Vu du Droit
L’ordre public à l’abandon
Régis de Castelnau

Vendredi 14 février 2020
Interview donnée au site Atlantico. Que
l’on peut retrouver directement sur leur
site.
RENONCEMENT
COUPABLE
Dissolution de
l’ordre public : le vrai procès du
siècle que les Français devraient
intenter à l’Etat.
Atlantico.fr :
Un agriculteur de la Marne, Jean-Louis
Leroux, a été mis en examen pour
tentative d’homicide involontaire après
avoir tiré sur un homme qui tentait de
lui voler du carburant dans son
exploitation. S’il a été libéré ce
jeudi, le cas de l’exploitant agricole
est un exemple type du renoncement de
l’Etat en matière d’ordre public : son
exploitation avait déjà fait l’objet
d’une quarantaine de vols et, bien qu’il
ait porté plainte une trentaine de fois,
absolument rien n’avait été fait.
Le cas de
Jean-Louis Leroux est à ajouter à une
longue liste de cas similaires. Dans la
Marne, lors d’une marche organisée en
son soutien, les agriculteurs ont
dénoncé « l’abandon des territoires
ruraux ». Quartiers perdus de la
République, campagnes… quelles sont ces
catégories de la population oubliées par
l’Etat et quels sont les délits que
l’Etat juge « si peu importants »
(exemples concrets) ?
Régis de
Castelnau : Le cas de Jean-Louis
Leroux est absolument exemplaire. Le
nombre de vols dont il avait été victime
et le nombre de plaintes qu’il avait
déposées en vain démontrent le retrait
de l’État et son impossibilité désormais
à assurerla sécurité des citoyens, ou au
moins essayer de le faire. Rappelons
qu’en France, à la différence des
États-Unis par exemple, le fait de
posséder des armes est interdit aux
particuliers et c’est un monopole de
l’État, chargé de maintenir l’ordre et
la sécurité dans la société civile. Et
c’est bien cette mission qui est la
contrepartie de cette interdiction. Le
problème est qu’aujourd’hui, et il faut
le dire nettement l’État a abandonné la
France périphérique et en particulier
les territoires ruraux à une délinquance
prédatrice qui met les habitants en rage
et peut les amener pour pallier
l’impuissance affichée de l’État à
recourir à l’autodéfense. Et il n’y a
pas beaucoup d’arguments à opposer à une
population qui ne veut pas d’une
violence incontrôlée mais qui ne
supporte plus d’être ainsi abandonnée.
Il y a des centaines d’exemples de cette
dégradation de la vie civique dans les
petites villes et dans les campagnes. La
nouveauté depuis une quinzaine d’années,
c’est l’arrivée de gangs étrangers
organisés et qui se livrent à une
véritable prédation sur les territoires
qu’ils occupent. C’est l’exemple
extraordinaire des associations
caritatives dont certains de ces groupes
ont pris le contrôle ! Les associations
Emmaus par exemple, dans l’ouest elles
sont contrôlées par des réseaux
tchétchènes qui récupèrent la partie
lucrative des dons pour mettre alimenter
les trafics dans leur pays d’origine. Ce
sont les Roms souvent mandatés par des
ferrailleurs qui récupèrent tous les
métaux possibles allant jusqu’à profaner
les cimetières pour y récupérer les
croix métalliques ou couper les fils de
téléphone pour récupérer le cuivre. Il y
a aussi chose extraordinaire, le vol de
bétail dans les champs ou carrément du
matériel agricole lourd qui prend
ensuite le chemin des Balkans. Les
compagnies d’assurances ne suivent plus,
et les gendarmes faute de moyens
n’interviennent même plus. Le pire étant
qu’en général les auteurs des forfaits
sont connus mais que dans le souci
d’éviter des troubles sociaux, les
forces de l’ordre vont se garder
d’intervenir.
La question des «
quartiers perdus de la république » est
une peu différente, la faillite du
système d’assimilation à la française, a
concentré dans les banlieues
anciennement rouges des populations dont
la majorité n’a aucune perspective
d’intégration. L’État s’est retiré de
ces territoires et la nature ayant
horreur du vide en a laissé
l’organisation à l’alliance entre la
pègre et les barbus, le tout avec des
administrations municipales qui pour se
reproduire se vautrent très souvent dans
un clientélisme qu’on n’imagine pas.
Aucune tendance politique n’est épargnée
et aujourd’hui en Seine-Saint-Denis le
parti de Christoph Lagarde en fait une
splendide démonstration.
Atlantico.fr :
Comment expliquer ce renoncement total
de l’Etat en matière d’ordre public ?
Quelles en sont les causes ? Est-ce dû à
de trop lourdes préoccupations
budgétaires où est-ce également le fait
d’une vision idéologique de la politique
pénale ou de la répression différenciée
selon les profils de délinquants ou
criminels ?
Régis de
Castelnau : C’est d’abord une
question de moyens, et clairement
l’inspection générale des finances de
Bercy s’opposera à toute allocation de
ressources supplémentaires aux forces
policières chargé de l’ordre républicain
sur le territoire et surtout chargé de
prévenir et de lutter contre la
délinquance qui pourrit la vie des
citoyens : violence, vols, cambriolages,
agressions gratuites, toute cette
violence de tous les jours dont les
statistiques nous ont montré
l’explosion.
C’est exactement la
même chose avec le service public de la
justice. Je recommande la lecture du
livre remarquable d’Olivia Dufour «Justice,
une faillite française » remarquable
diagnostic et réquisitoire contre cet
État refusant pour des raisons
budgétaires de doter la France d’une
Justice digne de ce nom. Alors, face à
ce manque de moyens, tant des forces de
l’ordre que de l’appareil judiciaire, un
certain nombre de comportements on finit
par être adoptés. Il y a tout d’abord
une forme de consensus entre les forces
de police et les parquets pour laisser
impunie toute une délinquance que l’on
va qualifier « de tous les jours »,
délinquance qui a quand même un impact
considérable sur la population. On
trouve ainsi banal qu’à diverses
occasions des milliers de voitures, qui
sont celles des pauvres, soient
incendiées. Il n’y a jamais ni recherche
des auteurs (en général bien connus des
forces de police) et une volonté de
minorer le phénomène de la part des
pouvoirs publics. Pareil pour les
cambriolages, les vols avec ou sans
violence, les agressions gratuites etc.
Il faut savoir qu’il y a en France 1
million et demi d’infractions avec
auteurs connus par an qui ne sont pas
poursuivies ! Concernant la répression
pénale deux facteurs rendent celle-ci
impuissante. Tout d’abord énormément de
décisions ne reçoivent aucune exécution,
faute de moyens, c’est-à-dire de
magistrats chargés de les prendre en
charge, et de moyens techniques (nombre
de places de prison, éducateurs, juges
de l’application des peines), ce qui
fait que des gens ayant parfois jusqu’à
20 condamnations sur leurs casiers
judiciaires n’ont jamais fait une minute
de détention. La valeur dissuasive de
cette répression n’existe pas. Mais il y
a aussi une part d’idéologie, ou
évidemment la culture de l’excuse est
très prégnante et aboutit à un « à quoi
bon » tout à fait démobilisateur. Il y a
une perception justifiée que la
répression s’abat sur des populations
déjà défavorisées ou marginales, alors
beaucoup pensent que ce n’est pas la
peine d’en rajouter. Paradoxalement,
l’incroyable répression dont ont été
l’objet les gilets jaunes et le
mouvement social le démontre aussi. Dès
lors qu’ils se sont trouvés en face des
couches populaires et non plus des
populations marginales, des magistrats
ont eu la main particulièrement lourde.
Ce qui démontre que le « laxisme » qui
existe lorsqu’on examine les
conséquences de la répression n’est pas
une fatalité, mais relève bien un choix
politique.En tout cas, il n’est pas
excessif de dire que cette délinquance a
été aujourd’hui en partie dépénalisée.
Ce qui pour les « honnêtes gens » est
quelque chose d’insupportable quand ils
y sont confrontés. Il y a également un
domaine où les magistrats ont la main
particulièrement lourde comme le
démontre l’affaire Leroux. Terrorisé par
les risques de basculement dans
l’autodéfense et la violence arbitraire
qui l’accompagnerait, les tribunaux
condamnent lourdement toutes les
velléités de légitime défense. Suscitant
d’ailleurs une incompréhension et une
rage de très mauvais augure.
Atlantico.fr :
Comment remédier à cette situation ?
Comment éviter que l’ordre public ne se
dissolve davantage ?
Régis de
Castelnau : Je pourrais vous
répondre lapidairement, « en
débarrassant la France de ce
gouvernement et de ce président qui
n’ont qu’une obsession : démanteler les
services publics y compris des grands
services publics administratifs
régaliens que sont la police et la
Justice ». Lorsque l’on voit les
réformes d’organisation et de procédure
judiciaires adoptées au printemps
dernier, la volonté d’Emmanuel Macron
apparaît clairement. Rendre plus
difficile, plus compliqué, plus cher
l’accès à la justice en espérant tarir
la source des contentieux. C’est
exactement ce qui s’est passé avec les
ordonnances travail où le recours aux
prud’hommes a été à ce point compliqué,
que le nombre d’affaires dont ces
juridictions sont saisies s’est
complètement effondré.
Donc pour remédier
à la situation décrite, et revenir à un
ordre républicain qui n’est plus
aujourd’hui assuré, il n’y a qu’une
solution : redonner à la police et à la
justice les moyens d’exercer leurs
missions.
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