Vu du Droit
Affaire Traoré : Macron et Belloubet
bafouent la séparation des pouvoirs et
humilient police et justice
Régis de Castelnau

Jeudi 11 juin 2020 La séparation
des pouvoirs, pour quoi faire ?
On peut supposer
que règne une saine ambiance au sein des
organisations syndicales de policiers,
de gendarmes et de magistrats. La
séquence qui vient de se dérouler sur
fond d’emballement mondial après la mort
de Georges Floyd relayée chez nous par
les manifestations autour du cas d’Adama
Traoré, est une sacrée leçon pour ces
gens-là.
Le président de la
république vient de tranquillement
demander à son Garde des Sceaux de bien
vouloir « se pencher » (!) sur un
dossier actuellement à l’instruction,
c’est-à-dire entre les mains de
magistrats du siège normalement
indépendants et impartiaux. Celle-ci a
immédiatement obtempéré à l’ordre
jupitérien, et a poliment demandé
audience à la famille d’Adama Traoré
offrant même ses propres bureaux de la
place Vendôme pour la rencontre.
Habilement Yassine Bouzrou leur avocat,
n’a pas laissé passer l’occasion
d’humilier la Ministre de la justice en
la rappelant aux convenances
républicaines, c’est-à-dire le respect
de la séparation des pouvoirs. Était-il
possible de descendre plus bas, en se
discréditant à ce point ? Enfoncé
François Hollande ferraillant avec
Leonarda !
Un zèle bien mal
payé
Cet ordre, donné à
la Garde des Sceaux par le président de
la république et immédiatement exécuté,
outre son caractère inconstitutionnel et
illégal, a également une signification
très claire à la fois pour les forces de
l’ordre de notre pays, mais aussi pour
la magistrature. Voilà deux corps, qui
ont fourni sans désemparer au système
Macron les moyens de la mise en œuvre
brutale d’une politique dont les
Français ne veulent pas. Sous la
baguette de
Christophe Castaner et pour Paris de
Didier Lallement, une violence
policière stupéfiante par son intensité
s’est déployée pendant toutes les crises
sociales. Les gilets jaunes, les
pompiers, les personnels soignants, les
ouvriers, les syndicalistes ont payé
dans leur chair ces débordements
policiers sans précédent depuis la
guerre d’Algérie. Les magistrats ont
joué leur propre partition répressive de
deux façons : tout d’abord en prononçant
près de 6000 condamnations dont 1500
peines de prison ferme ! Ensuite en
refusant quasi systématiquement, et
notamment par le comportement des
parquets,
de contrôler et de sanctionner les
violences policières dont ils sont
pourtant les gardiens de la mesure et de
la légalité. Indispensable à ce pouvoir
minoritaire et impopulaire, police et
justice ne lui ont, à aucun moment
manqué. On ajoutera les excès des forces
de l’ordre déployant également sans
problème un zèle répressif trop souvent
arbitraire pendant le confinement,
puisque nous sommes arrivés à plus d’un
million de procès-verbaux et d’amendes
contre par exemple 9000 pour la
Grande-Bretagne dans la même période.
Et voilà que par
leurs attitudes les gens du pouvoir
valident les accusations portées à
l’encontre des gendarmes ayant procédé à
l’arrestation d’Adama Traoré qualifiés
de racistes meurtriers, mais aussi
celles portées à l’encontre des
magistrats du siège, par conséquent
statutairement indépendants, qui
instruisent le dossier. Considérés comme
soumis à la raison d’État. Ce n’est pas
dit explicitement mais excusez-nous
c’est tout comme.
Alors amis
policiers et magistrats, contents ?
Ce dévouement sans
faille dont vous avez fait preuve
vis-à-vis d’Emmanuel Macron depuis son
arrivée au pouvoir n’est guère payé de
retour. Il témoigne de la considération
qu’il vous porte, de son mépris, de
l’ingratitude et la désinvolture
habituelles pour ceux qui l’ont servi.
C’était bien la peine de perdre votre
honneur, en oubliant le service du
peuple au profit de celui d’un pouvoir
minoritaire. D’altérer profondément la
confiance que les couches populaires
doivent avoir dans leur police et leur
Justice, institutions essentielles de la
république.
C’est qu’en fait
Emmanuel Macron n’en est pas son coup
d’essai et ce n’est pas la première fois
qu’il s’assoit sur les principes dont
jusqu’à nouvel ordre il devrait être le
garant. Il s’était passé exactement la
même chose dans l’affaire Sarah Halimi,
malheureuse médecin en retraite
assassinée dans des conditions atroces
par un homme sous emprise de cannabis.
Affaire dont la dimension antisémite
était évidente qui avait provoqué une
vive émotion dans la communauté juive.
Lors de l’instruction, les magistrats
qui ont été chargés ont saisi pas moins
de sept experts psychiatres dont six ont
conclu à l’abolition du discernement du
criminel c’est-à-dire l’état de démence
au moment des faits rendant celui-ci
irresponsable. De furieuses polémiques
ont eu lieu, magistrats et experts étant
accusés d’antisémitisme, pétitions,
manifestations, incendies sur les
réseaux etc. etc. Tout cela redoublant,
quand après débats et réquisitions
conformes du parquet, la chambre de
l’instruction saisie a confirmé
l’ordonnance de non-lieu. Tentative
classique de faire sortir la justice de
son lieu naturel le prétoire au profit
de la rue.
Eh bien cette
affaire, en violation du principe de
séparation des pouvoirs Emmanuel Macron
s’est ingéré deux fois dans le processus
régulier du procès pénal.
Une première fois le 16 juillet 2017
lors de la cérémonie commémorative de la
rafle du Vel’d’hiv, où il demande que la
justice reconnaisse le caractère
antisémite du crime.
Il récidive depuis Jérusalem début
2020 par un appel transparent à une
cassation de l’arrêt de la cour !
Quand Macron
valide le récit de la famille Traoré
Aussi, il n’y a pas
lieu d’être surpris de cette nouvelle
violation de ses obligations
constitutionnelles. Une fois de plus, il
reprend à son compte un récit, pourtant
largement sujet à caution. L’affaire
Traoré qui date de 2016, se combine
aujourd’hui avec l’émotion mondiale liée
à la mort de Georges Floyd, victime de
violences policières aux États-Unis. Le
racisme est présenté comme le moteur et
la raison de ces deux disparitions,
qualification qu’il faut regarder de
plus près. Le 19 juillet 2016, Adama
Traoré, décède à la gendarmerie de
Persan à la suite d’une arrestation
extrêmement mouvementée. Celle-ci avait
pour origine non pas un contrôle
d’identité, mais la volonté
d’interpeller le frère d’Adama, Bagui au
casier judiciaire garni, poursuivi cette
fois-ci pour extorsion de fonds avec
violence sur personnes vulnérables (il
sera pour cela condamné à une peine de
30 mois de prison ferme). À la suite de
ce décès, une information judiciaire
contradictoire est ouverte. L’affaire
suscite une grande émotion, un certain
nombre d’organisations s’en emparent et
mettant en avant la sœur jumelle d’Adama
Traoré énergique et talentueuse, qui
devient porteuse d’un combat contre les
violences policières dans les «
quartiers ». Il n’est pas question ici
de détailler toutes les péripéties
procédurales de ce dossier, mais de
rappeler simplement deux évidences :
tout d’abord la fratrie de la famille
Traoré est selon l’expression très
défavorablement connue des services
judiciaires et de la gendarmerie.
Ensuite, Adama Traoré et son frère n’ont
pas été interpellés parce qu’ils étaient
noirs, mais parce que délinquants
d’habitude ils étaient poursuivis par la
justice. Cela n’excuserait en rien les
violences policières s’il est établi
qu’elles ont été à l’origine directe du
décès. Mais il appartiendra à la justice
c’est-à-dire au juge d’instruction, aux
experts désignés, au tribunal
éventuellement saisi d’en décider.
Enfin, normalement dans la république
française c’est comme cela que cela
devrait se passer.
Sauf qu’entrée en
résonance avec l’affaire Floyd aux
États-Unis, récupérée par différents
courants politiques, l’affaire porte
aujourd’hui un enjeu fort, qui est celui
des interventions policières dans les
banlieues défavorisées et du racisme
qu’on leur reproche. Et comme souvent,
la mobilisation politique ou
communautaire relaie un récit qui vise à
faire pression sur la justice pour que
celle-ci reconnaisse la responsabilité
des gendarmes dans la mort d’Adama
Traoré et justifie ainsi l’accusation de
racisme adressé aux forces de l’ordre. «
Des gendarmes racistes ont tué Adama
Traoré parce qu’il était noir, les
magistrats qui instruisent, les experts
qui se prononcent ne sont que des
serviteurs du pouvoir et de la raison
d’un État raciste ».
Ce récit, qu’on le
veuille ou non, est celui qui sert de
support à la stupéfiante intervention du
chef de l’État en personne oubliant une
fois encore ses obligations.
Probablement désireux d’une diversion
face à ses difficultés politiques, il
intervient dans un processus judiciaire
jusqu’à présent régulier en demandant à
sa Garde des Sceaux de commettre une
illégalité grossière en « se penchant »
sur la procédure. Ce que petit
télégraphiste, elle fait en déployant un
zèle absurde par cette audience
piteusement sollicitée de la famille
Traoré. Violation de la séparation des
pouvoirs, partialité en faveur des
plaignants, validation de leur discours,
insultes faites aux gendarmes
(meurtriers et racistes) et aux
magistrats et aux experts (soumis à la
raison d’État). Difficile de faire pire.
Mais finalement,
n’y aurait-il pas une morale dans tout
cela ? Voir tous ces syndicalistes
policiers, tous ces responsables de la
gendarmerie, tous ces magistrats une
fois de plus offusqués de ce qui leur
est fait, cela provoque un drôle de
sentiment.
Au regard de ces
visages d’éborgnés, de ces mains
amputées, de ces vidéos glaçantes, de
ces pompiers assommés, de ces
infirmières gazées, de ces syndicalistes
roués de coups, de l’impunité judiciaire
assurée à la violence policière, au
regard de la litanie des peines de
prison ferme,
face à l’affront macronien aux policiers
et aux magistrats, il faut se retenir
pour ne pas ressentir comme une petite
joie mauvaise.
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