Vu du Droit
Réquisitions dans l’affaire Fillon :
parfaire le coup d’Etat
Régis de Castelnau

Mercredi 11 mars 2020 Cinq ans
d’emprisonnement dont deux ferme et dix
ans d’inéligibilité ont été requis
contre François Fillon ainsi que trois
ans avec sursis contre son épouse
Penelope dans le cadre du procès Fillon,
pour des soupçons d’emplois fictifs de
sa compagne et pour « détournement de
fonds publics ».
Atlantico m’a demandé mon avis.
Régis de
Castelnau
Atlantico.fr
: Le procureur de la République a requis
à l’encontre de François Fillon une
peine de 5 ans d’emprisonnement dont 3
avec sursis, assortie d’une amende de
375 000 euros et de 10 ans
d’inéligibilité. Une peine de trois ans
de prison avec sursis a été requise à
l’encontre de Pénélope Fillon. À vous
yeux, ce réquisitoire est-il cohérent
avec les chefs d’accusation ?
Régis de
Castelnau : Les réquisitions
soutenues par Aurélien Letocart au nom
du Parquet National Financier sont à la
fois incohérentes et très cohérentes…
L’incohérence
réside dans le fait qu’au regard du
droit qui devrait trouver à s’appliquer
dans ce dossier, il est clair que les
demandes de cette autorité de poursuite
entretiennent avec lui des rapports très
lointains. Tant en ce qui concerne le
support juridique de l’accusation que le
quantum des peines réclamées. Pour
attraire l’ancien Premier ministre
devant le tribunal correctionnel, il a
fallu brutaliser la loi et les
principes. Le principe de la séparation
des pouvoirs qui fait que le législatif
doit être à l’abri des empiétements et
des pressions de l’exécutif dont dépend
le parquet, aurait dû prévaloir et le
PNF n’aurait pas dû être suivi dans la
conduite de la procédure comme il a été
par les juges du siège qu’étaient les
magistrats instructeurs, la chambre
d’instruction de la cour de Paris et la
Cour de cassation. Les chefs de
poursuite utilisée n’auraient pas dû
être cela et pour plusieurs raisons. En
effet si l’on respecte les principes
d’interprétation restrictive en matière
pénale qui sont fondamentaux, le
détournement de fonds publics reproché à
François Fillon ne tient pas. Il y a
ensuite le principe de liberté politique
et d’immunité des parlementaires qui
leur permet d’organiser librement leur
mandat. Cela ne veut pas dire qu’ils
peuvent faire n’importent quoi, mais le
contrôle est alors effectué et les
manquements sanctionnés par
l’institution parlementaire elle-même.
Relever ces caractéristiques, ne rend
pas pour autant François Fillon
moralement séduisant, mais l’aversion
que l’on peut avoir pour ce médiocre
personnage ne justifie pas que l’on
prenne des libertés avec le droit et que
l’on bascule dans l’arbitraire.
Et quand bien même,
on considérerait les poursuites
juridiquement fondées, le quantum des
peines réclamées est sans commune mesure
avec la jurisprudence habituelle. Et
l’on rappellera également que les
poursuites du PNF, institution
sur-mesure créée par François Hollande
sont singulièrement à géométrie
variable. Que sont devenus le socialiste
Bruno Le Roux, ou l’ancien ministre
socialiste Kader Arif par exemple ? Quid
du cas de Bruno Lemaire LR rallié qui
employait son épouse artiste peintre (!)
comme assistante parlementaire … ? Quid
également d’un véritable travail
juridique relatif à cette question des
fonctions d’assistants parlementaires
puisque les trois quarts des
parlementaires ont opéré de la même
façon que François Fillon, employant
pour des missions obscures conjoints,
enfants, cousins et petits cousins et
bien sûrs maîtresses. Tout ceci est
d’une hypocrisie noire.
La cohérence quant
à elle réside dans le fait que ces
réquisitions sont un acte de plus dans
l’opération judiciaire enclenchée par Le
PNF au début 2017 pour disqualifier la
candidature de François Fillon à
l’élection présidentielle et favoriser
ainsi l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel
Macron. Il est aujourd’hui impossible de
nier qu’il y a bien eu un raid
judiciaire avec cet objectif. Deux des
protagonistes de la partie médiatique de
l’affaire, les journalistes du Monde
Davet et Lhomme le reconnaissent
explicitement dans un livre récent. Ces
réquisitions sont une pièce de plus
visant à légitimer l’opération du
printemps 2017. Si elles avaient été
autres, respectueuses du droit et
modérées dans leur quantum, elles
auraient judiciairement disqualifié le
coup d’État judiciaire. Il est à
craindre que le tribunal ne soit pas lui
aussi coincé dans cette problématique.
Respecter le droit et la jurisprudence
prononcée soit une relaxe, soit une
peine modérée, établirait sans conteste
la dimension antidémocratique de
l’opération visant à favoriser Emmanuel
Macron. Et contribuerait à fragiliser
encore un peu plus une légitimité déjà
brinquebalante, tout en disqualifiant
encore cette partie de la justice qui
s’est mis au service du nouveau chef de
l’État.
La notion de
détachatabilité a été évoquée à
plusieurs reprises par l’accusation. Que
signifie cette notion ? En quoi
est-t-elle utile à l’accusation ?
Régis de
Castelnau : Dans l’affaire Fillon,
cette notion de « détachabilité » n’a
pas grand sens. La Cour de cassation qui
a pris la très mauvaise habitude
d’ajouter à la loi dès lors que cela
facilite les poursuites contre les élus
a adopté plusieurs jurisprudences que je
considère, et mon avis de juriste
praticien et universitaire en vaut
largement d’autres, comme
inconstitutionnelles. L’une d’entre
elles a permis les poursuites contre
François Fillon. Mais pour faire bonne
mesure l’autorité de poursuite
d’exception qu’est le PNF a jugé bon
d’injecter une notion qui relève du
droit administratif. Le conseil d’État a
consacré une notion particulière à
l’action des agents publics. Lorsque
ceux-ci commettent des fautes, si
celles-ci sont ce que l’on appelle «
rattachables au service » c’est-à-dire
en lien avec l’exécution de leur mission
publique, l’administration leur doit
protection. Mais afin de bien faire la
part des choses le juge administratif
utilise la notion de « faute détachable
du service ». Qui parce qu’elle ne
concerne pas la mission publique
relèvera du droit commun. Prenons un
exemple extrême, le policier qui tuera
sa femme avec son arme de service
commettra « une faute détachable ». Donc
pour poursuivre Fillon tout en utilisant
la jurisprudence anormale de la Cour de
cassation, on a rajouté pour faire bon
poids le raisonnement selon lequel les
fautes reprochées à François Fillon
n’étaient pas rattachables à sa mission
de parlementaire et que par conséquent
il était possible de le poursuivre sans
porter atteinte à son immunité. Tout
cela n’est pas très intéressant.
L’initiative du
Parquet National Financier, créé en
décembre 2013 sous le quinquennat de
François Hollande, d’initier une
procédure judiciaire à l’encontre de
François Fillon est-elle en accord avec
le droit ?
Régis de
Castelnau : Le problème n’est pas de
savoir s’il était en accord avec le
droit mais bien de rappeler que c’était
une opération à visée politique. Dans
laquelle le PNF a joué un rôle
particulier, et a ensuite passé le
relais aux juges du siège qu’étaient les
juges d’instruction du pôle financier,
la chambre d’instruction et la Cour de
cassation. Les questions juridiques
posées tout au long de cette procédure
peuvent nourrir des débats entre
spécialistes et permettent de noircir du
papier, mais cela ferait oublier l’enjeu
de toute cette affaire. Et
malheureusement il est à craindre comme
je l’ai dit que le tribunal soit coincé
dans une alternative délétère. Soit
traiter loyalement ce dossier en
appliquant le droit, et dans ce cas ce
serait reconnaître qu’on le veuille ou
non l’ingérence de l’institution
judiciaire altérant la sincérité du
scrutin dans la principale élection de
la république française, en altérant la
sincérité du scrutin. Soit poursuivre
dans la mauvaise voie empruntée au début
de 2017. Et de ce point de vue, le refus
de transmission au Conseil
constitutionnel des deux Questions
Prioritaires de Constitutionnalité (QPC)
pourtant évidente et de très mauvais
augure. Compte tenu du fait de la
situation politique pour le moins
tumultueuse que connaît notre pays avec
à sa tête un président considéré par
l’opinion publique comme illégitime, la
justice risque de traîner longtemps
l’accusation d’avoir été à l’origine de
son avènement
Quel impact une
condamnation de François Fillon peut-il
avoir sur la classe politique française
?
Régis de
Castelnau : C’est très simple, tous
ceux qui s’opposent à Emmanuel ont tout
à craindre de la Justice. De Marine Le
Pen aux gilets jaunes en passant par
Jean-Luc Mélenchon et tout ceux à qui
viendrait l’idée de faire un tour de
piste à la présidentielles 2022, je ne
saurais conseiller que la plus extrême
prudence. Une petite garde à vue, une
perquisition, des mises en examen et
autres joyeusetés sont si vite
arrivées…
En revanche les
amis d’Emmanuel Macron n’ont rien à
craindre, Richard Ferrand, Alexandre
Benalla, Muriel Pénicaud, François
Bayrou, Sylvie Goulard, Bruno Le Roux,
Bruno Lemaire, Ismaël Emelien, etc. etc.
vont pouvoir continuer à vivre
paisiblement.
Le sommaire de Régis de Castelnau
Le dossier
Politique
Les dernières mises à jour

|