Vu du Droit
Décideurs publics devant le juge pénal :
réponse à Éric Zemmour et à quelques
autres
Régis de Castelnau

Lundi 11 mai 2020
Un certain
nombre de spécialistes, de beaucoup
de choses, mais semble-t-il pas de droit
pénal, Éric Zemmour en tête, se sont
élevés contre l’hypothèse de poursuites
des ministres élus et fonctionnaires
devant le juge pénal pour les fautes
commises dans l’exercice de leurs
responsabilités dans la gestion de la
pandémie Covid 19. Le principal argument
consistant à dire que le contrôle de
l’exécutif relève du Parlement et que le
recours au juge pénal n’est pas conforme
à la séparation des pouvoirs. Cette
position passablement rustique
repose, outre la volonté de mettre leurs
amis du pouvoir défaillant à l’abri, sur
une double confusion sémantique. Alors
rappelons que le Parlement contrôle et
que le juge… juge. Les mots ont un sens,
et ce n’est pas la même chose. Le
Parlement dans ses prérogatives de
contrôle du gouvernement apprécie
éventuellement des erreurs au nom des
citoyens qui l’ont mandaté, et les
sanctionne en votant la censure. Le juge
établit des fautes prévues dans le code
pénal et les sanctionne d’une peine
prononcée en application du même code,
le tout à la demande du parquet et des
victimes. Le Figaro m’a
demandé mon avis. Je reproduis
ci-dessous mes réponses. Avec une petite
mise à jour concernant la dernière
question relative à la triste
pantalonnade de la tentative d’auto-amnistie
préventive voulue par un pouvoir
terrorisé à l’idée d’avoir à rendre des
comptes sur son incroyable incurie.
Certains appels
sont relayés sur les réseaux sociaux,
incitant à attaquer en justice des élus
ou des responsables politiques pour les
erreurs qu’ils auraient commises dans la
gestion de la crise. Demander au juge de
contrôler l’action des décideurs
politiques, est-ce légitime selon vous ?
Avant de répondre
sur le fond, je crois nécessaire
d’apporter quelques précisions. Tout
d’abord Il ne s’agit pas d’« appels
relayés » sur les réseaux sociaux, mais
de plaintes d’ores et déjà déposés et de
mise en place de plates-formes dédiées
pour permettre aux victimes de saisir le
juge pénal ainsi que la loi française le
permet. Ensuite ce ne sont pas seulement
les ministres ou les responsables
politiques qui sont concernés par ces
mises en cause, mais également les
fonctionnaires. Enfin la démarche pénale
vise non pas des erreurs, mais
des fautes identifiées accomplies
par un certain nombre de responsables et
dont les plaignants prétendent qu’elles
sont en lien direct avec le préjudice
qu’ils ont subi. Effectivement
aujourd’hui le débat fait rage sur
l’impréparation, la défaillance et les
fautes commises par autorités publiques,
dont toutes les études montrent que
l’opinion les reproche au pouvoir et
considère qu’elles ont aggravé la crise
pandémique.
Dans un État de
droit, il est étrange de devoir rappeler
que les responsables publics, ministre
ou pas, restent des citoyens et des
justiciables susceptibles d’être jugés
par les tribunaux et de répondre de
leurs actes individuels, dès lors que
ceux-ci peuvent recevoir, une fois
établis, une qualification pénale prévue
par le Code du même nom. Il ne s’agit
absolument pas de demander au juge pénal
de contrôler l’action des décideurs
politiques, mais d’établir au travers
d’un débat judiciaire contradictoire
organisé par le Code de procédure
pénale, la réalité d’un certain nombre
de faits, de leur donner une
qualification pénale, de prononcer les
sanctions prévues par le Code et
d’indemniser les victimes. Si cela
n’était pas possible, parce
qu’existerait une immunité pour les
agents publics, nous ne serions plus
dans un État de droit. 2)
Ce contrôle ne
se superposerait-il pas inutilement à
celui du Parlement ?
Il faut tordre le
cou à cette fausse opposition entre le
contrôle politique du gouvernement
exercé par le Parlement dans un régime
de démocratie représentative et les
prérogatives du juge pénal de droit
commun.
Effectivement le
contrôle de la politique du gouvernement
relève de la compétence du Parlement.
Celui-ci apprécie la qualité de cette
politique mise en application en
application de l’article 20 de la
constitution : « le gouvernement
détermine et conduit la politique de la
Nation ». En théorie, le pouvoir
exécutif a un mandat qui lui a été
confié par les élections. Mais la
confiance du peuple doit pouvoir
accompagner cette mise en œuvre. Le
peuple a donc confié l’expression de sa
confiance ou de sa défiance aux
parlementaires qu’il a élus et qu’ils
exercent en son nom. Quelles sont les
sanctions dont dispose le Parlement pour
sanctionner le gouvernement pour une
mauvaise politique et exprimer la
défiance des citoyens ? Uniquement la
possibilité de le renverser.
L’intervention du
juge pénal c’est tout autre chose.
Celui-ci n’a aucun jugement politique à
former et ne doit pas s’exprimer sur ce
que fait le gouvernement. Mais il peut
être saisi de faits précis commis par
des agents publics qu’ils soient
ministres élus ou fonctionnaires.
L’accomplissement de leur mission de
service public n’en fait pas des
citoyens à part, qui peuvent être jugés
pour les fautes qu’ils ont commises
personnellement. On va rappeler
d’ailleurs que dans l’affaire
Clearstream, Dominique de Villepin a été
poursuivi devant le tribunal
correctionnel pour des faits accomplis
alors qu’il était ministre. Alors le
juge pénal va avoir à juger des faits
précis commis par des agents publics, à
la demande du parquet et des victimes.
Cela n’a rien à voir avec le contrôle
parlementaire qui est un contrôle global
de la mise en œuvre d’une politique.
Par conséquent, non
seulement ces deux « contrôles » ne se
superposent pas mais sont compatibles et
bien articulés. Prenons l’exemple de la
Cour de Justice de la République mise en
place pour juger des défaillances
personnelles des ministres en respectant
le principe de la séparation des
pouvoirs. C’est bien une procédure
pénale qui se déroule, et pour
justement éviter tout détournement de la
séparation des pouvoirs elle le fait
devant une juridiction composée
majoritairement de parlementaires.
Je trouve assez
étrange que certains viennent
aujourd’hui prétendre que le contrôle
parlementaire de la globalité d’une
politique gouvernementale avec la
sanction unique du renversement du
gouvernement puisse être considérée
comme exclusive de la compétence des
juridictions pénales à juger les
individus. Je note d’ailleurs l’ironie
qui veut que les tenants de cette
approche n’ont vu aucun inconvénient à
ce que François Fillon alors
parlementaire, et donc chargé d’une
mission de service public ait été traîné
sur le banc d’infamie en pleine élection
présidentielle avec pour conséquence
d’en fausser le résultat…
Je crois bien
connaître les questions de
responsabilité personnelle des décideurs
publics pour avoir beaucoup travaillé
sur cette matière. À ce stade, je ne me
prononcerai absolument pas sur les
culpabilités éventuelles, mais j’ai
quand même constaté l’existence d’un
nombre important de fautes personnelles
susceptibles, si elles sont établies,
de recevoir une qualification pénale.
Que penser en ce
cas de l’initiative du gouvernement de
protéger juridiquement les élus et en
particulier les maires, afin qu’ils ne
soient pas inquiétés ?
Ce n’est pas une
initiative du gouvernement, du moins
officiellement.
C’est une opération menée par des
parlementaires lrem en mettant en
avant la réelle inquiétude des maires de
voir leur responsabilité personnelle
mise en cause dans l’accomplissement des
opérations de déconfinement et notamment
la rentrée scolaire. Prétendant vouloir
les protéger ils ont publié une tribune
annonçant le dépôt d’une proposition de
loi visant à les mettre à l’abri de
poursuites et de condamnations
éventuelles. Dès le début on pouvait
avoir quelques inquiétudes sur les
intentions cachées. C’est Aurore Bergé
qui dans un tweet nocturne ravageur a
dévoilé ce qui semble bien être
l’objectif réel, c’est-à-dire utiliser
la fausse raison de la protection des
maires pour l’étendre à tous les agents
publics ministres élus et fonctionnaires
qui ont géré la crise.
Une première
observation est indispensable. En
application du code pénal tel qu’il est,
maires et les élus locaux ne sont pas
exposés à ces mises en cause. Rappelons
d’abord que l’article 221-6 du code
pénal qui incrimine les homicides et
blessures involontaires concerne tous
les citoyens. Mais après la mise en
place de la décentralisation dans les
années 90 les procédures pénales contre
les maires se sont multipliées
provoquant une grande émotion chez les
élus locaux. Le Parlement a alors
intégré de nouvelles prescriptions dans
le code pénal d’abord en 1996 avec la
loi sur les « diligences normales » et
en 2000 avec « la loi Fauchon ».
Inscrites dans l’article 121-3 elles
concernent évidemment tous les citoyens,
mais ont été adoptées d’abord pour
protéger maires et élus locaux. Ayant
participé à l’époque aux travaux de
préparation et à la rédaction de ces
textes je sais bien que c’est le cas, et
que le législateur a été au bout de ce
qu’il était possible juridiquement de
faire. Et l’application
jurisprudentielle de ces nouveaux textes
a été par la suite un succès, non pas
pour exonérer les élus de leur
responsabilité mais pour éviter qu’ils
soient mis en cause de façon injuste.
Par conséquent le
souci de la protection des maires brandi
aujourd’hui est une fausse raison, qui a
servi de cache-sexe pour essayer de
mettre à l’abri ministres et hauts
fonctionnaires dont on a compris qu’il
était possible qu’ils aient quelques
soucis dans le monde d’après, et qu’il y
ait quelques comptes à rendre devant le
juge pénal. Ce qui n’est jamais
agréable.
Devant le Sénat, a
été adoptée une proposition du groupe LR
pour une fausse immunité concernant
l’application de l’article 221-6, celui
relatif aux homicides involontaires, en
période d’état d’urgence sanitaire.
Texte proclamatoire et reprenant de
façon alambiquée ce qui existait
déjà dans le texte.
Cela n’a pas
empêché une nouvelle tentative d’un
certain nombre de députés LREM au moment
de la discussion de la loi de
prolongation de l’état d’urgence devant
l’Assemblée nationale. On constatera la
présence parmi eux de Laurence
Vichnievsky grande justicière
anti-politiques reconverti reconvertie
dans le militantisme macronien. Nouveau
coup d’épée dans l’eau, le texte adopté
n’ajoutant ni ne retranchant rien de ce
qui existe déjà dans le code.
Chou blanc donc.
Il y aura lieu
d’être très attentif car il ne serait
pas surprenant que cette question d’une
amnistie pour cette période revienne par
la suite. L’avantage de l’amnistie sur
le charcutage des textes du code pénal
est qu’on n’exonère pas des fautes mais
absout de leurs conséquences.
Le problème pour le
pouvoir Macronien déjà confronté à une
défiance majeure, est que le coût
politique de l’auto blanchiment serait
politiquement meurtrier.
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