Vu du Droit
À la Réunion aussi, la politique par
juge interposé
Régis de Castelnau

Vendredi 13 mars 2020
Ayant eu la chance
de passer le mois de février à la
Réunion, j’avais été assez stupéfait du
niveau d’instrumentalisation politique
de la justice à l’approche des élections
municipales.
Je m’en étais ouvert dans un article où,
consterné je constatais que la situation
était pire qu’en métropole où le
problème est déjà pourtant très
préoccupant.
Il apparaît bien
que le corps de la magistrature a rallié
le pouvoir d’Emmanuel Macron et soutient
le projet autoritaire de celui-ci.
Le récent procès de François Fillon
venant clôturer le raid judiciaire de
2017 destiné à fausser l’élection
présidentielle et amener Emmanuel Macron
à la présidence, quelques opportunes
enquêtes préliminaires ne visant que des
adversaires politiques du chef de l’État
candidat aux municipales ont émaillé les
derniers jours. Tout ceci se déroulant
avec une étonnante absence de scrupules.
Force est de
constater que de ce point de vue,
l’éloignement de la métropole permet de
pousser ces logiques jusqu’à la
caricature.
De quoi s’agit-il
cette semaine ?
La procureure du
TGI de Saint-Pierre, l’un des deux
tribunaux judiciaires de l’île, a le
sens de l’urgence. Alors que le
TGI tourne au ralenti – conséquence
d’une grève très suivie des avocats -,
alors que la perspective d’une fusion
des tribunaux de Saint-Denis et de
Saint-Pierre hypothèque les affaires en
cours, il était urgent d’intervenir dans
la municipale de la ville de
Sainte-Pierre, 85.000 habitants.
Ainsi, le 11 mars,
trois personnes, dont une colistière du
maire LR sortant, donné largement
favori, ont été placées en garde à vue.
Le lendemain, aux environs de 20 heures,
la procureure signifiait la garde à vue
de la colistière précitée. Dix minutes
plus tard, un article très complet
relatant l’affaire paraissait sur un
site en ligne.
Objet de «
l’affaire » : 17 bulletins de vote au
nom de François-Xavier Bellamy qui
aurait « bourré » urne lors des
élections européennes du mois de mai
2019.
Peut-être une
dizaine d’autres, dans un autre bureau
de vote. Des faits relativement
fréquents à La Réunion : lors des
européennes du mois de mai 2014,
quelques bulletins favorables au
candidat de la France insoumise avaient
été glissés dans une urne, cette fois
dans le nord de l’île. L’affaire n’avait
pas donné lieu à un grand vacarme, et
pour cause : c’est un scénario très
marginal, et folklorique dans l’île, qui
voit quelques militants un peu zélés «
aider » leurs candidats lors des
scrutins désertés par les électeurs. En
l’occurrence, c’était même un peu
ridicule les élections européennes, à la
Réunion comme ailleurs, n’ayant pas
intéressé grand monde. Et en tout cas,
cette soi-disant « fraude » n’avait
aucune espèce d’incidence sur le
résultat final.
C’était il y a près
d’un an, mais il semble que certains ont
trouvé là un excellent prétexte pour
instrumentaliser la justice au profit
des amis de Monsieur Macron. Comme
d’habitude on a retrouvé à la manœuvre
le média d’Edwy Plenel Médiapart qui a
annoncé ce scandale planétaire, l’un de
ses journalistes annonçant qu’en plus il
détenait des « documents » prouvant une
tricherie du maire de Saint-Pierre lors
du « second tour des municipales de 2014
». Problème : il n’y a pas eu de second
tour en 2014 et il n’y a donc pas de «
documents ». Malgré ce bide aux allures
de fake news, et le caractère dérisoire
de tout ceci, l’« affaire » des
bulletins Bellamy a semble-t-il été
considéré comme une aubaine dans les
couloirs du Tribunal de Saint-Pierre. Et
comme d’habitude au rythme d’un
feuilleton bien scandé, les mises en
garde à vue et mises en examen tombent à
des moments décisifs.
A chaque fois qu’un
meeting géant ou qu’un évènement
médiatique marque l’avance du maire
sortant, la justice « dégaine » un
épisode de la télénovella des 19
bulletins. Immédiatement, la presse est
informée et le nom de celles et ceux qui
sont entendus jetés aux chiens de la
vindicte populaire. L’institution
judiciaire ne craignant pas de qualifier
en amont les faits comme « toujours en
cours d’investigation »…
Et c’est comme cela
que dans un communiqué Mme la Procureure
sans aucune intention politique
évidemment, a relevé « l’importance du
processus de fraude ». Il est vrai
qu’une vingtaine de bulletins, si tant
est que l’infraction soit établie c’est
de nature à détruire la république…
Surtout dans une élection où il n’y a
pas eu la moindre campagne et 75 % des
Réunionnais ne se sont pas déplacés.
Comme je l’ai constaté lors de mon
séjour à La Réunion, les convocations,
mises en garde à vue, mises en examen
pleuvent sur les acteurs politiques
locaux depuis le début de la
pré-campagne. La justice est devenue un
acteur de la vie politique électorale.
Délibérément ?
Parce qu’évidemment
la pluie ne tombe pas au hasard : elle
ne mouille que les adversaires du
Président de la Région Réunion, lui-même
candidat LREM sous faux drapeau comme
tant d’autres marchistes en métropole.
Les mauvaises langues prétendre que la
perspective d’une victoire dans les
urnes de ses opposants de droite ou de
gauche, dans une île qui ne compte que
des grandes communes, contrarie sa
volonté de garder son siège aux
régionales de 2021. Contrariété partagée
par les magistrats ?
Que ce soit en
métropole ou à la Réunion, nourrir ainsi
ce soupçon de politisation qui pèse sur
l’institution judiciaire est une
mauvaise action.
Le sommaire de Régis de Castelnau
Le dossier
Politique
Les dernières mises à jour

|