Vu du Droit
Affaire Traoré : le réel et le droit
contre le mythe
Régis de Castelnau
Mardi 16 juin 2020 Affaire Traoré :
L’étonnant spasme
politique qui a saisi la France sortant
du confinement nous a fait vivre ce que
l’on peut qualifier de folle semaine.
Nous avons assisté
à l’importation chez nous, des
conséquences d’un drame survenu aux
États-Unis où pour la énième fois on a
pu voir une écœurante et meurtrière
violence policière, s’abattre sur un
citoyen noir dans la ville de
Minneapolis. Huit minutes quarante-six
insupportables d’une agonie filmée
renvoyant l’Amérique à ses démons et à
son histoire. Drame qui a provoqué une
émotion mondiale frappant à des degrés
divers des pays de l’Occident les
confrontant eux aussi à leur passé, leur
présent difficile, et leurs
contradictions politiques exacerbées.
Déconsidérée par la
violence exercée par les forces de
l’ordre à l’occasion de la répression
brutale des mouvements sociaux depuis
l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir,
et par conséquent vulnérable dans une
partie de l’opinion, la police française
s’est retrouvée accusée de racisme. À
l’occasion d’une affaire survenue il y a
quatre ans semblant d’entretenir aucun
rapport avec le racisme.
On a dit dans ces colonnes la
désinvolture avec laquelle le chef de
l’État, relayé par Nicole Belloubet,
avait traité la séparation des pouvoirs
exécutif et judiciaire. Donnant ainsi
son soutien implicite à un récit porté
par une partie à une procédure
judiciaire, et jusqu’à présent plutôt
infirmée par ladite procédure. Validant
ainsi la thèse d’une bavure policière et
meurtrière commise par des gendarmes et
étouffée par des magistrats et des
experts soumis à la raison d’État.
Naturellement, gendarmes et magistrats
ont blêmi sous l’insulte. Christophe
Castaner a payé son écot à cette dérive
en validant aussi à sa façon la thèse du
collectif Adama et en faisant du concept
« d’émotion » une norme supérieure à la
constitution et à la loi !
Il y a eu aussi la
constitution d’une troupe hétéroclite
mélangeant groupes politique en mal de
discours clientéliste à l’approche du
deuxième tour des municipales,
groupuscules gauchistes tout contents de
sortir de leur coma, médias soutenant
sans réserve la diversion politique
macronienne, et les brochettes
habituelles de peoples intempestifs
toujours friands des leçons de morale
que personne ne leur a demandées. Ladite
troupe prenant sans réserve elle aussi
le parti de la thèse du « collectif
Adama ».
C’est ainsi que,
profitant des circonstances, ce
groupuscule qui entoure Assa Traoré,
sœur d’Adama, a pu prendre en main
l’agenda politique français de cette
semaine !
Quand on a la
foi, le réel est pénible.
Le problème est que
le récit dispensé par ces activistes,
entretient quand même des rapports assez
lâches avec le réel et il est nécessaire
de revenir un peu sur celui-ci car s’il
est pénible pour les croyants, il est
difficile de faire comme s’il n’existait
pas.
Surfant sur le
dévoilement de l’incontestable violence
policière qui s’est déployée d’abord
contre les gilets jaunes puis tous les
autres mouvements sociaux, on nous
oppose à propos de la mort d’Adama
Traoré un récit factuel ment et
politiquement faux.
Celui-ci, nous
dit-on, aurait été étouffé par les
gendarmes à l’occasion d’une
interpellation, motivée par la couleur
de sa peau. Nous serions donc en
présence d’un crime raciste. Qui serait
couvert par le magistrat instructeur et
les experts désignés par celui-ci au nom
de la raison d’État.
La réalité est la suivante : Adama
Traoré a fait l’objet d’une ARRESTATION
mouvementée dans le cadre d’une
procédure judiciaire et pas D’UN
CONTRÔLE D’IDENTITÉ. Il n’a pas été
arrêté par des gendarmes, dont certains
étaient eux-mêmes de couleur, parce que
noir. Mais parce qu’il était délinquant
présumé. En effet, lorsque les gendarmes
sont venus procéder à l’arrestation de
son frère Bagui poursuivi pour une très
reluisante affaire d’extorsion de fonds
sur personnes vulnérables (et pour
laquelle il a depuis été condamné),
Adama sorti de prison depuis un mois,
s’est enfui. On apprendra qu’il portait
sur lui 1700 € en espèces et une
certaine quantité de drogue, ceci
donnant à penser à une reprise d’un
trafic. Après une course-poursuite à
rebondissements, il est décédé à la
gendarmerie de Persan, et une procédure
judiciaire est en cours pour déterminer
les causes de sa mort et savoir si ce
sont des violences des forces de l’ordre
qui l’ont provoquée. Alors, comme
l’arrestation n’avait pas de motivation
raciste et en application des principes
juridiques et judiciaires, pour pouvoir
parler de violence policière raciste, il
faudrait maintenant apporter la preuve
que les gendarmes ont utilisé une
violence homicide lors de l’arrestation
et qu’ils l’ont fait en raison de la
couleur de la peau d’Adama Traoré. Pour
l’instant cette preuve n’est pas
rapportée, et semble-t-il au contraire.
C’est la raison
pour laquelle, il est quand même très
surprenant qu’Adama Traoré soit
considéré comme le martyr d’un crime
raciste, victime d’une police raciste au
service d’un État raciste. Et que dans
une partie de l’opinion, cette
présentation ne semble gêner personne.
Il y a beaucoup de gens de bonne foi
ayant basculé dans une étrange forme de
croyance. Et nombre de cyniques qui
voient là une aubaine pour faire avancer
leurs intérêts et se refaire une santé
politique en cachant les luttes sociales
par des luttes raciales qu’ils
préfèrent.
Le statut de martyr
de la cause antiraciste attribué à Adama
Traoré est factuellement injustifié. Et
par conséquent le récit de l’affaire, la
Story telling diraient les communicants,
est devenu un enjeu politique fort.
L’histoire
judiciaire de la fratrie Traoré.
Après un moment de
sidération, une partie des médias, a
réagi et
le palmarès judiciaire particulièrement
lourd d’Adama Traoré et de sa fratrie
Traoré est devenu public. Et l’image
du martyr s’en est trouvée
singulièrement écornée. Bien
évidemment le fait qu’il ait été un
délinquant d’habitude ne justifierait en
aucun cas la violence mortelle dont la
famille partie civile dit qu’il a été
l’objet.
Emmanuel Macron,
après avoir envoyé Nicole Belloubet et
Christophe Castaner se disqualifier, a
mesuré l’impact dévastateur du
dévoilement de la réalité de la famille
Traoré accompagnant les images venues du
monde anglo-saxon à base de repentance
avilissante et de destruction de
statues. Comme d’habitude il a fait du
en même temps, en donnant des gages aux
Français sur la mise en cause de leur
passé et en flattant le racialisme
victimaire par la promesse de nouveaux
textes.
Assa Traoré sœur d’Adama
quant à elle, face à ce retournement, et
sentant le danger, a décidé de lancer
une stratégie d’intimidation. Annonces
multiples et répétées, et à grand
fracas, de dépôts de plaintes contre
tous ceux qui osent informer sur les
spécificités judiciaires de Traoré et de
ses frères. Dont le moins que l’on
puisse dire est qu’elles ne sont guère
reluisantes. Jean-Jacques Bourdin,
Nicolas Poincaré, Marine Le Pen, Marion
Maréchal, Éric Zemmour et quelques
autres sont dans le collimateur Et l’on
va voir ce que l’on va voir.
La tentative
d’intimidation se fait par un glissement
qui permet de reprocher à ceux qui ont
usé de leur liberté d’expression, non
pas d’avoir menti, ce qui est impossible
compte tenu de la réalité factuelle,
mais d’avoir diffusé des informations
qu’il aurait été interdit de faire
connaître. Pas le droit de faire état
d’infractions établies et de
condamnations en cours d’exécution, pas
le droit de dévoiler le contenu de
casier judiciaire, et interdiction de
révéler l’existence de procédure pénale
en cours ! Bigre…
Alors on va se
permettre quelques observations sur la
façon dont fonctionne en France (pour
l’instant) la liberté d’expression et
voir comment cela s’applique dans le cas
qui nous occupe.
• Tout d’abord qui
peut agir ? Sûrement pas un « comité
Adama » dont on ne sait même pas s’il a
la personnalité morale et qui de toute
façon n’a juridiquement aucun intérêt
direct. Assa Traoré personne physique le
peut, dès lors qu’elle considère avoir
été elle-même injuriée ou diffamée.
• Quels peuvent
être les chefs de poursuite ? La
diffamation est l’allégation d’un fait
qui est de nature à porter atteinte à
l’honneur ou à la considération de
quelqu’un dès lors que ce fait est
mensonger. Le fait de qualifier la
famille Traoré de « famille délinquante
» ne semble vraiment pas pouvoir
justifier cette qualification. Ce
Difficile au vu des procédures et des
condamnations déjà définitives de
réfuter le terme utilisé par les
personnes qu’on dit vouloir poursuivre.
Quant à l’injure publique, au regard de
la jurisprudence cela ne tient pas non
plus. Il y a enfin l’accusation d’avoir
violé l’interdiction qui existerait de
faire état des condamnations subies par
les Traoré. Il existe effectivement une
interdiction dès lors que les peines ont
été exécutées, et que les tribunaux ont
été saisis d’une demande « de relèvement
» et de disparition des mentions au
casier judiciaire. Désolé mais il semble
bien que la honte soit assez loin du
compte.
• Dernier point, la
mise à exécution de la menace. Il
s’agirait de procédures relevant du
droit de la presse très formaliste,
assorties de délais de prescription très
courts (trois mois), et prenant en
général un temps fou. Pour aboutir à une
décision définitive (tribunal, cour
d’appel, Cour de cassation), il faut en
temps normal compter entre trois et
quatre ans. Avec une justice totalement
abîmée par le confinement on peut
facilement augmenter le délai prévisible
d’un an ou deux. Sur le plan de la
procédure elle-même, on ne voit pas très
bien l’intérêt d’Assa Traoré de voir se
dérouler des audiences au cours
desquelles toutes les affaires
judiciaires qui l’ont concerné lui et
ses frères seraient à nouveau
décortiquées. En effet, en matière de
diffamation il y a ce que l’on appelle «
l’offre de preuve », c’est-à-dire que la
personne poursuivie peut prouver la
vérité de ce qu’elle avance. Il vaudrait
mieux ne pas faire subir cela à la
mémoire du pauvre Adama Traoré et le
laisser reposer en paix.
Alors par
expérience je ne serais pas surpris que
dans les trois mois (délai de
prescription) qui viennent aucune
plainte de ce type ne soit déposée. Ou
si c’est le cas je gage qu’elles
seraient abandonnées en cours de route,
ou bien fort opportunément accompagnées
d’une erreur de procédure permettant
leur annulation dans la discrétion quand
tout le monde aura oublié. Sur le plan
statistique, des plaintes en diffamation
ou injure annoncées dans les batailles
médiatiques, il n’y en a guère que deux
sur dix au maximum, qui arrivent à
l’audience.
Le droit, c’est
compliqué, c’est comme la vie. Mais il
vaut mieux savoir de quoi on parle, et
les plaintes annoncées à grand fracas ne
sont là que pour intimider et essayer de
faire taire.
La lutte contre le
racisme, y compris dans la police, est
un combat justifié et essentiel, mais
faire de la mort d’Adama Traoré, un de
ses symboles relève de la manipulation.
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