Vu du Droit
Auto amnistie préventive de la macronie :
technique du coup d’éponge
Régis de Castelnau

Lundi 4 mai 2020
Toute la presse a
répercuté les inquiétudes qui se sont
fait jour au plus haut sommet de l’État
concernant la mise en cause de la
responsabilité pénale des décideurs
publics de l’État (ministres et hauts
fonctionnaires) dans le traitement de la
crise du Covid 19. Jusqu’au président de
la République qui a été jusqu’à
fustiger, en les traitant
d’irresponsables, les victimes qui
osaient d’ores et déjà saisir les
tribunaux pour faire valoir leur droit
fondamental de s’adresser à la justice. C’est chose
normale, légitime et la marque d’un État
de droit. Le Parlement contrôle
l’activité politique du gouvernement, le
juge pénal est saisi des fautes pénales
commises par les personnes.
L’État de droit,
pour quoi faire ?
Mais le respect de
l’État de droit, c’est encore beaucoup
trop pour Emmanuel Macron et sa bande.
Il est clair,
compte tenu de l’incurie et de la
gabegie qui ont caractérisé la gestion
de la crise, et ce au plus haut niveau,
que nous sommes confrontés à un
florilège d’infractions pénales. Dont
seront saisies par les victimes
les juridictions compétentes, Cour de
justice de la République pour les
ministres et Tribunal Correctionnel pour
les hauts fonctionnaires. Et cette
perspective d’avoir à rendre des comptes
est insupportable à l’équipe qui entoure
le chef de l’État.
Comme chacun sait,
face à l’impréparation et au manque de
maîtrise de l’État dans le
déconfinement, le gouvernement a décidé
de faire appel aux maires. En
particulier pour une rentrée scolaire
ingérable à laquelle les communes seront
nécessairement associées puisqu’elles
ont la mission de fournir les moyens
matériels au service public de
l’éducation nationale pour les écoles
primaires. Beaucoup d’élus ont
simplement refusé, et d’autres ont
manifesté la crainte que leur
responsabilité pénale soit mise en
cause.
Alors, certains ont
imaginé une entourloupe afin de mettre à
l’abri les amis exposés. En s’emparant
de la légitime et réelle inquiétude d’un
certain nombre de maires et d’élus
locaux face à la décision passablement
irresponsable de la rentrée scolaire le
11 mai. Ils ont imaginé une procédure
afin de faire voter par le Parlement une
loi que l’on ne peut qualifier autrement
que de « loi d’amnistie préventive ».
L’ineffable Aurore Bergé a ingénument
mangé le morceau dans un tweet publié à
une heure du matin dimanche et dont il
faut s’infliger la lecture pour mesurer
la duplicité : « Nous proposerons une
adaptation de la législation pour
effectivement protéger les maires
pénalement mais aussi toutes les
personnes dépositaires d’une mission de
service public dans le cadre
des opérations de déconfinement.
Des propositions que je porterai avec
LAREM ».
Avant de décrire le
mécanisme du coup d’éponge envisagé,
revenons sur la façon dont se pose le
problème en l’état actuel du droit.
Ce qui permettra de démontrer que si
l’inquiétude des maires est
compréhensible, elle est juridiquement
infondée. Et la prétention des
parlementaires LREM de vouloir les
protéger simplement une imposture.
Destinée à permettre un coup d’éponge
salvateur pour les incapables, les
désinvoltes, les menteurs, les cyniques
et les amateurs à qui Emmanuel Macron a
confié la gestion de la pandémie.
Protection des
maires : que dit le droit ?
La principale
infraction qui sera reprochée à ces
décideurs publics défaillants sera celle
d’homicides et blessures involontaires
prévue et réprimée par tout d’abord
l’article 221–6 du code pénal :
« Le fait de
causer, dans les conditions et selon les
distinctions prévues à l’article 121-3,
par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité
imposée par la loi ou le règlement, la
mort d’autrui constitue un homicide
involontaire puni de trois ans
d’emprisonnement et de 45 000 euros
d’amende.
En cas de
violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de prudence ou
de sécurité imposée par la loi ou le
règlement, les peines encourues sont
portées à cinq ans d’emprisonnement et à
75 000 euros d’amende. »
C’est une
infraction à caractère général,
c’est-à-dire qu’elle concerne tous les
citoyens quel que soit leur statut
juridique. Il faut savoir que pour
définir qui sont les personnes qui
peuvent être incriminées, la France
applique depuis toujours ce que l’on
appelle la « théorie de l’équivalence
des conditions » qui veut que tous
ceux qui ont commis le dommage ou
CONTRIBUÉ à sa réalisation sont
pénalement responsables. C’est ce que
l’on appelle les « auteurs directs »
et les « auteurs indirects ».
Dans les années
90, après la mise en œuvre des lois de
décentralisation, et en raison de mises
en cause massives des maires dans
l’exercice de leurs fonctions, le
législateur a précisé les contours de
cette responsabilité qui sont
aujourd’hui définis dans
l’article 121-3 du code pénal :
« Il y a
également délit, lorsque la loi le
prévoit, en cas de faute d’imprudence,
de négligence ou de manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement, s’il
est établi que l’auteur des faits n’a
pas accompli les DILIGENCES NORMALES
compte tenu, le cas échéant, de la
nature de ses missions ou de ses
fonctions, de ses compétences ainsi que
du pouvoir et des moyens dont il
disposait.
Dans le cas
prévu par l’alinéa qui précède, les
personnes physiques qui n’ont pas causé
directement le dommage, mais qui ont
créé ou contribué à créer la situation
qui a permis la réalisation du dommage
ou qui n’ont pas pris les mesures
permettant de l’éviter, sont
responsables pénalement s’il est
établi qu’elles ont, soit violé de façon
manifestement délibérée une obligation
particulière de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement, soit
commis une FAUTE CARACTÉRISÉE et qui
exposait autrui à un risque d’une
particulière gravité qu’elles ne
pouvaient ignorer. »
Ce texte, fruit
d’une élaboration particulière dans les
années 90 à laquelle l’auteur de ces
lignes a participé, avait évidemment un
caractère général applicable à tous les
citoyens, mais c’est bien la nécessité
de préciser le périmètre de la
responsabilité personnelle des maires en
matière d’homicide et de coups et
blessures involontaires, qui en était
l’objectif premier. Retenons bien les
deux nouvelles conditions exigées pour
que l’auteur indirect du dommage puisse
être condamné : d’abord n’avoir pas
accompli les diligences normales en
fonction des moyens dont on disposait,
et ensuite commis une faute caractérisée
exposant autrui à un risque grave qu’on
ne pouvait ignorer.
Alors, il faut
insister sur ce point, les maires
chargés de mettre en œuvre les décisions
irresponsables du gouvernement avec
le manque criant de moyens qui
caractérise la gestion macronienne de la
crise seront protégés des mises en cause
pénales par la notion de « diligences
normales […] en fonction du pouvoir
et des moyens dont ils disposaient »
contenue dans le code pénal.
État d’urgence
sanitaire ou pas, si l’État envoie les
maires au casse-pipe sans leur donner
les moyens d’appliquer la politique
qu’il a décidée, ceux-ci ne pourront pas
être poursuivis. Ils sont d’ores et déjà
protégés. Et ce d’autant que le Conseil
d’État vient de rappeler dans son
ordonnance d’annulation de la décision
du maire de Sceaux imposant le port
obligatoire du masque sur le territoire
de sa commune, que les pouvoirs des
maires en état d’urgence sanitaire
étaient strictement limités, sans
pouvoir d’initiative, à la mise en œuvre
des décisions de l’État.
Les parlementaires
LREM en mode blanchisseurs
Mais dans certains
crânes a germé l’idée que l’expression
de cette inquiétude infondée des maires
et des élus locaux permettrait de
réaliser l’opération d’auto-blanchiment
dont ils rêvent. La démagogie
électoraliste d’un certain nombre de
sénateurs dans la perspective des
prochaines élections sénatoriales
affirmant la main sur le cœur leur
volonté de protéger leurs futurs
électeurs en a fourni l’occasion.
« Profitons de
la discussion et du vote de la loi de
prolongation de l’état d’urgence, pour
faire passer un texte salvateur sous
forme d’amendement ». Dans la
confusion actuelle, avec un Parlement
godillot une modification des textes en
forme d’amnistie préventive pourrait
être adoptée subrepticement et mettre à
l’abri tous ceux qui craignent que leur
impéritie, leur négligence, leur
désinvolture, leur amateurisme et
l’ampleur de la catastrophe qu’ils ont
tant aggravée les emmènent dans le box
des accusés.
Premier leurre
envoyé par le sénateur Hervé Maurey
annonçant à grand son de trompe le dépôt
d’une proposition de loi destinée
prétendait-il à protéger les maires. Ce
texte est à la fois inconstitutionnel et
juridiquement inepte :
« La
responsabilité, civile ou pénale, d’un
maire ou d’un élu municipal le suppléant
ou ayant reçu une délégation, appelé à
mettre en œuvre une décision prise,
durant l’état d’urgence sanitaire, et en
lien avec celui-ci, par l’État ou
d’autres collectivités territoriales que
la commune, ne peut être engagée que
s’il est établi qu’il disposait des
moyens de la mettre en œuvre entièrement
et qu’il a commis de façon manifestement
délibérée une faute caractérisée. »
Tout d’abord, faire
un régime spécial pour un élu afin de
l’exonérer de l’application d’une
infraction à caractère général
concernant tous les citoyens, n’est pas
possible. Ensuite la simple lecture de
cette proposition démontre qu’elle n’est
qu’une paraphrase du texte déjà
existant. Pour un acte en lien avec
l’état d’urgence sanitaire, l’élu ne
pourra pour être condamné que « s’il
disposait des moyens de la mettre en
œuvre entièrement ». Formidable
innovation ! C’est précisément la
définition des diligences normales
déjà prévues à l’article 121-3 du
code pénal (voir plus haut). Et la
proposition de poursuivre : « l’élu
ne pourra être condamné que s’il a
commis une faute caractérisée
» !
Alors pourquoi
cette énormité juridique inutile ? La
suite nous l’apprend lorsque la presse
publie une tribune de 138 députés de la
majorité annonçant, la main sur le cœur
leur soudaine sollicitude pour les élus
locaux et leur volonté de déposer une
proposition de loi destinée à les
protéger.
Mais là patatras,
Aurore Bergé mange le morceau. Et
confirme dans son intervention
calamiteuse que bien sûr il s’agit de
protéger les maires (dont on sait
qu’ils sont déjà juridiquement couverts)
mais c’est pour ajouter : « mais
aussi toutes les personnes dépositaires
d’une mission de service public ».
Mais quelle surprise ! Parce que
qu’est-ce qu’une personne dépositaire
d’une mission de service public ? On va
en citer quelques-unes, comme ça au
hasard : Édouard Philippe, Christophe
Castaner, Laurent Nuñez Sibeth Ndiaye,
Olivier Véran, Agnès Buzyn, Jérôme
Salomon, les directeurs des ARS, etc.
etc.
Et voilà, passez
muscade ! La proposition concoctée et
présentée à la dernière minute lors du
débat à l’assemblée sera votée dans les
bruits de l’orchestre comme un
amendement à la loi de prolongation de
l’état d’urgence. Et les amis d’Emmanuel
Macron blanchis seront ainsi
tranquilles. Et la fête sera complète
car tranquille, ils le seront pour
l’avenir mais également pour le passé.
Car s’il existe un principe de non
rétroactivité de la loi pénale, affirmé
dans
l’article 112–1 du code, on trouve
dans son alinéa 3 la seule exception,
celle de la loi pénale plus douce : «
Toutefois, les dispositions nouvelles
s’appliquent aux infractions commises
avant leur entrée en vigueur et n’ayant
pas donné lieu à une condamnation passée
en force de chose jugée lorsqu’elles
sont moins sévères que les dispositions
anciennes. » Ce qui serait bien le
cas si ce texte était voté. Le tour
étant joué, ministres et fonctionnaires
défaillants pourraient alors respirer….
Ainsi, sous la
fausse raison de vouloir protéger les
maires, on veut voter une amnistie
préventive pour mettre à l’abri le petit
monde des défaillants, des incapables
des cyniques et des inconséquents. Ils
n’ont déjà aucun compte à rendre à un
Parlement caporalisé, ils veulent en
plus une immunité et un privilège pénal.
Il est un devoir de
s’opposer à cette scandaleuse
manipulation. Qui est aussi un aveu :
celui que les plaintes des victimes qui
viennent et qui viendront sont fondées.
Ces gens-là nous
auront tout fait.
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