Vu du Droit
Enquête préliminaire sur la gestion de
la pandémie :
mettre les amis à l’abri ?
Régis de Castelnau

Mercredi 10 juin 2020
Le parquet de Paris par une
déclaration de Rémy Heitz a
annoncé hier l’ouverture d’une enquête
préliminaire sur la gestion de la
pandémie Covid 19 pour principalement
les délits de « mise en danger de la vie
d’autrui », d’« homicides et blessures
involontaires » et de « non-assistance à
personne en péril ».
La question des
responsabilités pénales est posée depuis
le début, et je l’ai fait moi-même dès
la publication de l’interview d’Agnès
Buzyn en forme d’aveu circonstancié dans
le journal le Monde.
J’ai
été interrogé par Atlantico sur la
portée et le sens de cette décision.
Il me semble
assez évident qu’il s’agit là d’une
opération visant à l’enlisement de ce
volet pénal. En mode : « circulez, il
n’y a plus rien à voir. La justice est
saisie, laissons-la faire son travail ».
Je pense qu’il
conviendra d’être très vigilant dans la
suite. Afin d’éviter les enterrements de
première classe que souhaite une classe
politique apeurée comme l’avait démontré
la de ces tentatives récentes de faire
voter au Parlement une loi d’amnistie
préventive.
Atlantico.fr :
Que signifie l’ouverture de cette
enquête pour « mise en danger de la vie
d’autrui » du Parquet sur la gestion de
la crise du coronavirus par le
gouvernement ? Cette enquête peut-elle
aboutir ?
Régis de
Castelnau : Il y a deux façons de
répondre à votre question. Tout d’abord
quelle est la signification procédurale
de cette annonce ? Ensuite quelle en est
la signification politique, car le
moment de l’annonce, et le fait qu’elles
émanent du procureur du Tribunal
judiciaire de Paris a un sens politique.
Alors la procédure
dont on vient de nous informer du début,
et ce que l’on appelle « l’enquête
préliminaire » qui est une compétence
qui appartient à l’autorité de poursuite
c’est-à-dire au parquet. Rappelons que
si des magistrats forment un corps
unique, celui-ci est partagé en deux.
Les magistrats du siège d’une part qui
doivent être impartiaux et par
conséquents indépendants, et les
procureurs qui sont des fonctionnaires
dépendant hiérarchiquement du ministre
de la justice. Dans les procès pénaux,
ces derniers sont des parties à
l’instance comme la défense ou la partie
civile. Ce sont en fait les « avocats de
la République ». Ils ont la prérogative
de déclencher les poursuites de
rassembler les éléments pour le faire et
ensuite de saisir le juge du siège
(juges d’instruction, Tribunaux
correctionnels ou Cours d’assises). Ils
disposent pour ce faire de compétences
leur permettant de réaliser des
enquêtes. Ces compétences sont plus
restreintes que celle d’un juge
d’instruction car ces enquêtes
préliminaires sont secrètes et pas
contradictoires. Lorsque le parquet
estime que les infractions sur
lesquelles il a enquêté sont établies,
il doit saisir le juge du siège, soit un
juge d’instruction en demandant
l’ouverture d’une « information
judiciaire » soit citer directement les
personnes concernées devant le Tribunal.
Au contraire s’il considère qu’il n’y a
pas d’infraction il rend ce que l’on
appelle une ordonnance de « classement
sans suite » mettant fin à son enquête.
Cela c’est le
fonctionnement normal de la justice
pénale. Dans l’affaire de la gestion par
le gouvernement et par l’État de la
pandémie, il est bien évident que nous
sommes dans une situation complètement
exceptionnelle.
Les précédents du
sang contaminé, de l’hormone de
croissance ou de l’amiante sont là pour
nous rappeler que l’action publique,
quand elle est fautive du fait de fautes
commises par ses agents, doit elle aussi
rendre des comptes au juge pénal.
Alors que penser de
cette ouverture alors que nous sommes
encore soumis à l’état d’urgence
sanitaire et contraints à des
réglementations pour certaines
drastiques ?
Le moment d’abord,
il apparaît clairement que ce qui
ressemble à une précipitation reflète la
volonté de mettre fin à une forme
d’agitation autour de cette question de
la responsabilité pénale des décideurs
publics pendant la crise. Il sera
désormais possible de répondre : « la
justice est saisie, laissons la
travailler ». Il y a un impératif
technique ensuite, puisque d’ores et
déjà un grand nombre de plaintes ont été
déposées. Le parquet dispose de trois
mois pour y répondre pendant lesquels il
a le monopole de l’initiative des
poursuites. Au bout de ces trois mois,
les plaignants peuvent directement
saisir le juge pénal en déposant des
plaintes avec « constitution de partie
civile » et obtenir la désignation d’un
juge d’instruction. Je comprends que le
parquet de Paris souhaite pour l’instant
garder la maîtrise. Parce que c’est la
troisième observation, celle relative au
parquet qui va diligenter cette enquête
préliminaire, celui du Tribunal
judiciaire de Paris. Il est en effet
dirigé par un magistrat dont chacun doit
savoir qu’il a été personnellement
choisi par Emmanuel Macron. Et que ce
dernier n’a pas à se plaindre de la
façon dont le parquet de Paris s’est
comporté vis-à-vis de lui-même.
Brutalité dans la répression des gilets
jaunes, utilisation systématique de
gardes à vue manifestement illégales,
mansuétude vis-à-vis de l’entourage
d’Emmanuel Macron et aussi des violences
policières. Alors quand vous me demandez
si cette enquête peut aboutir, je dois
répondre que je ne sais pas, mais que
pour l’instant la célérité ne sera pas
l’ordre du jour. Et que ministres et
fonctionnaires n’ont pas encore trop de
souci à se faire.
N’y a-t-il pas
un risque de confusion entre la
responsabilité politique et la
responsabilité pénale du gouvernement
dans cette crise ?
Régis de
Castelnau : D’abord ce ne sont pas
seulement les ministres ou les
responsables politiques qui sont
concernés par ces mises en cause, mais
également les fonctionnaires. Ensuite la
démarche pénale vise non pas des
erreurs, mais des fautes identifiées
commises par un certain nombre de
responsables et dont les plaignants
prétendent qu’elles sont en lien direct
avec le préjudice qu’ils ont subi.
Actuellement le débat fait rage sur
l’impréparation, la défaillance et les
fautes commises par autorités publiques
pendant la pandémie.
Dans un État de
droit, on va rappeler que les
responsables publics, ministres ou pas,
restent des citoyens et des justiciables
susceptibles d’être jugés par les
tribunaux et de répondre de leurs actes
individuels, dès lors que ceux-ci
peuvent recevoir, une fois établis, une
qualification pénale prévue par le code
du même nom. Il ne s’agit pas de
demander au juge pénal de contrôler
l’action des décideurs politiques, mais
d’établir au travers d’un débat
judiciaire contradictoire la réalité
d’un certain nombre de faits, de leur
donner une qualification pénale, de
prononcer les sanctions prévues par le
code et d’indemniser les victimes. Si
cela n’était pas possible, parce
qu’existerait une immunité pour les
agents publics, nous ne serions plus
dans un État de droit. Alors évidemment,
le contrôle de la politique du
gouvernement relève de la compétence du
Parlement. Celui-ci apprécie la qualité
de cette politique mise en application
en application de l’article 20 de la
constitution : « le gouvernement
détermine et conduit la politique de la
Nation ». En théorie, le pouvoir
exécutif a un mandat qui lui a été
confié par les élections. Mais la
confiance du peuple doit pouvoir
accompagner cette mise en œuvre. Le
peuple a donc a confié l’expression de
sa confiance ou de sa défiance aux
parlementaires qu’il a élus et qu’ils
exercent en son nom. Pour exercer ce
contrôle Parlement dispose de deux
prérogatives : tout d’abord pour
l’Assemblée nationale le pouvoir de
renverser le gouvernement, pour les deux
assemblées ensuite les commissions
d’enquête parlementaire qui disposent
d’un certain nombre de prérogatives
d’investigation, et qui produisent des
rapports destinés à informer le citoyen
électeur.
L’intervention du
juge pénal c’est autre chose. Celui-ci
n’a aucun jugement politique à former et
ne doit pas s’exprimer sur ce que fait
le gouvernement. Mais il peut être saisi
de faits précis commis par des agents
publics qu’ils soient ministres élus ou
fonctionnaires. L’accomplissement de
leur mission de service public n’en fait
pas des citoyens à part, ce sont bien
ces citoyens qui peuvent être jugés pour
les fautes qu’ils ont commises
personnellement. C’est tellement vrai,
que le code pénal comporte un certain
nombre d’infractions qui ne peuvent être
reprochées qu’aux agents publics ! Il
est donc savoureux de venir aujourd’hui
exiger que ceux-là soient au-dessus de
la loi.
Par conséquent, non
seulement ces deux « contrôles » ne se
superposent pas mais sont compatibles et
bien articulés.
Ceux qui prétendent
aujourd’hui s’inquiéter de la «
judiciarisation » de la vie publique
sont les mêmes qui avaient applaudi le
raid judiciaire contre le député
candidat François Fillon.
Le seul objectif
est de mettre à l’abri leurs amis
défaillants.
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