Vu du Droit
Atteintes aux libertés publiques :
des
magistrats à la manœuvre
Régis de Castelnau

Dimanche 3 mai 2020 Une vision
policière du confinement
La décision de
mettre en œuvre une stratégie de
confinement pour lutter contre la
pandémie Covid 19 a été dans un premier
temps acceptée avec discipline par les
Français. Et avec résolution et courage
par ceux à qui on a demandé de monter au
front et de tenir ce pays, personnel
soignant et premiers de corvée. Comme
l’a astucieusement formulé Rachida Dati
: « finalement ce sont les villes jaunes
qui portent ce pays à bout de bras ».
Malheureusement,
les Français ont été contraints à deux
constats. Tout d’abord l’invraisemblable
incurie à la fois du gouvernement et de
l’administration dont les errements, la
préparation, l’amateurisme,
l’inconséquence et la lourdeur ont
lourdement aggravé cette violence
pourtant considérée au départ par les
Français comme nécessaire et les
conséquences sanitaires économiques de
cette crise. Et le deuxième constat est
que mise en place et pratique du
confinement ont été marquées par une
mise en œuvre punitive et policière. Il
y a bien sûr
l’invraisemblable traitement de la
population par les forces de police
et surtout de gendarmerie dans une
utilisation brutale et massivement
arbitraire du système des amendes pour
les infractions au confinement. Des
milliers d’exemples consternants de ce
qui a été infligé à une population déjà
brutalisée au plan matériel et
psychologique en dit long sur la
conception de ce pouvoir de son rapport
au peuple. Qu’il vit comme un adversaire
voire comme un ennemi, qu’il est
indispensable de mater. Sur cette
question du rôle des forces de l’ordre,
vue à l’œuvre dans la répression sans
précédent contre les gilets jaunes, le
mouvement des hospitaliers et la lutte
contre le projet de réforme des
retraites, cette culture, a trouvé à
s’exprimer à nouveau. L’exemple des
nouvelles saillies du préfet Lallement
en est une triste illustration.
L’aversion
Macronienne des libertés publiques
Malheureusement la
justice n’a pas été en reste. Comme le
démontre une fois encore sa passivité
devant l’arbitraire policier, mais
surtout cette étrange volonté de
soutenir Emmanuel Macron fusse aux
dépens de nos libertés publiques. On
sait que le pouvoir Macronien a un gros
problème avec la liberté d’expression
comme vient de le
rappeler dans ces colonnes Anne Sophie
Chazaud. Cette aversion constante
trouve un écho dans la magistrature
avec le zèle que déploient actuellement
les parquets pour museler la liberté
d’expression de ceux qui contestent le
pouvoir d’Emmanuel Macron. C’est la
fameuse histoire des banderoles de
Toulouse ou à la stupéfaction générale
on a appris que le parquet avait mandaté
la police pour mettre en garde à vue une
citoyenne qui avait affiché sur sa
propriété une petite banderole intitulée
: « Macronavirus, à quand la fin ? ». Le
terme Macronavirus était emprunté à une
couverture de Charlie hebdo datant de
quelques semaines qui lors de la
publication n’avait provoqué aucun émoi.
L’affaire ayant fait quelque bruit,
cette banderole est devenue virale et
des citoyens confinés dans leurs
appartement-prisons ont repris l’affiche
et affichée à leurs fenêtres. Des
parquetiers zélés, et probablement de
façon concertée et sur ordre, oubliant
qu’ils sont au service de la république
et non pas de la personne d’Emmanuel
Macron ont multiplié les interventions
menaçantes et promis des procédures. La
volonté d’intimidation et de sanction
d’un peuple rétif saute aux yeux. Parce
qu’en effet, sur le plan des principes
fondamentaux et du droit tel qu’il
s’applique ces démarches parquetières
sont quand même très problématiques.
Il existait depuis
la IIIe République dans le droit
français une infraction appelée : «
offense au chef de l’État ». La
filiation avec le crime de «
lèse-majesté de l’ancien régime » était
évidente, et ce qui était interdit
c’était de s’en prendre à la personne
même du chef de l’État. Cette infraction
était tombée en désuétude et sous la Ve
République, les présidents Pompidou,
Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac
avaient successivement annoncé qu’ils
refusaient d’en faire usage. Sous
Nicolas Sarkozy, un procureur zélé avait
trouvé astucieux de poursuivre et de
faire condamner (!) un passant, qui au
passage du président avait repris la
fameuse phrase « casse-toi pauvre con ».
La cour Européenne des Droits de l’Homme
alors saisie, avait rendu à l’encontre
de la France une décision cuisante pour
ceux qui avaient prêté la main à cette
atteinte à la liberté d’expression. Sur
ce, devant l’évidence du caractère
contraire à la liberté d’expression de
cette infraction, le délit « d’offense
au chef de l’État » a été purement et
simplement abrogé.
Criminaliser
l’opposition à Macron
Alors pour
justifier juridiquement cette agitation
judiciaire et policière contre les
banderoles, on utilise une autre
incrimination. Celle contenue
dans l’article 433–5 du code pénal
ainsi libellé : «Constituent un
outrage puni de 7 500 euros d’amende les
paroles, gestes ou menaces, les écrits
ou images de toute nature non rendus
publics ou l’envoi d’objets quelconques
adressés à une personne chargée d’une
mission de service public, dans
l’exercice ou à l’occasion de l’exercice
de sa mission, et de nature à porter
atteinte à sa dignité ou au respect dû à
la fonction dont elle est investie.
» En quoi l’affichage chez soi la
banderole « Macronavirus à quand la fin
» peut-elle être retenue dans les liens
de la prévention, et justifier
déploiements policiers, détentions
arbitraires (ce qu’est une garde à vue
injustifiée) et autres intimidations ?
Quiconque sait lire voit bien que pour
qu’il y ait outrage il faut que celui-ci
soit commis dans l’exercice ou à
l’occasion de l’exercice de sa mission
par l’agent public outragé. On
rappellera au passage que la loi pénale
est d’interprétation restrictive.
On imagine bien qu’une bordée d’injures
à un agent en train de verbaliser votre
automobile, ou une interruption à base
d’insultes du chef de l’État prononçant
un discours dans la cour des Invalides
constituent bien des outrages. En quoi
une caricature pas bien méchante
d’ailleurs, vue par une poignée de
passants confinés, pendant qu’Emmanuel
Macron vaque à ses occupations à 800 km
de là, peut-elle être considérée comme
un outrage ? La deuxième condition
relative au fait de porter atteinte à la
« dignité de la personne ou respect
dû à sa fonction » est elle aussi
totalement absente. C’est bien la
personne d’Emmanuel Macron qui est
brocardée, pas la fonction de chef de
l’État en elle-même. C’est même plutôt
d’ailleurs l’expression d’un respect
dans la mesure où les auteurs souhaitent
manifestement qu’elle soit occupée par
quelqu’un de plus respectable à leurs
yeux…
On voit bien là, la
volonté même pas cachée d’empêcher toute
critique d’Emmanuel Macron. Dire comme
70 % des Français d’après les sondages
que celui-ci est un mauvais président
serait donc un outrage ? Tout ceci est
assez lamentable mais surtout très
inquiétant. Qu’il se trouve dans la
magistrature, puisque les procureurs
sont des magistrats, des gens pour
déployer ainsi un zèle militant au
service du président le plus impopulaire
de la Ve République, en dit long sur la
culture des libertés publiques
fondamentales qui les habitent.
Et cette inquiétude
est aggravée par le manque de réaction
au sein du corps face à de tels
manquements. Les organisations
syndicales de magistrats en général peu
respectueuses du principe
d’impartialité, et très prolixes quand
il s’agit de donner des leçons de
morale, sont singulièrement muettes face
à ce qui constitue quand même depuis
deux ans, une instrumentalisation de la
justice à des fins politiques. Et le
constat de cette acceptation qui
perdure, du rôle répressif assigné à la
justice par un pouvoir minoritaire, et
ce pendant le confinement qui contraint
lourdement nos libertés, et
malheureusement très inquiétant.
On attend toujours
les signes du ressaisissement.
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