion dans les messages délivrés à
la population par ces autorités ».
Motivation
absolument fabuleuse qui consiste à dire
: « même si l’État (qui le
reconnaît lui-même) a fait sur certains
points absolument n’importe quoi, il ne
faut surtout pas essayer localement de
faire mieux pour garder sa cohérence à
l’incurie criminelle ! »
Cette seconde
condition ne peut s’autoriser d’aucun
précédent et n’est pas prévue par la loi
relative à l’urgence sanitaire.
Plusieurs députés qui ont voté cette loi
ont d’ailleurs condamné cette
interprétation.
La fin du
raisonnement aurait pu être rédigée par
l’ineffable et calamiteuse Sibeth Ndiaye,
ou par les pires généraux de la guerre
de 1914-18 : les officiers ne doivent
pas faire creuser des tranchées ou
remplacer les uniformes colorés par des
vêtements de camouflage car ils laissent
entendre aux soldats que ce sont des
protections efficaces et cela induit la
confusion au sujet de la compétence de
l’état-major (on se demande bien
pourquoi).
On avait pu avoir
quelques espoirs concernant un
ressaisissement du Conseil d’État après
son avis meurtrier sur le « projet de
loi retraite » dont il avait été saisi
pour avis avant qu’il ne soit soumis au
Parlement.
Les rafales de
décisions rendues depuis le début de la
crise Covid 19 montrent qu’hélas il ne
faut pas compter sur lui pour exercer sa
mission de contrôle. Il aurait pu
considérer que cette mission
n’impliquait pas qu’il pouvait se
substituer au gouvernement mais
simplement contrôler la légalité de ses
actes. Malheureusement toutes les
motivations des décisions qui tombent
les unes derrière les autres et en
particulier celle-ci, démontrent une
volonté farouche de se faire l’avocat de
l’incurie macroniste.
Le ralliement et la
soumission des quatre grandes
institutions judiciaires de contrôle à
un pouvoir en grande partie illégitime
et à l’incompétence meurtrière
aujourd’hui avérée, restera une des
tragédies de l’aventure Macron.
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