Vu du Droit
Report des régionales :
Emmanuel Macron
un président no limit ?
Régis de Castelnau

Mardi 16 juin 2020
Hier en fin
d’après-midi
un article publié sur le site du Figaro
a provoqué nombre de réactions
politiques outrées, mais franchement, il
faut y ajouter la stupéfaction des
juristes Reproduisons en ici
le chapeau : « Lundi, le président de
la République aurait profité d’un
déjeuner avec Renaud Muselier pour lui
proposer une aide financière de l’État
en échange du soutien des Régions de
France ».
Le corps de
l’article nous donne quelques précisions
sur ce qui se serait produit et dit à
l’occasion de cette rencontre : «
Lors d’un déjeuner avec le président des
Régions de France Renaud Muselier, qui a
eu lieu lundi à l’Élysée en présence de
la ministre Jacqueline Gourault, le chef
de l’État s’est montré très clair, selon
les informations du Figaro. « Je vous
aide (financièrement) si vous m’aidez à
reporter les régionales après la
présidentielle car j’ai des opposants
politiques parmi vous », a déclaré
Emmanuel Macron, comme l’a rapporté
Renaud Muselier aux présidents de région
qu’il a eu ensuite par téléphone. « Je
ne vais pas donner de l’argent à mes
adversaires », a ajouté le président de
la République. »
Pardon ? Mais de
quoi s’agit-il ? Qu’est-ce que c’est que
ce marchandage ? Parce qu’il s’agit bien
d’un marchandage. Si l’on comprend bien,
comme l’explique d’ailleurs clairement
l’article, Emmanuel Macron pressent une
lourde défaite pour L.R.E.M. et lui-même
au mois de mars prochain à l’occasion du
renouvellement Conseils Régionaux élus
en 2015. Et cela risque de gêner sa
candidature car un certain nombre de
présidents de Région qui ont toutes
chances d’être réélus, sont
présidentiables comme Valérie Pécresse,
Xavier Bertrand ou Laurent Wauquiez qui
l’ont déjà laissé entendre. Alors le
président de la république ferait
miroiter des subventions publiques,
comme contrepartie à l’appui d’autorités
publiques que sont ces élus, à une
manipulation destinée à favoriser ses
intérêts privés de candidat à la
prochaine présidentielle. Mais enfin,
qu’est-ce que c’est que cette façon de
mettre l’argent public au service de ses
petits intérêts ? De prendre des
libertés avec le calendrier électoral
républicain pour mettre en place une
manipulation politique de boutiquier ?
Parce que
concrètement que veut Emmanuel Macron ?
Le ralliement des présidents LR (et
peut-être d’autres d’ailleurs) à une
solution de report qui passerait
nécessairement par un vote de
l’Assemblée nationale. Solution qui
serait plus facile, pense-t-il, à faire
accepter par l’opinion si elle est
soutenue par d’autres partis que LREM et
qui plus est par les chefs d’exécutif
des collectivités concernées. Et pour
arriver à ses fins, il propose de
l’argent public, c’est-à-dire qu’il
souhaite acheter cet appui en faisant
miroiter des ressources nouvelles pour
les Régions à l’occasion du plan de
relance. Emmanuel Macron aurait ajouté
dit l’article du Figaro relatant le
témoignage de Renaud Muselier « Je ne
vais pas donner de l’argent à mes
adversaires ». Mais Monsieur le
président, ce n’est pas VOTRE argent,
c’est celui des Français ! Et vos «
adversaires » comme vous dites ne sont
pas les collectivités locales, mais les
personnes privées qui en sont
actuellement les présidents et qui
pourront être vos adversaires quand
personne privée vous serez
candidat à la prochaine élection
présidentielle.
Un premier problème
juridique saute aux yeux : des fonds
publics seraient versés pour obtenir un
avantage politique personnel, ce qui est
prohibé et pénalement répréhensible.
Depuis 1995 et la loi Séguin, les dons
des personnes morales, publiques ou
privées, sont rigoureusement interdits
en matière politique.
Mais
malheureusement, il y a bien pire.
La deuxième
infraction est celle relative à ce que
l’on appelle « l’achat de votes ». Si
l’on comprend bien, Emmanuel Macron
souhaite le soutien de l’opposition LR
au scrutin qui devra nécessairement
avoir lieu au Parlement pour proroger le
mandat des Régions. On peut sérieusement
se demander si
l’article L106 du code électoral ne
trouvent pas s’appliquer qui prévoit : «
Quiconque, par des dons ou
libéralités en argent ou en nature, par
des promesses de libéralités, de
faveurs, d’emplois publics ou privés ou
d’autres avantages particuliers, faits
en vue d’influencer le vote d’un ou de
plusieurs électeurs… »
La troisième
infraction, est naturellement celle de
l’article 432–15 du code pénal
relatif au détournement de fonds
publics. Toutes les dépenses des
autorités publiques doivent être faites
pour la satisfaction d’un intérêt
général. Les subventions
conditionnelles annoncées par Emmanuel
Macron ne seraient versées que pour la
satisfaction d’un intérêt personnel
privé, celui de faciliter sa réélection.
Il a beau essayer de trouver un
habillage, celui-ci est grossier : «
Le président ouvre le débat dans
l’intérêt général. On ne peut pas
demander à ce que les régions
participent au plan de relance mais
qu’elles interrompent leur action
pendant six mois à cause de la campagne
».
Ne nous arrêtons
pas en si bon chemin, et passons
maintenant à la quatrième avec
l’article 432–11 du code pénal
relatif à la corruption et au trafic
d’influence. Il réprime le fait pour un
agent public d’accepter de l’argent, ou
tout autres avantages :
« 1° Soit pour
accomplir ou avoir accompli, pour
s’abstenir ou s’être abstenu d’accomplir
un acte de sa fonction, de sa mission ou
de son mandat ou facilité par sa
fonction, sa mission ou son mandat ;
2° Soit pour
abuser ou avoir abusé de son influence
réelle ou supposée en vue de faire
obtenir d’une autorité ou d’une
administration publique des
distinctions, des emplois, des marchés
ou toute autre décision favorable.
»
Il suffit que
l’acte soit facilité par la fonction ;
c’est le cas des présidents de région
(autrement Macron ne leur aurait rien
demandé).
Voter une loi est
un acte de la fonction ou du mandat ;
donc l’achat de votes de députés
rémunère une personne pour accomplir un
acte de la fonction ou du mandat.
Le produit de la
corruption peut être direct ou
indirect, et donc bénéficier aux
régions tenues par le parti des députés
concernés.
Sont réprimés le
corrupteur c’est-à-dire l’acheteur du
service et le corrompu fournisseur de ce
service. On ne saurait trop conseiller à
Renaud Muselier et aux présidents de
Régions ainsi sollicités de s’enfuir en
courant, eux ne disposent pas de
l’immunité présidentielle…
Ei jamais l’on
considérait que les politiques,
sollicitées par Emmanuel Macron pour
soutenir son projet de report des
élections régionales, ne l’était pas
es-qualité d’agent public, mais en tant
que personne privée, ne permettant pas
l’application du 432-11, pas
d’inquiétude, le code pénal prévoit à
tout,
avec son article 445-1.
Par conséquent pour
résumer, si l’on comprend bien, le
président de la république française
dans le souci de sa réélection en 2022,
propose des versements d’argent public
en contrepartie d’actes de soutien à une
manipulation légale destinée à favoriser
cette réélection, c’est-à-dire ses
intérêts privés.
Mais enfin,
qu’arrive-t-il à notre pays ? La semaine
dernière sur demande d’Emmanuel Macron,
la Garde des Sceaux se livrait à une
grossière violation du principe de la
séparation des pouvoirs en s’ingérant
dans une procédure en cours. Le ministre
de l’intérieur chargé de l’ordre public
et de l’application de la loi pénale,
annonçait que celle-ci serait
d’application à géométrie variable en
fonction des motivations des
délinquants. Il dispensait certaines
catégories de la population, du respect
de nombre d’interdictions constituant
autant de règles de sécurité et de
prudence prévue par la loi et le
règlement. Ce qui veut dire qu’il
encourageait
la commission de délits en annonçant
qu’il ne les poursuivrait pas ! Cette
attitude invraisemblable constituait
l’infraction d’obstruction à l’exécution
de la loi sanctionnée
par l’article 432–1 du Code pénal.
Naturellement, malgré l’évidence le
parquet de Paris n’a pas bougé.
Il ne bougera pas
non plus cette fois-ci, disposant nous
opposera-t-on d’un argument imparable,
l’immunité du président de la
république. Cela étant, on ne saurait
trop conseiller à tous ceux qui
pourraient être concernés par la mise en
œuvre de cette manipulation, de se tenir
soigneusement à l’écart. L’immunité
n’étant réservée qu’au seul Emmanuel
Macron.
C’est d’ailleurs
l’aspect le plus consternant et le plus
inquiétant de tout ceci. Nous avons sous
les yeux l’image d’un État de droit à la
dérive. Et si l’on en croit l’article du
Figaro, avec à son sommet quelqu’un qui
ne s’impose aucune limite, fait fi des
principes, du respect de la loi, et de
la dignité politique de sa fonction.
L’immunité présidentielle est une
protection du chef de l’État, pas une
commodité pour arranger ses affaires
personnelles.
Sous la direction
d’Emmanuel Macron, le monde d’après
s’annonce dangereux.
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